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Correspondance de Voltaire/1773/Lettre 9002

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9002. — À M. LE CHEVALIER DE LISLE.
À Ferney, 15 décembre.

Je vous dois, monsieur, quatre remerciements pour vos quatre faveurs, qui sont deux lettres charmantes, votre hymne sur saint Nicolas, qui devrait être chanté dans toutes les églises, et vos douze perroquets de la cour d’Auguste[1].

À l’égard de saint-Nicolas, par lequel il faut commencer, puisqu’il est votre patron, il mérite sans doute tout le bien que vous dites de lui, car pendant sa vie il ressuscitait tous les matelots qui s’avisaient de mourir sur mer ; et, après sa mort, son portrait étant tombé entre les mains d’un Vandale qui ne croyait pas en Dieu, ce Vandale allant en voyage pria le portrait de lui garder son argent comptant. À peine fut-il parti, que des voleurs vinrent prendre le magot. Le Vandale de retour battit l’image de Nicolas, et la jeta dans la rivière. Nicolas descendit du haut du ciel, repêcha son image, la rapporta au Vandale avec son argent : « Apprenez, lui dit-il, à ne plus battre les saints. » Le cousin[2] qui baptisa le cousin n’a jamais rien fait de plus beau.

Mme la maréchale de Luxembourg me paraît avoir raison. Emporter le chat signifie à peu près faire un trou à la lune. Les savants pourront y trouver quelques petites différences : ils diront qu’emporter le chat signifie simplement partir sans dire adieu, et faire un trou à la lune veut dire s’enfuir de nuit pour une mauvaise affaire. Un ami qui part le matin de la maison de campagne de son ami a emporté le chat ; un banqueroutier qui s’est enfui a fait un trou à la lune. Voilà tout ce que je sais sur cette grande question.

L’étymologie du trou à la lune est toute naturelle pour un homme qui s’est évadé de nuit ; à l’égard du chat, cela souffre de grandes difficultés. Mme de Moncornillon, à qui Dieu faisait voir toutes les nuits un trou à la lune, ce qui marquait évidemment qu’il manquait une fête à l’Église, n’emporta point le chat. C’est bien dommage que le grand Moncrif, favori de la reine et des chats[3], soit mort à mon âge ; il aurait assurément éclairci cette question importante.

  1. Cette dernière pièce est imprimée dans l’Almanach des Muses de 1774, page 35 ; elle est intitulée Avis aux princes.
  2. Saint Jean-Baptiste.
  3. Il a été leur historien. Son Histoire des chats a eu plusieurs éditions ; la première est de 1727.