Coup d’œil sur l’état des missions de Chine/03

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CHAPITRE III

Contestations entre les missionnaires. — Leurs funestes effets. — Persécutions. — Conclusion.


Contestations entre les missionnaires.

Les disputes et les divisions les plus acharnées n’ont presque jamais cessé d’exister entre les missionnaires des diverses parties de l’Inde, et toujours elles ont produit les résultats les plus déplorables.

Les questions agitées au sujet des cérémonies chinoises furent cause de la ruine d’une multitude de chrétientés, et finirent par allumer sous le règne de l’empereur Yong Tching (1723) la longue persécution dont près d’un siècle et demi n’a pu encore amener la fin.


Funestes effets de ces contestations.

Lorsqu’une contestation s’élève, les missionnaires deviennent tout à fait méconnaissables le zèle, les vertus et les talents qu’ils avaient portés en mission, ne leur servent plus qu’à se supplanter dans leurs opérations mutuelles ; l’espionnage, les accusations hasardées, les interprétations calomnieuses, tout est mis en œuvre pour triompher de son adversaire ; le soin de la mission, l’œuvre de la conversion des peuples, tous ces devoirs sont totalement perdus de vue ; de toutes parts on ne songe qu’à l’attaque et à la défense. Les chrétiens prennent parti pour le missionnaire et se partagent en factions acharnées les unes contre les autres. Lors des disputes qui troublèrent les chrétientés de Chine à diverses époques, dans plusieurs endroits les chrétiens divisés en vinrent aux coups et aux injures, et le lieu de ces scènes scandaleuses resta plusieurs fois couvert de sang. Plus d’une fois, les infidèles furent obligés d’intervenir par leur médiation et leur influence, pour faire cesser la division.

Dans ces circonstances vraiment lamentables, le bruit des dissensions perce peu à peu et remplit de trouble les populations païennes ; on abhorre ces disputes, et la haine qu’on leur voue, retombe sur la religion chrétienne, qu’on accuse d’en être la cause ; le Christianisme est regardé comme une secte de gens brouillons et inquiets, et cette réputation le fait répudier par avance.

Les contestations élevées à l’occasion des rites chinois, donnèrent lieu à des excès si nombreux et si criants que pour rétablir la paix, le gouvernement chinois ne vit d’autre moyen que de proscrire entièrement le Christianisme, et telle fut l’origine de cette longue persécution qui dure encore aujourd’hui.


Persécution de 1805.

Dans l’année 1805, la persécution prit un redoublement terrible d’intensité et de fureur. Or ce furent encore les contestations entre les missionnaires qui en furent la cause. On se disputait au sujet d’une chrétienté que les parties diverses prétendaient chacune avoir sous leur juridiction : l’un des contendants dressa une carte des lieux et l’envoya à la sacrée congrégation, en sollicitant d’elle une sentence décisive. Dans la route, la carte tomba entre les mains des infidèles. Les Chinois déjà impatientés de toutes ces querelles, dont ils ne pouvaient comprendre la cause, demeurèrent persuadés que les vues des prêtres européens étaient évidemment de s’emparer du pays, puisqu’ils s’en disputaient déjà la possession avec un tel acharnement. De là le Christianisme fut regardé comme un moyen d’invasion mis en œuvre par un peuple ennemi ; des lois terribles furent de nouveau portées contre lui et ce préjugé a formé dès ce jour devant la religion, une barrière qu’elle n’a pu encore surmonter.

De ces contestations entre les missionnaires résulte aussi et plus immédiatement encore la diminution de la foi chez les néophytes. Le caractère d’apôtre sous lequel ils avaient. jusqu’alors considéré le prêtre, disparaît pour ne plus laisser voir qu’un homme ambitieux, sans zèle pour le véritable bien et souvent sans loyauté dans ses démarches.

Mais si l’effet de ces disputes est de faire sortir les anciens missionnaires pour y introduire leurs supplantateurs, les chrétiens demeurent attachés à leur ancien pasteur avec lequel la religion est pour ainsi dire identifiée à leurs yeux, et ils refusent de recevoir le nouveau. De là des schismes déplorables ; les malades meurent sans sacrements, les enfants même ne sont pas baptisés : tel est le triste spectacle qu’ont présenté et que présentent encore de grandes chrétientés de l’Asie.

Les contestations portent même leurs funestes effets jusqu’en Europe ; les fidèles en entendent parler plus ou moins et finissent par regarder les unissions comme une oeuvre de passion et d’intrigue : et c’est là une des grandes raisons pour lesquelles l’oeuvre de la propagation de la foi reste stationnaire, et même éprouve de la diminution dans ses recettes.


Conclusion.

Dans toutes ces réflexions sur les suites déplorables de la division entre les missionnaires, je ne m’étends pas, je ne fais qu’énoncer entre mille quelques faits isolés. Si l’on essayait d’épuiser la matière, la tâche serait longue ; mais on n’arriverait jamais qu’à cette conclusion, savoir que les contestations sont le premier et le plus grand obstacle aux succès des missions, et souvent la cause de leur ruine entière.


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