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Correspondance de Voltaire/1773/Lettre 8935

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Correspondance : année 1773GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 48 (p. 462-463).
8935. — À M. LE MARÉCHAL DUC DE RICHELIEU.
À Ferney, 20 septembre.

Selon ce que vous daignâtes me mander, monseigneur, par votre dernière lettre, j’envoie aujourd’hui à Mme la comtesse Du Barry une montre de ma colonie. Si vous en êtes content, j’espère qu’elle en sera satisfaite : car ce n’est pas seulement dans les ouvrages d’esprit que mon héros a du goût.

Il n’a pas daigné répondre à mes justes plaintes sur la partie carrée de l’Électre de Crébillon[1] ; mais j’ose présumer que, dans le fond de son cœur, il est assez de mon avis. Je compte toujours sur ses bontés pour l’Afrique et pour la Crète, pour l’impudente Sophonisbe, et pour les Lois de Minos : car, quoique je sente parfaitement le néant de toutes ces choses, j’y suis pourtant bien attaché, attendu que je suis néant moi-même. J’ai été sur le point, ces jours passés, d’être parfaitement néant, c’est-à-dire de mourir ; il ne s’en est pas fallu l’épaisseur d’un cheveu, et je disais : Je ne saurai pas dans un quart d’heure si mon héros a encore de la bonté pour moi.

Vivez, mon héros ; vivez, et vivez gaiement. Je suis très-sûr que vous vivrez longtemps, car vous êtes très-bien constitué, et vous êtes votre médecin à vous-même. Daignez, dans la multitude de vos occupations ou de vos plaisirs, vous souvenir qu’il existe encore, entre les Alpes et le mont Jura, le plus ancien de vos courtisans, et le plus pénétré de respect pour vous.

Le vieux malade de Ferney.

  1. Voyez lettre 8914.