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Correspondance de Voltaire/1772/Lettre 8467

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Correspondance : année 1772GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 48 (p. 16-17).
8467. — À M. LE CARDINAL DE BERNIS.
Ferney, 28 janvier.

Voici, monseigneur, une affaire qui est de la compétence d’un archevêque, d’un cardinal, et d’un ambassadeur. Il s’agit d’acquérir une jolie sujette au roi, et d’empêcher un ancien officier du roi de se damner.

Je ne sais si Florian a l’honneur d’être connu de Votre Éminence ; il dit qu’il a celui d’être allié de votre maison. Il a ci-devant épousé une de mes nièces[1], et, après la mort de sa femme, il est venu passer quelques mois dans mon ermitage. Lucrèce-Angélique a essuyé ses larmes ; tous deux, et moi troisième, nous demandons votre protection ; sans quoi Philippe et Lucrèce sont exposés à des péchés mortels qui font trembler.

Moi, qui ne peux plus faire de péchés mortels, je m’intéresse à deux âmes qui courent risque de perdre leur innocence baptismale si le saint-père n’y met la main[2].

Je sais que le pape est intra et extra jus. Je sais que vous êtes plein de bonté, et que vous favorisez, autant qu’il est en vous, les sacrements et les amours ; j’entends les amours légitimes.

Quoi qu’il en soit, et de quelque manière que la requête des deux amants soit reçue, je supplie Votre Éminence d’agréer le respect et le tendre attachement du vieux malade de Ferney.

Que je vous trouve heureux d’être à Rome ! On dit que plupart de ceux qui sont à Versailles et à Paris enragent.


mémoire qui accompagnait cette lettre.

Philippe-Antoine de Claris de Florian, ancien capitaine de cavalerie, chevalier de Saint-Louis, pensionnaire du roi, né à Sauve en Languedoc, diocèse d’Alais ;

Et Lucrèce-Angélique, fille de Jean-Antoine de Normandie et de Lucrèce-Madeleine Courtonne, née à Rotterdam ;

Tous deux majeurs, et sans père ni mère, veulent s’épouser.

Le sieur de Florian est catholique ;

Lucrèce-Angélique est protestante ; mais elle consent de se confesser et de se faire instruire, pourvu qu’elle se marie avant d’être instruite, espérant que la grâce descendra sur elle, et que le mari fidèle convertira la femme infidèle.

Elle a eu le malheur d’épouser ci-devant un calviniste[3] à Genève ; mais elle a obtenu un divorce selon les lois de Genève, et est libre.

Ils sont tous deux dans le diocèse de Genève, sur terre de France ; ils demandent une dispense de Sa Sainteté pour se marier.

  1. Voyez tome XXXIV, page 340.
  2. Le saint-père refusa d’y prêter la main ; on s’en passa. Le mariage se fit devant un ministre luthérien ; voyez lettres 8508, 8533 et 8628.
  3. Théodore Rilliet, que Voltaire a fait figurer sous le nom de Grillet dans la Guerre de Genève ; voyez tome IX, page 527.