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Correspondance de Voltaire/1772/Lettre 8705

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Correspondance : année 1772GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 48 (p. 243-244).
8705. — À M. D’ALEMBERT.
8 décembre.

J’ai pensé, mon cher ami, qu’il faut un successeur à Thieriot[1] auprès du roi de Prusse. Je suppose que le prophète Grimm est déjà en fonction ; mais si cela n’était pas, si ce grand prophète[2] était employé ailleurs, il me semble que cette petite place conviendrait fort à frère La Harpe, et que le roi de Prusse serait bien content d’avoir un correspondant littéraire aussi rempli de goût et d’esprit. Je crois que personne n’est plus en état que vous de lui procurer cette place ; et si la chose est praticable, vous y avez déjà songé. J’en ai écrit un petit mot au roi[3].

Voudriez-vous bien me mander où l’on en est sur cette petite affaire ?

Vous souvenez-vous d’un nommé d’Étallonde, fils de je ne sais quel président d’Abbeville, à qui on devait pieusement arracher la langue, couper la main droite, et appliquer tous les agréments de la question ordinaire et extraordinaire ; après quoi il devait être brûlé à petit feu, conjointement avec le chevalier de La Barre, petit-fils d’un lieutenant général des armées du roi ; le tout pour avoir chanté une chanson gaillarde, et n’avoir pas ôté son chapeau devant une procession de capucins welches ? Le roi de Prusse vient de donner une compagnie à ce petit d’Étallonde, auquel il avait donné une lieutenance à l’âge de dix-sept ans, âge auquel le sénateur Pasquier et d’autres sages et doux sénateurs l’avaient condamné à la petite réparation publique que d’Étallonde esquiva, et qui fut prescrite au chevalier de La Barre pour l’édification des fidèles.

Je crois qu’il n’y a plus que moi chez les Welches qui parle encore de cette scène ; mais j’admire encore ces Welches de prendre part pour ces bourgeois assassins. Je vous prie de faire souvenir de moi tous ceux qui ne sont pas Welches, et particulièrement M. de Condorcet.

Adieu, mon cher philosophe : je vous aime inutilement, car je ne suis bon à rien dans ce monde ; mais je vous aime de tout mon cœur.

Mme Denis a été très-malade, et moi je le suis toujours.

  1. Voyez page 236.
  2. Allusion à l’opuscule de Grimm intitulé le Petit Prophète de Bochmischbroda, 1753, in-8o.
  3. Dans la lettre qui précède, Voltaire parle de la difficulté de remplacer Thieriot ; mais il ne souffle mot de La Harpe. Il n’en parle pas non plus dans la lettre du 22 décembre. Cependant le roi de Prusse parle de La Harpe dans sa lettre du 16 janvier (No 8736). Il y a donc une lettre de perdue, ou quelque phrase de supprimée dans les lettres imprimées. (B.)