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Correspondance de Voltaire/1772/Lettre 8546

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Correspondance : année 1772GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 48 (p. 96-97).
8546. — À M. DIDEROT[1].
18 mai.

Non assurément, mon cher philosophe, je ne vous ai jamais soupçonné d’avoir eu la moindre part à ce libelle[2] que M. Le Roy s’est diverti à faire contre moi. Il est très-permis sans doute de dire que je suis un plat auteur, un mauvais poëte, un vieux radoteur ; mais il n’est pas honnête de dire que je suis jaloux et ingrat, car, sur mon Dieu, je n’ai jamais été ni l’un ni l’autre.

Je suis charmé que la petite leçon que M. Le Roy m’a faite m’ait valu une de vos lettres ; vous n’écrivez que dans les grandes occasions : vous consolez vos amis quand ils éprouvent des disgrâces. Je suis juste ; je n’en aime pas moins l’article Instinct de M. Le Roy dans ce grand dictionnaire sur lequel je vous fais, de mon côté, mes compliments de condoléance. J’en dois aussi à notre pauvre Académie[3] ; nous sommes tous sub gladio, et nous ne dirons pas :


Et spes et ratio studiorum in Cæsare tantum.

(Juv.)


Cela pourrait se dire à Florence, où le grand-duc donne une somme considérable pour l’édition de l’Encyclopédie, malgré les notes qu’on y coud. Pour vous autres Welches, il faut bien que

vous n’ayez aucun besoin des faveurs de la cour, car on ne vous les jette pas à la tête. Vous ressemblez au duc de Mazarin, à qui Louis XIV avait refusé un régiment : « Messieurs, il m’a trouvé tant d’agréments qu’il m’a dit que je pouvais me passer de celui-là. » Au surplus, vous savez que


Levius fit patientia
Quid quid corrigere est nefas.


Jouissez, mon cher philosophe, de votre réputation que personne ne vous ôtera ; arrondissez votre fortune, mariez votre fille ; vivez heureux, soyez plus indulgent que M. Le Roy ; j’en ai besoin.

J’irai bientôt voir Damilaville ; nous verrons qui, de lui ou de moi, avait raison. Je lui soutenais qu’il y avait dans la nature intelligence et matière ; il me niait intelligence, et nous étions bons amis.


Faccia ognuno secondo il suo cervello.


Soyez sûr que ma cervelle et mon cœur sont à vous. Si vous aviez pu lire quelque chose des Questions, vous auriez vu de quelle respectueuse estime le questionneur est pénétré pour vous.

  1. Éditeurs, de Cayrol et François.
  2. Reflexions sur la jalousie.
  3. À propos de l’exclusion de Delille et de Suard.