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Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier/9/1770/Juillet

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JUILLET.
1er juillet 1770.

La fête par laquelle la ville de Paris a voulu célébrer le mariage de monseigneur le dauphin a été, avant son exécution, un objet de raillerie publique, et est devenue ensuite un sujet de deuil pour les citoyens. Le prévôt des marchands, M. Bignon, assisté de ses échevins et conseillers de ville, a pris, à cette occasion, des mesures si bien combinées que la place destinée aux réjouissances a été transformée en champ de bataille jonché de morts, où, de fait, près de mille citoyens ont perdu la vie.

Cet événement sans exemple, et que la postérité aura de la peine à croire, se trouve pour les témoins oculaires l’événement du monde le plus simple : l’incurie la plus répréhensible, bien loin de remédier aux inconvénients du premier choix de l’emplacement, les a rendus funestes. Tout ce que les puissants génies des prévôts des marchands et échevins réunis ont pu inventer de plus récréatif pour célébrer un événement aussi auguste que l’hyménée de l’héritier présomptif du royaume, c’était de placer des boutiques entre les arbres du boulevard du nord de cette capitale, et d’y faire tenir la foire la plus triste, la plus insipide du monde, et qu’ils eurent grand soin de déclarer non franche dans leurs placards, de peur qu’on ne les soupçonnât de vouloir accorder aux marchands forains quelque exemption d’impôts passagère en faveur d’une solennité si importante. À cette occasion, ils firent éclairer le boulevard par de petites lanternes placées de distance en distance sous les arbres, et qui donnèrent à cette foire l’air le plus misérable et le plus pauvre. Ensuite ils résolurent d’anticiper sur le feu que la ville est en usage de faire tirer tous les ans la veille de la Saint-Jean sur la Grève, de le renforcer, et de le faire tirer le 30 mai sur la nouvelle place de Louis XV, dont la colonnade serait illuminée après le feu, ainsi que toutes les façades des maisons de la capitale en conséquence, ils firent construire une espèce de décoration, la plus étroite et la plus mesquine qu’il fût possible de voir. Au lieu de placer cette décoration et le feu, ou vis-à-vis le Pont-Tournant des Tuileries, ou en face de la rivière, où le plus grand nombre de citoyens possible aurait pu jouir de ce spectacle, on érigea, mais de guingois, la charpente et sa décoration en face de cette rue appelée Royale, qui conduit de la porte Saint-Honoré, où finit le boulevard, dans la place de Louis XV, et c’est pour les spectateurs placés dans cette enfilade étroite que le feu devait être tiré : ceux qui étaient sur la place même ne pouvaient le voir que par derrière ; les personnes de rang étaient placées dans les deux colonnades de la place, qui sont séparées dans leur milieu par cette rue Royale dont j’ai parlé. Remarquez que cette rue, nouvellement alignée, n’est pas encore achevée, qu’elle est beaucoup plus large du côté de la place qu’à l’autre bout, du côté de la porte Saint-Honoré, où il y a encore de vieilles maisons à abattre ; remarquez aussi qu’elle n’est pas encore pavée, et qu’il y avait des deux côtés plusieurs larges fossés, creusés apparemment pour l’écoulement des eaux, ou peut-être pour empêcher les voitures de passer ailleurs que sur le milieu de la rue, qui est pavée ; remarquez qu’il ne vint dans la tête d’aucun des grands ordonnateurs de cette fête de faire remplir ces fossés, mais que le lendemain du désastre on eut grand soin de les combler ; et vous ne serez plus étonné de ce qui est arrivé. Cependant, de tous ces arrangements si peu réfléchis, il ne serait vraisemblablement résulté aucun accident si l’on avait voulu s’occuper de la police des carrosses, et publier la veille, ou le jour même, la route par laquelle il serait permis aux carrosses d’arriver sur la place, et celle par laquelle ils seraient obligés de s’en retourner. Cette précaution fut absolument négligée. Le prévôt des marchands ne songea qu’à se maintenir dans son droit d’exercer la police dans toute l’enceinte de la place, et à empêcher le lieutenant-général d’y faire aucune fonction ; il ne pensa seulement pas à faire prier le gouverneur des Tuileries de laisser le Pont-Tournant ouvert, afin qu’une bonne partie du peuple pût défiler, à pied, après le feu, par le jardin des Tuileries. Ce pont fut fermé à l’heure ordinaire, de sorte que ce débouché nécessaire manqua absolument. Moyennant ces données, le désastre devint inévitable.

Malgré le plus beau temps du monde le feu ne réussit point, parce qu’au lieu de prendre aux pièces d’artifice, il prit à la charpente et causa un incendie ; on fut obligé de faire venir les pompes pour l’éteindre, et ces pompes ne purent arriver que par la rue Royale surcroît d’embarras. Il était aisé de prévoir qu’après le feu tiré, le peuple qui était sur le boulevard voudrait arriver par la rue Royale sur la place pour voir l’illumination des colonnades, et qu’au contraire le peuple de la place se mettrait à défiler par la même rue Royale pour se rendre au boulevard, et y jouir de cette belle foire dont j’ai parlé. Ces deux colonnes devaient nécessairement se rencontrer nez à nez, et le choc devenir aussi dangereux qu’inévitable. Comme la rue Royale a la forme d’un entonnoir, ceux qui se trouvèrent engagés dans le fond de cet entonnoir ne purent déboucher à cause de la colonne opposée qu’ils rencontrèrent, et furent de plus en plus pressés par la foule dont ils étaient suivis, et qui, par le côté large, s’engageait dans cette route fatale pour percer de la place au boulevard. Dans ce moment critique, les carrosses s’ébranlèrent et voulurent prendre le même chemin : il est fâcheux que dans ces occasions les personnes considérables croient de leur dignité d’aller à six ou huit chevaux, et surtout d’avoir l’air et le jeu de gens pressés. Dès que l’on vit ces carrosses engagés dans la rue Royale, le peuple, de peur de se trouver sous les chevaux, se jeta du milieu sur la droite et sur la gauche ; ceux qui y étaient déjà furent poussés par ce choc dans les fossés qu’ils ne soupçonnaient pas sous leurs pieds : alors culbutés les uns sur les autres, étouffés, écrasés, l’air ne retentit plus que des cris et des hurlements affreux des mourants. Un grand nombre de personnes de la première distinction qui avaient donné rendez-vous à leur carrosse à quelque distance de la place, et qui croyaient pouvoir le regagner à pied, se trouvèrent dans cette foule, et coururent le plus grand risque de perdre la vie. M. le maréchal de Biron, colonel des gardes-françaises, fut de ce nombre, et dut la vie à un sergent de son régiment. Quelques soldats et sergents de ce régiment rendirent les plus grands services dans cette funeste bagarre, et sauvèrent la vie à une infinité de personnes connues : malheureusement ils ne purent donner ces secours qu’en écrasant et étouffant ce qui se trouvait autour d’eux ; il n’y avait pas d’autre moyen de dégager ceux dont ils avaient entrepris le salut ; deux de ces infortunés, après avoir sauvé la vie à plusieurs personnes, périrent eux-mêmes misérablement dans la presse. Il est aisé de s’imaginer l’affliction et le deuil qui suivirent cette scène tragique toute la nuit fut employée à débarrasser le champ de mort des cadavres dont il était jonché, à les faire porter dans un cimetière proche de la place, et à les faire reconnaître dans ce lieu de désolation par leurs parents et leurs amis. Madame la dauphine, qui arrivait avec Mesdames de France par le chemin de Versailles pour voir l’illumination de la place, ayant appris le malheur qui venait d’arriver, rebroussa chemin ; et, deux jours après, elle envoya, ainsi que M. le dauphin, l’argent de son mois à M. de Sartine, pour le soulagement des malheureux qui avaient fait des pertes dans cette fatale nuit.

Le lendemain, on apprit que M. Bignon, après avoir vu le succès de sa belle fête, était revenu chez lui, en carrosse et en bonne santé, entre dix et onze heures du soir ; qu’à onze heures il avait été dans son lit suivant son usage, et qu’il avait reposé tranquillement et passé une fort bonne nuit. Le surlendemain, il eut l’attention de se trouver à l’Opéra, dans la loge de la ville, pour bien prouver au public qu’il n’était ni malade, ni affligé ; et il ne se trouva pas un patriote pour lui jeter une couronne civique à la tête, ob cives servatos : il y a même toute apparence que, pour reconnaître ses soins, il sera continué dans sa place pendant trois autres années. Le Parlement a pris connaissance de ce désastre ; mais tout ce qui résultera de cette enquête, c’est que les morts ont tort. On doit la justice à M. de Sartine qu’il a été infiniment touché de cette catastrophe, quoiqu’il n’eût pas dépendu de lui de la prévenir, les magistrats de la ville se trouvant seuls chargés des détails de la police relative à ces sortes de fêtes, et les magistrats supérieurs n’y concourant que lorsqu’ils sont requis.

Je suis entré dans quelques détails sur cette aventure inouïe en faveur de ceux qui pourraient avoir des fêtes publiques à ordonner si leur projet est de rendre ces fêtes à jamais mémorables par la perte de quelques milliers de citoyens, ils savent à présent qu’ils ne peuvent mieux s’adresser qu’à Jérôme Bignon, à la Bibliothèque du roi, rue Richelieu, qui leur en donnera le secret.

Tout ce que les belles-lettres ont gagné dans cette triste occasion, c’est une imitation du Petit Prophète de Boehmischbroda[1] et une chanson qui sont l’une et l’autre trop longues, mais qui renferment plusieurs détails tous conformes à la vérité. On y appelle M. Bignon le serviteur Jérôme, parce que c’est le nom de baptême adopté dans sa famille depuis le célèbre Jérôme Bignon, comme celui de Mathieu s’est perpétué dans la famille Molé.


PROPHÉTIE.

Et j’étais dans mon grenier, que j’appelle ma chambre, et une voix me disait : Fais un poëme sans paroles, car où il y a beaucoup de paroles, il y aura beaucoup de défauts.

Et je fis un poëme sans paroles, et je vis qu’il était bon ; et les sages se sont révoltés contre les paroles de mon poëme.

Et je dis : Quand la voix me l’ordonnerait, je ne ferais plus de poëme sans paroles, puisque les poëmes sans paroles offensent les sages ; car je ne veux point offenser les sages.

Et j’entendis la voix qui me disait : Réjouis-toi, car mon serviteur Jérôme aime la joie, et j’ai mis la gaieté au dedans de lui et le silence sur ses lèvres, et il fera de grandes choses.

Et tu iras les voir, et tu écriras ce que tu auras vu, et les hommes te liront, et ils béniront mon serviteur Jérôme et la gaieté qui est au dedans de lui.

Et je pris mes vêtements, et je couvris mon chef, et je cheminais au milieu du peuple qui était en grand nombre, et je vis qu’il avait sa joie au dedans pour se conformer au temps, et parce qu’il honorait le serviteur Jérôme.

Et je marchais au milieu d’une grande foule, et j’arrivai avec peine sur une grande place, et je vis qu’elle était petite ; et on l’avait rétrécie avec des planches, et c’était pour qu’elle contînt la multitude.

Et j’étais dans la multitude, et je me présentais pour être contenu ; et les soldats me poussèrent et me dirent : Réjouis-toi au dehors, car il n’y a que le serviteur Jérôme et les amis du serviteur Jérôme qui aient le droit de se réjouir en dedans.

Et je restai sur le pavé, et j’essayai d’être bien aise ; et je vis venir une grande quantité de chevaux et de chariots, et ils jetaient la terreur dans le peuple, et c’était une fête qu’on lui donnait afin qu’il fût content.

Et j’élevai les yeux, et je vis un bâtiment carré, et il était posé de côté dans la grande place, qui était petite.

Et il était de l’ordre corinthien, et cela est vrai, car le serviteur Suard l’a dit dans la gazette ; et il n’y avait d’ordre dans la fête que l’ordre corinthien.

Et le bâtiment avait quatre faces, elles regardaient les quatre parties du monde ; et sur une face on avait peint un fleuve et une rivière, et sur une autre face on avait peint une rivière et un fleuve, et les quatre faces étaient semblables.

Et je remarquai que, quoiqu’elles fussent semblables, elles étaient différentes ; car la face du serviteur Jérôme était resplendissante de lumière.

Et l’on tira du canon, et les oreilles du peuple furent frappées du bruit du canon que l’on tira.

Et le serviteur Jérôme dit : Que la lumière se fasse, et la lumière se fit ; et le serviteur Jérôme vit la lumière, et la fumée fut distribuée au peuple.

Et la lumière s’éteignit, et la fumée se dissipa, et le serviteur Jérôme, qui avait fait ces grandes choses, alla se coucher.

Et j’entendis la voix qui me parla, et elle me dit : J’ai envoyé coucher mon serviteur Jérôme ; mais son esprit veille au milieu de vous, et j’ai joint à son esprit quatre autres esprits aussi déliés que son esprit.

Et ils ont environné la ville de lumière, et leurs lumières conduiront la multitude dans les ténèbres de la mort.

Et il y en aura plusieurs dans la multitude qui ne verront point la lumière, et ils auront des yeux et ne verront point, et ils auront des pieds et ils ne marcheront point.

Et je voulus aller à la lumière avec la multitude, et j’entendis des plaintes et des gémissements, et je vis un grand nombre par terre, et un plus grand nombre qui le foulait aux pieds, et une infinité s’endormirent dans le Seigneur en poussant des hurlements épouvantables.

Et je fus saisi d’horreur, et je dis en mon cœur : Ce n’est pas une réjouissance, c’est un deuil public ; et quand la voix me l’ordonnerait encore, je ne pourrais ni voir ni écrire ces choses.

Et j’entendis qu’on s’en prenait au serviteur Jérôme, et je ne pouvais concevoir qu’on s’en prît à lui car la voix m’avait dit que le serviteur Jérôme était allé se coucher.

Et je retournai dans la place où j’avais essayé d’être bien aise, et je vis des ordres du serviteur Jérôme de se réjouir, et les larmes coulaient le long de mes joues.

Et je dis en moi-même : Je plains le serviteur Jérôme ; car il veut qu’on se réjouisse, et il me semble qu’ils viennent de faire tout le contraire.

Et je demeurai quelque temps immobile, et j’étais dans un grand étonnement ; et je voulus obéir à la voix, et j’allai une seconde fois chercher la lumière.

Et je cheminais à pas lents dans une longue allée d’arbres, et chaque arbre portait un petit pot de terre, et une lumière brûlait dans ce petit pot de terre.

Et je me disais Qu’est-ce donc qui empêche cette pompe funèbre d’avancer ?

Et la voix me dit : Ce n’est point une pompe funèbre ; c’est mon serviteur Jérôme qui a tout arrangé pour ton plaisir et pour le plaisir du peuple.

Et il a donné, à tous ceux qui l’ont voulu, la permission pour de l’argent d’apporter ici leurs marchandises.

Et tous les citoyens en peuvent prendre en payant, et tu peux aussi en prendre ce qu’il te plaira en payant ; car mon serviteur Jérôme est grand, et il aime la magnificence.

Et je regardai à gauche, et je vis une grande quantité d’hommes et de femmes, et ils étaient enfermés chacun dans une boîte, et ils bâillaient séparément, et ils n’eurent d’autre affaire ; et il me parut qu’ils avaient sommeil.

Et il était la troisième heure de la nuit, et le jour n’était pas loin, et je m’allai coucher, et je me disais en m’allant coucher : Oh ! combien le serviteur Jérôme est étonnant ! car il a donné une fête, et je ne l’aurais pas donnée comme cela[2].


CHANSON

Sur l’air de Monsieur le Prévôt des marchands.

On prétend que monsieur Bignon,
Magistrat plein d’attention,
Ne veut point qu’on tire à la Grève
Le feu de la Saint-Jean prochain ;
Il a trop peur qu’on ne s’y crève,
Vu les entraves du terrain.

Sa prudence a choisi, je crois,
La place de notre bon roi.
Chacun peut y voir sans obstacle,
Et défiler commodément ;
Là car ce serait un vrai miracle
S’il arrivait quelque accident.

Sartine en vain s’alarmera ;
Dieu sait comme on l’écoutera.
Quelle erreur de craindre la foule
Dans un si vaste emplacement !
L’honnêteté veut qu’on y roule
Carosse et fiacre librement.


Si quelques fossés font du tort,
Ce qu’on n’ose prévoir d’abord,
Français, je vous réponds d’avance
Que par un effort plus qu’humain
Tous les trous à fatale chance
Seront bouchés le lendemain.

Le successeur de Roquemont[3]
Sur son major doit faire fond ;
Mais ce beau major de parade,
Loin de veiller au bien commun,
Dans un coin de la colonnade
Ira jouer au vingt-et-un.

Gardez-vous bien, gens de Paris,
D’être étouffés, brisés, meurtris.
Sut-on jamais punir en France ?
Malheur aux pauvres trépassés !
Ils auront beau crier vengeance,
Eux seuls payeront les pots cassés.

Les spectacles donnés à la cour à l’occasion de ce mariage n’ont pas eu de suites aussi funestes que les fêtes de Paris ; mais ils ont en général peu réussi, et ont fait peu d’honneur aux ordonnateurs. Le feu d’artifice et l’illumination du parc de Versailles ont eu seuls beaucoup de succès. La nouvelle salle d’opéra, construite à Versailles sur les dessins de M. Gabriel, premier architecte du roi, a servi, pour la première fois, à ces fêtes. Cette salle est sans doute très-magnifique ; mais cette grande profusion d’ornements et de dorures est en elle-même un grand défaut ; on dira à l’architecte : Ne pouvant la faire belle, tu l’as faite riche. La beauté d’une salle de spectacle consiste dans la plus grande simplicité, dans la commodité et l’égalité des places, dans la facilité des communications, etc. Si vous élevez une colonnade circulaire au-dessus des premières loges, il est certain que vous bridez par ces colonnes les yeux d’une infinité de spectateurs qui ne pourront plus voir le théâtre ; si vous suspendez des lustres superbes entre chaque colonne, vous éclairerez bien la salle, mais l’illumination du théâtre s’en ressentira nécessairement et ne fera plus d’effet ; si vous prodiguez l’or et les dorures, ce sera encore aux dépens de la décoration théâtrale, que vous écraserez par les couleurs trop brillantes de la salle. Voilà les premières notions sur la décoration et l’illumination des théâtres. À cela on répond que la salle de Versailles ne doit pas seulement servir aux spectacles de la cour, mais aussi au festin ou souper royal, au bal paré, etc., dans ces occasions augustes et solennelles. Je dis que c’est une fausse vue que de vouloir adapter le même bâtiment à des usages si différents ; qu’un roi de France est assez riche pour avoir une salle de bal à part ; qu’en employant la salle d’opéra à cet usage, l’expérience a prouvé que ces ornements étaient beaucoup trop brillants, puisque la cour dans toute sa magnificence, les femmes malgré leur plus grande parure et tous les diamants du Brésil, avaient été effacées par l’éclat de la décoration.

Une autre bévue incompréhensible, c’est que dans cette salle magnifique il n’y a de la place que pour environ quatorze ou quinze cents personnes, et qu’à l’exception de l’amphithéâtre réservé à la famille royale et des premières loges, le reste des spectateurs paraît plutôt relégué dans des coins et dans des niches qu’admis au spectacle de son souverain. On a pratiqué aussi des niches grillées sous l’amphithéâtre et les premières loges ; et, pour leur ménager la vue du théâtre, on a enterré le parquet de façon que, lorsqu’on y est assis, on ne voit guère que la tête des acteurs. On dit, quant au nombre des places, que quatorze cents suffisent dans les jours ordinaires de comédie, et qu’il n’y a rien de si triste qu’une salle trop vaste et peu garnie de spectateurs. Je réponds qu’on ne doit pas jouer la tragédie et la comédie sur le théâtre de l’Opéra, parce qu’elle ne fait pas d’effet sur un si grand théâtre, comme l’expérience vient de le démontrer ; qu’il doit y avoir pour ces représentations un petit théâtre à part ; mais que ce petit théâtre ne doit pas être un trou de garde-robe, comme celui sur lequel on a joué la comédie à Versailles jusqu’à ce jour ; qu’il n’y a point de prince en Europe qui à ses Opéras ne place deux, trois et jusqu’à quatre mille spectateurs, et que l’architecte est inexcusable de n’avoir pas ménagé cette facilité au souverain d’un grand royaume lorsqu’il marie son petit-fils.

Quoi qu’il en soit de cette magnifique salle, M. le duc d’Aumont, premier gentilhomme de la chambre en exercice, y a fait représenter pendant les fêtes du mariage l’opéra de Persée, de Quinault et Lulli, à cause de sa nouveauté sans doute, et l’opéra de Castor et Pollux, de Bernard et Rameau. Mme la duchesse de Villeroy, fille de M. le duc d’Aumont, a présidé comme ordonnatrice à toutes les répétitions. L’opéra de Persée a magnifiquement ennuyé : toutes les machines ont manqué, comme il devait arriver sur un théâtre tout neuf ; le seul moment piquant du spectacle a été l’ouvrage du gros Persée ; Persée Le Gros s’est laissé choir aux pieds d’Andromède dans le moment décisif : cette chute a beaucoup fait rire madame la dauphine.

Indépendamment de ces opéras, on a représenté sur ce théâtre la tragédie d’Athalie, par Racine, et celle de Tancrède, par M. de Voltaire, et Mlle Clairon a joué dans les deux pièces. L’illustre Clairon aurait désiré que le roi lui fît dire qu’il verrait avec plaisir qu’elle remontât sur le théâtre, et ce mot aurait suffi pour la faire rentrer à la Comédie-Française ; mais Sa Majesté ne s’est pas prêtée à cette insinuation. Cependant il a été décidé par Mme la duchesse de Villeroy que le mariage d’un dauphin ne pouvait être célébré sans Mlle Clairon, qui a toujours conservé la passion de son métier, quoique un moment de dépit l’ait fait renoncer au théâtre de sa gloire. La passion ne donne pas toujours de bons conseils. Il fallait que l’illustre Clairon considérât qu’elle était dans l’âge où l’on n’acquiert plus ; que près de cinq ans de retraite pouvaient avoir influé sur sa figure et même sur son talent ; mais elle n’a fait aucune de ces réflexions, et a fait même une faute plus grave. Le rôle d’Athalie appartient de tout temps à Mlle Dumesnil ; ce n’est que dans l’absence de cette actrice que Mlle Clairon l’a quelquefois joué, mais rarement et toujours sans succès, parce que c’est un rôle passionné, et troublé et emporté, où l’art et le jeu raisonné sont mortels. Enlever ce rôle à une ancienne actrice dans une occasion solennelle, c’était un très mauvais procédé. Du moment qu’on sut cet arrangement à Paris, il ne fut plus possible à Mlle Dumesnil de se montrer sur le théâtre sans des transports d’applaudissements. Grâce à la protection de Mme la comtesse du Barry, les fêtes de la cour furent augmentées d’une représentation de la tragédie de Mérope ; Mlle Dumesnil y parut dans un habit donné par sa protectrice ; elle y eut le plus grand succès, et le roi lui fit dire après la pièce qu’il n’avait jamais été plus content d’elle. Avec ces dispositions, Mlle Clairon aurait joué le rôle d’Athalie comme une divinité qu’elle n’y aurait pas réussi, et l’on s’accorde à dire qu’elle y joua mal : aussi sa chute fut complète. Elle ne réussit pas mieux dans le rôle d’Aménaïde de la tragédie de Tancrède. Je me trouvai à ce spectacle, et je fus singulièrement surpris de la lenteur et de la monotonie qu’elle mit dans ce rôle, qui lui avait fait autrefois une réputation si brillante, et dont les actrices les plus médiocres se sont toujours tirées avec succès. C’est qu’à un certain âge on ne peut pas interrompre son métier cinq ans de suite sans porter à son talent un coup funeste. Un autre sujet d’étonnement pour moi, c’était de la voir infiniment mal habillée, elle que j’avais vue si profonde dans la recherche et dans l’art de se bien mettre au théâtre : sa robe était d’une couleur fausse, entre le brun et le jaune, et lui donnait l’air d’une petite vieille ratatinée ; on remarqua aussi qu’elle avait la bouche de travers, comme si elle venait d’avoir une attaque d’apoplexie. Ce mauvais succès et les dégoûts qui en sont inséparables nous auront privés pour toujours de l’occasion de revoir cette célèbre actrice sur la scène. Il a couru à ce sujet des vers détestables faits par quelque valet de coulisse ou quelque crocheteur. Je ne les transcris ici que pour vous prouver que cette pauvre Clairon a reçu le coup de pied de l’âne.


Athalie n’étant plus, la reine minaudière
Vient d’usurper les droits qu’elle avait tout entière :
Elle doit ses succès dans cet indigne emploi
Au merveilleux crédit d’un favori du roi.
Jacob sut autrefois avec un peu d’adresse
À son frère Ésaü subtiliser l’aînesse ;
Ce fut un tour de juif qu’on peut justifier,
Car ces messieurs sont tous fripons de leur métier ;
Mais au talent modeste une femme superbe,
Par de petits moyens, sous le pied couper l’herbe,
Supplanter Dumesnil, lui dérober son rang,
Jouer sans naturel et d’un ton impudent,
Prétendre faire grâce en montant sur la scène,
Connaît-on à ces traits une vertu romaine ?
Non, sous le coloris qui sert à la plâtrer,
On voit la jalousie ardente à murmurer.
L’actrice a beau jouer Agrippine, Athalie,
De nos plus beaux esprits emprunter le génie,

Au maintien compassé joindre le ton discret,
La reine est éclipsée et la Clairon paraît.


AUTRES VERS.
à la clairon publique.

Indécemment tu quittas Melpomène,
Et tu veux, Frétillon, remonter sur la scène ;
Par la brigue écarter les talents de la cour,
Et seule avoir l’honneur de paraître au grand jour ?
C’était assez de gloire, impudente héroïne,
Que d’avoir en débauche égalé Messaline.


Dans le temps qu’il y avait des moucheurs de chandelles au théâtre, ils faisaient des vers moins exécrables.

Mais ce qu’il y a eu de plus remarquable dans les spectacles de la cour, c’est la Tour enchantée, ballet figuré, mêlé de chant et de danse, représenté devant le roi le 20 juin dernier ; c’est la seule nouveauté qu’il y ait eu parmi ces spectacles. Mme la duchesse de Villeroy a entendu parler de ces magnifiques ballets donnés à la cour de Stuttgard par Noverre ; elle a voulu les imiter, et, pour en perfectionner le genre, elle a cru qu’il n’y avait rien de plus beau que d’y faire brailler de temps en temps quelque litanie de chant français. Elle a donc fait un centon d’airs de danse, coupés par des psalmodies, le tout arrangé par Dauvergne, le plus plat et le plus froid des compositeurs de France, ce qui veut beaucoup dire. M. Joliveau, qui se dit secrétaire perpétuel de l’Académie royale de musique, parce qu’il tient registre des loges louées à l’Opéra, a fait les paroles ; madame la duchesse y a été pour la partie du génie, c’est-à-dire de l’invention. Une princesse malheureuse se trouve enfermée dans une tour enchantée par des Génies malfaisants ; son amant détruit le charme et la délivre : voilà toute la dépense de madame la duchesse en génie. Après quoi on célèbre la délivrance de la princesse par des jeux et par un carrousel ; et comme madame le duchesse a ouï dire que, sur les théâtres étrangers, on voyait souvent des chevaux réels dans les pompes de triomphe ou autres spectacles, elle a aussi fait promener des chevaux attelés à des cabriolets sur le théâtre de Versailles. Cette Tour enchantée, parfaitement ridicule, a été sifflée d’un commun accord. C’était une petite machine en vert et blanc, de papier huilé, la plus mesquine possible ; on y voyait la princesse Sophie Arnould à travers une petite porte de gaze blanche ; elle se désolait, un mouchoir blanc à la main, et faisant des bras dans une espèce de char qui la balançait.

Elle avait l’air d’un avorton conservé dans un bocal d’esprit-de-vin, comme on les place dans les cabinets d’histoire naturelle. On fit cette remarque à Sophie Arnould après la pièce, et elle répondit que c’était tout simple, puisqu’elle était le fruit d’une fausse couche de Mme la duchesse de Villeroy. Au moment du désenchantement, on eut beau siffler, la tour de papier huilé ne voulut jamais s’écrouler ; les deux géants qui la gardaient tombèrent dans la trappe ; c’étaient deux soldats aux gardes, dont l’un fut grièvement blessé à cette occasion ; mais la tour ne voulut jamais disparaître, malgré les beaux bras de la princesse qui se balançait dans son char, derrière la porte de gaze, de la manière du monde la plus tragique ; pour achever de la délivrer, on fut obligé d’emporter le papier huilé par morceaux. Il serait difficile, comme je l’ai dit, d’imaginer un spectacle plus mesquin, plus absurde, plus ennuyeux et plus complètement ridicule que celui de la Tour enchantée. Il faut garder le petit livret qu’on a distribué sous ce titre comme un monument du goût de ceux qui président aux spectacles de la cour. L’avertissement de M. Joliveau ou de madame la duchesse qu’on lit à la tête est pour les idées et pour le style une des pièces les plus curieuses de l’année. Ma foi, si Louis XIV revenait pour un moment, il se trouverait un peu dérouté de voir que la cour de France, quand elle a un dauphin à marier, ne peut pas réussir à faire avec succès une singerie des spectacles du duc de Wurtemberg, et que les Quinault de notre siècle s’appellent Joliveau. Lorsque Colbert faisait accourir les étrangers de toutes les parties de l’Europe pour prendre part aux fêtes de la cour de Louis XIV, les spectacles qu’on donnait ne ressemblaient pas à une fausse couche, et les auteurs qu’on employait ne s’appelaient ni Dauvergne ni Joliveau.

— Il vient de paraître un nouvel ouvrage sur l’art important de la coiffure ; il a pour titre : le Coiffeur d’homme et de femme ; on peut l’avoir complet pour six francs, ou bien, suivant qu’on a la vocation et le goût de ne coiffer qu’un des deux sexes exclusivement, on peut se procurer, pour trois livres, la science de coiffer le sexe qu’on a choisi de préférence. Nous devons ce nouveau bienfait à M. de La Garde, jeune coiffeur, qui nous apprend en passant que mademoiselle sa sœur compose et vend une excellente pommade. Si Mlle de La Garde est jolie, je ne doute pas du succès et du débit de sa pommade. Je ne doute pas davantage du mérite de monsieur son frère ; mais il doit cependant une chandelle à la Providence de l’avoir délivré d’un dangereux rival : l’illustre M. Le Gros, si connu aux Quinze-Vingts et dans toute l’Europe par son Art de coiffer les dames, a perdu la vie dans la nuit fatale du 30 mai ; il a été trouvé étouffé, ainsi qu’un Martin, célèbre vernisseur et descendant de ce grand Martin qui a rendu son nom immortel par ses vernis. Cette nuit a donc été assez funeste aux arts, comme vous voyez. Andromaque Le Gros revint sur le champ de mort, vers les trois heures du matin, n’ayant pu rentrer chez elle ; on lui apprit le sort de son époux avec tous les ménagements possibles ; elle répondit, avec une présence d’esprit merveilleuse : « Voilà qui est fort bien, mais encore faut-il que je prenne mes clefs dans sa poche pour pouvoir rentrer chez moi. » À ces mots, on entendit l’ombre d’Hector Le Gros pousser un cri plaintif, et sa veuve éplorée alla se coucher, à l’exemple de M. Bignon.

— L’ouvrage lumineux et profond de M. l’abbé Galiani sur le commerce des blés a jeté l’alarme dans le camp des économistes ; leurs champions se sont armés de toutes pièces pour combattre le champion napolitain, et, comme ils n’ont pas cru pouvoir opposer à ses forces une digue de raisonnements assez puissante, ils se sont bornés à lâcher sur lui le torrent des injures. L’abbé Baudeau a engagé le combat par des Lettres d’un amateur à M. l’abbé G*** sur ses dialogues anti-économistes ; il se proposait d’en publier une tous les huit jours, et de faire mourir ainsi l’athlète napolitain à petit feu ; mais le public a jugé ces Lettres si mauvaises que l’auteur n’a jamais osé publier la troisième. Le grand rêveur de bien public, M. Mercier de La Rivière, a paru ensuite dans l’arène avec un volume in-12 de quatre cent dix-huit pages, intitulé l’Intérêt général de l’État, ou la Liberté du commerce des blés démontrée conforme au droit naturel, au droit public de la France, aux lois fondamentales du royaume, à l’intérêt commun du souverain et de ses sujets dans tous les temps ; avec la réfutation d’un nouveau système publié en forme de Dialogues sur le commerce des blés. Il ne manque à ce pauvre M. de La Rivière, dévoré du zèle du bien public, que l’entendement des choses qu’il prétend enseigner ; c’est un bonhomme qui accouche, en rêvant, d’un système de mots auxquels il trouve apocalyptiquement un sens suivi ; c’est un auteur à idées liées comme l’abbé Morellet, mais celui-ci n’a pas le mérite apocalyptique des économistes ; il fait des raisonnements, et dit des pauvretés en termes clairs ; aussi n’est-il pas dans le giron de l’église économistique, mais à la porte, ni dehors ni dedans, et ne jouissant pas de la considération que donne aux docteurs de la secte l’obscurité du style et des idées. Il a aussi fait un gros ouvrage contre le livre de l’abbé Galiani ; il l’a écrit avec une telle rapidité et une telle assiduité que la peau de son petit doigt, à force de se frotter contre son bureau, s’est entièrement usée ; il portait ainsi les stigmates de sa foi robuste dans les principes des économistes, sans avoir les honneurs de saint. Bien plus, il fit imprimer sa Réfutation à ses dépens ; il voulait la vendre à son profit, et lorsqu’il touchait au terme de ses espérances, d’en tirer autant d’argent que de gloire, M. le contrôleur général lui fit défendre de publier son livre, et lui fit dire qu’il le rendait responsable de tous les exemplaires qui paraîtraient. Voilà donc M. l’abbé Morellet riche d’une édition entière et de quinze cents livres de frais[4]. On a accusé le procédé du ministre de dureté ; mais il faut cependant être équitable, et dire qu’il est de la dernière impertinence d’écrire en enthousiaste sur la liberté illimitée de l’exportation au moment où presque toutes les provinces du royaume sont désolées par la disette. Ceux qui sont délicats en fait de procédés honnêtes ne trouvent pas l’abbé Morellet trop muleté de quinze cents livres pour avoir écrit contre l’abbé Galiani ; il a vécu avec ce charmant abbé dix ans ; il l’a nommé son ami ; il en a reçu des services d’amitié. Des personnes un peu difficiles prétendent que, s’il croyait devoir combattre publiquement les idées de son ami, il fallait commencer par lui communiquer sa Réfutation, et ne la pas publier sans son aveu ; cela supposait une Réfutation en tout sens, honnête et polie, telle que doit être la discussion entre honnêtes gens, et surtout entre amis. Il y a des gens qui prétendent que sa critique est plus amère que solide ; et moi je me garderai bien de juger ce procès, parce que je n’ai nulle envie de lire le bavardage délayé de l’abbé mulcté ; il a fait pour moi ses preuves de bon esprit et d’écrivain judicieux dans l’affaire de la Compagnie des Indes ; il m’a démontré qu’on pouvait être à la fois un grand raisonneur, un esprit bien absurde et un brouillon bien étourdi ; je le tiens quitte de toute nouvelle preuve.

Quant à Saint-Jean de La Rivière in aquis, remarquez, sur le titre de son Apocalypse, les mots dans tous les temps, et vous serez en état de vous former une idée de la sagesse de ces rêveurs-là ; ils ne se doutent pas seulement qu’une loi politique, bonne dans tous les temps, n’est précisément d’usage dans aucun temps, ni dans aucun lieu. Un troisième abbé, dit Roubaud, docteur de l’école absurde, ayant remarqué le grand succès de l’ouvrage de l’abbé Galiani, et l’ayant attribué à la gaieté qui y règne, a voulu faire le plaisant en le réfutant, et a cru que rien n’était si plaisant que de dire des injures à son adversaire. Il a intitulé sa réfutation : Récréations économiques, ou Lettres de l’auteur des Représentations aux magistrats, à M. le chevalier Zanobi, principal interlocuteur des Dialogues sur le commerce des blés. Ces Récréations forment une brochure in-8° de deux cent trente-sept pages, qui est restée aussi obscure que les autres faits d’armes des économistes.

Outre ces combats des moulins à vent contre le chevalier Zanobi, nous avons eu, en fait de fatras économique, plusieurs autres ouvrages, dont la lecture n’a pas encore guéri les plaies que l’agriculture reçoit journellement de la taille arbitraire et d’autres petits inconvénients encore subsistants ; je me bornerai à en indiquer deux. Le premier a pour titre : Traité politique et économique des communes, ou Observations sur l’agriculture, sur l’origine, la destination et l’état actuel des biens communs, et sur les moyens d’en tirer les secours les plus piquants et les plus durables pour les communautés qui les possèdent et pour l’État[5] : ces secours piquants forment un vol.  in-8°. L’autre brochure de deux cents pages, pareillement in-8°, est intitulée l’Ami du Prince et de la Patrie, ou le Bon Citoyen[6] ; c’est un recueil de dialogues entre un sage et un laboureur. L’histoire du sage est développée dans l’introduction, sous ce titre : le Bon Seigneur ; et dans l’avertissement, vous trouverez encore une autre anecdote intitulée le Paysan saxon. J’observerai ici, en passant, au bon citoyen et à l’homme aux secours piquants, et à tous les rêveurs de bien public, que le paysan du duché d’Altenbourg est laborieux, industrieux, entendu, économe, riche au point qu’il donne huit ou dix mille écus à sa fille, en la mariant au fils du laboureur, son voisin, sans que lui ni son voisin aient jamais entendu parler ni de M. le chevalier Zanobi, ni de M. le marquis de Mirabeau, ni des Éphémérides du citoyen, ni de l’Ordre essentiel de M. de La Rivière ; ce qui me fait croire que le bon gouvernement a plus d’influence sur l’agriculture que les bons bavards. J’ajoute que, pour m’instruire dans la science économique, j’aimerais mieux assister aux récréations des paysans du pays d’Altenbourg, lorsqu’ils jouent les dimanches aux quilles, que de lire les Récréations économiques de l’abbé Roubaud, et les découvertes de l’abbé Morellet. Cependant, comme je ne veux pas mourir dans l’impénitence finale, je m’engage d’abjurer et de croire à l’influence immédiate de nos rêveurs économiques sur le bonheur de la France le jour où j’aurai remarqué à nos paysans français l’assurance, le maintien des paysans d’Altenbourg, avec des habits aussi bien étoffés et des culottes aussi amples, et des filles aussi bien dotées que j’en ai vu dans ce pays-là.


15 juillet 1770.

M. de Saint-Lambert, ayant été élu par l’Académie française à la place du feu archidiacre abbé Trublet, a prononcé son discours de remerciement, le 23 du mois dernier, dans une séance publique de MM. les Quarante. Ce discours trace rapidement et légèrement l’histoire de la littérature française, depuis sa naissance jusqu’à nos jours. Il a été assez bien reçu du public à la séance de l’Académie ; depuis qu’il est imprimé, il est absolument tombé, et l’on en dit beaucoup de mal. J’avoue que cette rigueur me paraît injuste : si vous voulez un discours sublime, il ne l’est pas, mais il y en a eu de plus mauvais prononcés dans ces augustes assemblées ; d’ailleurs, on est convenu, de tout temps que quelques phrases ingénieuses en feraient l’affaire.

On reproche à M. de Saint-Lambert d’avoir tout loué et d’avoir trop loué ; mais c’est l’esprit de l’institut, il ne faut donc pas chicaner l’orateur. On lui a donné à la porte de l’Académie un encensoir, à condition qu’il en dirigerait les coups, non-seulement en arrière sur les fondateurs, mais encore en avant vers les principaux nez académiques. Le nouvel académicien a fait son service d’encensoir à merveille, et il n’y a point d’habitué de paroisse qui sache mieux lancer le sien vers le porteur du saint sacrement. Indépendamment de l’illustre président de Montesquieu et du grand patriarche de Ferney, qui ont des droits assurément incontestables à notre hommage et à la reconnaissance de tous les siècles, l’abbé de Condillac, M. Thomas, M. d’Alembert, ont eu leur portion d’éloges à part. Je ne sais par quelle fatalité M. de Saint-Lambert a oublié M. de Buffon, qui ne laisse pas d’être aussi un des Quarante ; et je suis tenté de faire comme cet officier gascon qui, en revenant du palais où il avait monté la garde pour une séance de Louis XIV au Parlement, s’arrêta sur le Pont-Neuf, devant la statue de Henri IV, et dit à sa troupe : Mes amis, saluons celui-ci, il en vaut bien un autre[7]. Si l’on reproche à M. de Buffon des systèmes insoutenables, on ne peut nier que, passion de système à part, il n’ait en général le coup d’œil très philosophique ; et l’élévation de ses idées, la noblesse et le coloris de son style, lui assurent sa place parmi les premiers écrivains de ce temps, qui commence à être stérile en grands hommes. Comment peut-on passer sous silence M. de Buffon, quand on a le courage de louer son pesant adversaire, l’abbé de Condillac ? Il est vrai que M. de Saint-Lambert nous promet de sa part un ouvrage sur l’éducation ; mais, pour savoir si cet ouvrage mérite notre admiration et notre reconnaissance, j’attendrai qu’il ait paru, et je lirai.

Si l’abbé Trublet pouvait lire tout le bien que M. de Saint-Lambert dit de lui comme littérateur, il arriverait exprès de Saint-Malo, par les coquetiers, pour remercier son généreux successeur. Je soupçonne M. de Saint-Lambert d’avoir le projet de voyager en Allemagne, et d’avoir su, par Maupertuis, avec quelle affection les maîtres de poste de ce pays-là servent ceux qui ont de la considération pour l’archidiacre Trublet. Lorsque Marmontel fut reçu à l’Académie, il alla voir le directeur pour lui lire son discours, et pour avoir communication de sa réponse, suivant l’usage. Ce directeur était M. Bignon, le même qui, en sa qualité de prévôt des marchands, a donné de si belles et de si heureuses fêtes au peuple de Paris, à l’occasion du mariage de M. le dauphin. Il dit à Marmontel : « Je sais bien que j’aurais dû parler de vous et de vos ouvrages avec éloge ; mais je n’en ai rien fait de peur de me faire des ennemis. » On peut se rappeler que Marmontel avait éprouvé les plus grandes difficultés pour entrer à l’Académie, à cause de cette fatale parodie de la scène de Cinna, adaptée à un conseil tenu sur le gouvernement de la Comédie-Française, entre M. le duc d’Aumont, M. d’Argental et Le Kain, parodie qui amusa le public pendant un mois, que Marmontel n’avait pas faite, et qui cependant lui resta[8]. Ce fut M. le prince Louis de Rohan, coadjuteur de Strasbourg, qui aplanit ces difficultés en forçant M. le duc d’Aumont de déclarer hautement qu’il désirait que Marmontel eût la place ; mais le prévoyant M. Bignon sentit, malgré cette déclaration, que l’éloge de Marmontel ne ferait pas un plaisir infini à ses ennemis, et eut la faiblesse de le supprimer, et l’impudence d’en dire la raison à Marmontel, qui la trouva très-bonne. C’est ce même M. Bignon, commandeur des ordres du roi, à qui le comte d’Argenson, alors ministre, dit, lorsqu’il obtint la place de bibliothécaire du roi, qui est presque devenue héréditaire dans sa famille : Mon cousin, voilà une belle occasion d’apprendre à lire. Au reste, il n’a pas donné le seul exemple d’une suppression totale d’éloges, et M. de Saint-Lambert aurait trouvé, dans les fastes de l’Académie, plus d’autorités qu’il ne lui en fallait, sinon pour supprimer, du moins pour raccourcir le panégyrique de l’archidiacre.

Il a fini son discours par une apologie faible, mais franche, des lettres et de la philosophie contre les reproches d’irréligion et autres imputations à la mode. On a appelé point d’orgue ou cadenza la sortie formelle et régulière que les évêques et tous les prédicateurs font depuis quelque temps contre les philosophes, et qui est devenue l’essence de tous les sermons qui se prêchent en France. Je vois que les philosophes commencent aussi à avoir leur point d’orgue, et qu’il n’y aura plus de discours de prononcé à l’Académie sans réclamation contre le point d’orgue des prêtres, et sans apologie de la liberté de penser. Il faudra voir lesquels de ces chanteurs à ramage si différent sauront tenir leur haleine le plus longtemps, et varier assez leur ton pour ne pas ennuyer leurs auditeurs. Je crains pour le point d’orgue des prêtres ; il me semble que leur goût de chant vieillit de jour en jour ; et ce qu’il y a de pis, c’est que la plupart d’entre eux, tout en s’égosillant, ont eux-mêmes l’air prévenu contre la bonté de leur méthode.

M. l’ancien évêque de Limoges, précepteur des Enfants de France, a répondu au discours de M. de Saint-Lambert, en sa qualité de directeur de l’Académie. Ce prélat passe pour un homme respectable par ses mœurs et sa candeur ; mais ce n’est pas par la plume qu’il ressemble au cygne de Cambrai, à cet illustre Fénelon, dont la place auprès de l’héritier présomptif du trône a plus illustré l’élève que le précepteur. Le cygne de Limoges, placé auprès de l’héritier actuel en la même qualité, n’a pu se dispenser de parler du mariage de son élève et de l’union des augustes maisons de France et d’Autriche ; mais tout ce qu’il a dit est d’une extrême platitude. Comment ne parle-t-on pas avec élévation d’un événement sur lequel repose le bonheur de la génération future d’un grand royaume ? Comment n’est-on pas éloquent, quand on a le cœur pénétré ? Comment n’est-on pas pénétré, quand on a à parler de l’héritier du trône, et que cet héritier est votre élève ? Quand M. l’évêque de Limoges quitte la cour et revient à l’Académie, il est plus passable. Il loue l’abbé Trublet, comme un évêque doit louer un archidiacre. Le meilleur trait de son discours a été relevé ; il dit, en parlant de Fontenelle : Cet homme célèbre qui, ayant vécu près d’un siècle, en a illustré deux.

Après les deux discours, M. le duc de Nivernois a lu quelques fables de sa composition, qui ont reçu, comme de coutume, de grands applaudissements. La plupart de ces fables sont ingénieuses.

M. de Saint-Lambert a lu ensuite le second chant d’un poëme sur le Génie qu’il a depuis vingt ans dans son portefeuille, et qui n’est pas achevé ; je le croyais même entièrement abandonné. Si cela est, cette lecture ne lui donnera pas le courage de le reprendre ; le public l’a accueillie très froidement.

Quelques jours après sa réception, M. de Saint-Lambert a fait paraître une brochure intitulée les Deux Amis, conte iroquois.

Vous aimerez certainement la chanson d’Érimé : Ils partent, les deux amis ; mais il n’en fallait faire qu’une dans tout le conte, ou ne pas faire les autres sur le même moule. On ne saurait être trop court quand on conte, et l’on doit se souvenir de la leçon de Mme Geoffrin. M. le comte de Coigny, étant un jour à dîner chez elle, faisait des contes qui ne finissaient point ; on apporta un aloyau, et il tira, pour en servir, un petit couteau de sa poche, tout en continuant ses contes. Mme Geoffrin, impatientée, lui dit : « Monsieur le comte, il faut avoir de grands couteaux et de petits contes. »

S’il faut à M. de Saint-Lambert une leçon plus énergique, qu’il se rappelle celle du chevalier de Courten qui, excédé par un éternel conteur de ses bonnes fortunes, l’interrompit et lui dit en colère : « Monsieur, avez-vous connu feu l’abbé de la Trappe ? Oui ? Eh bien, je l’ai f… Voilà, monsieur, comme il faut conter. »


LETTRE DE M. DE VOLTAIRE À MADAME NECKER.

Vous qui chez la belle Hypathie,
Tous les vendredis raisonnez
De vertu, de philosophie,
Et tant d’exemples en donnez,
Vous saurez que dans ma retraite
Est venu Phidias Pigal
Pour dessiner l’original
De mon vieux et mince squelette.
Chacun rit vers le mont Jura
En voyant ces honneurs insignes ;
Mais la France entière dira
Combien vous seuls en étiez dignes.

« Quand les gens de mon village ont vu Pigalle déployer quelques instruments de son art : Tiens, tiens, disaient-ils, on va le disséquer, cela sera drôle. C’est ainsi, madame, vous le savez, que tout spectacle amuse les hommes ; on va également aux Marionnettes, au feu de la Saint-Jean, à l’Opéra-Comique, à la grand’messe, à un enterrement. Ma statue fera sourire quelques philosophes, et renfrognera les sourcils réprouvés de quelque coquin d’hypocrite ou de quelque polisson de folliculaire : vanité des vanités !

« Mais tout n’est pas vanité ; ma tendre reconnaissance pour vos services, et surtout pour vous, madame, n’est pas vanité.

« Mille tendres obéissances à M. Necker. »

Phidias Pigalle a fait son voyage à Ferney, et en est revenu après y avoir passé huit jours. La veille de son départ, il ne tenait encore rien, et son parti était pris de renoncer à l’entreprise, et de revenir déclarer qu’il n’en pouvait venir à bout. Le patriarche lui accordait bien tous les jours une séance ; mais il était pendant ce temps-là comme un enfant, ne pouvant se tenir tranquille un instant. La plupart du temps il avait son secrétaire à côté de lui pour dicter des lettres pendant qu’on le modelait, et, suivant un tic qui lui est familier en dictant des lettres, il soufflait des pois ou faisait d’autres grimaces mortelles pour le statuaire. Celui-ci s’en désespéra, et ne vit plus pour lui d’autre ressource que de s’en retourner ou de tomber malade à Ferney d’une fièvre chaude. Enfin, le dernier jour, la conversation se mit, pour le bonheur de l’entreprise, sur le veau d’or d’Aaron ; le patriarche fut si content que Pigalle lui demandât au moins six mois pour mettre une pareille machine en fonte que l’artiste fit de lui, le reste de la séance, tout ce qu’il voulut, et parvint heureusement à faire son modèle comme il avait désiré. Il eut une si grande peur de gâter ce qu’il tenait dans une seconde séance qu’il en fit faire le moule aussitôt par son mouleur, et qu’il partit le lendemain de grand matin et clandestinement de Ferney sans voir personne. J’ai vu le plâtre de Pigalle ; il est fort beau et très-ressemblant ; et cependant il ne ressemble point du tout aux petites figures de l’ouvrier de Saint-Claude, qui ressemblent si bien à l’original. C’est que l’ouvrier de Saint-Claude lui a laissé le caractère malin et satirique qu’il a assez souvent. Dans ces petits portraits, le patriarche a aussi la tête penchée de haut en bas sur la poitrine, et par conséquent le regard un peu en dessous. Pigalle lui a fait la tête droite ; dans la statue elle sera même relevée, et le regard dirigé en haut. D’ailleurs, le plâtre de Pigalle est simple, calme, d’un beau caractère ; seulement je trouve qu’il a le regard un peu mélancolique, et comme s’il était travaillé par le spleen, et ce n’est pas assurément la maladie qui mettra le grand patriarche au tombeau. Au reste, Phidias Pigalle nous a apporté les nouvelles les plus satisfaisantes sur sa santé. Il m’a assuré qu’il montait les escaliers plus vite que tous les souscripteurs ensemble, et qu’il était plus alerte à fermer une porte, à ouvrir une fenêtre, à faire la pirouette, que tout ce qui était autour de lui. J’ai gardé à Phidias Pigalle le secret de toutes ses nouvelles ; je savais bien qu’elles seraient prises en mauvaise part à Ferney ; mais il faut que quelque maladroit ait fait compliment au patriarche sur son embonpoint, car voici la lettre que je viens d’en recevoir :


« De Ferney, le 10 juillet 1770.

« Mon cher prophète, M. Pigalle, quoique le meilleur homme du monde, me calomnie étrangement ; il va disant que je me porte bien, et que je suis gras comme un moine. Je m’efforçais d’être gai devant lui, et d’enfler les muscles buccinateurs pour lui faire ma cour.

« Jean-Jacques est plus enflé que moi, mais c’est d’amour-propre. Il a eu soin qu’on mît dans plusieurs gazettes qu’il a souscrit pour cette statue deux louis d’or. Mes parents et mes amis prétendent qu’on ne doit point accepter son offrande.

« Je vous prie de me dire si vous avez lu le Système de la nature, et si on le trouve à Paris. Il y a des chapitres qui me paraissent bien faits, d’autres qui me semblent bien longs, et quelques-uns que je ne crois pas assez méthodiques. Si l’ouvrage eût été plus serré, il aurait fait un effet terrible ; mais, tel qu’il est, il en a fait beaucoup. Il est bien plus éloquent que Spinosa ; mais Spinosa a un grand avantage sur lui, c’est qu’il admet une intelligence dans la nature, à l’exemple de toute l’antiquité, et que notre homme suppose que l’intelligence est un effet du mouvement et des combinaisons de la matière, ce qui n’est pas trop compréhensible. J’ai une grande curiosité de savoir ce qu’on en pense à Paris ; vous qui êtes prophète, vous en pourrez dire des nouvelles mieux que personne.

« Ne m’oubliez pas auprès de ma philosophe[9] et de vos amis. »


— J.-J. Rousseau, dont la souscription n’a pas fait au patriarche tout le plaisir imaginable, est à Paris depuis environ un mois avec sa gouvernante, Mlle Le Vasseur, dont il a enfin fait sa femme. Il a quitté la casaque arménienne et repris l’habit français. On a fait à cette occasion un conte impertinent qui calomnie la vertu de Mme Jean-Jacques, et encore plus le goût de celui qui aurait péché avec elle. On prétend que son mari, l’ayant surprise in flagrante avec un moine, quitta l’habit arménien sur-le-champ, disant qu’il avait voulu se distinguer jusqu’à présent à l’extérieur des autres, ne se croyant pas un homme ordinaire ; mais qu’il voyait bien qu’il s’était trompé, et qu’il était dans la classe commune. Je crois que l’espérance de revenir à Paris a eu plus de part à ce changement d’habit que les fredaines de Mme Rousseau. On n’aurait jamais obtenu la permission de reparaître ici pour l’Arménien, mais on a déterminé M. le procureur général à laisser Jean-Jacques en habit français à Paris. La seule condition que ce magistrat ait exigée, c’est de ne plus écrire, ou du moins de ne rien faire imprimer. Le retour de cet homme singulier dans une ville où il a passé la plus grande partie de sa vie, et qui seule lui convient dans l’univers, a fourni pendant quelques jours un sujet de conversation à Paris. Il s’est montré plusieurs fois au café de la Régence, sur la place du Palais-Royal ; sa présence y a attiré une foule prodigieuse, et la populace s’est même attroupée sur la place pour le voir passer. On demandait à la moitié de cette populace ce qu’elle faisait là ; elle répondait que c’était pour voir Jean-Jacques. On lui demandait ce que c’était que Jean-Jacques ; elle répondait qu’elle n’en savait rien, mais qu’il allait passer. On fit cesser cette représentation en exhortant M. Rousseau à ne plus paraître ni à ce café, ni dans aucun autre lieu public ; et, depuis ce temps-là, il s’est tenu plus retiré. En effet, il suffirait d’une mauvaise tête parmi nos seigneurs les conseillers des enquêtes et requêtes pour le dénoncer, et obliger le procureur général de poursuivre le décret de prise de corps qui subsiste toujours, ce qui forcerait le pauvre Jean-Jacques à s’éloigner de nouveau ; mais, en évitant la trop grande publicité, il ne sera pas dans ce cas-là. Il va d’ailleurs beaucoup dans le monde, chez les belles dames : il a déposé sa peau d’ours avec l’habit arménien, et il est redevenu galant et doucereux. Il va souper aussi chez Sophie Arnould, avec l’élite des petits-maîtres et des talons-rouges, et il paraît que c’est Rulhière qu’il a choisi pour conducteur. Quant au métier, ayant renoncé à celui des lettres jusqu’à nouvel ordre, il a repris la profession de copiste de musique ; il convient qu’il a été mauvais copiste autrefois, parce que, dit-il, il avait alors la manie de composer des livres ; mais actuellement qu’il est revenu dans son bon sens, il prétend n’avoir pas son pareil ; il lui faut, dit-il encore, gagner quinze cents livres par an avec ses copies pour être à son aise. Il a reçu chez lui la visite de plusieurs curieux. De ce nombre est M. le prince de Ligne, des Pays-Bas, qui passe pour avoir de l’esprit et pour être aimable[10]. Quelques jours après sa visite, il écrivit à M. Rousseau la lettre que vous allez lire, mais qui n’a pas eu de succès à Paris, parce qu’on n’y a pas trouvé assez de naturel, et que la prétention à l’esprit est une maladie dont on ne relève pas en ce pays.

« Je suis, monsieur, celui qui a été vous voir l’autre jour. Je n’y retourne pas, quoique je m’en meure d’envie ; mais vous n’aimez ni les empressés ni les empressements.

« Pensez à ce que je vous ai proposé. On ne sait pas lire dans mon pays ; vous ne serez ni admiré ni persécuté.

« Vous aurez la clef de mes livres et de mes jardins. Vous m’y verrez ou vous ne m’y verrez pas. Vous y aurez une très-petite maison de campagne à vous seul, à un quart de lieue de la mienne. Vous y planterez, vous y sèmerez, vous en ferez tout ce que vous voudrez.

« Jean-Baptiste[11] et son esprit sont venus mourir en Flandre ; mais il ne faisait que des vers ; que Jean-Jacques et son génie viennent y vivre. Que ce soit chez moi, ou plutôt chez lui, que vous continuiez vitam impendere vero[12]. Si vous voulez encore plus de liberté, j’ai un très-petit coin de terre qui ne dépend de personne ; mais le ciel y est beau, l’air y est pur, et ce n’est qu’à quatre-vingts lieues d’ici. Je n’y ai point d’archevêque ni de parlement, mais j’y ai les meilleurs moutons du monde.

« J’ai des mouches à miel à l’autre habitation que je vous offre. Si vous les aimez, je les y laisserai ; si vous ne les aimez pas, je les transporterai ailleurs : leur république vous traitera mieux que celle de Genève à qui vous avez fait tant d’honneur, et à qui vous auriez fait du bien.

« Comme vous, je n’aime ni les trônes ni les dominations : vous ne régnerez sur personne, mais personne ne régnera sur vous. Si vous acceptez mes offres, monsieur, j’irai vous chercher et vous conduire moi-même au Temple de la Vertu : ce sera le nom de votre demeure, mais nous ne l’appellerons pas comme cela : j’épargnerai à votre modestie tous les triomphes que vous méritez.

« Si tout cela ne vous convient pas, prenez, monsieur, que je n’ai rien dit. Je ne vous verrai pas, mais je continuerai à vous lire et à vous admirer sans vous le dire. »

M. d’Arnaud vient de nous gratifier d’une Anne Bell, histoire anglaise, ornée d’une estampe et de deux vignettes. J’ai fait vœu, pour bonnes raisons, de ne plus lire aucun des petits romans de M. Baculard d’Arnaud ; je ne saurais renoncer à mon vœu pour les beaux yeux de miss Bell, dont ceux qui ont fait connaissance avec elle se sont permis de dire beaucoup de mal.

L’École du monde, à l’usage des jeunes gens de l’un et l’autre sexe, deux parties faisant trois cent cinquante-huit pages[13]. Je ne sais quel est ce maître d’école qui tient classe pour le monde entier des deux sexes. Il apprend à l’un d’obéir à Dieu et au roi ; à l’autre d’être riche, non en écus, mais en vertus, et il vous donne toute sa science pour les deux tiers d’un petit écu.

Les Deux Frères, histoire morales[14] ; brochure de cent trente et quelques pages. C’est de la chevalerie avec une préface en vers, où le sombre Baculard et les anglomanes sont fort maltraités. Nos petits auteurs se partagent aujourd’hui en deux brigades ; l’une tient pour l’horreur, l’autre pour la gaieté ; elles réussissent à peu près également dans leurs entreprises : la brigade sombre fait souvent rire, et la brigade gaie fait souvent bâiller.

Lettres variées de mademoiselle de Saint-Filts à madame de Rochel, par madame de M***, deux parties in-12. Je ne connais pas ce nouvel auteur femelle, qui s’est mis en tête d’imiter Mme Riccoboni. Ah ! oui, je t’imite !

— Le succès étonnant de la Lettre à madame la comtesse Tation[15] n’a pas manqué d’exciter une noble émulation entre les faiseurs de pointes, et l’un de ces hommes de génie a publié une Réponse de madame la Comtesse Tation à la Lettre du sieur de Bois-Flotté, étudiant en droit-fil. Laissons là ces platitudes détestables, en rougissant de l’attention que le public a daigné y faire pendant quelque temps. Mais il est écrit que je ne me tirerai jamais des charades. Ne voilà-t-il pas M. le chevalier de Boufflers qui s’avise d’en faire une en prose ? On ne peut supprimer ce que fait M. le chevalier de Boufflers, parce que ses folies aimables ont un caractère original et distingué. Transcrivons donc la charade de M. le chevalier de Boufflers.


LOGOGRIPHE EN FORME DE CHARADE
Adressé a une jolie femme.

« Vous avez, madame, la première partie ; j’ai la seconde.

« Si vous n’aviez pas la première, je n’aurais pas la seconde.

« Si vous saviez à quel point j’ai la seconde, vous m’accorderiez le tout.

« Si vous m’accordiez le tout, vous ne pourriez me refuser la première partie.

« Si j’avais la première je ne cesserais d’avoir la seconde, et je n’aurais plus rien à désirer.

« Je dois vous dire, pour que vous entendiez mon logogriphe, que la seconde partie est sûrement plus grande en moi que la première ne l’est en vous, et que parmi les personnes plus intimement liées entre elles que je n’ai le bonheur de l’être avec vous, la seconde partie diminue à mesure que la première augmente. Il faut aussi que vous sachiez qu’on ne sent pas communément la seconde partie quand la première n’a pas lieu. Il faut cependant excepter un petit nombre de personnes dont l’attachement est si fort au-dessus du préjugé que, quoique ennemis jurés de cette première partie, vous pourriez faire naître en eux la seconde, pour peu que vous voulussiez vous y prêter, quand même vous n’auriez pas la première. C’est un mérite bien rare parmi les personnes qui possèdent cette première partie.

« Vous serez peut-être fâchée contre moi, madame, si vous devinez le mot de mon logogriphe : cette première partie, qui fait toute mon ambition, le rend bien facile ; mais j’espère que votre colère n’aura plus lieu lorsque vous voudrez bien vous rappeler que mon respect et mon tendre attachement méritent quelque compassion. »

Et moi, après avoir transcrit cette charade monstrueuse et m’être rendu complice du crime de l’auteur, qu’ai-je à espérer ? et que deviendrais-je si ces feuilles tombaient entre les mains de quelques dames, et qu’elles entrevissent seulement le mot de la charade ? Aurais-je bonne grâce à rejeter ma faute irréparable sur mon étourderie, et serais-je sûr du pardon dont mon complice d’auteur se passe ? Je regarde ma faute comme irréparable, parce qu’enfin quod scripsi, scripsi, ce que j’ai écrit est écrit, comme disait cet autre, et je suis obligé de convenir avec lui que ce que j’ai transcrit est transcrit. À quoi sert un repentir qui ne remédie à rien ? il ne saurait affaiblir l’effet de mon imprudence. Le meilleur parti que je puisse prendre dans cette extrémité, c’est de m’en remettre à la clémence des dames, supposé que cette charade tombe entre leurs mains par ma faute, et de les supplier de vouloir bien ne pas deviner le mot de cette monstruosité : or, pour m’accorder ma prière, il est essentiel de ne pas faire attention au dernier mot de la charade, car ce dernier mot pourrait bien être le mot de la charade, malgré les difficultés de quelques grammairiens rigides sur je ne sais quel changement de lettre, de sorte que mon salut dépend après tout d’une légère inattention à laquelle j’ose m’attendre de la part de toute dame généreuse.

Au reste, comme il n’est permis en aucun cas de négliger la juste défense de soi-même, je dirai pour ma justification que c’est une loi généralement reconnue à Paris qu’on peut tout dire et tout lire en présence des dames, pourvu qu’on avertisse d’avance, afin que chacun puisse prendre ses précautions et avoir du moins le mérite du consentement. Il est même reçu dans la bonne compagnie que l’expédient de gazer les choses libres est presque toujours de mauvais goût et dénote souvent dans l’orateur et dans l’auditeur une plus grande corruption que l’emploi du terme propre, et il me paraît hors de doute que le chevalier de Boufflers a moins besoin d’indulgence pour le mot de sa charade que pour la manière dont il l’a paraphrasée. S’il faut citer des exemples à l’appui de ces principes, je me souviens qu’un abbé gascon, fort à la mode, voulant faire un conte dans un cercle où il y avait beaucoup de grandes dames et ayant prévenu qu’il ne lui était pas possible de faire son conte sans y employer des termes excessivement libres, mais indispensables, il fut décidé par les dames à la pluralité des voix que l’abbé tournerait le dos à la compagnie, et s’adresserait à la tapisserie à laquelle il ferait son conte à haute et intelligible voix sans rien retrancher ni retenir. Il est vrai qu’il se sauva immédiatement après son conte, de peur d’être jeté par les fenêtres, et qu’il laissa l’assemblée dans un grand étonnement ; mais j’ai vu d’autres pieux prélats faire avec succès des contes assez croustilleux en présence de dames très-respectables. Sur la fin de la dernière guerre, lorsque la mode de donner des vaisseaux au roi avait gagné bon gré malgré tous les ordres de l’État, M. Pâris de Montmartel en offrit un, ou plutôt les fonds nécessaires à la construction, car il n’était question que d’argent dans cette marine créée sur le pavé de Paris, et l’on disait que le gouvernement, pour faire honneur à M. de Montmartel, avait ordonné de nommer son vaisseau le Citoyen. Le lendemain un mauvais plaisant, prêtre aussi, conte que le corps des demoiselles de l’Opéra s’était aussi assemblé et avait unanimement résolu de donner un vaisseau au roi et que ce vaisseau serait appelé le Concitoyen. Ce conte eut un succès étonnant et fut répété devant ce qu’il y avait de plus respectable en hommes et en femmes à la cour et à la ville. Mais je conviens que le succès des prêtres ne prouve rien en faveur des laïques, qui ne doivent en aucun cas usurper les privilèges de l’Église ni porter la main à l’encensoir. Si le chevalier de Boufflers était encore abbé, et qu’il eût composé sa charade au séminaire, il n’y aurait rien à lui dire.

Lorsqu’il fut au séminaire de Saint-Sulpice pour se préparer à l’épiscopat, auquel il renonça ensuite pour la croix de Malte, il fit, outre le conte charmant que tout le monde connaît, le rébus suivant, qui est bon à conserver :

L. n. n. e. o. p. y. l. i. a. t. t. l. i. a. m. e. l. i. a. e. t. m. e. l. i. a. r. i. t. l. i. a. v. q. l. i. e. d. c. d. a. c. a. g. a. c. k. c.

Il prétendait qu’en prononçant ces lettres de suite, comme il les avait écrites, elles donnaient distinctement ces mots :

« Hélène est née au pays grec ; elle y a tété ; elle y a aimé ; elle y a été aimée ; elle y a hérité ; elle y a vécu ; elle y est décédée, assez âgée, assez cassée. »

Je dis que cette facétie est bonne à conserver, parce qu’elle peut prouver une chose dont l’auteur ne se doutait point, la surdité et la cacophonie inhérentes à la langue française. Je défie qu’on fasse une pareille plaisanterie en italien ; aussi est-il bien plus difficile d’être harmonieux, élégant, gracieux, en un mot écrivain séduisant, en français que dans aucune autre langue, et l’Hélène de M. le chevalier de Boufflers peut nous apprendre le cas qu’il faut faire d’un Voltaire.

Il faut épuiser le portefeuille du chevalier, puisque nous y sommes. Ayant trouvé, il y a quelque temps, à sa toilette, une vieille fille (Mme de Bagarotti, Italienne) occupée à se rafraîchir le teint avec des blancs d’œufs frais, il fit les couplets suivants :


CHANSON IMPROMPTU.

Air : Ô ma tendre musette.

Gens de Paris, vous êtes
Sans esprit, sans attraits :
Jamais sur vos toilettes
Vous n’avez mis d’œufs frais.
Voyez mademoiselle,
Qui ne manqua jamais

D’ôter, pour être belle,
La vie à six poulets.

Tous les jours ses gros charmes
Sont armés d’un couteau ;
Le poulailler en larmes
La prend pour son bourreau ;
La fille d’un air ferme
Met les œufs en éclats :
Elle y trouve le germe
De cent nouveaux appas.

D’une action si dure
La poule en vain se plaint ;
En vain le coq murmure
Du besoin de son teint.
Plus fraîche que l’aurore,
La vierge s’embellit ;
La poule gronde encore,
Mais le coq applaudit.

M. Després, architecte et professeur de dessin à l’École militaire, ayant dédié au patriarche le Projet d’un temple funéraire destiné à honorer les cendres des rois et des grands hommes, ouvrage couronné en 1766 par l’Académie royale d’architecture, le patriarche a répondu à l’hommage de M. Després par la lettre que vous allez lire.


« De Ferney, le 6 juillet 1770.

« Si je n’avais point essuyé, monsieur, un violent accès d’une maladie à laquelle ma vieillesse est sujette, je vous aurais assurément remercié plus tôt de l’honneur que vous me faites. M. Pigalle était prêt à partir de ma petite retraite lorsque votre beau présent arriva. Ce grand artiste lui donna l’approbation la plus complète. M. Hennin, résident de France à Genève, un des meilleurs connaisseurs que nous ayons, en fut enchanté ; et moi, j’eus la vanité de vouloir être enterré au plus vite dans ce beau monument. Je me flatte pourtant que vous vous occuperez plus à loger les vivants que les morts. Je suis un peu architecte aussi ; j’ai bâti la maison dans laquelle je finis mes jours. Je voudrais vous voir construire une salle de spectacle ou un hôtel de ville : alors j’aurais autant d’envie de vous aller féliciter à Paris que j’en ai d’être éloigné d’une ville où tout un peuple s’écrase et se tue pour aller voir des bouts de chandelles sur un rempart [16]. » J’ai l’honneur d’être, avec toute l’estime et la reconnaissance que je vous dois, etc. »

M. Patte a parfaitement atteint le but qu’il s’était proposé en attaquant M. Soufflot sur la solidité de sa coupole de Sainte-Geneviève[17] ; il a fait quelque bruit ; il a inquiété l’architecte à qui il en veut, parce qu’il en a été désobligé dans je ne sais plus quelle circonstance ; il s’est attiré une foule de réponses dans lesquelles les injures ne lui ont pas été épargnées : tout va le mieux du monde pour M. Patte. Il a paru une Lettre du R. P. Radical, remplie de mauvaises pointes. Il a paru une Lettre d’un graveur en architecture à son confrère Patte, pour faire sentir à celui-ci que, pour dessiner et graver des morceaux d’architecture, on n’est pas architecte. Ce qui a été dit de mieux sur cette querelle, c’est qu’il fallait laisser dire Patte et laisser faire Soufflot. Mais il fallait donc que Soufflot ne se mît pas à dire aussi ni à remplir les Mercures de défis, de gageures, de réponses de toute espèce. Patte ne voulait que cela, et c’est tout ce qu’il se proposait de gagner dans ce procès. N’ayez pas peur qu’il soit assez sot d’accepter le défi de Soufflot. Il se soucie bien que la coupole de Sainte-Geneviève se fasse ou non ; qu’elle soit solide ou non : il voulait importuner, chagriner, tourmenter Soufflot. Il y a une douzaine d’années que M. Patte, congédié par les libraires de l’Encyclopédie, voulut aussi se venger d’eux, et imprima dans les feuilles de Fréron que les auteurs de l’Encyclopédie n’avaient d’autres planches que celles qu’ils avaient volées à M. de Réaumur. Cet académicien était mort, et avait légué toutes ses planches à l’Académie des sciences. Les libraires de l’Encyclopédie s’adressèrent à l’Académie, et l’obligèrent de nommer des commissaires pour comparer les dessins non encore publiés de l’Encyclopédie avec les planches de Réaumur. Les commissaires déclarèrent, examen fait, que tous les dessins destinés à l’Encyclopédie étaient originaux, et qu’il n’y avait pas une seule planche de copiée d’après Réaumur. Patte fut obligé d’insérer dans les feuilles de Fréron une lettre par laquelle il déclarait qu’il avait menti au public. Personne ne se souvient aujourd’hui de ce procès ni de l’amende honorable de M. Patte ; dans quelque temps, il en sera de même du procès de la coupole. L’église de Sainte-Geneviève immortalisera M. Soufflot, soit qu’il en fasse un chef-d’œuvre de l’art, soit qu’il y échoue entièrement ; mais personne ne saura quel a été l’avis de M. Patte sur cet édifice, comme personne ne sait s’il est avoué menteur ou non sur les planches de l’Encyclopédie.

  1. Les Mémoires secrets (25 juillet 1770) attribuent cette facétie assez médiocre à Coqueley de Chaussepierre.
  2. Et moi, qui n’ai pas vu la fête et qui n’ai pas été chargé d’en écrire la lamentation, je me suis dit : Il aurait mieux valu pour ce prophète anonyme de faire sa lamentation sans paroles, comme il a fait un poëme sans paroles ; car combien il faut avoir peu d’âme pour faire d’un malheur public un objet de plaisanterie ! (Grimm.)
  3. Commandant du guet à cheval, mort depuis peu. (Grimm.)
  4. Voir dans les Mémoires de Morellet (Ladvocat, 1821), tome I, p. 369, une réfutation de ce passage.
  5. Par le comte d’Essuile.
  6. Par M. de Sapt, Paris, Costar, in-8°. Quelques exemplaires portent le nom de l’auteur.
  7. Cet officier était le bisaieul du fameux Mirabeau. Voir, pour cette anecdote, tome III, p. 387.
  8. Voir tome IV, p. 182.
  9. Mme d’Épinay.
  10. On trouve à la fin du tome X des Œuvres du prince de Ligne Mes Conversations avec Jean-Jacques.
  11. Jean-Baptiste Rousseau.
  12. Devise adoptée par Jean-Jacques.
  13. In-12 ; par Boisminon.
  14. Barbier (Dictionnaire des anonymes) pense que ce livre est de J.-M-.J. de Cursay, et qu’il avait paru en 1761 sous le titre des Deux Frères angevins.
  15. Voir t.  VIII, p. 503.
  16. Allusion aux accidents arrivés au mariage du dauphin.
  17. Voir précédemment, p. 31.