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Correspondance de Voltaire/1772/Lettre 8470

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8470. — À M. LE MARQUIS DE CONDORCET.
À Ferney, 1er février.

Le vieux malade de Ferney a eu l’honneur, monsieur, de vous envoyer les fadaises du questionneur[1] par la voie que vous lui avez indiquée. Je ne sais si vous aurez des moments pour lire des choses si inutiles. Un homme qui ne sort pas de son lit, et qui dicte au hasard ses rêveries, n’est guère fait pour amuser.

Il me paraît que tous les honnêtes gens ont été d’autant plus sensibles à la perte d’Helvétius que les marauds d’ex-jésuites et les marauds d’ex-convulsionnaires ont toujours aboyé contre lui jusqu’au dernier moment. Je n’aimais point son livre, mais j’aimais sa personne.

Vous avez grande raison, monsieur, de dire qu’on a souvent exagéré la méchanceté de la nature humaine ; mais il est bon de faire des caricatures des méchantes gens, et de leur présenter des miroirs qui les enlaidissent : quand cela ne servirait qu’à en corriger un ou deux sur vingt mille, ce serait toujours un bien.

Quant aux barbares qui veulent des tragédies en prose, ils en méritent. Qu’on leur en donne, à ces pauvres Welches, comme on donne des chardons aux ânes.

Pour les autres Welches qui se passionnent pour ou contre les parlements, cela passera comme le jansénisme et le molinisme ; mais ce qui ne passera qu’après ma mort, c’est mon tendre et sincère attachement pour vous, monsieur, qui méritez autant d’amitié que d’estime.

  1. Les Questions sur l’Encyclopédie.