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Correspondance de Voltaire/1772/Lettre 8639

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8639. — À M. LE BARON DE CONSTANT DE REBECQUE,
seigneur d’hermenches.
29 septembre.

Le vieux malade de Ferney, monsieur, n’est pas trop exact, mais il est bien sensible ; il est pénétré de votre souvenir et de vos bontés.

Nous avons eu Lekain assez longtemps. Il a joué six fois, et s’en est retourné avec de l’argent et des présents. J’aurais bien voulu que la garnison d’Huningue eût été plus près de Genève.

Je me crois un peu prophète. Je fis, il y a plus de trois mois, une tragédie qui ne vaut pas grand’chose, mais qui est, à quelques différences près, la révolution de Suède. Nous attendons celle de Pologne.

Il n’y a rien de nouveau en Russie, sinon un rhinocéros pétrifié qu’on a trouvé dans les sables, au soixante-cinquième degré de latitude. Ce rhinocéros, joint aux os d’éléphant qu’on rencontre souvent en Sibérie, fait présumer que ce monde est bien vieux, et qu’il a éprouvé des révolutions que le véridique Moïse n’a point connues.

Voilà tout ce que je sais dans ma retraite.

Vous êtes occupé actuellement à commander des évolutions à de braves gens qui ne feront, je crois, la guerre de longtemps. Vous faites très-bien d’embellir votre maison de campagne auprès de Lausanne. Quand on a bien connu le monde, on conclut qu’on n’est bien que chez soi.

Mme Denis vous fait mille compliments. Vous savez, monsieur, avec quels sentiments je vous suis attaché pour le reste de ma vie.