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Correspondance de Voltaire/1773/Lettre 8751

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8751. — À M. LE CHEVALIER DE CHASTELLUX.
À Ferney, 1er février.

Il y a huit villages, monsieur, appelés Fresne ; et puisque tous les curés de Fresne auprès de Paris ont été aussi sots que les nôtres, ce n’est pas à ce Fresne que je dois m’adresser[1]. Je ne puis me repentir de vous avoir importuné, puisque cela m’a valu l’assurance que j’aurais l’honneur de vous posséder, vers le mois d’auguste, dans ma chaumière. Vous allez en Italie. Vous pourrez y entendre de la musique qui ne parle jamais au cœur ; vous pourrez y voir force sonettieri, et pas un homme de génie. Ils ne retrouveront plus leur cinquecento, comme nous ne reverrons plus le siècle de Louis XIV.

Je ne crois pas qu’il y ait dans toute l’Italie un homme capable de faire le livre de la Félicité publique. On dit qu’il y a quelques princes qui cherchent à mettre en pratique une partie de vos leçons. Je le souhaite, et je le crois même, si l’on veut. Heureusement ils sont forcés de se tenir en paix, par le peu de moyens qu’ils ont de faire la guerre.

Ce qui m’étonne de l’Italie, c’est que depuis deux cents ans qu’il y a des assemblées, des ridotti, il n’y ait point de société. C’est en quoi la France l’emporte sur l’univers entier. Je sais par Mme Denis qu’il y a autant de plaisir à vous entendre qu’à vous lire. C’est une consolation à laquelle je n’aurais osé prétendre dans la décrépitude où je suis. Mais, quoique très-indigne de votre conversation, j’en sentirai tout le prix comme si j’étais dans la force de l’age.

Comme l’espérance de vous voir, monsieur, ranime beaucoup mon misérable amour-propre, je ne veux pas que vous me méprisiez à un certain point, et que vous pensiez qu’une édition des Lois de Minos, faite par un libraire de Paris nommé Valade, soit de moi. Ma pièce est bien mauvaise ; mais celle de ce Valade est encore pire. Je suis un peu le bouc émissaire qu’on charge de tous les péchés du peuple. Que cela ne vous empêche pas de venir, en passant par Genève ou par la Suisse, voir un solitaire rempli pour vous de la plus haute estime et du plus tendre respect.

  1. M. de Chastellux avait écrit en marge de cette lettre : « M. de Voltaire m’avait demandé des éclaircissements sur une belle action (je ne sais plus laquelle) qui devait avoir été faite par un curé de Fresne. M. d’Aguesseau, mon oncle, possède la terre de Fresne, qu’il tient du chancelier d’Aguesseau, son père. M. de Voltaire voulait savoir si c’était ce village de Fresne où était curé l’homme qu’il avait dessein de citer. » Cette note de Chastellux prouve qu’il manque une des lettres que Voltaire lui avait écrites.

    Il y a une Prière du curé Dufresne qu’on a quelquefois attribuée à Voltaire.