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Correspondance de Voltaire/1772/Lettre 8471

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8471. — À FRÉDÉRIC II, ROI DE PRUSSE.
À Ferney, le 1er février.

Sire, mon cœur, quoique bien vieux, est tout aussi sensible à vos bontés que s’il était jeune. Vos troisième et quatrième chants[1] m’ont presque guéri d’une maladie assez sérieuse ; vos vers ne le sont pas. Je m’étonne toujours que vous ayez pu faire quelque chose d’aussi gai sur un sujet si triste. Ce que Votre Majesté dit des confédérés dans sa lettre[2] inspire l’indignation contre eux autant que vos vers inspirent de gaieté. Je me flatte que tout ceci finira heureusement pour le roi de Pologne et pour Votre Majesté. Quand vous n’auriez que six villes pour vos six chants, vous n’auriez pas perdu votre papier et votre encre.

La reine de Suède ne gagnera rien aux dissensions polonaises ; mais elle augmentera le bonheur de son frère et le sien. Permettez que je la remercie des bontés dont vous m’apprenez qu’elle daigne m’honorer, et que je mette mes respects pour elle dans votre paquet.

La veuve du pauvre cher Isaac[3] m’a fait part des bontés dont vous la comblez, et du petit monument qu’elle érige à son mari, le panégyriste de l’empereur Julien, de très-respectable mémoire, c’est une virtuose que cette Mme Isaac ; elle sait du grec et du latin, et écrit dans sa langue d’une manière qui n’est pas ordinaire.

Votre Majesté finit sa dernière lettre par de belles maximes de morale ; mais vous conseillez à un impotent de ne pas marcher trop vite. Il y a deux ans que je ne sors presque point de mon lit. Je serais tenté de vous dire comme Le Nôtre au pape Alexandre VII: « Saint-père, donnez-moi des tentations au lieu de bénédictions. » La santé, la santé, voilà le premier des biens dans quelque condition qu’on soit, et à quelque âge qu’on soit parvenu.

Je supplie Votre Majesté de n’avoir plus la goutte, à moins que cela ne produise quelque nouveau poème en six chants.

Agréez, sire, le profond respect et l’inviolable attachement d’un pauvre vieillard qui a pis que la goutte.

  1. De la Pologniade ; voyez lettre 8409.
  2. No 8457.
  3. Le marquis d’Argens.