Correspondance de Voltaire/1772/Lettre 8559
Mon cher et illustre confrère, nous avons affaire, vous et moi, à une drôle de nation,
Que sola constans in levitate sua est[1].
Elle ressemble à l’Euripe, qui a plusieurs flux et reflux, sans
qu’on ait jamais pu en assigner la cause. Il faut en rire.
Puisqu’on s’est déchaîné contre le prince Noir et du Guesclin[2], il est sûr que Caboche réussira. La décadence du goût est arrivée. Les Lois de Minos sont un très-faible ouvrage qu’on dit avoir quelque rapport avec les Druides, et qui, par conséquent, ne sera point joué. J’en avais fait présent à un jeune avocat. Rien n’était plus convenable à un homme du barreau qu’une tragédie sur les lois. Mais elle n’est bonne qu’à être jouée à la Basoche. Don Pèdre, Transtamare, le prince Noir, du Guesclin, étaient de vrais héros faits pour la cour. Il faut que la cabale ait été bien acharnée pour prévaloir sur ces grands noms, illustrés encore par vous. De tels orages sont l’aveu de votre réputation. On ne s’est jamais avisé de faire du tapage aux pièces de Danchet et de l’abbé Pellegrin. Le vieux proverbe, qu’il vaut mieux faire envie que pitié, vous est très-applicable.
N’ai-je pas ouï dire que vous aviez une pension du roi ? Je songe pour vous au solide autant qu’à la gloire, qu’on ne vous ôtera point. Ce n’est pas assez de vivre dans la postérité, il faut vivre aussi pendant qu’on existe. Vos grands talents m’ont attaché véritablement à vous ; je souhaite passionnément que vous soyez aussi heureux que vous méritez de l’être ; mais vous êtes aussi bon philosophe que bon poëte.
Je vous embrasse de tout mon cœur, sans les vaines cérémonies que de bons confrères doivent mépriser.