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Correspondance de Voltaire/1773/Lettre 8819

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Correspondance : année 1773GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 48 (p. 354-355).
8819. — DE M. D’ALEMBERT.
À Paris, ce 20 avril.

Mon cher et ancien ami, mon cher maître, mon cher confrère, si je ne vous ai point écrit depuis quelques semaines, ce n’est pas faute d’avoir été occupé de vous : c’est au contraire parce que je l’étais trop douloureusement. Je croyais faire bien mon devoir de vous aimer ; mais jamais je n’ai mieux senti qu’en ce moment combien vous êtes cher et nécessaire à mon cœur. J’ai écrit deux lettres à Mme Denis pour savoir de vos nouvelles : elle ne m’en a point encore donné ; mais je me flatte qu’elle vous aura bien dit le tendre intérêt que je prends à votre état. On nous assure que vous êtes beaucoup mieux, mais très-faible : conservez-vous, mon cher maître ; ménagez-vous, et songez que vous ne pouvez faire aux sots et aux fripons un meilleur tour que de vivre et de vous bien porter. Ne m’écrivez point : quelque chères que me soient vos lettres, elles vous fatigueraient ; mais faites-moi donner en détail de vos nouvelles. Tous nos confrères de l’Académie, aux Tartufe et Laurent[1] près, sont aussi tendrement occupés que moi de votre santé et de votre conservation. J’ai reçu votre nouvelle Défense de M. de Morangiés[2], et je l’ai lue avec plaisir ; mais laissez là tous les Morangiés du monde, et portez-vous bien. Dédiez les Lois de Minos à qui vous voudrez[3], et portez-vous bien.

Vous avez bien raison dans tout ce que vous me dites de l’ouvrage de M. de Condorcet : le succès en a été unanime ; il y a longtemps que le sot public n’a été si juste. L’Académie des sciences vient de lui donner l’adjonction et la survivance à la place de secrétaire, qui depuis trente ans était si mal remplie[4].

Adieu, mon cher et illustre ami ; portez-vous bien, portez-vous bien, portez-vous bien : voilà tout ce que je désire de vous.

J’embrasse Raton de tout mon cœur.

Bertrand.

  1. Radonvilliers et Batteux ; voyez lettre 8716.
  2. Réponse à l’écrit d’un avocat, tome XXIX, page 33.
  3. Voltaire avait expliqué à d’Alembert (lettre 8810) pourquoi il avait dédié à Richelieu sa tragédie des Lois de Minos.
  4. Par Grandjean de Fouchy, successeur de Mairan en 1743.