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Correspondance de Voltaire/1773/Lettre 8952

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Correspondance : année 1773GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 48 (p. 479).
8952. — À M. CHRISTIN.
À Ferney, 15 octobre.

Mon cher philosophe humain, défenseur des opprimés, je vous adresse une infortunée, dépouillée de tous ses biens en vertu de cette abominable mainmorte. Un ancien conseiller du parlement de Besançon, exilé à Gray, a fait condamner cette femme. On lui a pris jusqu’à ses nippes et ses habits on a fouillé dans ses poches ; il ne lui reste que ses papiers, qu’elle vous remettra.

Le fond de son affaire ne me paraît pas bien clair ; mais il est plus clair que la rapacité du conseiller exilé est bien barbare. Dieu veuille que le malheur de cette femme n’influe pas sur le sort de nos douze mille esclaves !

Cette pauvre femme est venue de Gray dans ma retraite que puis-je pour elle, que de lui donner le couvert et quelque argent ? Je vous prie de lire ses mémoires, et de lui donner un conseil.

Elle dit qu’il y a, en dernier lieu, une sentence du bailliage de Besançon qui lui adjuge la possession d’un cotillon et de ses chemises, et qui lui permet de prouver que l’argent qu’on lui a saisi lui appartient en propre.

Vous remarquerez que cet ancien conseiller, contre lequel elle plaide, se nomme Brody, et est fils de votre grand-juge de Saint-Claude.

Si cette affaire pouvait s’accommoder, vous feriez une action charitable ; vous y êtes accoutumé.

Peut-être une autre femme, mon cher ami, adoucirait la cruauté d’un autre homme ; mais cette pauvre diablesse n’est pas faite pour toucher le cœur, et on dit que ce M. Brody n’est pas tendre. Vale, amice.