Correspondance inédite du marquis de Sade/1777

La bibliothèque libre.
Texte établi par Paul BourdinLibrairie de France (p. 70-93).
◄  1776
1778  ►


1777


Les plaintes et les accusations de Treillet amènent une intervention menaçante du procureur général qui demande les pièces de la procédure et exige le renvoi de Justine.

L’abbé de Sade est grièvement atteint de la grippe (le mot n’est pas nouveau, non plus que la chose) et la marquise n’attend pas qu’il soit mort pour recommander à son frère, le commandeur, les intérêts de ses petits neveux. La présidente a reçu d’elle dix pages de reproches et d’insultes, d’ailleurs dictées par le marquis, au moment même où elle se proposait de présenter requête au roi « contre une procédure qu’on rend inattaquable en ne se constituant pas ». Madame de Montreuil laissera désormais M. de Sade sauver tout seul sa tête et son honneur et affirme au surplus qu’elle n’est pour rien dans les poursuites et les cabales qui se font en Provence. Elle prie néanmoins le garde des sceaux de demander lui-même une copie de la décision de Marseille, ou tout au moins de l’arrêt simple qui l’a confirmée (car un contumace ne peut recevoir l’extrait de sa sentence avant de s’être rendu) et s’arrête au projet de faire introduire une instance en révision par sa fille, plaidant comme administreresse des biens de son mari absent depuis cinq années « sans qu’on en ait nouvelle ».

Le marquis est très occupé d’un baril de vin qu’il fait venir de Florence.

M. et madame de Sade décident enfin de partir pour Paris, chacun voyageant de son côté. Le marquis descend chez l’abbé Amblet, rue des Fossés-Monsieur-le-Prince au faubourg Saint-Germain, vis-à-vis le charron. Reinaud pense qu’il donne comme un nigaud dans une embûche de sa belle-mère et qu’il sera sous clef avant la fin du mois.

Madame de Sade a emmené Justine ; elle écrit au procureur général que cette fille n’a pas voulu se séparer d’elle et lui demande justice de l’attentat de Treillet. La présidente appuie cette requête.

La marquise apprend à Paris la mort de sa belle-mère, Marie-Anne Éléonore de Maillé de Carman, décédée le quatorze janvier et inhumée le quinze en la paroisse de Saint-Jacques-du-Haut-Pas. Elle s’installe dans le logement de la défunte, aux Carmélites de la rue d’Enfer. M. de Sade y est arrêté, dans la chambre de sa femme, le treize février et enfermé « dans un château près de Paris ». Reinaud, qui a prévu l’événement, demande, peu de jours après, « si notre Priape respire toujours le bon air ».

Gothon, laissée seule à la Coste, se plaint des nuits cruelles qu’elle y passe. Ses amours mettent la présidente et la marquise dans un grand embarras de conscience car la femme de Carteron meurt de faim et demande si son mari « n’a pas été enveloppé dans la disgrâce commune ». Le père Ange de Charleray, capucin, écrit de Langres à son parrain le R. P. de Marelle, gardien des capucins à Apt, pour lui demander si le quidam qu’il connaît est bien le nommé Carteron, natif de Rolampont. Il n’y a point de doute là-dessus et une enquête de la maréchaussée confirme ce que la pauvre abandonnée a confié au bon père. Mais l’amoureux valet respire l’air léger qui lui vient de Provence : il en oublie le service de sa maîtresse, découche de désespoir et on ne le tiendrait pas s’il n’avait une peur affreuse de madame de Montreuil. Gothon tombe malade dans son château et madame ne peut s’empêcher de la plaindre. Elle a fait bien du mal avec sa langue, et tout le train des domestiques est son ouvrage, mais son amour pour la Jeunesse est ce qui la fait agir bien ou mal « selon que les idées s’arrangent dans sa tête ». On cache cette maladie à Carteron dont la pensée serait aux champs. Ce garçon est comme un enfant : il confesse ses torts et recommence. Il n’a de catholique que le baptême et son amante n’a même pas cela.

L’abbé de Sade, que la grippe a épargné, montre à tout l’univers la joie qu’il ressent de l’arrestation de son neveu : elle doit, selon la marquise, lui rendre la santé pour vingt ans.

Madame de Sade est toujours à court d’argent. Elle fait appel à Lions, mais celui-ci, qui a été saigné à blanc par une frasque de son fils aîné, ne peut lui venir en aide.

Madame de Montreuil travaille sans répit à « la grande affaire ». C’est son seul bon procédé et elle le fait payer bien cher ! Madame de Sade l’accuse d’avoir fait arrêter son mari, mais lui témoigne cependant de la déférence car elle a besoin de se contraindre devant tous ceux qu’elle croit avoir à ménager. La présidente cherche à remettre la main sur sa fille qui se détend lentement. L’arrestation n’est point son œuvre et elle est incapable de trahison, mais elle pense néanmoins qu’il était temps. C’est l’affaire de Vienne qui a fait du bruit. L’ordre d’écrou n’en a fait aucun et l’intention du ministre est qu’il n’en fasse pas davantage en Provence. Ce ministre ne connaît pas le pays : le mal est déjà fait ! Ripert, régisseur de Mazan, écrit un beau compliment sur le malheur du marquis et Gothon jure qu’il l’a bien voulu en partant pour Paris malgré les avis qu’on lui a donnés.

La présidente a repris sa correspondance secrète « par billets volants » avec Gaufridy. Ils veulent le bien l’un et l’autre et elle assure l’avocat de sa discrétion. Aussi bien la marquise ne reviendra-t-elle pas de sitôt en Provence (de fait elle n’y est jamais revenue) ; on ne lui dira donc de ce commerce que ce qu’il faut qu’elle en sache pour ne pas s’étonner si elle en a vent par une autre voie. C’est justement ce qui manque de se produire par la faute de M. le président de Montreuil, qui d’ordinaire n’ouvre pas la bouche et qui le fait cette fois mal à propos. Il ne recommencera plus.

Madame de Sade ne sait rien de son mari. Elle le croit à la Bastille et rôde autour de la prison ; mais les ponts y sont toujours levés et les gardes empêchent de s’arrêter et de regarder : la légende de la Bastille est déjà toute formée dans l’esprit des Parisiens. Elle apprend enfin que le marquis est à Vincennes ; le secret est levé en partie, mais elle ne correspond avec lui qu’à plis ouverts, qu’on lui renvoie quand ils signifient quelque chose. La présidente en sait moins long que sa fille ; elle n’a de nouvelles que par le ministre. « Il a ce qui tient au besoin et au bien-être ». Cela suffit.

Les conseils de la présidente estiment que l’annulation de l’arrêt ne saurait suffire et qu’il faut obtenir un jugement qui décharge et qui lave. Mais quelle voie doit-on choisir ? Et, s’il y a renvoi, sera-ce devant le parlement d’Aix bien qu’il ait déjà connu de l’affaire ? Le ministre doit se prononcer et il ne le fait pas. La marquise espère avoir une décision avant les vacances, mais sa mère veut que l’habitude de l’absence opère. Elle montre une « patience d’ange » qui irrite madame de Sade. La mère pense, de son côté, que le cœur de la marquise affaiblit sa raison. Au vrai, le dessein de la présidente est que l’affaire soit renvoyée à Aix, mais elle voudrait éviter que le marquis y fût conduit, tandis que madame de Sade n’espère qu’en cette occasion de le faire évader. L’abbé de Sade, qui s’est raccommodé avec la présidente, estime que le transfert pourra être évité. Il croit que sa nièce est dévorée de chagrin et de remords, mais c’est bien mal connaître les femmes, encore que l’abbé n’ait rien négligé de ce côté pour achever son éducation : la marquise ne songe pour l’instant qu’à cacher à sa mère l’importance de ses dettes, de peur qu’elle n’envoie tout promener.

Bientôt madame de Montreuil conçoit des doutes sur l’issue de sa procédure en révision sans représentation du contumace. Elle craint la déposition des anciens témoins sur le second chef d’accusation, « à supposer qu’il ne fût question de rien de postérieur ». Elle revient donc à l’idée de se pourvoir en cassation devant le conseil du roi, sauf à refaire toute la procédure pour parvenir à une sentence de réhabilitation. Les magistrats d’Aix font effectivement essuyer un échec au projet de révision qui leur a été soumis. L’abbé de Sade atteste qu’il l’avait bien dit, mais ne laisse pas cette fois de louer la ténacité de la présidente et pense qu’elle obtiendra la cassation d’une manière ou d’une autre. « Voilà l’essentiel, surtout pour les parents ». On prendra donc la voie de la cassation au conseil, et la présidente s’y jette avec une nouvelle ardeur. Elle charge Gaufridy de s’informer de ce que sont devenues les filles qui ont été les principales actrices de l’affaire de Marseille. Ce n’est du reste pas le grand conseil, mais le conseil des dépêches, malgré son incompétence, qui connaîtra de la cassation et du renvoi. Le premier y serait hostile car les Montreuil sont de la magistrature anti-Maupeou. Il convient même que l’abbé reste coi, parce qu’il a fait sa cour au parlement usurpateur. En dépit de ce zèle, madame de Sade juge que sa mère ménage son temps. « Quand on a, dit-elle, cent mille livres de rente, il faut se conserver ! C’est une cruauté à faire casser la tête contre le mur ». La fille veut la liberté de son mari ; la mère ne veut que la réhabilitation de son gendre. La présidente proteste bien qu’il ne dépend pas d’elle de faire ce que madame de Sade désire, mais laisse entendre qu’elle ne lui donnerait pas satisfaction, même si elle en avait le pouvoir. Elle se reproche la liberté qu’elle a fait obtenir au marquis dix ans auparavant car on a vu, par la suite, les résultats de sa faiblesse.

L’avarice de madame de Montreuil contribue à l’aigreur de ses relations avec la marquise. Elle n’a rien payé, pas même les dettes criardes. Le passif atteint soixante-quinze mille livres et s’est accru de vingt-huit mille en deux ans. La présidente crie comme un aigle et ne donne point d’argent à madame de Sade, qui règle petitement sa dépense sur celle que faisait sa défunte belle-mère dont elle occupe le logement. Son fils cadet, le chevalier, est tombé malade de la fièvre tierce.

La marquise a sa peine à Paris et son faire-le-faut en Provence. Elle soumet les affaires domestiques à son mari et s’entend du reste fort bien à décider pour lui. Les gens du pays qui viennent à Paris lui apportent des nouvelles léchées comme des oursons. « Tous vos Provençaux d’Apt, écrit-elle à Gaufridy, sont enthousiasmés de Paris, mais c’est qu’ils n’y ont pas affaire. Ce pays n’est bon que pour les étrangers et pour les gens riches. » Cette cruelle remarque est toujours vraie. Ce qui lui vient de là-bas, ce sont de petites et de grandes préoccupations entre lesquelles le réalisme passionné, mais un peu myope, de la femme ne distingue pas. Elle repousse une demande des trinitaires d’Avignon, qui veulent obtenir du marquis la rectification d’un contrat consenti par son père, et les renvoie à la présidente, qui s’intéressera pour eux auprès de M. Necker en ce moment contrôleur général ; elle rogne l’indemnité que le seigneur paie au chirurgien de la Coste, parce qu’il est maintenant assez répandu pour vivre des malheurs de sa clientèle. Il faut faire patienter le juif, couper les petits chiens, mettre le nouveau garde à l’épreuve, refaire les baux. Gothon est encore malade et crèvera pour un amour qu’on ne peut autoriser. Le desservant de la Coste a été nommé prieur et la marquise ne décolère pas de la faveur faite à « ce chien de curé ».

La marquise n’est pas seule à avoir l’œil ouvert sur ce qui se passe en Provence. Madame de Montreuil s’en montre aussi préoccupée qu’elle, mais ses curiosités ne vont pas aux mêmes objets.

Justine a été renvoyée à son père vers la fin du mois d’avril. L’affaire est si bien enterrée que le procureur général a dû menacer de reprendre la procédure contre Treillet, qui s’est grisé de son succès en vrai vilain et clabaude trop pour son rang. Dès lors la présence de Justine à Paris ne s’explique plus, mais, avant de la laisser partir, la présidente l’interroge longuement.

Elle est également fort curieuse du petit secrétaire dont le marquis avait loué les services par l’intermédiaire de la dame Giroud et qui est arrivé à la Coste, où on l’a laissé, peu de jours avant le départ des châtelains. Ses parents le réclament, mais l’enfant ne veut pas quitter le pays, en dépit de Gothon qui le trouve nigaud et peut-être incommode. Il faut la croix et la bannière pour l’expédier enfin à Bordeaux par une occasion. La présidente veut savoir quel est l’âge de ce petit.

Les instructions que madame de Montreuil donne à Gaufridy sont pleines de signification et de mystère. Elle s’inquiète fort d’une chambre d’où il faudrait faire disparaître des pièces à conviction dangereuses. Elle revient sur les coûteuses précautions que M. de Sade et sa femme ont prises de se faire clore de murs et de bâtir un pont pour rendre leur château inaccessible. Elle parle d’une « compagne » qui était en secret au château, mais seulement pour dire qu’elle mettra ce qu’elle en a appris sur le compte des bavardages de la Treillette et les lettres ne contiennent rien de plus sur cette énigmatique hôtesse du marquis. Dans une lettre du trois juin, la présidente marque son intention de retarder la sortie de Nanon « pour divers motifs qui ne dévoilent pas le véritable », et fait, à son sujet, diverses allusions à de compromettantes découvertes qui ont été faites à la Coste, notamment celle des « petites feuilles », et aux mesures à prendre pour en anéantir jusqu’au souvenir. L’avocat s’en est vraisemblablement acquitté, bien que madame de Sade lui ait tout d’abord refusé la clef du cabinet du marquis, qu’il lui a demandée sous un prétexte.

L’affaire de Nanon occupe tout spécialement madame de Montreuil. Le père de la séquestrée a fait sa plainte et l’intendant, M. de la Tour, charge son subdélégué, M. Laville, de savoir pour quelles raisons cette fille est retenue en prison et aux frais de qui. Nanon a réussi à faire instruire de sa position un de ses oncles, qui est curé d’un village d’Auvergne, par un missionnaire du jubilé à qui elle s’est confessée. Le curé a trouvé des protecteurs et de simples paysans vont opposer à l’ouvrage de madame de Montreuil une cabale qui la mettra en échec. L’intendant et un seigneur d’Auvergne se sont adressés au ministre. L’affaire est épineuse et madame de Montreuil feint d’offrir ce qu’elle ne peut plus refuser en chargeant Gaufridy d’aller voir la prisonnière et de lui faire prendre l’engagement de se taire si on lui rend la liberté. La fine mouche joue maintenant à merveille de la religion. Elle a dit à Lions qu’elle voulait entrer au couvent et il donne d’abord dans le « godam ». « Nanon embrasserait plutôt un cavalier », écrit l’honnête bourgeois dont l’imagination en ces matières ne va pas plus loin.

On veut éviter surtout que Nanon se rende dans la région lyonnaise, mais son père refuse de l’autoriser à se placer à Paris. Elle obtient la permission de lui écrire, mais la lettre est faite ou revue par le second fils de Lions, qui recevra la réponse. La présidente se flatte encore d’intimider la fille et au besoin de tourner les parents contre elle, en la menaçant de leur faire savoir des anecdotes de 1774 « avant le voyage de Bordeaux ». La première missive d’Annet Sablonnière est une lettre de paysan avare et dévot, d’ailleurs intéressante par un curieux mélange de généralités, de sentences morales et de petites préoccupations matérielles qui donnent un assez bon exemple du classicisme inné de notre bas peuple ; mais la seconde est d’une autre encre. L’homme se sent appuyé : il se plaint rudement et non sans noblesse, il invoque la justice du roi, les libertés du royaume et exige le dû des pauvres. En dépit du crédit de la présidente et des complaisances d’un ministre, il n’est pas si aisé de tenir une créature de Dieu à l’ombre des cornettes d’une sœur geôlière et, somme toute, les moyens d’oppression qui ont besoin de la complicité du pouvoir et du silence sont peut-être moins sûrs que ceux qui naissent de l’abus du droit de parler. On finit par tout rejeter sur le ministre lui-même, mais la marquise, qui n’a cure de Nanon, n’est pas si prudente et ne sait pas tenir sa langue quand l’occasion lui est donnée de la déchevêtrer : dame Nanon est une coquine de premier ordre ; il est arrivé de là-bas des gens qui disent le diable ; quelqu’un souffle le feu de tous côtés ! Le ministre est fort ennuyé de cette histoire.

Le temps passe sans avancer les affaires du marquis. Il a été malade : on peut imaginer son état. Une correspondance échangée entre sa femme et lui a été saisie, mais personne n’est compromis. On décide enfin que la cassation sera portée au conseil des dépêches, malgré son incompétence, et madame de Montreuil, avant de partir pour son château de Valery-en-Gâtinais, a reçu des avis favorables de chacun des ministres qui le composent. Le seul point qui occupe encore la présidente est de savoir comment on obtiendra que le renvoi, s’il est prononcé, soit fait au parlement d’Aix, bien qu’il ait déjà connu de l’affaire, et comment le marquis pourrait être dispensé de représentation, malgré la contumace. Le moyen le plus sûr et le plus subtil serait de le faire passer pour fou ou d’exagérer sa folie afin qu’on l’interroge par commission rogatoire. On en décidera au retour de la cour de Fontainebleau. Madame de Sade, qui n’entend rien et ne veut rien entendre à ces finesses de procédure, exige de son côté la liberté immédiate et fatigue tout le monde de ses demandes. La famille a dû supplier le ministre de lui opposer un refus et de garder la personne sous clef.


Madame de Montreuil insultée par M. et madame de Sade ne veut plus s’occuper de leurs affaires. (21 janvier 1777).

Vous trouverez bon, monsieur, que je me dispense de répondre davantage à l’article des affaires et des créanciers, aux besoins urgents de M. et madame de Sade dont vous me parlez dans vos dernières lettres, notamment celle du sept courant. Vous vous conduirez comme vous le jugerez à propos. Pour moi, trop excédée de tout ce que j’essuie d’injustice et d’infamies de leur part, je renonce absolument à me mêler de ce qui les regarde. Si l’on m’attaque comme on m’en menace, j’ai de quoi répondre, et ne crains rien sur quoi que ce soit dans le monde. Tant pis pour qui obligera à tous les éclaircissements et preuves qui en résulteront.

J’ai reçu vendredi dernier dix grandes pages de menaces et d’invectives de madame de Sade, dont on ne peut avoir d’idée qu’en les lisant. Si je voulais m’en venger ou l’en punir, je les porterais aux ministres qui mieux que moi peuvent apprécier leur conduite et la mienne et la justice de ses plaintes et de ses reproches. Qu’elle en soit l’auteur ou seulement le scribe, elle n’en est pas plus excusable à mes yeux……


M. de Sade dicte à l’avocat la réponse qu’il doit faire à la présidente. (Sans date).

Si j’étais M. Gaufridy je répondrais à madame de Montreuil :

Madame,

La première page de la lettre que vous venez de me faire l’honneur de m’écrire m’a d’autant plus surpris qu’elle contient des choses absolument inintelligibles pour moi, et qui me paraissent des mystères de famille dans lesquels n’ayant jamais été initié je ne crois pas à propos de devoir entrer. J’ignore encore mieux, madame, ce que madame votre fille a pu vous écrire, mais je crois que, quelque chose que ce puisse être, elle l’a dû faire de son plein gré, et toutes les fois que je vais au château de la Coste je remarque une amitié et une intelligence trop parfaites pour me donner à penser qu’on soit jamais dans le cas de la contraindre sur rien. Au reste, madame, si parfois madame votre fille a de l’humeur, vous êtes trop raisonnable pour ne pas le trouver bien légitime. Sa situation l’excuse de reste. Trop éloignée pour en juger, madame, il n’est pas étonnant que quelquefois vous vous abusiez sur l’horreur dont elle est ; mais daignez réfléchir que madame votre fille est trop bien née, a trop de sentiment, pour pouvoir considérer de sang-froid l’étonnante longueur qu’on met à finir ses affaires, un mari déshonoré, quatre ans de fuite, le bruit de ce déshonneur qui s’étend, se multiplie et se sait maintenant à tous les coins de la terre, (la lettre de Tierce à Naples vous l’a prouvé, M. Gaufridy), des enfants qui croissent et s’élèvent dans la honte de cette infortune et qui ne connaissent leur père, ne l’envisagent que comme un homme proscrit, des créanciers qui crient de tous les côtés et dont la misère et les tableaux réels qu’ils en font à madame votre fille fend et serre son âme honnête et sensible… Quant à son cœur, je le crois incapable de cesser une minute d’être rempli du sentiment de tendresse que la nature inspire, et j’ose même croire, d’après la connaissance que j’en ai, qu’il est assez délicat pour désirer vivement d’être mis à même par vous, madame, d’y joindre ceux de la reconnaissance que les soins que nous attendons tous doivent y joindre nécessairement, quand elle en aura senti les effets……


Mouret fait connaître à l’avocat l’opinion du procureur général sur l’affaire Treillet et les suites qu’elle pourrait avoir pour M. de Sade. (Aix, le 30 janvier 1777).

J’aurais désiré, monsieur, que sur la dernière lettre que j’eus l’honneur de vous écrire vous eussiez pû deviner ce que je ne pouvais vous dire, et ce que je ne puis encore dire ici que pour vous seul, qu’elle n’était écrite que par l’ordre de M. le procureur général. Il n’a pu aussi concevoir qu’un homme aussi intelligent et raisonnable que vous se soit arrêté aux réflexions et aux menaces de M. de Sade. Quand même il serait vrai que ce seigneur fût aussi indifférent qu’il vous l’a dit envers la fille dont il s’agit et qu’elle fût aussi vestale que sa laideur vous le persuade, les seuls motifs qui ont porté le père à venir la réclamer exigeaient qu’elle lui fût remise sur le champ, et on devait bien moins hésiter après le recours à M. le procureur général. Aucun engagement à mois ni à l’année ne peut en imposer à un père qui réclame sa fille ; lui seul a des droits légitimes sur elle ; le maître frustré dans son service n’a que des dédommagements à prétendre ; mais quand cette réclamation est fondée sur des motifs aussi puissants que celle de la corruption de sa fille par son propre maître, toutes les prétentions doivent cesser, et le père est autorisé à prendre sa fille partout où elle est, même de force. Il n’a même pas besoin de la conviction de cette corruption, la seule crainte lui suffit, et à plus forte raison vis-à-vis M. le marquis de Sade, sur lequel les soupçons et les craintes de ce genre ne sauraient porter à faux. La malheureuse réputation qu’il s’est acquise et l’état des choses aggravent ses refus. Les violences qu’il impute au père légitiment les motifs de ce dernier ; il a eu raison de dire qu’il aurait eu sa grâce s’il en fût mésarrivé, et il est inconcevable que M. de Sade ait non seulement poussé ce misérable père à une telle extrémité, mais qu’il s’y soit lui-même exposé. L’horreur que M. le procureur général a de toute cette conduite et surtout des menaces faites au père et de la procédure prise contre lui à la requête du procureur juridictionnel de la Coste, le porte d’écrire aujourd’hui au procureur juridictionnel de lui envoyer au plus tôt copie de cette procédure ; cette affaire qu’on désirait étouffer fait déjà le plus grand éclat, et peut avoir les plus grandes suites. Je voudrais bien aussi que vous m’assuriez par votre réponse que cette fille a été conduite par gens sûrs à son père à Montpellier, car je ne vois plus que ce prompt remède, pourvu toutefois qu’il soit fidèlement exécuté, qui puisse tempérer l’agitation où en sont les choses. Je ne saurais vous la dépeindre aussi vive qu’elle est ni vous exprimer tout le mal que les suites de cette affaire peut porter à tant d’autres esquissées, etc., etc., etc. Je ne puis vous tout dire, quoique j’en dise assez. Tant mieux s’il n’y a pas réellement, en ce fait-ci, autant de mal qu’il en paraît, mais, quoi qu’il en soit, persuadez-vous bien vous-même, et persuadez bien aussi je vous prie à tout le monde, que tout le mal imaginable actuel ne saurait être comparable à l’incendie que cette étincelle peut faire et surtout si cette fille n’est promptement renvoyée à son père, et qu’on n’en rapporte la preuve plus claire que le soleil en plein midi. On ne doit pas empêcher un seul instant le procureur juridictionnel d’envoyer la procédure ; il serait mandé au moindre retardement et cela ne ferait que plus gâter les choses……


M. de Sade est en route pour Paris avec la Jeunesse tandis que la marquise voyage de son côté avec Justine Treillet. « De Teint près Valence, ce samedi 1er février ».

Nous n’allons guère vite, mon cher avocat, et c’est ce qui me désespère. Mais les chemins sont si détestables qu’il est impossible d’avancer. Le temps, d’ailleurs, est toujours de plus mauvais en plus mauvais, et nous souffrons beaucoup. Cependant, nous serons j’espère le cinq sans faute à Paris.

Vous avez su sans doute que Justine s’était jetée aux pieds de madame, à l’Isle, pour la supplier de la mener à Paris, lui disant qu’elle ne voulait pas absolument aller à Montpellier et qu’il était inutile de penser à l’y faire conduire. Le besoin que madame avait de quelqu’un pour la servir, surtout en arrivant à Paris, où elle va de son côté et moi du mien avec la Jeunesse, et le peu d’inconvénient que nous avons cru qu’il y avait d’acquiescer à sa demande nous ont décidé à la conduire. Si son père venait encore la redemander ou qu’il écrivît, vous auriez la bonté de lui dire l’histoire et qu’au retour de madame on la lui rendra……


Reinaud prédit que le marquis sera sous les verrous avant un mois et met Gaufridy en garde contre l’ingratitude de certains nobles. (Aix, 8 février 1777).

Voici sans aucun doute le terme de tes maux, mon cher Gaufridy. On ne m’ôterait pas de la tête que la lettre de madame de Montreuil est un piège en dernier ressort, surtout venant après une dernière tentative évaporée. Le marquis donne dans le pot au noir comme un nigaud. Il me semble que sa belle-mère, blasée de voir ses mines éventées, projette un coup de subtilité pour avoir par adresse ce que la force lui refuse. Sur ma parole le mois ne s’écoule point que notre champion soit coffré à Paris. Au reste, de quelle façon que les choses tournent, nous touchons à un dénouement. Ainsi courage et toujours du cœur à la besogne. Je te crois trop avisé pour omettre de tenir tes comptes en règle et clôturés. C’est une précaution sage vis-à-vis certains nobles qui ne vous connaissent plus dès qu’ils cessent d’avoir besoin de vous, et celui-ci peut honnêtement être rangé dans cette classe……


La marquise a appris la mort de sa belle-mère en arrivant à Paris. (10 février 1777).

Nous sommes arrivés, monsieur, enfin, le huit février au soir, avec bien de la fatigue, des chemins affreux, et obligés de faire raccommoder notre voiture à tous moments.

Nos réflexions nous ont porté à ne faire savoir à ma mère l’arrivée de monsieur de… que mercredi prochain parce que les jours gras elle voit beaucoup de monde et aurait reçu de mauvais conseils.

Il y a trois semaines que ma belle-mère est morte. M. de… se flattait tout le long de la route et le coup lui a été plus sensible. Il est chez son ami qui l’a très bien reçu et en a tout le soin imaginable……


L’abbé de Sade avise Gaufridy que son neveu a été arrêté à Paris. (Saumane, le 23 février).

……Je reçus hier au soir une lettre de M. le président de Mont… datée du quatorze février, par laquelle il me mande que le treize l’homme a été arrêté et enfermé dans un château fort près de Paris. Me voilà tranquille à présent et je crois que tout le monde sera content……


Madame de Montreuil s’étonne de l’aveuglement de sa fille. (25 février 1777).

……J’ai eu peu de conversations particulières avec madame. Je lui suis suspecte de raisons personnelles ou de préventions, et je la laisse éclairer par ceux qui ne doivent pas l’être. Ensuite, je parlerai. Comment peut-elle être aveuglée au point où elle le paraît ? C’est ce que je ne conçois pas. Car enfin elle a dû voir, savoir, être convaincue par elle-même enfin que tout n’est pas calomnie !……


La marquise est au désespoir de l’arrestation de son mari et demande à l’avocat une formule de protestation contre tout ce qu’on voudrait lui faire signer. (Sans date).

Mon silence, mon cher avocat, depuis deux courriers, a dû vous apprendre que nous nous sommes bien trompés dans nos calculs ; je ne puis vous rien dire, ne pouvant dans mon malheur que tirer des conjectures. Si la chose n’a pas ébruité encore dans le pays, je pense qu’il ne faut dire mot parce que la circonstance n’est pas favorable. Les gens d’Aix sont de grands coquins et à Paris l’on ne vaut pas mieux. Mon désespoir est d’autant plus furieux que je suis obligée de ronger mon frein vis-à-vis des gens qu’il faut ménager. Envoyez-moi une forme de protestation sur tout ce que l’on pourrait me faire signer et dites-moi où il faut que je la fasse et comment, la forme, etc. Je crois que, soupçonnant mon mari à la Bastille et sûre qu’il est arrêté puisqu’on l’a fait dans ma chambre, je suis au cas de le faire……


La marquise conte ce qu’elle sait de M. de Sade et les promesses dont on berce son chagrin. (25 février 1777).

Vous devez avoir été bien surpris, monsieur, par ma dernière lettre. Pour moi le coup m’a si étourdie, si abasourdie, qu’en vérité je ne sais à quoi où j’en suis encore.

L’on me fait dire sourdement d’être tranquille, que je serai contente plus que je ne m’attendais.

D’un autre côté le ministre me défend d’ébruiter le fait. Ma mère, sans colère, sans emportement, dit que ce n’est pas elle et qu’elle n’est pas capable d’une trahison.

Le garde des sceaux répond à la grande affaire : « À présent qu’il m’est possible de travailler je vais le faire. » Ce que j’entrevois c’est que Vienne a fait du bruit et c’est une obligation que nous avons à Saumane ; au moins, s’ils ne font pas de bien, devraient-ils se prêter à empêcher le mal.

L’on me fait espérer que sous peu je saurai où il est. Je le soupçonne à la Bastille. Les ponts y sont toujours levés et les gardes empêchent de regarder et s’arrêter. Je ne reçois point de ses nouvelles que par le ministre qui me dit simplement qu’il se porte bien et qu’il a tout ce qu’il peut désirer et qui s’accorde avec sa sûreté, domestique pour le soigner, etc……

À l’égard de Justine, M. le garde des sceaux est prévenu. Il a dit n’avoir pas encore connaissance de cela et qu’il fallait que je garde la fille en attendant la réponse de M. de Castillon à la lettre que je lui ai écrite et qui a été approuvée ici……


Madame de Montreuil partage la satisfaction de la famille touchant l’arrestation de son gendre. (4 mars 1777).

……Tout va bien ici. J’ai vu hier madame de S. pour la seconde fois, car elle n’est pas encore à l’empressement et à la confiance qu’elle me devrait si elle réfléchissait et sentait mes procédés de toutes manières, et j’en use vis-à-vis d’elle avec autant de modération que de discrétion, d’autant plus que, dans l’état des choses, il n’y a pas d’inconvénient à y mettre de la patience.

Tout va le mieux du monde et le plus sûrement : il était temps ! Ne vous gênez pas sur toutes les instructions générales et particulières que vous pouvez avoir à me donner pour m’éclaircir sur tout. Vos lettres à cet égard seront brûlées tout de suite. C’est à un médecin qui travaille à guérir que vous les adressez……

Je pense que M. l’abbé ne doit pas me désapprouver. Vous lui aurez appris sans doute ce que le ministre a fait, si M. le prévôt de Saint-Victor ne lui en a pas fait part. Mais vous y ajouterez que cela n’a fait aucun bruit ici et que l’intention des ministres est que cela n’en fasse pas plus en Provence et qu’on n’en parle pas en un mot du tout dans le public. On me l’a encore répété à moi-même, il y a deux jours. Il est en sûreté, voilà tout ce qu’il y a à dire à ceux qui peuvent questionner. Où est-il ? On n’en sait rien (ni sa femme ni moi ne le savons, de vous à moi), mais il est bien.

Madame se porte mieux qu’à son arrivée. Elle a l’air plus tranquille et moins atterrée. Elle a fait toutes sollicitations elle-même pour savoir et avoir la permission de voir, ce qui lui a été refusé, à ce qu’on m’a dit. Tout cela est dans l’ordre où il doit être.


La marquise répète ce qu’elle entend dire de la Bastille ; elle travaillera, quoi qu’il advienne, au salut de son mari. (19 mars 1777).

……Vous vous trompez très fort pour la Bastille : c’est le lieu le plus secret de l’univers ; quoique dans le milieu de Paris il est toujours plein et on ne sait jamais qui y entre ni qui en sort[1] ……On fait faire serment à ceux qui en sortent de ne point parler. Du reste, ils feront tout ce qu’ils voudront, mon parti est pris. Il y a un mois que je réfléchis nuit et jour ; rien ne me fera changer que le bien même de mon mari. C’est mon unique but, l’univers ne m’est rien sans cela……


La marquise accuse sa mère d’avoir fait arrêter M. de Sade, mais dissimule avec elle. (6 avril 1777).

……Je ne vois point du tout ce que ma mère veut dire quand elle vous marque que je ne réponds pas à ses procédés. Je ne lui en vois qu’un de bon qui est de travailler à la grande affaire et, si elle me rend service de ce côté, elle me le fait payer bien cher de l’autre. Pourquoi depuis trois ans agir et écrire de manière à ce que l’on n’y comprenne rien ? Est-ce pour mieux tromper ? Pourquoi n’être pas franche ? Cela ne m’empêche pas d’agir avec beaucoup de modération, de déférence et d’apparence de confiance et de résignation. Je n’ai pas d’autre parti à prendre pour réussir, mais je ne puis pardonner ni de l’avoir fait arrêter ni de me faire mystère de choses qu’il serait bien juste au moins que je fusse informée……


À l’occasion du service funèbre de madame de Sade mère, Testanière, curé de la Coste, est dans un embarras d’où il semble difficile de le tirer. (11 avril 1777).

Monsieur et cher ami. Je ne sais pas trop ce qu’on doit entendre par le sanctuaire. Où jusque s’étend-il ? Quoi qu’il en soit on a mesuré depuis la tribune jusqu’à l’autel, de chaque côté, ce qui comprend les lettres A et B et C et D. Ces étendues font de chaque côté, six cannes et demie[2] et par conséquent, les deux côtés ensemble, treize cannes, sur lesquelles il faut prélever six pans[3] pour l’espace qu’occupe la chaire. Si le sanctuaire s’étend jusqu’à la table de communion il faut encore prélever dix-huit pans doubles des susdites treize cannes, qui feront trente-six, étendue qui renferme le chœur et le sanctuaire. Je vous prie de vous conformer étroitement aux usages. Le seigneur a-t-il droit de lettrer sur le banc des prêtres ? C’est ce que j’ignore. Il aurait été bien nécessaire que vous fussiez venu vous-même faire prendre cette mesure ; nous nous serions concertés et peut-être à propos…… Excusez mon griffonnage, quand on traite une manière qu’on n’entend pas bien on est assez embarrassé, mais je me tire de cet embarras pour vous dire, avec plus d’aisance, que j’ai l’honneur d’être avec un sincère attachement,

monsieur et cher ami,
votre très humble et très obéissant serviteur.
Testanière, curé.

Le petit Lamalatié, « secrétaire » du marquis, donne la preuve de son savoir. (À la Coste, sans date).*

Monsieur Gofredie
avocat de la Coste
Apt an provaince

Monsieur

Gofredie je vous prie davoir la complesance de me cherce un place qu’il soit onaite dans la ville dapt parce je ne point le dasain de man retournair che moy. Je sui de loin ensie faut que je cherce quelle partir de me tire dafaire cela mon desain que je dans la taite ensie je man retournerai point che moy

Votre tre humble servant
serviteur Monsieur Gofredie.

Madame de Montreuil conte comment le président, son époux, a failli instruire la marquise du commerce secret qu’elle entretient avec l’avocat. Elle doute de la sincérité du repentir affiché par son gendre, annonce le départ de Justine, s’enquiert du petit secrétaire, parle de la « compagne » qui était en secret au château, veut faire détruire les pièces à conviction qui se trouvent encore à la Coste et rechercher une des filles mêlées à l’affaire de Marseille. (29 avril 1777).

Soyez parfaitement tranquille, monsieur, vous n’êtes ni ne serez jamais compromis par moi, par distraction ni autrement. Sur ce que vous me marquez du pont, voici le fait qui y a donné lieu, et c’est peu après que nous nous sommes vues ici. J’avais, en rendant un compte nécessaire à son père de plusieurs choses et historique, parlé des dépenses passées et en train, comme murs et pont, sans lui dire de qui je tenais le tout. En causant il lui fit sentir à quoi elle s’était exposée en s’obstinant à s’enfermer avec une pareille tête et rendant même son habitation inaccessible à tout secours, par les précautions qu’elle prenait pour la fermer, et lâcha le pont sans s’y arrêter plus que sur autre chose. Elle eut l’air étonné à ce terme, balbutia. Moi je dis : « Que cela soit ou non il n’est pas étonnant, madame, qu’on dise. Ou des ouvriers parlent sans y mettre de finesse, ou on présume sur les précautions que vous affichiez prendre de plus en plus pour la sûreté de votre mari. Il y a ici tant de gens qui ont des correspondances dans ce pays-là ! » La chose tomba ainsi ; il n’en a plus été reparlé depuis. Cela s’accorde avec ce que vous avez répondu…… Mais j’ai prié M. de M…… d’être plus circonspect et, pour y parvenir, je ne dis plus rien que ce qui est public……

Vous qui avez tout su, tout vu presque, ne pensez-vous pas comme tout le monde et croyez-vous qu’il fût sage de compter sur les bonnes résolutions ? Et encore, peut-être, savoir si elles étaient bien réelles ! Si j’en crois une lettre qui me fut écrite le deux février, timbrée d’Apt, dont j’ignore l’auteur, et que j’ai craint de l’exposer en cherchant à m’enquêter pour le savoir, les résolutions en partant n’étaient pas telles que le repentir qu’on a affiché ici. En vérité, il y aurait de quoi tourner la tête. Je vous recommande les affaires de Provence ; celles d’ici sont en bonnes mains……

Just… est partie par une bonne occasion, recommandée, et sera à M. p.. le premier ou deux de mai. Je l’ai un peu entretenue en particulier. Ainsi, si je suis dans le cas de parler de cette compagne qui était secrètement au ch… etc., vous sentez que je dirai que c’est d’elle que je l’ai su…… Votre petit de Bordeaux est-il arrivé à bon port ? Je n’ai pas parlé de cela. Mandez-moi si je pourrai en parler et quel âge ? Je parlerai, à propos de l’ancienne histoire des f.. de L.. et V.., d’une certaine chambre qui serait bonne à détruire. C’est une pièce justificative dangereuse à laisser subsister. Qui est-ce qui a cette clef ? De vous à moi, avez-vous découvert celle qu’on vous disait qu’on vous ferait revoir ou retrouver à Mar.ll.. ? Elle n’était pas comprise dans les autres qu’on m’avait détaillées. Il faut que je sache tout pour tout parer.


Madame de Sade fait de nouvelles plaintes de la présidente. (9 mai 1777).

……Tout est toujours au même état ; on ne finit rien, c’est des longueurs qui me désespèrent, mais c’est bien égal à madame de Montreuil. Elle a une patience d’ange, et, pourvu qu’elle contemple sa belle dulcinée[4], elle est satisfaite. Une fois sortie de ses pattes j’aimerais mieux labourer la terre que d’y retomber. Elle ôte tout le mérite des services qu’elle rend par les vexations dont elle les accompagne……


La marquise parle de ses enfants. (2 juin 1777).

……Mon petit chevalier est beaucoup mieux en ce que la fièvre tierce diminue, mais il n’est pas encore guéri. Cela le change un peu. Si il continue, du caractère dont il est, ce sera un commandeur fort sensé qui n’agira que par poids et par mesure.

L’aîné est fluet ; il se porte bien, mais il est d’une vivacité et d’une pétulance dont rien n’approche.

Ma fille se porte bien. Elle m’assure politiquement qu’elle est bien aise de me voir, mais je vous assure qu’elle aime infiniment mieux les religieuses que moi. Nous avons cependant fait ample connaissance pendant deux jours, chose que l’on m’a fait valoir comme une grâce. Prudemment je n’ai rien dit à tout cela, mais je verrai par la suite à changer tout cela……


Madame de Montreuil écrit une lettre mystérieuse sur les découvertes compromettantes qui ont été faites à la Coste. « Ce 3 juin 1777 ».

J’ai reçu, monsieur, votre lettre du vingt-trois. Dans la chose dont il s’agit, nous ne pouvons admettre de tiers, même de confiance, autre qu’entre vous et moi. Ainsi nous ne pouvons prendre conseil que de nos bonnes intentions respectives.

Je me suis précautionnée ici, depuis les avis d’Arles et surtout depuis le vôtre, pour retarder la sortie de N. par différents motifs qui ne dévoilent pas le véritable. D’après vos anciens avis je croyais qu’il ne s’agissait que d’un objet ; deux, c’est pis encore. Savez-vous précisément quels étaient ces objets, d’où venant, et comment ? Vous sentez que cela m’est essentiel à savoir pour parer à ce qui pourrait survenir sur ces objets. Dès que vous êtes sûr qu’on ne peut espérer de les retrouver en activité, il faut, sans contredit et sans délai, anéantir cent pieds sous terre toute trace et tout ce qui peut, d’après les indications qui vous ont été faites, servir à justifier les dires passés et à venir.

En supposant qu’on revînt, que dira-t-on ? Mais d’abord cette supposition, suivant les apparences, est chimérique. Et puis on dirait qu’on a des grâces à rendre d’avoir eu la sagesse de rendre un service si important.

Ce n’est pas tout. Il faut que vous fassiez seul absolument tout ce qu’il y a à faire pour cela. La découverte même que la personne a faite depuis six semaines environ, dites-vous, ne doit pas être détruite par elle ni à sa connaissance. Il ne faut pas dépendre d’un confident de plus. Si jamais elle en parlait, on dirait qu’elle a rêvé cela, et ne sachant qui l’a déplacé elle ne pourrait pas le dire, tout au plus le présumer, mais une présomption se répond de même par un : « Vous l’avez rêvé ! »

L’incertitude du genre des traces dont il s’agit me met dans une cruelle perplexité. Madame en est-elle instruite ? Si elle l’est, elle est inconcevable, et concevable en même temps dans sa conduite d’une autre manière. Si elle ne le sait pas, il n’est pas temps de l’éclairer, mais, à une certaine époque, il le faudra. Mais j’aurais des moyens sans vous compromettre, et ne ferai et ne dirai rien sur cela que de concert avec vous. Il faut pourtant me tout dire clairement à moi sur l’objet de ma perplexité pour la nécessité de ne pas manquer à la prudence dans tous les partis qu’on peut prendre, et, sans m’expliquer, sur ma parole on a ici des égards à mes recommandations. Vous pourrez sans rien craindre m’instruire clairement par la voie d’Aix, sûre, car, à ce moment, il n’existe plus trace de ce que vous m’avez déjà marqué. Vous sentez par la même raison que celle-ci ne doit pas exister une minute après que vous en aurez fait lecture. Je vous entendrai, sur l’objet, par le terme de papier. Sur le reste : Est-ce écriture ? Ou machines de mécanique desquelles on s’est occupé plus d’une fois, à ce que je sais ? Ou lambeaux de papier ?……


La marquise sait enfin où est M. de Sade et nourrit le projet de le faire évader. (4 juin 1777).

……Vous me marquez que vous voyez avec plaisir que l’on s’est relâché à mon égard, mais point du tout. Si je sais où est M. de Sade, je n’en ai, je vous jure, obligation à personne. Si je reçois des nouvelles, c’est une amusette d’enfant ; ce sont des billets ouverts par le ministre, sans cachet. Quand j’en écris qui peuvent signifier quelque chose, on me les renvoie……

Si par hasard on faisait partir M. de Sade pour se représenter, avec un exempt pour le ramener, comme je pourrais bien n’être pas instruite à temps de faire les manœuvres nécessaires pour le faire sauver, il faudrait que vous maniganciez, à Aix, pour qu’il s’évadât et ne pût retourner ici, et cela à l’insu de M. le procureur général. C’est là le cas de ne pas épargner l’argent et de le tenir enfermé dans une chambre, dans un endroit sûr. Vous m’écririez une lettre où vous me marqueriez simplement qu’il est parti avec son conducteur pour Paris et le signal serait que l’adresse ne serait pas de votre écriture. Il vaut mieux avoir la clef des champs que de la demander……


L’abbé de Sade est plus satisfait des procédés de la présidente et plus confiant en l’issue de la « grande affaire ». (18 juin 1777).

……Madame de Montreuil a eu besoin de moi. Elle m’a écrit quelques lettres d’un style beaucoup plus radouci. Elle a daigné me faire part de l’état actuel de l’affaire de mon neveu. On a changé de système et on a bien fait. On se borne à présent à demander au parlement de Provence la révision de la procédure sans la comparution du contumace, attendu qu’étant dans les prisons du roi il n’est pas le maître de se représenter à la cour lui-même, comme il devrait le faire suivant les lois, et il y aurait trop d’inconvénients et de frais à l’y faire amener. Cela a été concerté à Paris avec M. de Mons et autres magistrats qui pensent que le parlement de Provence ne doit pas faire de difficultés sur cela, parce qu’il y a des cas où il [faut] faire ployer la rigueur des formes aux circonstances, et nous sommes dans un de ces cas. J’approuve beaucoup cette nouvelle façon de procéder et je crois qu’elle réussira parce que le ministre s’y prête, et les magistrats sont bien disposés. Le chancelier leur a écrit pour demander leur avis. Le prévôt de Marseille me pressa d’aller à Aix les solliciter de le donner favorable, mais il ignore que mes indispositions ne me permettent pas de faire le moindre voyage……


La marquise est impatiente d’apprendre que le petit secrétaire est rentré à Bordeaux. (2 juillet 1777).

Quand j’apprendrai, mon cher avocat, l’arrivée du petit Malatié à Bordeaux, je serai encore plus contente. Ses pleurs m’inquiètent. Je crains qu’il ne fasse quelque escapade en route ; les enfants ne raisonnent pas, et, joint à cela, il m’a paru si bête !…


Madame de Montreuil demande à l’avocat, dans un « billet volant », de nouvelles précisions sur les trouvailles faites à la Coste et sur « les papiers » perdus. (Billet joint à une lettre du 5 juillet 1777).

Malgré toute l’attention possible, il y a quelques objets que je n’ai pas bien compris. Deux objets, sur les papiers intéressants. Je me rappelle bien un, envolé par la fenêtre et qui fut recueilli par les voisins, lequel a fourni plus d’éclaircissements qu’on n’en voulait, et des renseignements sur le petit dont vous avez trouvé un petit lambeau détaché, sur lequel on avait écrit, il y a environ un an. Est-ce bien cela ? N’y en a-t-il qu’un de démembré et perdu et d’où venait-il ? Quant aux anciens meubles, dont la sculpture était recherchée et avait causé tant de peine, la région haute où on en a placé les débris est-elle intérieure ou extérieure ? Il serait intéressant pour ceux qui les ont gâtés qu’on n’en aperçût aucune trace qui pût les faire rechercher. Je crains et me défie des chercheurs ou chercheuses de pigeons ; est-on bien sûr de leur fidélité ?…… N.n.. a-t-elle eu connaissance de la perte de ces papiers ? C’est un point essentiel à savoir pour la conduite à tenir vis-à-vis d’elle.


L’abbé de Sade se réjouit d’avoir refusé de faire à Aix une démarche vouée à l’échec, mais espère néanmoins dans le succès. (24 juillet 1777).

Je me doutais bien, monsieur, que malgré toute votre éloquence vous ne réussiriez pas dans votre négociation. Les magistrats d’Aix s’en tiennent rigoureusement à leurs formes et ne veulent pas se relâcher. Ils s’étaient expliqués sur cela si clairement dans leur réponse à M. le chancelier que je n’aurais pas voulu, à la place de madame de Montreuil, faire de nouvelles tentatives. Mais cette bonne dame ne se rebute pas aisément et ne regarde pas la perte du temps comme une perte bien importante. Elle doit vous savoir gré de la complaisance que vous avez eue d’aller, dans ce temps-ci, solliciter une grâce que vous saviez que vous n’obtiendriez pas. Pour moi je n’en ai eu ni la force ni le courage, et je m’applaudis de ne l’avoir pas fait. À mon âge il ne convient d’aller demander que ce qu’on est sûr d’obtenir. N’importe, la grande affaire est en bon train et il y a grande apparence que d’une manière ou d’autre nous obtiendrons la cassation de l’arrêt. Voilà l’essentiel, surtout pour les parents.


Madame de Montreuil instruite par le ministre des instances d’Annet Sablonnière dépêche l’avocat à Nanon. (Paris, le 26 juillet).

……Le père de N.n.. tourmente ici pour la liberté. Le ministre, qui a des égards pour moi, me fait part des instances, et qu’il n’a rien voulu décider sans mon avis. Je sens qu’il peut être dangereux de trop résister parce qu’item il faut satisfaire un père de raisons lorsqu’il persévère, et que cela peut entraîner à des éclaircissements dangereux. Quoi qu’elle ait dit de vous, n’importe, elle vous a parlé, et, d’après cela, vous êtes en droit d’entrer avec elle dans des détails où d’autres ne peuvent pas entrer, parce que je ne veux en instruire personne. Il faut donc prendre votre grand courage. Vous faisant connaître à la supérieure par M. Lions, si elle ne vous connaît pas, lui demander d’abord de ma part quelle est la conduite de cette fille dans sa maison. Si elle n’est pas bonne, me le mander tout de suite. Si elle l’est, la prier de permettre que vous lui parliez de ma part. Et lui direz : que je n’oublie point qu’elle m’avait fait supplier avec instance de solliciter en sa faveur le pardon de ses fautes et les bontés de son ancienne maîtresse, avec promesse de sa part que je n’aurais jamais à me repentir de mes bontés pour elle et qu’elle garderait un silence éternel sur toutes les personnes qu’elle devait respecter et auxquelles je m’intéresse ; qu’instruite que sa conduite, dans la maison où elle est, est telle qu’elle me donne lieu de la présumer changée et plus sage, je veux bien, si elle désire en sortir, m’engager à obtenir le consentement de madame de S. Mais vous sentez toutes les conditions que vous devez y mettre et auxquelles seules elle devra nos bontés…… Point de tournure [?] ni de père, ni d’amies, ni de famille pour tirer de l’argent, car on ne donnerait pas un écu ; et, si on bougeait le moins du monde, elle serait sur le champ recoffrée et punie par les lois comme elle l’eût mérité…… »


Madame de Montreuil marchande la liberté de Nanon et cherche à s’assurer de son silence. Elle ne travaillera pas à celle de son gendre. (16 août 1777).

J’ai reçu, monsieur, votre lettre d’Arles à l’époque de sa date, ainsi que les précédentes. Je vous remercie de la célérité que vous avez mise à ce voyage. Il était nécessaire. Je comprends très bien, par le contenu de la note, combien il est de conséquence de joindre la douceur à la sûreté. Je tiendrai la parole que vous avez portée à cette personne si elle tient celle qu’elle vous a donnée de son côté, dont le premier pas est d’engager son père à la dispenser d’aller le rejoindre dans des lieux où il n’est convenable d’aucune manière qu’elle paraisse, et qui lui seraient sûrement interdits comme une condition de la grâce qu’on lui accorderait. Comme il ne faut point laisser d’écrit entre ses mains sur pareille matière, il faut que vous priiez M. Lions de le lui dire de ma part verbalement et de s’informer de la prieure si elle a, en effet, écrit à son père. Si il consent à ce qu’elle lui demande, il faut que quelqu’un de sûr, comme madame la prieure, M. Lions ou vous, s’empare de la lettre et la garde, pour qu’il ne puisse ensuite revenir contre les partis qu’on peut prendre en conséquence. Quel âge a-t-elle ? Est-elle majeure ? C’est un point important à savoir, à cause de l’autorité paternelle. Si le père n’est poussé que par les sollicitations que lui a faites sa fille, la chose ira très simplement. S’il l’est par les gens dont elle craint la rencontre, alors il faudra lui en faire imposer d’autorité et le faire craindre de la trouver très compromise elle-même par les preuves qu’on est en état de produire, s’il s’avise de jaser et de seconder une cabale qu’on veut éviter. Il est certain qu’en 1774, en janvier, j’ai eu des anecdotes qu’elle fera bien de ne pas me mettre dans le cas de montrer, pour elle-même, avant le voyage de Bordeaux. Ainsi elle fera bien, quelque personne qui la questionne, de ne pas se lâcher, en disant toujours et à toute question : « Je n’en sais rien !… »


Madame de Sade ne correspond avec son mari qu’à billets ouverts. (Sans date).

Rien encore de nouveau, mon cher avocat, c’est désolant au suprême degré. On dit que M. de Sade se porte bien. Il m’a mandé qu’il ne souffrait pas, mais vous le connaissez assez pour savoir qu’il est de toute impossibilité que son esprit et son sang soient calmes. Dans ce qu’il m’écrit, l’on coupe, efface ou arrange, tout cela comme on veut. Je ne peux répondre que des billets ouverts. Si je marque quelque chose qui ne convient pas, on me renvoie la lettre. J’exhorte à la patience, style qui n’est point du goût de M. de Sade et je sens combien à sa place il est dur d’entendre encore de pareils discours après sept mois passés. Non, quelque bien que ma mère nous fasse, je ne pourrai lui pardonner. Les tourments passent de beaucoup le bien qu’elle pourra faire……


Mémoire sur les filles de Marseille. (Sans date).

Savoir ce que sont devenues les filles dénommées dans l’état ci-joint et tous les renseignements possibles sur leur demeure actuelle ; si elles sont encore à Marseille ou si elles en ont décampé ; en un mot ce qu’elles sont devenues et ce que l’on peut savoir à ce sujet. Ce sont les mêmes de la scène de Marseille, témoins de la procédure contre M. de Sade. Ces éclaircissements doivent être pris sans bruit.

Marguerite Coste, fille à feu Pierre Ménager, native de Montpellier, demeurant alors à Marseille, rue Saint-Ferréol-le-Vieux, maison de le Boeuf, maître serrurier, âgée de vingt-cinq ans, première actrice, seule de sa bande.

Cette Marguerite Coste est à Marseille dans la maison d’Isnarde, rue Maucouina.

Marie-Anne Laverne fille d’Antoine, maître chapelier, native de Lyon, demeurant à Marseille, rue d’Aubagne, maison de Nicolas, âgée de dix-huit ans, une des actrices, demeurant ensemble. Il intéresse plus particulièrement d’être instruit sur son compte.

Elle est à Marseille chez mademoiselle Toinon, rue de la Glace.

Marie-Anne Laugier, dite Marianette, même demeure à Marseille, fille de feu Laugier, boulanger, native d’Aix, âgée de vingt-cinq ans. Savoir les plus grands détails sur son compte.

Elle est absente. On croit qu’elle est à Avignon, mais elle vient parfois à Marseille.

Rose Coste, fille à feu Coste, ouvrier en laine, native de Marahel, en Rouergue, âgée de vingt ans, même demeure que dessus. On l’appelle communément Rosette.

Elle est absente, mais s’il était question d’un objet intéressant, on pourrait la dénicher.

Externe. La nommée Catherine Hugues, veuve de Ravel, domestique de Rose Coste, demeurant avec le sieur Roux, licencié en médecine, maison de Fabre, rue de l’Arménie, près la Pierre-qui-Rage[5]. Amie de la dite Rose Coste et connaissance du marquis, laquelle l’a nommé à la susdite sur signalement pour l’avoir vu la veille du vingt-sept, fille de Claude, chapelier, native de Lyon, âgée de dix-neuf ans, rue Saint-Ferréol-le-Vieux, chez la nommée Vachier, même profession que les autres.

Elle est à Marseille où elle vend du pain à la rue des Courriers.

On ne saurait prendre trop de précautions pour avoir les informations ci-dessus.

Les instructions m’ont été fournies par une matrone qui connaît toutes les nymphes.


Madame de Montreuil tentera de déciller les yeux de sa fille en lui parlant de la petite feuille de papier qui a été détruite. Elle espère que le temps travaillera pour elle. (Sans date).

L’épisode de N.n.. va me mettre dans le cas de parler à la dame de la destruction de la petite feuille de papier. J’éluderai, nonobstant, tant que je pourrai. Je désirerais attendre l’époque de la destruction de l’arrêt, qui, j’espère, ne tardera pas. Tout ce qui a trait au ministère éprouve des lenteurs infinies, malgré tous les soins qu’on se donne. Mettant un adoucissement à sa situation à elle et un grand changement à celle de ses enfants, ce qui peut lui être douloureux, d’ailleurs, à entendre sera peut-être plus facile à supporter, d’autant que, ne pouvant lui dire la manière dont j’en suis le plus sûrement instruite, il faut que je me serve d’instructions parvenues d’autres côtés, comme Ly.., Vien.., Boni..[6] etc., car je ne puis que soupçonner par là les convictions qui pourraient se trouver où vous savez, mais non pas les savoir. Et l’opiniâtreté que l’on met à regarder comme l’injustice la plus inique et la dûreté la plus inouïe la conduite qu’on a tenue, et qu’on savait déterminé à ne pas s’en relâcher, me forcera à lui parler net et à la convaincre que ce n’est pas ma faute, qu’on était instruit de tout avant moi-même et que, quand je demanderais, je n’obtiendrais pas, et devrais même craindre d’obtenir. Si quelque chose peut calmer en général tout, c’est le défaut de liberté. Sans quoi, celle-ci annulée, il en renaîtrait de pires.


Le père de Nanon écrit à Lions « chez madame de Montreuil, ou à madame de Montreuil, lieutenante, à sa résidence près la ville d’Arles », pour protester contre la détention de sa fille.

Monsieur,

Quoi qu’il me soit revenu, un peu tard et par voie indirecte que vous êtes apparemment autorisé par madame de Montreuil à continuer à tenir en esclavage Antoinette Sablonnière, ma fille, et cela sans aucune raison légitime, indigne d’honnêtes gens, si vous avez quelque bonne raison, attaquez-la en justice réglée ; sinon je me détermine à user de ce moyen pour mon enfant sur lequel j’ai plus d’autorité que personne. J’espère y parvenir ou les puissances seront endormies. Je ne pense pas qu’il y en ait qui puissent l’arracher par force d’entre mes bras. Je la réclamerai partout où elle sera, et je n’entends nullement qu’on la transfère ni à Paris ni ailleurs sans mon consentement authentique, par écrit et en bonne forme. Je vous le dis, monsieur, et m’en prendrai à vous aussi bien qu’à tous ceux qui vous font agir, pour avoir raison de cette façon d’agir si odieuse. Notre bon roi, qui protège le pauvre comme le riche, daignera m’écouter. Je vais adresser mes raisons au pied de son trône ; j’intéresserai son ministre pour adresser ses ordres au procureur général du parlement d’Aix, pour qu’il prenne ma fille sous sa protection, la rendant libre de venir auprès de moi. Un père qui réclame son enfant, détenu injustement par une violence inouïe, sera peut-être écouté en quelqu’un de ces tribunaux. Si pareilles violences sont permises, nous ne sommes plus en France où on ne retient personne comme esclave ; la qualité, l’honneur, la raison, encore plus la religion si on en suit et pratique les principes, devraient s’y opposer et faire ouvrir les yeux. J’étais si peu disposé à consentir que ma fille fût traduite à Paris, que j’avais résolu de l’attendre sur le chemin pour l’arracher à ses bourreaux. Ainsi, monsieur, n’entreprenez pas cette conduite ni autre de la part de monsieur et dames de Sade ou Montreuil. Je les prendrai à partie et en aurai raison. Je suis pauvre, mais je trouverai des ressources pour empêcher l’iniquité de triompher. Je prétends que personne n’aura autant d’autorité sur mon enfant que moi, le père. Je ne suis pas pour passer [?] avec les grands, mais en cette occasion j’aurai plus de raison qu’eux et légitime. Quel dessein a-t-on d’enlever ma fille malgré moi ? Est-elle coupable ? Qu’on l’accuse en justice et n’use pas d’un pouvoir despotique qui est contre toutes les lois de France. Vous pouvez communiquer ma lettre à madame de Montreuil, jointe à celle que j’ai pris la liberté de lui faire remettre. Elle pourrait faire quelque effet et me satisfaire en me faisant justice. Les termes dont je me sers sont peut-être hors de place, mais on doit excuser la tendresse d’un père qui voit son enfant exposée à quelque événement funeste. Ce n’a pas été pour lui faire du bien qu’on l’a tenue enfermée si longtemps et lui faire ignorer le sujet ou plutôt le prétexte. Il est donc temps qu’on le manifeste ou qu’on lui rende la liberté. Ce sera le sujet de tous mes soins pour tâcher d’en trouver les moyens. J’espère qu’on m’en évitera une partie et que voudrez bien y contribuer.

J’ai l’honneur d’être avec respect, monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.

Annet Sablonnière
À Thiers, ce 20 octobre 1777.

Madame de Montreuil est incertaine de ce que pense sa fille et la famille a dû supplier le ministre de lui refuser la liberté de son mari. (20 décembre 1777).

……Je ne puis démêler bien encore le fond de la pensée. Plus calme en apparence près de moi, toujours sollicitant auprès du ministre qu’il lui soit permis d’adoucir par sa présence la captivité, et toujours refusée. Est-ce un faible invincible qui la fait agir ? Un excès de principe du devoir ? Ou la crainte qu’on ne la punisse un jour des efforts qu’on supposera qu’elle n’a pas faits ? Sur ce point elle est impénétrable pour tout le monde. Vous en savez peut-être davantage. Cependant, elle n’ignore rien. Les gens en place l’ont éclairée sur la volonté du roi, sur les motifs qui la fondent. L’abbé de Sade, prévôt de Saint-Victor, lui a déclaré formellement qu’il avait, au nom de la famille et au sien, supplié le ministre de se refuser aux demandes de sa femme et de pourvoir à la sûreté de la personne en la conciliant, autant que faire se peut, avec toute aisance et douceur dans l’intérieur du château où il est……

Avez-vous pris au château certaines précautions que je vous avais conseillées ? La sortie de N.n.. rendra cette précaution encore plus…… Vous m’entendez.


Lions a obtenu de Nanon toutes les promesses exigées par la présidente. (28 décembre 1777).

……J’ai reçu une lettre de madame de Montreuil datée du château de Valéry du quatorze octobre. Elle ne m’est parvenue que le vingt et un du courant, où elle me parle de Nanon et des lettres de son père. Il me paraît qu’elle est résolue de lui donner la liberté, pourvu qu’elle ne reste pas dans cette contrée ni en Auvergne, encore moins à Lyon, pourvu qu’elle soit circonspecte et ne parle nullement des affaires passées. Elle me l’a promis ; je ne sais si elle sera fille de parole et j’en serai presque assuré après tout ce qu’elle m’a dit. J’en ai informé madame de Montreuil.




  1. Ici une phrase inachevée et indéchiffrable où la marquise compare le régime de la Bastille à celui de l’inquisition à Rome.
  2. La canne variait de 1 m. 9726 (Tarascon) à 2 m. 0472 (Arles).
  3. Le pan, ou la palme, correspondait au huitième de la canne.
  4. Sans doute une des sœurs de la marquise et, vraisemblablement, mademoiselle de Launay.
  5. Déformation de « Pierre-qui-raye » ; en provençal : pierre-qui-coule ; fontaine.
  6. Bonnieux.