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Correspondance de Voltaire/1774/Lettre 9059

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Correspondance de Voltaire/1774
Correspondance : année 1774GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 48 (p. 574-575).
9059. — À M. D’ALEMBERT.
5 mars.

Oui vraiment, monsieur Bertrand, ce que vous dites là m’amuserait fort[1] ; mais croyez-vous que j’aie encore des pattes ? pensez-vous que ces marrons puissent se tirer gaiement ? Si on n’amuse pas les Welches, on ne tient rien. Voyez Beaumarchais : il a fait rire dans une affaire sérieuse, et il a eu tout le monde pour lui. Je suis d’ailleurs pieusement occupé d’un ouvrage plus universel. Vous ne me proposez que de battre un parti de housards, quand il faut combattre des armées entières. N’importe ; il n’y a rien que le pauvre Raton ne fasse pour son cher Bertrand.

Je m’arrête, je songe ; et, après avoir rêvé, je crois que ce n’est pas ici le domaine du comique et du ridicule. Tout Welches que sont les Welches, il y a parmi eux des gens raisonnables, et c’est à eux qu’il faut parler sans plaisanterie et sans humeur. Je vais voir quelle tournure on peut donner à cette affaire, et je vous en rendrai compte. Il faudra, s’il vous plaît, que vous m’aidiez un peu : nihil sine Theseo[2].

Vous n’aurez qu’à m’envoyer vos instructions chez M. Bacon, substitut de monsieur le procureur général, place Royale ; elles me parviendront sûrement. Il serait plus convenable que nous nous vissions ; mais il est plus plaisant que Jean-Jacques soit chez moi, et que je sois chez lui.

Je me sers aujourd’hui de mon ancienne adresse. Ayez la bonté de me dire si vous avez reçu le fatras de l’Inde[3], que j’envoie par le même canal avec cette lettre.

On me mande de Rome que M. Tanucci[4] n’a point encore vendu Bénévent à saint Pierre et je n’entends point dire qu’il soit en possession d’Avignon. Toutes les affaires sont longues, surtout quand il s’agit de rendre.

Catau n’est point du tout embarrassée du nouveau mari qui se présente dans la province d’Orenbourg. Elle m’a écrit une lettre assez plaisante[5] sur cette apparition. Elle passe sa vie avec Diderot ; elle en est enchantée. Je crois pourtant qu’il va revenir, et que vous avez très-bien fait de ne point passer dix ans dans un climat si dur, avec votre santé délicate. Je vous aime mieux à Paris que partout ailleurs.

Adieu, mon très-cher maître, ne m’oubliez pas auprès de votre ami M. de Condorcet.

Encore un mot. Je ne suis point surpris de ce que vous me mandez d’un archevêque qui a fait mourir de chagrin ce pauvre abbé Audra[6].

Encore un autre mot. Voici l’esquisse de la lettre[7] que vous demandez ; tâchez de me la renvoyer contre-signée, et voyez si on en peut faire quelque chose.

Et puis un autre mot. Vous n’aurez point l’Inde[8] cet ordinaire.

Pour dernier mot, écrivez-moi par M. Bacon.

  1. Voyez lettre 9057, page 372.
  2. Plutarque, Vie de Thésée, XXVIII.
  3. Voyez lettre 9057.
  4. Ministre du roi de Naples ; voyez tome XXVII, page 384 ; et XLVI, 125.
  5. Celle du 8-19 janvier 1774, No 9036.
  6. Voyez la note, tome XI, page 197 ; XLVI, 235 ; et XLVII, 256.
  7. Lettre d’un ecclésiastique sur le prétendu rétablissement des jésuites dans Paris, tome XXIX, page 285.
  8. C’est-à-dire la seconde partie des Fragments sur l’Inde, formant les chapitres XXI à XXXVI ; Voyez tome XXIX, pages 163-212.