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Correspondance de Voltaire/1774/Lettre 9083

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Correspondance de Voltaire/1774
Correspondance : année 1774GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 48 (p. 598).
9083. — BILLET DE M. DE VOLTAIRE[1]
à M. le comte andré schouvalow.

J’admire cette épître ; je donne un nouveau démenti[2] à ceux qui osent dire que j’y ai quelque part. Cet honneur inouï que les Russes font à notre langue doit nous convaincre de l’énergie avec laquelle ils écrivent dans la leur, et nous faire rougir de tous les fades écrits dont nous sommes inondés dans ce siècle des abominations et des fadaises.

La frivolité qui succède chez nous si rapidement à la barbarie, cette foule d’écrits insipides en prose et en vers qui nous accable et qui nous déshonore ; ce déluge de nouvelles et d’années littéraires ; ces dictionnaires de mensonges dictés par la faim, par la rage, par l’hypocrisie, tout doit nous faire voir combien nous dégénérons, tandis que des étrangers nous instruisent en se formant sur nos bons modèles. Ce n’est pas la seule leçon qu’on nous donne dans le Nord. Si on lisait les lettres de l’impératrice de Russie, du roi de Prusse, du feu comte de Tessin, etc., on apprendrait à penser, supposé que cela puisse s’apprendre. Il semble que ces génies n’aient cultivé notre langue que pour nous corriger ; mais nous ne nous corrigerons pas.

  1. Imprimé en note, pages 8 et 9 de l’édition qu’il donna de l’Épître à Ninon de Lenclos, par Schouvalow.
  2. Voyez lettre 9045.