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Correspondance de Voltaire/1772/Lettre 8638

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Correspondance : année 1772GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 48 (p. 180-181).
8638. — À M. LE PRINCE DE LIGNE.
À Ferney, 29 septembre.

On dit, monsieur le prince, que les mourants prophétisent : je me trouve peut-être dans ce cas. Je fis, il y a trois mois, une assez mauvaise tragédie[1] qu’on pourra bien jouer au retour de Fontainebleau. Il s’est trouvé que c’était mot pour mot, dans deux ou trois situations, l’aventure du roi de Suède. J’en suis encore tout étonné, car en vérité je n’y entendais pas finesse.

Puis donc que vous me faites apercevoir que je suis prophète, je vous prédis que vous serez ce que vous êtes déjà, un des plus aimables hommes de l’Europe, et un des plus respectables. Je vous prédis que vous introduirez le bon goût et les grâces chez une nation qui peut-être a cru jusqu’à présent que ses bonnes qualités lui devaient tenir lieu d’agréments. Je vous prédis que vous ferez connaître la saine philosophie à des esprits qui en sont encore un peu loin, et que vous serez heureux en la cultivant.

Je me prédis à moi, sans être sorcier, que je vous serai attaché jusqu’au dernier moment de ma vie avec le plus tendre et le plus sincère respect.

Le vieux Malade de Ferney.

  1. Les Lois de Minos : voyez tome VII, page 163.