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Correspondance de Voltaire/1773/Lettre 8809

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Correspondance : année 1773GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 48 (p. 344-345).
8809. — À M. MARIN[1].
À Ferney. 10 avril.

Il me paraît que le public des honnêtes gens revient beaucoup en faveur de M. de Morangiés. C’est une chose bien absurde que la rétractation d’un faux témoin ne soit pas admise en justice après le récolement. Je regarde le désaveu fait par cette malheureuse Hérissé Tempête, avant d’être fouettée et marquée, comme une espèce de testament de mort qui doit servir de matière à une nouvelle instruction, et qui prouve évidemment que M. de Morangiés est opprimé par la plus infâme canaille. La faveur donnée à un vérolé, et le décret de prise de corps contre un chirurgien honnête homme, marquent, ce me semble, la plus mauvaise volonté de la part du juge. Ce juge s’est fait un point d’honneur de protéger la populace contre la noblesse ; mais il ne fallait protéger que la vérité contre l’imposture. Le grand malheur est qu’on ne peut prouver cette imposture juridiquement, et que les billets de M. de Morangiés subsistent toujours.

Au reste, ce problème me paraît plus intéressant que cent mille billevesées mathématiques et cent mille discours pour les prix des académies.

Je ne connais point du tout, mon cher ami, ce M. de Boissy dont vous vous plaignez, ni ce M. l’abbé Savatier qui m’a tant dénigré[2]. Ma longue maladie, dont je ne suis pas encore guéri, ne m’a pas laissé le temps de lire leurs brochures. On dit que M. de La Harpe a fait une tragédie qui est le meilleur de tous ses ouvrages. Je le souhaite de tout mon cœur pour l’honneur des lettres et pour son avantage. C’est de tous nos jeunes gens celui qui fait le mieux des vers, qui écrit le mieux en prose, et qui a le goût le plus sûr.

Voudriez-vous bien avoir la bonté de lui faire remettre cette lettre ?

Le vieux malade de Ferney vous embrasse bien tendrement.

  1. Éditeurs, de Cayrol et François. Ils ont à tort donné cette lettre comme adressée a M. Tabareau.
  2. Laus de Boissy, dans sa brochure contre Sabatier, demandait à celui-ci pourquoi il avait attaqué Voltaire et épargné Marin.