Correspondance de Voltaire/1773/Lettre 8877
Je vois bien, monsieur, que vous descendez d’un homme qui ne voulait pas assassiner ses frères pour plaire au duc de Guise[2]. On ne les assassinait, il y a quelques années, dans Abbeville, que par arrêt de l’ancien banc du roi, nommé parlement ; aujourd’hui on se contente de les calomnier. Ainsi le monde est tout le contraire de ce que disait Horace[3], il se corrige au lieu d’empirer. Je vais le quitter bientôt, et je suis bien aise de le laisser dans ces bonnes dispositions.
Plus il y aura d’hommes qui vous ressemblent, monsieur, moins il faudra dire de mal de son siècle. M. d’Alembert, qui m’a envoyé votre lettre et votre livre, est un de ceux qui me réconcilient le plus avec le genre humain. Il est encore un peu sot, ce genre humain ; mais à la fin la lumière pénétrera chez tous les honnêtes gens. Vous contribuerez à les éclairer, comme votre ancêtre à les laisser vivre.
- ↑ Jean-Marie-Joseph Thomasseau de Cursay, né à Paris le 21 novembre 1705, mort en 1781, avait envoyé à Voltaire ses Anecdotes sur des citoyens vertueux de la ville d’Angers, mises au jour à l’occasion de Jean Hennuyer, évêque de Lisieux, drame (de Mercier, 1773, in-4o. La lettre d’envoi de l’abbé de Cursay est du 22 juin 1773, et avait été adressée par l’entremise de d’Alembert.
- ↑ Thomassenu de Cursay refusa d’exécuter les ordres du duc de Guise, pour le massacre des protestants d’Angers, le jour de la Saint-Barthélemy. (K.)
- ↑ Horace a dit, livre III, ode vi, vers 16 et suivants :
Etas parentum pejor avis tulit
Nos nequiores, mox daturos
Progeniem vitiosiorem.