Correspondance de Voltaire/1773/Lettre 8774
Raton a donné tout ce qu’il avait de marrons, et on n’en fera plus rôtir que dans une assez grande poêle, où l’on fait cuire, dit-on, des choses de plus haut goût ; mais Raton n’a pas à présent envie de rire. Il est attaqué depuis quinze jours d’une strangurie avec la fièvre, et tous les ornements possibles qui décorent les gens dans cet état. Il est très-affligé de l’aventure de la lettre, lue si indiscrètement devant Mlle Raucourt. Il faut rendre justice. Celui à qui cette malheureuse lettre était écrite la donnait à lire, ne se souvenant plus de ce qu’elle contenait. Quand on fut à cet article fatal du pucelage[1], il voulut faire arrêter ; mais il n’en était plus temps. Il me le manda lui-même avec candeur. Je lui ai fourni un moyen de réparer sa faute : je ne sais si la multitude de ses occupations et de ses voyages lui en aura laissé le temps.
Je suis bien embarrassé ; c’est une chose respectable qu’un attachement de plus de cinquante années, qui n’a jamais été refroidi un moment. Je lui dédiais même la véritable tragédie des Lois de Minos. Il[2] était fait, sans doute, pour être le soutien des lettres ; son nom seul, et sa qualité de doyen de l’Académie, semblaient l’y engager. Que voulez-vous ? il faut prendre ses amis avec leurs défauts. Ce n’est pas ainsi que je vous aime.
Bonsoir. Je crois, Dieu me pardonne, que je me meurs véritablement.
Je n’ai pas la force de répondre à M. de Condorcet, mais je suis enchanté d’une lettre charmante qu’il m’a écrite.
- ↑ Dans une lettre à Richelieu, qui n’est point imprimée, Voltaire disait que Mlle Rancourt, dont la vertu faisait alors grand bruit, avait été la maîtresse d’un Genevois en Espagne. Le maréchal, recevant cette lettre à table, dans une maison où dînaient Mlle Raucourt et Ximenès, pria ce dernier d’en donner lecture à la compagnie. Quand on en fut à ce qui la concernait, Mlle Rancourt tomba évanouie dans les bras de sa mère. Grimm parle de l’aventure dans sa Correspondance en janvier 1773 ; ce qui a fait placer en janvier 1773 (No 8719) la lettre écrite par Voltaire à Mlle Raucourt pour réparer l’étourderie du maréchal. (B.)
- ↑ Le maréchal de Richelieu.