Correspondance de Voltaire/1773/Lettre 8889
J’ai oublié, monseigneur, dans ma dernière lettre, de vous dire que les meilleurs artistes de ma colonie voulaient se rendre dignes de la protection que vous daignâtes leur accorder, il y a quelque temps. Il ne s’agira que d’une seule montre ; elle sera très-belle et très-bonne. Si vous voulez qu’elle soit ornée de diamants fins, elle le sera ; mais elle coûtera fort cher. Si vous voulez qu’elle soit ornée seulement de marcassites avec la chaîne de même, soit pour homme, soit pour femme, ils disent que le prix ne pourra pas passer cinquante ou soixante louis.
Voudriez-vous avoir la bonté de me donner vos ordres ? Vous serez servi un mois après la réception de votre lettre.
Vous devez avoir reçu l’ouvrage[2] d’une autre manufacture qui ne coûtera rien au roi. Celle-là me tient plus à cœur que toutes les autres. On aime toujours son premier métier, et quoique j’aie détruit mon théâtre pour bâtir des maisons d’horlogers, j’aime toujours mieux des tragédies que des cadrans. Je pourrais me vanter à M. l’abbé Terray d’être un bon laboureur et de faire croître du blé dans des champs maudits, où il n’y avait pas même d’herbe depuis la création. Mais ma passion l’emporte sur tout cela ; je suis pour les vers ce qu’est La Borde pour la musique.
Mon héros sait le pouvoir des passions, et il les excuse. Je lui demande donc son indulgence, en attendant que j’en aie une du pape in articulo mortis. Je le supplie d’être toujours un peu sensible au tendre respect du vieux bonhomme V.
P. S. Il est supplié de vouloir bien me dire s’il veut la chaîne de montre pour homme ou pour femme.