Correspondance de Voltaire/1773/Lettre 8904
On m’a envoyé une épître qui commence par ce vers :
Bravo, messieurs ! quatre contre un.
Je la crois de vous, monsieur, parce qu’il y a une foule de très-jolis vers, pleins de facilité et de naturel. Je peux oublier les injures de ces pauvres gens, mais je me souviendrai toujours de
vous avoir eu pour défenseur[2].
J’ai oui dire que l’abbé Sabatier de Castres m’avait loué plus que je ne méritais dans une espèce de Dictionnaire[3] que je ne connais point ; mais qu’il avait bien réparé son erreur dans un autre livre intitulé les Trois Siècles[4]. On m’a assuré que dans ce livre il avait la cruauté de m’accuser d’avoir écrit contre des vérités respectables. Voici, monsieur, ma réponse à cet abbé.
J’ai une analyse de Spinosa, faite par lui-même, écrite tout entière de sa main[5], et adressée à feu Helvétius. J’ai aussi plusieurs pièces de vers de sa façon. Je ne crois pas que, dans notre langue, il y ait de plus mauvais vers et de plus mauvaise prose que ces ouvrages de M. l’abbé Sabatier ; mais, en même temps, je puis vous assurer qu’il n’y a rien de plus effronté et de plus scandaleux.
Voilà pourtant l’homme qu’on a choisi pour m’accuser, moi et mes amis, d’avoir des sentiments suspects. Je prévois qu’on sera forcé d’instruire ses protecteurs de la turpitude et de la scélératesse de ce personnage. Ils ont trop de vertu pour soutenir le crime, et trop de raison pour excuser ce crime, dénué de tous les talents. Il importe à la société de faire connaître des pervers qui n’ont rien d’utile ni d’agréable pour faire pardonner leurs iniquités. Il y a des âmes honnêtes et sensibles comme la vôtre
- ↑ Cette lettre, que les éditeurs précédents avaient placée ou laissée à l’année 1774, est évidemment de 1773 ; c’est Auger qui a mis à cette lettre le nom de du Vernet, dans le Supplément au Recueil des lettres de Voltaire, 1808, deux volumes in-8o ou in-12. Des copies que j’ai vues ne donnent pas le nom de la personne à qui elle est adressée. (B.)
- ↑ L’abbé du Vernet avait publié des Réflexions critiques et philosophiques sur la tragèdie, au sujet de Lois des Minos, 1773. in-8o ; voyez tome VII, page 166.
- ↑ Dictionnaire de littérature, dans lequel on traite de tout ce qui a rapport à l’éloquence, à la poésie et aux belles-lettres, 1770, trois vol. in-8o.
- ↑ Voyez tome VII, page 172.
- ↑ C’est ce qu’il a déjà dit dans sa lettre 8891.