Correspondance de Voltaire/1773/Lettre 8914
Je mets aux pieds de mon héros une troisième lettre à la noblesse de son ancien gouvernement. Quand le parlement condamnerait M. de Morangiés par les formes, je le croirais toujours innocent dans le fond. Vous êtes maréchal de France et juge de l’honneur ; vous êtes pair du royaume et juge de tous les citoyens, prononcez.
Si j’osais demander une autre grâce à notre doyen, je le conjurerais de ne pas flétrir une Électre composée avec quelque soin d’après celle de Sophocle, sans épisode, sans un ridicule amour, écrite avec une pureté qu’un doyen de l’Académie, un Richelieu doit protéger, représentée avec tant de succès par Mlle Clairon, et qu’enfin Mlle Raucourt pourrait encore embellir ; je vous conjurerais de me raccommoder avec elle, puisque vous m’avez attiré sa colère.
Je vous supplierais de ne me point donner le dégoût de préférer une partie carrée[1] d’amours insipides en vers allobroges ; une Électre qui s’écrie :
Je ne puis y souscrire ; allons trouver le roi ;
Faisons tout pour l’amour, s’il ne fait rien pour moi[2] ;
une Iphianasse qui dit :
J’ignore quel dessein vous a fait révéler
Un amour que l’espoir semble avoir fait parler ;
un Itys qui fait ce compliment à Électre :
Pénétré du malheur où mon cœur s’intéresse,
M’est-il enfin permis de revoir ma princesse ?…
Je ne suis point haï. Comblez donc tous les vœux
Du cœur le plus fidèle et le plus amoureux, etc., etc.
Enfin j’espérerais que vous ne donneriez point cette préférence humiliante à un mort sur un mourant qui vous a été attaché pendant plus de cinquante ans.
Vous savez que mon unique ressource, dans la situation où je suis, serait d’adoucir des personnes prévenues contre moi, en leur inspirant quelque indulgence pour mes faibles talents.
Je suis désespéré de vous importuner de mes plaintes. Je n’ai de consolation qu’en vous parlant de mon respect et de mon attachement inviolable.