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Correspondance de Voltaire/1773/Lettre 8811

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Correspondance : année 1773GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 48 (p. 346-347).
3811. — À M. LE MARÉCHAL DUC DE RICHELIEU.
À Ferney, 11 avril.

Je m’imagine que mon héros fait ses pâques à Versailles, et que j’aurai tout le temps de disposer mon squelette à me rendre à ses ordres.

Votre Lazare ressuscité ne manquera pas de venir au rendez-vous, le plus secrètement que faire se pourra, dès que vous lui aurez marqué le jour où il devra partir ; après quoi il retournera bien vite dans son ermitage.

On doit jouer incessamment les Lois de Minos à Lyon, et l’on fait pour cela de grands préparatifs ; c’est précisément de quoi je ne veux pas être témoin. Comme vous êtes l’unique objet de mon voyage, je ne veux pas qu’aucune idée étrangère se mêle à mon idée dominante. Je compte d’ailleurs beaucoup plus sur les acteurs de Bordeaux que sur ceux de Lyon. Belmont fera ses efforts pour faire réussir une pièce que vous protégez, qui vous est dédiée, et qui vous appartient.

À l’égard de Paris, je pense qu’il ne faut pas se presser, et que vous pourriez attendre le voyage de Fontainebleau. Il n’est pas impossible que dans ce temps-là vous n’ayez quelques bons acteurs. Il y en[1] a un qui était à Lyon, et que j’envoie malheureusement à Pétersbourg. Je m’en repens du fond de mon cœur. Je crois qu’il serait devenu excellent à Paris.

La pièce d’ailleurs était fort mal arrangée par Lekain, et les rôles ridiculement donnés. Monseigneur me permettra d’arranger tout cela différemment, selon son bon plaisir.

Il pleut de mauvais vers à Turin ; c’est tout comme chez vous ; et vous rembourserez plus d’un sonnet quand vous viendrez dans ce pays-là. La troupe de l’impératrice-reine est revenue de Naples et de Venise, où elle a beaucoup réussi. C’est la première fois qu’on a vu des acteurs français au fond de l’Italie. Vous pourriez bien trouver parmi ces comédiens quelqu’un qui vous convint. Je m’aperçois que je ne vous parle que de théâtre ; mais vous êtes premier gentilhomme de la chambre, et les plaisirs de l’esprit sont faits pour vous être aussi chers que les autres.

Vous ne m’avez point mandé si l’on pouvait vous envoyer de gros paquets du côté de la Suisse. Je crains toujours de commettre quelque indiscrétion ; mon ombre me fait peur : c’est apparemment depuis que j’ai été sur le point de n’être plus qu’une ombre.

Jouissez, monseigneur, de votre belle santé. Il n’y a de jeunes que ceux qui se portent bien. Daignez continuer à me faire oublier par vos bontés toutes les misères de ma décrépitude, et agréez toujours mon très-tendre respect. V.

M. de Sartines m’a écrit qu’il ne doutait pas de la prévarication de Valade ; qu’il aurait tout saisi si tout n’avait pas été vendu, et qu’il me priait de ne pas exiger de lui qu’il poussât plus loin cette affaire. Je vous rends compte de tout comme à mon médecin.

À propos, je vous crois réellement le meilleur médecin du monde car, par votre attention et votre régime, vous avez fortifié votre santé et prolongé vos plaisirs. Boerhaave, avec tous ses livres et un tempérament de fer, n’a pas su arriver à soixante-dix ans faits.

Vivez cent ans, et moquez-vous intérieurement des médecins, ainsi que du reste du monde.

  1. Aufresne.