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Correspondance de Voltaire/1773/Lettre 8741

La bibliothèque libre.
Correspondance : année 1773GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 48 (p. 282-283).
8741. — DE M. HENNIN[1].
À Genève, le lundi 18 janvier.

Monsieur, quand l’air emporterait votre château, disperserait votre bibliothèque, ce serait de bonne guerre ; vous ne croyez pas en lui. Mais pour le feu, il y a longtemps que vous êtes amis, et assurément vous n’êtes pas près de vous brouiller. À qui diable en veut-il[2] ?

Vous avez eu la bonté de vous informer de ma santé, et j’ai toujours cru que je pourrais chaque jour vous en aller donner des nouvelles ; mais mille petits maux m’en ont empêché, et me retiennent encore. Voilà ce qui m’a cloué à Genève. Vous savez comme on y est gai. Vous savez la différence qu’il y a entre une soirée de Ferney et une soirée genevoise. Je n’ai donc pas besoin d’excuses ; mais je soulage mon cœur en vous disant combien ce contre-temps m’a fâché, en me privant du plaisir de vous voir. J’aurais eu l’honneur de vous écrire si je ne m’en faisais toujours scrupule. Tandis que les souverains et les auteurs attendent vos lettres, ceux qui vous aiment comme moi doivent respecter jusqu’à vos moments de dissipation, et je me reprocherais également de vous empêcher de faire une épître à Horace, ou de jouer une partie d’échecs.

Recevez pour vous et pour Mme Denis les vœux les plus tendres et les plus sincères. Je ne saurais vous dire combien je languis d’avoir le plaisir de vous voir. Vous êtes presque les seules personnes dont mon incommodité m’ait privé. Mais cette privation m’a été plus sensible que je n’étais touché de tout ce qui m’est resté pour me distraire.

Vous devriez bien nous peindre un incendie d’après nature. La renommée vous représente comme un digne capucin portant des seaux avec une vigueur peu commune. La renommée dit bien d’autres choses de vous. Tudieu ! quel compère !

  1. Correspondance inédite de Voltaire avec P.-M. Hennin, 1825.
  2. Le feu avait pris au château de Ferney.