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Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier/15/1788/Août

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Texte établi par Maurice Tourneux, Garnier frères (Volume 15p. 283-300).

AOUT.

C’est le mardi 15 juillet qu’on a donné, sur le théâtre de l’Académie royale de musique, la première représentation d’Amphitryon, opéra en trois actes. Les paroles sont de M. Sedaine et la musique de M. Grétry[1].

Il est peu de sujets plus connus que celui d’Amphitryon. L’histoire héroïque de la Grèce commence à la naissance d’Hercule, dont les descendants, sous le nom d’Héraclides, régnèrent longtemps sur les plus belles contrées de cette partie à jamais célèbre de notre continent. Cette fable est du nombre des erreurs religieuses qui ont parcouru le globe. Les Grecs, qui empruntèrent presque toutes celles de leur théogonie des Égyptiens, doivent celle-ci aux Indiens ; on l’a retrouvée dans un de ces livres sacrés des Brames que les Anglais viennent de traduire, et dont l’antiquité remonte bien au delà des premiers temps de la civilisation des Grecs. Dans la mythologie indienne, c’est un dieu qui prend, comme dans la mythologie grecque, la figure d’un général célèbre, et jouit de ses droits auprès de son épouse ; de cette union naquit un héros dont les exploits ont consacré le nom dans les temps héroïques de l’Inde. C’est absolument, comme l’on voit, l’histoire de Jupiter et d’Alcmène ; mais ce qui rend, dans le livre sacré des Brames, l’aventure encore plus singulière, et surtout plus gaie, c’est le procès qui en est la suite. Le général indien revendique ses droits et sa femme, le dieu ne veut pas s’en dessaisir ; l’affaire est portée devant un tribunal. La ressemblance des deux époux est si parfaite que les juges, dans l’impossibilité où ils se trouvent de décider quel est le véritable mari, ordonnent un congrès assez étrange, auquel cependant la femme se soumet avec une résignation qu’on ne doit attribuer qu’à sa profonde soumission aux lois ; ils ordonnent que la femme passera tour à tour une nuit avec les deux maris prétendus, et qu’elle reconnaîtra pour son véritable époux celui qui en remplira le mieux les devoirs. Le dieu, dans cette épreuve singulière, se conduit en dieu, car, quelque estimable que soit la conduite du mari, celle du dieu l’est quatre fois davantage. Le choix pourrait-il encore être douteux ? La femme, toujours fidèle à la loi, reconnaît pour son époux celui qui s’en est montré le plus digne ; mais le dieu, à qui tant de succès multipliés avaient peut-être fait éprouver cette malheureuse satiété qui corrompt trop souvent les plus douces jouissances des mortels, abandonne alors sa femme à son véritable mari, et remonte au ciel, en lui annonçant, comme Jupiter à Amphitryon, que de ce tour vraiment divin doit naître un héros dont les exploits étonneront l’univers. Si l’on est surpris de retrouver chez les Grecs une fable si anciennement établie dans l’Inde, on ne l’est pas moins sans doute d’apprendre que cette union si scandaleuse du souverain des dieux fut représentée publiquement sur le théâtre d’Athènes, et qu’elle le fut de préférence aux fêtes de Jupiter. Euripide et Archippus avaient traité le sujet d’Amphitryon ; il ne nous reste rien de ces deux pièces, qui vraisemblablement servirent de modèle à Plaute, dont l’Amphitryon eut le plus grand succès à Rome, et qu’on y jouait encore cinq cents ans après sa mort. Ce sujet offre des situations si ingénieuses et si profondément comiques qu’il ne pouvait échapper à Molière ; il s’en est emparé, et si ce grand homme a emprunté de Plaute, non-seulement le fond de l’intrigue, mais encore toute la marche de la pièce jusqu’au dénoûment, combien n’a-t-il pas embelli son modèle ! Les scènes de Cléanthis et de Sosie, ces scènes d’un comique si original et d’une gaieté si piquante, sont autant de créations du talent de Molière ; ces scènes admirables suffiraient seules pour prouver la supériorité du poëte français sur le poëte latin, quand même Molière n’eût pas répandu d’ailleurs dans tout son dialogue tant de philosophie, de grâce et de gaieté, tant de traits piquants, tant de plaisanteries de ce genre fin et délicat qui, en faisant sourire l’esprit, ajoute encore à la force comique des situations. C’est ce mérite inimitable qui a décidé la supériorité de l’Amphitryon de Paris sur celui de Rome, et, dans la dispute si célèbre des anciens et des modernes, à la fin du règne de Louis XIV, les partisans les plus outrés de l’antiquité, les Dacier même, n’osèrent le lui contester.

En rendant à l’Amphitryon de Molière le tribut d’éloges que mérite la seule de ses pièces dont le succès ait été aussi complet à la première représentation qu’il l’est aujourd’hui, comment M. Sedaine n’a-t-il pas senti combien il était peu propre, par le caractère même de son talent, à lutter contre l’ouvrage de ce grand homme ? La fable d’Amphitryon étant faite, ordonnée dans toutes ses parties, que lui restait-il à faire ? d’y jeter du style. Du style de M. Sedaine ! Quelque connue que soit sa manière d’écrire, par ses autres ouvrages, il est difficile de se faire une juste idée du triste abandon qui règne dans celui-ci ; on y trouve tour à tour les tournures les plus triviales et les expressions les plus bizarres ; les règles les plus communes du langage, comme de la versification, y sont également négligées. On reprochera bien moins au nouvel Amphitryon de ressembler trop à son aîné que de ne pas lui ressembler assez.

La musique n’a point rempli ce que semblaient promettre et la nature du sujet, et les contrastes heureux qu’il présentait au compositeur, et le caractère même du talent qui distingue plusieurs ouvrages de M. Grétry. Le récitatif est la partie la plus négligée de cet opéra, l’effet en a presque toujours paru fort au-dessous de celui que produirait la déclamation la plus simple et la plus commune ; les airs manquent souvent d’intention comme d’originalité. Pour être juste, il faut distinguer cependant le mérite de quelques morceaux d’ensemble ; le duo de Mercure et de Bromia, celui de Sosie et de sa femme, sont dignes d’éloges, et nous ont rappelé le faire spirituel, piquant et vrai qui a déjà fait réussir tant de compositions de M. Grétry.

Bien-né, Nouvelles et Anecdotes, Apologie de la flatterie. Brochure in-8o. Paris, 1788[2].

Cette petite brochure s’est vendue si publiquement près de quinze jours que nous ne croyons pas pouvoir nous dispenser d’en parler, quoique depuis elle ait été sévèrement défendue. C’est un nommé Dezauches, libraire, qui en est l’éditeur ; ayant été arrêté avec quatre de ses confrères, particulièrement soupçonnés d’en avoir favorisé le débit, il n’a pas craint d’avouer qu’il en était lui-même l’auteur, mais cet aveu n’a pas paru une preuve suffisante qu’il fût le seul coupable. Voici le précis du conte, dont l’auteur méritait bien sans doute quelque correction, ne fût-ce que par les applications indécentes auxquelles il semble inviter des lecteurs déjà prévenus par les calomnies répandues dans cette foule de libelles qu’on débite, et dans la province et dans les pays étrangers, comme les anecdotes les plus sûres de la cour de France.

« Il y avait, dit notre conteur, je ne sais où, un roi né avec un esprit droit et un cœur ami de la justice, mais dont une mauvaise éducation avait laissé les bonnes qualités incultes et inutiles. Il n’avait pas été plus heureux du côté de l’exemple, car à la cour du roi, son grand-père, on s’occupait de tout, hors du gouvernement… Ce roi, que j’appellerai Bien-Né, avait adopté les manières les plus populaires d’exprimer tantôt son impatience, tantôt les saillies de sa gaieté… Il était, de plus, gros mangeur et grand chasseur… À force de bonté et de négligence de la part du roi, de tours de force et d’adresse de la part de ceux qui l’entouraient, les abus, les fripons et les friponneries pullulèrent, les honnêtes gens tremblèrent, les frondeurs crièrent, les affaires s’embarrassèrent horriblement ; Bien-Né ne sut bientôt plus où donner de la tête… Au moment où il était le plus embarrassé, il fut attaqué d’une légère maladie ; resté seul un jour, parce qu’on le croyait endormi, il pensa, et ce fut assez tristement… « Sagesse, s’écria-t-il après une heure de réflexions profondes, Sagesse que j’ai si souvent entendu vanter, et que personne encore ne m’a fait connaître, je t’écouterai si tu daignes me parler… » Il ferma les yeux. Une femme d’une figure majestueuse lui apparut et lui dit : « Je suis celle que tu invoques, ne jure plus ni dans ta bonne ni dans ta mauvaise humeur. — Je le veux bien, dit le roi, mais ce ne sont pas quelques mots un peu trop énergiques qui ont dérangé mes finances ; ô déesse ! sera-ce en m’en abstenant que je les rétablirai ? — Obéis-moi, répliqua le fantôme ; dans huit jours je t’en dirai davantage… » Le roi obéit… Les courtisans en furent extrêmement alarmés. « Si le roi, disaient-ils, peut surmonter d’un moment à l’autre une habitude prise depuis si longtemps, il pourra tout ce qu’il voudra… » Huit jours après la même apparition, le roi s’enferma dans son cabinet, et, au bout d’une heure de rêverie, il vit le même fantôme, qui lui dit d’un ton plus doux que la première fois : « Sois plus sobre. — J’y consens, dit le roi, mais j’ai l’estomac très-bon, et ce n’est pas ce que je mange et bois qui peut ôter la subsistance à mon peuple. — Obéis, dit le fantôme, je t’en dirai davantage dans huit jours… » Le roi obéit. L’étonnement redoubla, la consternation devint générale. Bien-Né s’aperçut qu’il avait la tête beaucoup plus libre qu’auparavant, et que cependant on lui parlait beaucoup moins d’affaires… Il était très-curieux de revoir l’espèce d’amie qu’il s’était acquise… Le jour venu, Bien-Né n’eut pas peu de peine à se débarrasser de ses courtisans ; il leur dit enfin : « Je veux être seul et ils s’éloignèrent. Le fantôme ne se fit pas attendre. « Chasse moins souvent, lui dit-il ; le pouvoir que tu as sur toi-même augmente à mesure que tu l’exerces, et ce sacrifice ne te sera pas plus difficile que les autres… » Bien-Né ne fit cette fois aucune objection ; il demanda seulement quel usage il ferait du temps qu’il avait coutume d’employer à la chasse : « Si c’est du temps gagné, dit-il, je ne sais qu’en faire. — Obéis, dit le fantôme, et je reviendrai dans quinze jours… » Huit jours se passèrent pendant lesquels il ne chassa qu’une fois. Il s’ennuya souvent, mais le régime auquel il continuait à s’astreindre ne lui coûtait plus du tout. Le neuvième jour, il demanda des livres ; le dixième, il regarda, pour la première fois, les chefs-d’œuvre de sculpture et de peinture dont il était entouré ; le onzième, il chercha parmi ses courtisans celui avec lequel il pouvait le mieux s’entretenir de ses lectures ; le douzième, il chassa avec un médiocre plaisir ; il s’aperçut, le treizième, qu’il n’avait eu depuis trois semaines aucune fantaisie coûteuse, aucune complaisance dangereuse, et cela le fit travailler avec ses ministres beaucoup plus gaiement et donner son avis beaucoup plus nettement qu’il ne l’avait jamais fait ; le quatorzième, il remarqua qu’autour de lui tout prenait une face nouvelle, que les physionomies qui lui avaient toujours paru les plus ouvertes devenaient riantes et sereines, que celles, au contraire, qui annonçaient l’agitation et les passions inquiètes étaient ou sombres ou abattues… Le quinzième jour, il trouva la majestueuse femme dans son cabinet au moment où il s’y retira… « Je suis contente, lui dit-elle, tu as suivi mes conseils, et aucun des bons effets qui en sont résultés ne te trouve insensible. Il faut à présent établir plus de liberté entre toi et les citoyens les plus dignes de ta confiance… Tu es si puissant que tu ne seras toujours que trop respecté… Je ne viendrai plus te chercher à des jours marqués, mais je t’apparaîtrai au milieu de tes conseils, dans les conversations particulières, dans les fêtes publiques. Je serai ta compagne et ton amie… » Le roi obéit, et sa cour devint comme la maison d’un particulier sage, éclairé et sociable. Une autre fois la Sagesse dit à Bien-Né : « Je ne te conseille pas de te déguiser en marchand, comme le calife Aaroun Al-Raschid, pour aller écouter ce qu’on dit et voir ce qu’on fait dans les cabarets et dans les maisons particulières. Je ne te conseille pas non plus de courir les grands chemins, comme Tracassier, ton allié[3], t’amusant à te faire méconnaître quelque temps et reconnaître ensuite… Mais je te conseille d’accoutumer tes yeux à se fixer sur les objets dont il faut que tu t’occupes, et d’accoutumer les yeux de ton peuple à te voir avec moins de surprise que de plaisir… » Le roi obéit, et peu à peu il sembla que la Sagesse elle-même fût sur le trône. Les finances se rétablirent, la nation fut florissante et plus respectée que jamais, et Bien-Né fut aussi heureux qu’un roi peut l’être. »

— Plus on voit les auteurs de tant de jolies petites pièces vouloir essayer les comédies du genre de celles de Molière, de Regnard, de Destouches, et même de La Chaussée, plus on reste convaincu que de tous les ouvrages dramatiques, une comédie en cinq actes, et surtout une comédie de caractère, est le plus difficile à concevoir et à exécuter. Depuis le Méchant, on ne peut guère compter que l’Inconstant et l’Optimiste qui nous rappellent du moins l’étude et le goût des bons modèles. Malgré tous les défauts de ces deux comédies, défauts que nous n’avons pas dissimulés dans le compte que nous avons eu l’honneur de vous en rendre, M. Collin est, depuis Gresset, le seul de nos auteurs comiques qui nous ait donné l’espoir d’un talent qui pourrait consoler un jour Thalie de sa longue viduité. Nous avons vu à la suite de Barthe et de Dorat une foule de jeunes poëtes s’empresser à défaire, à refaire les Fausses Infidélités de l’un, et la Feinte par amour de l’autre. Nous les avons vus réussir plus ou moins dans l’imitation de ces bluettes dramatiques ; mais toutes les fois qu’ils ont voulu hasarder des comédies de caractère, ils n’ont pas manqué de trahir le secret de leur impuissance : c’est qu’il y a loin d’un esprit facile, agréable, au talent de concevoir une intrigue simple, des incidents vraisemblables qui composent une action dont la marche et le mouvement gradué tendent toujours à développer les travers et les ridicules d’un caractère propre à la scène. Au lieu de cette simplicité, de cette unité d’action qui constituent le premier mérite de tout ouvrage dramatique, et plus particulièrement peut-être encore celui de la comédie de caractère, nous avons vu l’impuissance de ces auteurs attacher presque toujours à l’action de leurs drames des incidents tout à fait étrangers, et qu’ils semblent n’avoir imaginés que pour remplir avec effort le quatrième et le cinquième acte de leurs pièces ; au défaut d’unité dans le plan ajoutez des caractères faiblement esquissés, des nuances de mœurs ou trop faibles ou trop prononcées, des situations romanesques, des incidents accumulés sans motif et sans vraisemblance ; nulle gradation dans les développements de l’action et des caractères ; voilà ce que nous offrent depuis longtemps presque tous les grands ouvrages dramatiques que nous avons vu hasarder au théâtre ; trop heureux encore quand aux vices du sujet, à la stérilité de la composition, ils ne joignent pas de plus un style rempli de manière et de faux goût, un dialogue aussi étranger au ton de la société qu’à celui de la bonne comédie, et qui ne présente qu’un assemblage de vers détachés, de phrases suspendues pour amener bien ou mal des mots prétendus heureux, que l’accent ou le jeu d’un acteur en faveur fait valoir en leur prêtant une intention fine et spirituelle, que l’on est tout étonné de ne plus retrouver à la lecture. C’est la manie de vouloir montrer partout de l’esprit, même celui que l’on n’eut jamais, qui a contribué, plus que tout le reste, à corrompre le style de la comédie.

La conversation est devenue, dans quelques sociétés, une espèce de lutte dans laquelle on réduit le naturel même et la raison à se cacher sous des formes tourmentées et bizarres ; on ne dit plus de choses neuves ; on rajeunit comme l’on peut par l’expression ce qui a été dit mille fois. Nos cercles, c’est-à-dire ceux où l’on fait de l’esprit, ressemblent à ces combats en champ clos, où les assaillants, ne trouvant plus que des lances brisées, les aiguisent chacun de son mieux et n’en fournissent pas moins leur carrière.

C’est ainsi que les imitateurs de Barthe et de Dorat composent leurs comédies avec des fragments de comédies, nous peignent des mœurs qui ne sont point les nôtres ; mais leur style nous offre au moins, jusque dans le langage de leurs valets et de leurs soubrettes, des modèles de cette manière de ne pas parler comme tout le monde, de ces tournures instantanément à la mode, et de ces expressions néologiques de tant de nos bureaux d’esprit qui, sans cela, risqueraient fort d’être perdues pour la postérité. Ce genre d’imitation n’est pas celui que l’on désirerait le plus rencontrer au théâtre ; mais l’impossibilité de concevoir des plans ordonnés comme ceux d’un bon tableau où l’artiste, ne se permettant jamais de rassembler dans le même cadre deux sujets différents, subordonne toutes les figures accessoires à la principale, donne à chacune de ces figures le maintien qu’elles doivent avoir et le coloris qui appartient à leurs mœurs, à leurs âges, à leurs passions, il n’est point surprenant que nos poëtes comiques ne réussissent pas mieux à nous présenter au théâtre des scènes d’un grand caractère et d’un grand effet. C’est ce que nous avons encore trop bien senti en voyant la pièce de M. Vigée[4], intitulée la Belle-Mère, ou les Dangers d’un second mariage, comédie en cinq actes et en vers, représentée pour la première fois au Théâtre-Français, le 24 juillet.

Le caractère d’une belle-mère, l’amour que ces secondes épouses feignent ordinairement pour leurs maris, l’art avec lequel elles s’emparent de leur confiance, leur feinte sensibilité qui n’a pour but que de s’assurer l’ascendant qu’elles ont pris sur eux, qui tend à écarter tout ce qui pourrait le contre-balancer, et surtout les enfants du premier lit, tous ces petits calculs de l’intérêt et les moyens qu’elles emploient pour le servir peuvent fournir le sujet d’une véritable comédie. Molière avait esquissé quelques traits de ce caractère dans son Malade imaginaire, où Mme Argant cajole son vieux mari, flatte sa manie et ne l’investit des soins les plus empressés que pour le détacher de ses enfants ; mais ce grand maître se garda bien de présenter ce caractère sous des formes exagérées, et d’en développer l’égoïsme par une combinaison de moyens plus propres à le faire paraître atroce que ridicule ; il eût fait un drame d’un sujet de comédie, et l’art de Molière ne s’était pas élevé jusque-là ; il se borne tout bonnement à nous faire rire des soins affectés de Mme Argant pour son malade imaginaire, et la situation où celui-ci fait le mort pour éprouver sa sensibilité est préparée d’une manière si subite et si plaisante, que la folie de cette scène en couvre, pour ainsi dire, l’atrocité, si bien effacée d’ailleurs par l’expression des scènes suivantes, où la pitié filiale s’exprime avec tant de douceur et d’intérêt.

En 1737, Morand introduisit une autre belle-mère dans sa comédie intitulée l’Esprit de divorce. La haine qu’il avait conçue contre la sienne lui fit traiter ce caractère d’une manière très-opposée à celle de Molière ; c’est une femme artificieuse qui, non contente de brouiller son mari avec ses enfants d’un premier lit, les divise encore entre eux par de faux rapports, et tâche, par les conseils qu’elle leur donne successivement, de consommer leur ruine. Le public, révolté de voir paraître sur la scène un caractère si odieux, et que ne lui annonçait pas le titre de la pièce, manifesta son mécontentement de la manière la plus marquée dès le second acte. L’auteur, qui était assis sur les banquettes qui garnissaient encore l’avant-scène de nos théâtres, se leva, et, s’adressant au parterre, dit : « Messieurs, le caractère que j’ai peint dans cette pièce est celui de ma belle-mère ; si vous la connaissiez, vous verriez jusqu’à quel point mon respect pour vous m’en a fait adoucir les traits… » Sa pièce fut alors écoutée tranquillement ; elle eut même un grand succès.

Morand avait voulu se venger des libelles que sa belle-mère répandait contre lui sous le nom de Mémoires, dans un procès qu’il avait avec elle. L’aveu qu’il fit au public lui valut un nouveau procès en diffamation, dans lequel il fut condamné à de gros dommages envers cette belle-mère. Au reste, cette pièce, qui n’est pas restée au théâtre, n’était pas sans mérite ; à l’espèce d’horreur qu’inspirait le caractère du principal personnage, l’auteur avait su mêler la gaieté d’un dialogue piquant et plusieurs situations vraiment comiques. C’est ce que n’a point fait M. Vigée dans sa comédie de la Belle-Mère.

La pièce de M. Vigée ressemble beaucoup plus à un drame qu’à une comédie de caractère, et on pouvait tout aussi bien l’intituler l’Intrigant, ou le Danger des liaisons, que la Belle-Mère, ou les Dangers d’un second mariage. Au reste, on pardonnerait volontiers à l’auteur d’avoir fait un drame en croyant faire une comédie, si cette pièce avait le principal, le seul mérite que l’on cherche dans cette espèce de compositions dramatiques, celui de l’intérêt ; mais il s’en faut de beaucoup que ce drame produise même celui que l’on devait attendre de la manière dont l’auteur a conçu le caractère de son principal personnage. En exagérant, comme il l’a fait, ce sentiment peut-être excusable, puisqu’il est dans la nature, ce sentiment qui porte les belles-mères à employer l’ascendant qu’elles prennent ordinairement sur leurs maris pour servir leurs propres enfants aux dépens de ceux d’un premier lit, il fallait du moins, pour rendre ce caractère intéressant, le faire dominer dans toute l’action du drame ; il fallait que les événements qui le composent fussent le résultat des desseins de la belle-mère, et que tous conspirassent au même but. Le rôle de M. Belfont n’est ici que secondaire, l’auteur l’a subordonné à celui du marquis, il n’en a fait qu’une femme faible et sans caractère, dont un homme de qualité, aussi vil que corrompu, se joue bassement pour réparer, grâce à cette intrigue, le dérangement de sa fortune. On sent que l’intention de M. Vigée a été de diminuer les torts de sa belle-mère, en rejetant ce qu’ils ont de plus odieux sur les conseils du marquis ; mais cette intention a non-seulement le défaut de prévoir trop tôt le dénoûment, elle a de plus l’inconvénient destructif de tout intérêt d’avoir forcé l’auteur à faire d’une action épisodique l’action principale de son drame ; ce sont les amours de Darmand pour Angélique, contrariés par l’ambition de Mme Belfont et la faiblesse presque incroyable de son époux, qui forment le peu d’intérêt que présentent les trois premiers actes de cette pièce, et cet intérêt s’évanouit pour ainsi dire au quatrième pour faire place à une reconnaissance trop peu préparée par ce qui la précède pour produire l’effet qu’on obtient ordinairement de ce moyen tant usé par tous nos dramaturges. Ainsi ce n’est point le caractère de belle-mère qui constitue le véritable intérêt de la pièce, il tient uniquement à l’aventure romanesque d’un jeune homme de qualité, expatrié pour un duel, et revenu en France sans instruire sa famille de son retour, réduit à vivre, sous un nom supposé, chez un homme que la reconnaissance ne justifie pas assez de lui donner sa fille, sans connaître ni sa naissance, ni sa fortune, et qui se voit au moment d’être forcé à se battre avec un frère qui ne le connaît point, si leur père ne tombait pas pour ainsi dire du ciel pour empêcher ce fratricide. Tous ces événements si étranges, et quelquefois si faiblement motivés, sont loin de produire l’effet qu’en attendait probablement l’auteur, après les avoir accumulés avec tant d’effort, et cet effet s’est trouvé encore affaibli par la manière dont l’auteur a voulu lier à ce roman les caractères de Mme Belfont, de son époux et du marquis, pour donner à son drame la physionomie d’une comédie de caractère. C’est donc dans le plan même de l’ouvrage qu’il faut chercher la cause du peu de succès qu’il a obtenu ; mais telle qu’elle est, la pièce doit ajouter à l’estime que l’on avait déjà conçue du talent de M. Vigée ; plusieurs scènes, et surtout celle de Mme Belfont avec son mari, au troisième acte, méritent des éloges. Le style a paru en général facile, quoiqu’il manque encore souvent de naturel et de précision ; on a remarqué plusieurs vers d’une tournure également simple et heureuse, tels que ceux que dit le marquis pour justifier son absence ; il arrive de son régiment.


Il faut donc tous les ans, pour bien servir son prince,
S’ennuyer quatre mois au fond d’une province.
Et là, très-mécontent d’avoir quitté Paris,
Aux autres enseigner ce qu’on n’a guère appris.


C’est l’endroit de la pièce qui a été le plus vivement applaudi. Cet ouvrage n’a eu encore que quatre ou cinq représentations.


CHANSON
FAITE IL Y A QUINZE ANS PAR M. LE COMTE D’ADHÉMAR, DEPUIS AMBASSADEUR EN ANGLETERRE.

Air du vaudeville du Tableau parlant.

Dans un monde trompeur
J’eus de la bonhomie,
Je parlai de l’honneur,
JeJ’offris mon cœur ;
La bonne compagnie
Persifla ma folie :
Ma foi, vive le vin
JeEt la catin !

Je fus fort bien traité
Quand j’attaquai Silvie ;
Mais je fus débouté
JePendant l’été.
La bonne compagnie
De l’absence s’ennuie :
Ma foi, vive le vin
JeEt la catin !

D’une prude à grands frais
Je me fis une amie,
Même encor je l’aurais

JeSans son laquais.
La bonne compagnie
Souvent se mésallie :
Ma foi, vive le vin
JeEt la catin !

— Les habitants de Pau avaient fait demander à Louis XIV la permission d’ériger dans leur ville une statue à Henri IV ; on leur répondit que les circonstances n’étaient guère propres à favoriser ce projet, que le roi leur permettrait plutôt de lui en ériger une à lui-même. Ils obéirent, mais au bas de la statue de Louis XIV ils mirent pour inscription deux vers béarnais, dont l’équivoque spirituelle ne peut être rendue en français, et qu’il faut traduire grossièrement ainsi :


Au petit-fils de notre grand henri.

— Le troisième mémoire de M. Bergasse contre M. de Beaumarchais, quoique moins répandu, a fait beaucoup plus de bruit que tous les autres ; il est intitulé Observations du sieur Bergasse sur l’écrit du sieur de Beaumarchais, ayant pour titre : Court Mémoire, en attendant l’autre, dans la cause du sieur Kornmann. Brochure in-4o, avec cette épigraphe : Loquebar de testimoniis tuis in conspectu regum, et non confundebar.

L’écrit de M. de Beaumarchais ne contient pas un mot relatif au fond de l’affaire, ce n’est qu’un exposé simple et modeste de tous ses titres de patriotisme et de vertu on y voit, entre autres, le mémoire secret qui lui fut demandé par le ministère en 1774, sur les conditions auxquelles il convenait de rappeler les parlements, projet si rempli de sagesse et de mesure que feu M. le prince de Conti, à qui il l’avait communiqué, en fut tellement satisfait, qu’il déclara qu’il le signerait à genoux, etc. ; on y voit encore une autre pièce non moins importante à la vérité, mais qui n’honore pas moins le désintéressement du sieur Caron de Beaumarchais ; c’est une lettre à son médecin, M. Seyffer, contenant le précis de tout ce qui s’est passé entre l’auteur du Mariage de Figaro et le sieur Florence, semainier perpétuel de la Comédie-Française, pour empêcher les Comédiens de remettre sur leur répertoire, dans des circonstances si affligeantes pour la nation, et surtout pour la magistrature, la comédie la plus gaie du théâtre, mais en même temps celle qui fournit le plus de traits dont la malignité pourrait faire des applications odieuses à la destinée actuelle des premiers tribunaux du royaume !… Et comment supposer, en effet, que ce vertueux citoyen eût voulu insulter à l’affliction d’un corps, qu’il nous fait entendre assez clairement n’avoir été rétabli que d’après son conseil et suivant ses vues ?… Après avoir lu toutes ces folies, n’est-on pas tenté de se frotter les yeux pour s’assurer si l’on est éveillé ou si l’on rêve ? Dans la supposition que M. de Beaumarchais lui-même ait rêvé bien ou mal, M. Bergasse vient de lui donner un terrible réveil. Rien de plus accablant que le mépris de cette dernière réponse. Quel athlète ! il ne laisse pas respirer son adversaire, il le serre de toute part, et, après lui avoir arraché toutes les armes dont il cherchait à se défendre, il le renverse et le laisse abattu dans la fange. Je ne crois pas que l’art de la dialectique ait jamais été porté à un plus haut degré d’adresse et de vigueur.

Cette attaque personnelle contre M. de Beaumarchais n’est pourtant que le prélude ou le prétexte d’une dénonciation bien plus énergique et bien plus hardie de tous les désordres résultant de l’état actuel de la justice en France ; c’est au roi même qu’il ose l’adresser.

Nous ne hasarderons point de juger si M. Bergasse a raison, s’il est un gouvernement dans le monde qui doive permettre à quelque particulier que ce soit d’oser parler ainsi ; ce que nous ne pouvons nous empêcher de reconnaître, c’est qu’on n’écrit de cette manière qu’avec une grande élévation d’âme et de talent. Il y a souvent dans le style de M. Bergasse trop d’abondance et trop d’exagération, mais il est bien peu d’hommes vraiment éloquents à qui l’on n’ait pu faire ce reproche ; on y remarque aussi de temps en temps quelques expressions de mauvais goût, comme celle-ci, en parlant de M. de Beaumarchais, cet homme sue le crime ; mais ces fautes sont rares et portent le plus souvent même encore une empreinte d’originalité qui leur sert d’excuse.

Lettres sur l’Italie, deux volumes in-8o, avec cette épigraphe, tirée de Virgile : Et me meminisse juvabit.

L’auteur de ces Lettres est M. le président Dupaty, si justement célèbre par l’éloquence courageuse avec laquelle il défendit trois innocents condamnés à la roue par le premier tribunal du royaume, et que le bonheur de les avoir sauvés console bien sans doute et des inimitiés et du décret que lui valurent son zèle et sa constance. Plusieurs de ces Lettres ont déjà paru, quelques-unes même dans les notes de ses mémoires ; l’auteur n’a donc guère eu l’intention de garder l’anonyme, pas même en faisant dire à son éditeur dans l’avertissement : « On les a attribuées à un magistrat, mais cette foule de gens qui se connaissent en style ne s’y trompera point. »

L’avertissement de cet éditeur est remarquable. Il avoue d’abord modestement que « ceci n’est point un voyage d’Italie, mais un voyage en Italie ; l’auteur, à mesure que les objets paraissaient sous ses yeux, communiquait à sa famille et à ses amis quelques-unes des impressions qu’il recevait ; voilà ces Lettres… » Il prévoit ensuite plusieurs reproches que beaucoup d’écrivains ne craindraient guère d’avoir mérités. « On reprochera peut-être à l’auteur d’avoir écrit avec un certain enthousiasme, avec sensibilité ; mais souvent il a écrit en présence même des objets, et il a le malheur de sentir. [Quel malheur ! ] On pourra encore accuser le style d’être quelquefois poétique. Comment donc décrire un tableau sans en faire un ? » Que répondre à tant de modestie ?

Les torts que des lecteurs sans partialité ont remarqués dans cet ouvrage ne sont pas précisément ceux dont l’auteur et ses amis conviennent avec une naïveté si facile ; mais ces torts seraient encore plus réels, qu’ils ne pourraient détruire l’intérêt qu’inspire la lecture de ces Lettres par une foule d’idées ingénieuses, d’observations fines et profondes, de sentiments délicats exprimés trop souvent sans doute avec recherche, mais quelquefois aussi avec l’originalité la plus énergique et la plus heureuse.

On est tenté de croire que, dans ses observations comme dans ses descriptions, l’auteur a souvent essayé de saisir la manière de Sterne, mais comme il a senti qu’il avait beaucoup moins de talent, il a voulu du moins avoir beaucoup plus d’esprit, et sous ce double rapport, il est tour à tour fort au-dessus et fort au-dessous de son modèle. Quelquefois il s’élève à la hauteur de Montesquieu, à la chaleur de Jean-Jacques, mais l’instant d’après il retombe dans une petite manière remplie d’affectation et de mauvais goût ; à force de chercher à donner aux moindres détails de l’effet et de l’éclat, il a fait perdre à l’ensemble de ses tableaux cette pureté de trait, cette unité de ton qu’il sait si bien apprécier lui-même dans les chefs-d’œuvre du génie et des arts. En jugeant presque tout ce qu’il voit d’après les meilleurs principes, comment a-t-il pu s’en éloigner à ce point dans la manière d’exprimer et son jugement et ses impressions ?

La vérité, qui nous paraît manquer souvent au style de M. Dupaty, ne manquerait-elle pas quelquefois aussi à ses observations ? Il prétend qu’un événement singulier plongea, il y a quelque temps, les galériens de Toulon dans le plus profond désespoir. « L’intendant de la marine, dit-il, reçoit l’ordre de séparer en trois classes les déserteurs, les contrebandiers et les criminels. Il semble que les déserteurs et les contrebandiers auraient dû bénir cette séparation ; leur désespoir fut extrême. Tous les galériens, en effet, ajoute-t-il, se voient du même œil ; car le malheur est comme la mort, il met de niveau tous les hommes… Réfléchissez sur ceci ; fouillez ces nouvelles profondeurs du cœur humain. » Avant de fouiller, avant de réfléchir, avant de croire, ne serait-il pas convenable de s’assurer plus exactement de la vérité du fait ? Des circonstances particulières peuvent sans doute rapprocher, dans le malheur, des hommes d’une espèce absolument différente ; mais est-il vrai que le malheur mette de niveau tous les hommes, le plus coupable comme celui qui l’est le moins ? C’est là, ce me semble, l’exagération d’une fausse pitié.

Lorsque, pour décrire le fameux Incendie del Borgo, par Raphaël, l’auteur commence par dire « Le feu prit hier pendant la nuit dans la place de Saint-Pierre, à côté du Vatican… Je m’en revenais chez moi, à la place d’Espagne, etc… » comment n’a-t-il pas senti que l’effet d’une pareille fiction, au lieu d’être un moyen de frapper l’attention, n’était propre qu’à la déjouer, et que, bien loin de porter l’admiration au comble, il ne donne à ses lecteurs que la plus sotte surprise du monde, quand il termine sa longue description en récit par cette magnifique exclamation : « Ah ! que ce tableau de Raphaël, que l’on voit au Vatican, est admirable !… » Voilà précisément ce qu’on appelle faire de l’imagination comme on fait de l’esprit.

Une des plus belles lettres du premier volume est sans contredit celle où l’auteur rend compte du gouvernement de la Toscane, et de la conversation qu’il eut l’honneur d’avoir avec S. A. R. Il rappelle plusieurs objections faites contre les principes et les effets de l’administration du grand-duc. Écoutez, dit-il, ma conversation sur ces objets avec une personne très-instruite ; et après les détails de cette intéressante discussion, il ajoute : « À qui ai-je fait ces objections ? qui les a ainsi résolues ? un écrivain ? un magistrat ? un particulier ? C’est le grand-duc, c’est lui qui a cette raison, cette simplicité, cette facilité… C’est le grand-duc qui m’a parlé pendant une heure debout dans un cabinet, où une simple table est un bureau, des planches de sapin sans couleur un secrétaire, un bougeoir de fer-blanc un flambeau ; car le grand-duc n’a d’autre luxe que le bonheur de son peuple… Et le grand-duc ne règne que sur la Toscane !… Il ne règne, dit-il dans un autre endroit, ni pour les nobles, ni pour les riches, ni pour les ministres, mais pour son peuple ; il est vraiment souverain.

« Enfin, je vois Rome… je vois ce théâtre où la nature humaine a été tout ce qu’elle pourra être, a fait tout ce qu’elle pourra faire, a déployé toutes les vertus, a étalé tous les vices, a enfanté les héros les plus sublimes et les monstres les plus exécrables, s’est élevée jusqu’à Brutus, a descendu jusqu’à Néron, est remontée jusqu’à Marc-Aurèle… Cet air que je respire à présent, c’est cet air que Cicéron a frappé de tant de mots éloquents, les Césars de tant de mots puissants et terribles, les papes de tant de mots enchantés, etc. »

Quoique la sensibilité de M. Dupaty nous paraisse quelquefois aussi maniérée que la tournure de son style, elle laisse échapper souvent des mots également profonds et vrais. « On prétend, dit-il en parlant du superbe hôpital des Incurables, à Gênes, on prétend que cet hôpital est plus mal administré que les autres ; c’est que les maux qui sont ici sont éternels, et que la pitié est inconstante. La pitié aime ce qui est nouveau ; tant le cœur humain est volage. »

Le portrait qu’il fait dans une autre lettre de Mme la comtesse d’Albany nous semble porter également le caractère de vérité le plus simple et le plus attachant : « S’il ne fallait que des cœurs pour remonter sur le trône de ses pères, elle y remonterait avant peu. Elle est la bonté même, mais cette bonté que la raison ne commande point, qui coule du cœur, qui a de la grâce, qui charme, qui se fait adorer, qui suppose tant de vertus et n’en paraît pas une. »

M. Dupaty dit beaucoup de mal du gouvernement et des mœurs de Naples ; voici une anecdote qui a paru trop singulière pour l’oublier. Un avocat de Naples a eu l’audace de dire, dans un mémoire imprimé : « Et ne sait-on pas que notre roi est un Polichinelle qui n’a pas de volonté ? » Ce mémoire n’a pas été attaqué.

On trouvera, je crois, le sentiment d’un goût sage et pur dans la description de plusieurs chefs-d’œuvre de peinture et de sculpture, tant anciens que modernes ; mais quelque mérite qu’il ait dans plusieurs de ces descriptions, est-ce au bel esprit français à refaire celles que nous a laissées l’abbé Winckelman ? Quel style approchera jamais de l’immortel burin de cet homme de génie ?



  1. Voir tome XIV, p. 365, une épigramme sur cet opéra lorsqu’il fut représenté à la cour.
  2. Par Sélis, professeur au Collège de France, connu par une traduction de Perse. Né à Paris en 1737, il y mourut en 1802. (Ch.)
  3. Joseph II, empereur d’Autriche.
  4. M. Vigée est le frère de la célèbre Mme Le Brun ; il est déjà connu lui-même par deux pièces agréables données avec quelque succès à ce même théâtre, et dont nous avons eu l’honneur de vous rendre compte dans le temps, les Aveux difficiles et la Fausse Coquette. (Meister.)