Correspondance inédite de Hector Berlioz/040

La bibliothèque libre.
Texte établi par Daniel Bernard, Calmann Lévy, éditeur (p. 164-165).
◄  XXXIX.
XLI.  ►


XL.

À M. AUGUSTE MOREL.


Londres, samedi, 12 février 1848.

Mon cher Morel,

Ce n’est qu’aujourd’hui seulement que j’ai le temps de vous écrire. Mon concert a eu lieu lundi dernier avec un éclatant succès ; l’exécution a été magnifique de verve, de puissance et de précision. Nous avions fait cinq répétitions d’orchestre et dix-huit pour le chœur. Ma musique a pris sur le public anglais comme le feu sur une traînée de poudre ; j’ai été rappelé après le concert. On a encore redemandé (comme ailleurs) la marche Hongroise et la scène des Sylphes. Tout ce qui a quelque importance musicale dans Londres était à Drury-Lane ce soir-là, et la plupart des artistes de quelque valeur sont venus après le concert me féliciter. Ils ne s’attendaient à rien de pareil ; ils croyaient à une musique diabolique, incompréhensible, dure, sans charme… — Il faut voir comment ils arrangent maintenant nos critiques de Paris. Davison lui-même a fait un article dans le Times dont on lui a, faute de place, ôté la moitié ; ce qui en est resté a produit son effet néanmoins. Mais je ne sais ce qu’il pense au fond : avec des opinions comme les siennes, il faut s’attendre à tout. Le vieux Hogarth du Daily News était dans une agitation des plus comiques : « J’ai tout mon sang en feu, m’a-t-il dit ; jamais de ma vie je n’ai été excité de la sorte par la musique. » Maintenant je cherche comment je pourrai donner mon second concert. Jullien ne payant plus ses musiciens ni ses choristes, je n’ose m’exposer au danger de les voir me manquer au dernier moment. Hier soir, après Figaro, la défection a commencé. Les cors m’ont averti qu’ils ne viendraient plus. Et mes appointements courent les champs… Dieu sait si je les attraperai jamais.