Correspondance de Voltaire/1773/Lettre 8891
Soit que les commentaires des anciennes tragédies vous occupent, mon cher confrère, soit que vous donniez des lois aux Incas (qui, par parenthèse, sont vengés aujourd’hui[1] par messieurs du Chili), soit que vous instruisiez nos jeunes princesses par quelque conte moral où vous mêlez l’utile dulci[2], je vous prie instamment de répondre le plus tôt que vous pourrez à ma requête ; la voici :
Vous savez qu’un Père de l’Église, nommé l’abbé Sabatier, nous accuse, vous, M. d’Alembert, M. Thomas et moi, e tutti quanti, d’être un peu hérétiques, ou du moins tombés dans des erreurs qui sentent l’hérésie. Des gens de bien se sont laissé séduire par cette horrible accusation. L’intérêt de la religion exige qu’on démasque nos ennemis, qui sont hérétiques eux-mêmes.
J’ai entre les mains le système de Spinosa[3], éclairci et commenté par M. l’abbé Sabatier, écrit tout entier de sa main, et signé Bathesabit, ce qui est à peu près l’anagramme de son nom. Vous avez plusieurs de ses lettres ; je vous prie de me les envoyer ; oportet cognosci malos. Confiez ce petit paquet à M. Marin, qui me le fera tenir sur-le-champ.
Mes occupations et mes souffrances ne me permettent pas de vous en dire davantage ; je me borne à vous assurer que je serai toujours fidèle à la bonne cause autant qu’à votre amitié.
- ↑ Voyez le premier alinéa de la lettre 8903.
- ↑ Horace ; Art poétique, vers 344.
- ↑ Voyez, tome X, une note du Dialogue de Pégase et du Vieillard.