Costal l’Indien (Gabriel Ferry)/II/XI

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Costal l’Indien ou le Dragon de la reine
Librairie Hachette et Cie (p. 275-285).

CHAPITRE XI

L’ORGUEIL ET L’AMOUR.


Avant d’accompagner le colonel dans le voyage périlleux qu’il commence à travers une province si complètement gagnée par l’insurrection, que la capitale, Oajaca, restait seule au pouvoir des Espagnols, il est d’autres personnages dont il faut nous occuper.

En premier lieu, nous devons dire ce qui s’était passé à l’hacienda de las Palmas depuis le jour où don Rafael l’avait laissée pour ainsi dire à la discrétion du féroce Arroyo et de son associé Bocardo.

Jusqu’à ce moment, les deux guerilleros, réfugiés chez leurs anciens maîtres avec les débris de leur bande à peu près détruite par le capitaine Tres-Villas, avaient bien voulu consentir à se tenir avec eux sur le pied d’une parfaite égalité. Les deux bandits mangeaient à leur table, se faisaient servir par leurs domestiques, et, de plus, jetaient, Bocardo surtout, des regards d’admiration assez alarmants sur la vaisselle d’argent dont se servaient les propriétaires de l’hacienda.

Plusieurs fois déjà le cupide guerillero avait fait devant don Mariano des allusions à la richesse des royalistes, et, derrière lui, il avait souvent essayé de démontrer à son compagnon que des gens dont une si riche vaisselle chargeait la table ne pouvaient être, dans le fond du cœur, que des partisans dévoués à la cause des oppresseurs.

« Voyez plutôt, disait-il, nous qui sommes de francs et loyaux insurgés, nous en serions réduits, partout ailleurs qu’ici, à nous servir de nos doigts pour fourchettes et de morceaux de galette de maïs pour cuillers. »

Et la conclusion de son discours était invariablement qu’il fallait traiter en royaliste un maître qu’on servait dans des plats d’argent ; faire de ces plats des piastres, et réduire don Mariano à la condition de loyal insurgé, c’est-à-dire à l’obligation de manger avec ses doigts comme les insurgés de bon aloi.

Mais Arroyo avait plus soif de sang que d’argent, de destruction que de pillage, et il rejetait les propositions de son associé. Cependant, après qu’il eût été forcé de dévorer devant son ancien maître et ses deux filles l’outrage sanglant infligé à sa lâcheté par le capitaine Tres-Villas, il reporta sur eux une partie de la haine terrible qu’il avait conçue pour don Rafael.

Peut-être, au moment de fuir de l’hacienda trop voisine de celle del Valle, qui servait de forteresse au redoutable capitaine, y eût-il laissé quelque trace sanglante de son passage, si, à son tour, Bocardo ne lui eût représenté que, une fois débarrassé de sa vaisselle plate, don Mariano devenait dévoué à la sainte cause de l’insurrection et respectable à tous égards ; que les insurgés pauvres pouvaient demander à leurs frères leur argent, mais non leur sang.

L’épaisse intelligence du sanguinaire Arroyo ne se rendait pas bien compte de la valeur des raisonnements de Bocardo : mais il se laissait assez volontiers guider par son astucieux compagnon, quitte à se venger parfois de l’avoir trop docilement écouté, et, pour ne pas trop nuire à la cause qu’il avait embrassée, il se rendit à l’avis de son collègue.

Bocardo fit main basse sur toute la vaisselle d’argent et sur une foule d’autres objets précieux qui ne se retrouvèrent plus dans le partage fait entre lui, Arroyo et les hommes de leur bande, et tous délogèrent une nuit de l’hacienda, non sans de vives appréhensions de voir à leurs trousses l’un des terribles hôtes del Valle, don Rafael ou le capitaine Caldelas.

Quant aux habitants de las Palmas, ils s’estimèrent trop heureux que l’outrage n’eût pas suivi le vol, et de rester l’honneur et la vie saufs.

Éclairé désormais sur le danger de vivre plus longtemps dans une habitation que son isolement mettait à la merci des royalistes ou des insurgés, don Mariano Silva avait pris la résolution de se retirer à Oajaca. À son avis, il y avait moins de danger à se réfugier dans une ville toute dévouée au vice-roi, dans laquelle en ne manifestant pas des opinions qui ne l’avaient pas encore compromis, il trouverait au moins la sûreté.

Pendant quelques jours, diverses causes s’opposèrent à l’exécution de son projet.

L’hacienda de San Carlos, habitée par l’homme dont il devait faire son gendre, don Fernando de Lacara, n’était qu’à quelques lieues de la sienne, et Marianita ne se souciait pas de quitter ce voisinage. Sans en avouer le motif, elle avait mille objections à ce départ.

Il en était de même de Gertrudis. Les souvenirs que lui rappelait l’hacienda de las Palmas lui en rendaient le séjour à la fois doux et pénible, et l’on sait, en amour, quel empire exerce la douleur, surtout sur le cœur des femmes.

Les douloureux souvenirs ne manquaient pas à Gertrudis dans l’hacienda de las Palmas.

Combien de fois, au soleil couchant, ses yeux n’avaient-ils pas erré dans une mélancolie rêveuse sur la grande plaine, déserte comme un jour où don Rafael accourait vers elle, bravant la mort pour la voir quelques heures plus tôt !

Lorsque, dans le premier moment de sa douleur, lorsque, dans sa première ardeur de vengeance, don Rafael, avec cette âpre volupté qu’on éprouve parfois à se déchirer le cœur, dût-on en briser un autre, s’était élancé au galop vers Oajaca, après avoir enfoui dans la terre qui couvrait son père le gage d’amour de Gertrudis, en renonçant à elle sans l’en prévenir, la jeune fille l’avait attendu avec une vive impatience.

Quelque dépit bientôt effacé par l’inquiétude, puis ensuite de mortelles angoisses avaient rempli son cœur. Nous avons dit, au sujet de don Rafael, par quelles transitions insensibles et naturelles les habitants de las Palmas avaient été confirmés par son silence dans la pensée qu’il était traître à sa maîtresse comme il l’était à son pays ; nous ne le répéterons pas.

Peu s’en fallut cependant qu’au moment où don Rafael se présenta devant l’hacienda, le son de sa voix, en parvenant jusqu’aux oreilles de Gertrudis, ne vainquît son orgueil blessé. Cette voix mâle, si fortement empreinte de loyauté, soit quand elle échangeait, quelques mots avec son père, soit quand elle jetait un défi au féroce Arroyo, avait fait tressaillir toutes les fibres de son cœur. Elle avait eu besoin d’appeler à son aide tous les ressentiments de l’amour dédaigné et la pudeur naturelle à la femme pour ne pas se montrer au capitaine en s’écriant : « Oh ! Rafael, le poignard d’Arroyo me ferait moins de mal que votre abandon. »

« Qu’avez-vous fait, mon père ? dit-elle tristement à don Mariano lorsque le capitaine se fut éloigné avec sa troupe. Vous l’avez blessé dans son orgueil par des paroles irritantes, à l’instant où, par égard pour nous, il renonçait à exercer sa vengeance sur l’un des meurtriers de son père. Peut-être avez-vous fait mourir sur ses lèvres des mots d’oubli et de réconciliation. Vous avez anéanti le dernier espoir de votre pauvre fille. »

L’hacendero ne répondit rien ; il regrettait lui-même ses allusions blessantes envers un ennemi dont la générosité sauvait sa vie et celle de ses enfants.

Après le départ des bandits d’Arroyo, une morne tranquillité régna dans l’hacienda de las Palmas, et, dans le silence de la solitude, Gertrudis, tout en se demandant à chaque minute du jour si réellement don Rafael ne l’aimait plus, ne pouvait se faire qu’une réponse certaine, c’est qu’elle l’aimait, et qu’elle l’aimerait toujours.

Une après-midi, la seconde qui avait suivi le départ d’Arroyo et de sa bande, le soleil se couchait au loin dans la plaine, comme ce jour où, quelques semaines auparavant, elle attendait à chaque instant l’arrivée de don Rafael. Les eaux s’étaient retirées et la campagne avait pris un aspect plus riant que ce jour-là. Desséchée alors, elle était maintenant couverte d’une éclatante verdure.

Tout à coup, une demi-douzaine de cavaliers apparurent dans la plaine. Ils semblaient venir des collines qui la bordaient, car ils tournaient le dos à l’hacienda ; des banderoles aux couleurs d’Espagne flottaient au bout de leurs lances. Un cavalier seul précédait les cinq autres ; puis bientôt d’autres soldats à cheval se montrèrent après les premiers, mais Gertrudis ne jeta sur eux qu’un regard indifférent.

Toute son attention était absorbée par le cavalier qui marchait seul en tête des autres. Son cœur, plutôt que ses yeux, avait deviné son nom et sa condition.

« Moi aussi, se dit-elle, j’ai été imprudente dans mes paroles, lorsque j’ai prononcé l’anathème contre les fils du pays qui trahiraient sa cause. Qu’importe, à la femme qui aime, la bannière que suit son bien-aimé ? Celle-là doit être la sienne ; que n’ai-je fait comme ma sœur ? Oh ! Marianita est bien heureuse ! »

Et, le cœur gonflé de soupirs, le regard voilé de larmes, elle continuait à suivre de l’œil le cavalier dont la tête ne se détourna pas une seule fois vers l’hacienda, et qui ne tarda pas à se perdre avec son escorte dans la bruine dorée du couchant.

C’était don Rafael, obéissant aux ordres qui l’appelaient, et qui, pour ne pas laisser voir son trouble et sa douleur aux soldats de sa suite, n’avait pas osé jeter ses regards derrière lui.

Peu devait importer maintenant à Gertrudis l’endroit qu’elle habitait avec son père. Il ne lui restait à l’hacienda que de douloureux souvenirs ; mais, nous l’avons dit, ces douleurs mêmes l’y attachaient, et la jeune fille ne put voir sans tristesse, comme si le départ de las Palmas devait briser le dernier lien entre elle et don Rafael, le moment où il allait falloir quitter cette triste demeure.

Depuis que le capitaine ne respirait plus le même air qu’elle, Gertrudis n’avait eu d’autre plaisir que celui de faire soigner le beau cheval bai brun de don Rafael, qu’on avait repris et ramené à l’hacienda.

Sur ces entrefaites, le mariage de don Fernando avec Marianita s’était accompli. Résolue déjà bien longtemps avant que la guerre civile n’éclatât, cette union n’avait pas trouvé d’obstacles chez l’hacendero, malgré ses idées politiques. Don Fernando était Espagnol, il est vrai, mais il avait la parole de don Mariano, et, en outre, celui-ci ne voulait pas offrir en holocauste à ces tristes dissensions le bonheur de sa seconde fille ; n’était-ce pas assez déjà d’une victime ? D’ailleurs, comme beaucoup d’Espagnols à cette époque, don Fernando Lacarra avait adopté pour son pays celui qui renfermait ses affections, et, par cela même, ses sympathies étaient acquises à ses compatriotes d’adoption.

Peu de jours après son mariage, il avait emmené sa jeune femme à son domaine de San Carlos, voisin de celui del Valle, et, comme lui, situé sur les bords de l’Ostuta supérieur qui coulait entre les deux haciendas, non loin du lac du même nom. Ce domaine, gardé par de nombreux domestiques, que l’insurrection n’avait pas dispersés comme ceux de don Mariano, offrait une plus grande sécurité comparative que l’hacienda de las Palmas, et don Fernando voulait y donner asile à sa nouvelle famille ; mais don Mariano, dans le but de dissiper la mélancolie de sa fille par le bruit et le mouvement d’une grande ville, préféra de se retirer à Oajaca.

Le jour du départ, Gertrudis avait refusé la litière qu’on lui avait préparée ; elle avait mieux aimé faire seller pour elle le cheval qui tant de fois avait porté don Rafael, et, comme si le fougueux Roncador eût senti qu’il portait l’objet le plus cher à son ancien maître, il se laissa aussi docilement conduire pendant tout le trajet par la main frêle de Gertrudis que par la main vigoureuse du capitaine.

Insensible à toutes les distractions qui lui étaient offertes, Gertrudis avait passé de longs et tristes jours à Oajaca. Elle n’y avait goûté qu’un seul moment de bonheur : ce fut quand la voix publique lui apprit que le colonel Tres-Villas, après s’être emparé de la ville d’Aquas Calientes, y avait fait raser la tête à quatre cents femmes.

Comme l’avait dit le colonel Trujano, instruit de cette particularité par Marianita, dont le mari l’avait reçu un jour entier à San Carlos, cette nouvelle l’avait fait tressaillir de bonheur et d’orgueil.

Elle seule avait deviné, au milieu de l’étonnement général causé par cette étrange rigueur, que don Rafael n’avait pas voulu qu’elle seule eût à pleurer la perte de sa chevelure. Don Rafael l’aimait donc toujours, puisqu’il lui envoyait cette consolation comme un gage de son souvenir.

Gertrudis s’était cependant vivement reproché ce sentiment de bonheur égoïste.

« Pauvres femmes ! se dit-elle en peignant les boucles d’ébènes qui avaient remplacé ses longues tresses dont le flot parfumé tombait jadis sur ses épaules ; elles n’ont pas eu comme moi le bonheur d’offrir leur chevelure pour la vie de leur bien-aimé ! »

Puis les mois avaient succédé aux mois sans qu’on pût savoir ce qu’était devenu don Rafael, et les joues pâles de Gertrudis, le cercle bleu qui entourait ses yeux, témoignaient des douleurs de l’âme et des souffrances du corps. Mais aussi, depuis deux ans bientôt, sous l’influence énervante du silence, de la solitude, de la vie sédentaire, la pauvre jeune fille tâchait en vain d’étouffer son amour, et les forces de son corps et de son âme s’épuisaient dans cette lutte inutile.

Don Rafael, du moins, portait sa douleur d’une extrémité du royaume à l’autre ; il en pouvait étouffer le cri dans le tumulte des batailles et dans toutes les ardentes distractions de la guerre.

Heureusement que Dieu a donné à la femme la résignation, sa seule armure contre la douleur. Gertrudis dévorait en silence, et sans proférer une plainte, le noir chagrin qui la consumait. Dans ses longues insomnies, où cette résignation à moitié vaincue par la lutte semblait prête à succomber, un faible et lointain rayon d’espérance venait parfois la retremper ; un dernier refuge contre ses angoisses se présentait aux yeux de la jeune fille. Elle se disait alors que, quand ses forces seraient à bout, une ressource suprême lui restait dans cette tresse de ses cheveux soigneusement conservée par elle.

L’envoi du cheval de don Rafael à l’hacienda del Valle, où il devait sans doute revenir d’un jour à l’autre, avait été une première transaction entre l’orgueil et l’amour. Qui devait l’emporter des deux ?

Cependant, à mesure que l’insurrection s’étendait dans la province, la surveillance redoublait dans la capitale, et don Mariano, devenu suspect, reçut l’ordre de quitter Oajaca.

Toutefois, avant de partir, il avait expédié, nous l’avons dit, un messager à l’hacienda del Valle. Quel message portait-il ? Nous le saurons plus tard. Nous devons, quant à présent, constater que, le surlendemain du départ de son exprès, le jour même où celui-ci arrivait à l’hacienda del Valle et où don Rafael, quittait en fugitif la plaine de Huajapam, l’hacendero se mettait en marche pour San Carlos, accompagnant à cheval, avec quelques serviteurs, la litière qui renfermait doña Gertrudis. La pâleur du visage de la jeune fille contrastait avec le cercle d’azur qui se dessinait autour de ses yeux et le rendait encore plus foncé.

Enfin, ce jour-là aussi, mais vers le soir, un des personnages de notre histoire, le capitaine don Cornelio Lantejas, quittait le camp de Morelos, près de Huajapam, pour aller remplir une mission qui venait de lui être confiée pour Oajaca par le général mexicain.

Sa mission ne laissait pas d’être périlleuse, ainsi qu’on pourra s’en convaincre.

Costal et Clara accompagnaient seuls le capitaine, revêtu d’un simple habit de voyage ; rien n’indiquait en lui sa profession.

C’était à l’approche du solstice d’été, et le noir et l’Indien s’entretenaient de la chance, à présent que le Zapotèque avait accompli un demi-siècle, de saisir enfin la divinité des eaux dans le mystérieux lac d’Ostuta.

Maintenant que toutes les lacunes du passé se trouvent comblées, nous devons, pour l’intelligence de la dernière partie de ce récit, faire savoir quel était le but de la mission confiée à don Cornelio, et présenter à vol d’oiseau une sorte de plan topographique du pays que devaient parcourir les différents personnages qui se mettaient en route le même jour.

Là conquête de la ville d’Oajaca devait achever de rendre Morelos maître de toute la province ; et il songeait à s’en emparer avant la fin de la campagne ; car, ce projet, une fois exécuté, tout le sud de la Nouvelle-Espagne tombait au pouvoir de l’insurrection.

Toutefois, avant d’attaquer une ville aussi populeuse et aussi riche que celle de Oajaca, il était prudent de s’y ménager des intelligences, et c’était là l’objet principal de la mission qu’avait à remplir le capitaine Lantejas. Pour l’honneur de la cause que soutenait Morelos, il n’était pas moins urgent de mettre un terme aux déprédations des deux guerilleros dont il a été souvent question, Arroyo et Bocardo, qui semblaient avoir pris à tâche, par leurs cruautés, de rendre odieuse l’insurrection autant à ses partisans qu’à ses ennemis.

La force dont ils disposaient était aussi incertaine que le lieu de leur résidence ; mais ils étaient aussi universellement redoutés que s’ils eussent eu une armée nombreuse à leurs ordres. La rapidité de leurs mouvements leur donnait les moyens de multiplier à l’infini leurs actes de férocité ; les deux associés étaient, du reste, assez faciles à suivre aux traces sanglantes qu’ils laissaient partout sur leur passage. Arroyo, toujours prêt à rougir ses mains de sang, quel qu’il fût, prenant un barbare plaisir à être lui-même le bourreau de ses victimes, était assez brave, du moins ; mais son associé, Antonio Bocardo, était aussi lâche que cruel, quoique son goût le portât plutôt au vol qu’à l’assassinat, ainsi qu’on l’a vu.

Morelos avait appris les déprédations que ces deux bandits commettaient dans la province de Oajaca, et don Cornelio avait ordre de les joindre et de leur porter, de la part du général en chef, la menace d’être coupés en quatre quartiers, s’ils continuaient plus longtemps à déshonorer la sainte cause de l’indépendance.

La réputation de férocité si justement méritée de ces deux bandits, qui traitaient tous les partis en ennemis, et la surveillance active exercée par les autorités de Oajaca, rendaient, comme on voit, la mission du capitaine Lantejas fort dangereuse.

Il suivait donc assez mélancoliquement la route qui conduisait aux bords du fleuve d’Ostuta, où se trouvaient alors Arroyo et Bocardo.

Leur présence dans ces lieux sera expliquée par une description sommaire, indispensable pour bien faire connaître l’étroit théâtre où vont se presser les événements qui nous restent à raconter.

En ne tenant pas compte des accidents de terrain, Huajapam et Oajaca se trouvent sur la même ligne, en face l’un de l’autre. De chacune de ces deux villes part une route allant vers l’Ostuta et s’y joignant à un gué qui sert à traverser ce fleuve. À peu de distance de la jonction des deux routes, et avant d’y être parvenu, se trouvait l’hacienda del Valle, et, en moins d’une heure après avoir passé le gué, on arrivait à l’hacienda de San Carlos. Ces deux haciendas, situées sur les deux rives opposées du fleuve, étaient, comme on le voit, peu éloignées l’une de l’autre.

Arroyo s’était promis de ne laisser ni un homme vivant ni une pierre debout de l’hacienda del Valle, encore défendue par la garnison : confiée aux ordres du lieutenant Veraegui, et c’était le motif de sa présence sur les rives de l’Ostuta. Sa bande, divisée en deux, occupait les abords du gué de chaque côté du fleuve, et pouvait ainsi se porter à la fois et sur San Carlos et sur el Valle. Il était probable que le messager se dirigeant en quête de don Rafael de l’hacienda del Valle vers Huajapam rencontrerait à mi-route le colonel, parti de Huajapam pour el Valle.

Au point de réunion des deux routes de Oajaca et de Huajapam, il était non moins probable que, don Mariano et sa fille devant passer forcément devant el Valle, don Cornelio et ses deux compagnons, suivant la même direction, et enfin le colonel, se rendant à son hacienda, ne devaient pas manquer, sauf accident, de se rencontrer tous, presque au même instant, sur un terrain commun.

C’est donc sur les bords sauvages de l’Ostuta, vers l’endroit où les personnages de ce récit, longtemps dispersés, ont des chances de se rejoindre, qu’il convient de transporter la scène.