Aller au contenu

Coup d’œil sur les patois vosgiens/08

La bibliothèque libre.

VIII

On sait que le patois vosgien n’est pas le même dans tout le département. Il se distingue en autant de variétés dialectiques que de cantons. Il est vrai que les nuances portent plus sur la manière de prononcer les mots que sur le fonds même du langage. Cependant il est plus uniforme dans la partie qu’on appelle la plaine, à l’ouest ; mais dans l’est, au milieu des montagnes et des vallées étroites qu’elles enferment et où l’élément germanique prévaut, les variétés sont très sensibles ; les sources étymologiques sont moins identiques et la prononciation des mêmes mots présente des différences capitales.

Deux coins de la montagne se distinguent surtout parmi tant de diversités. À Gérardmer, l’âpreté du dialecte a un caractère singulier qui le rend incompréhensible au dehors du canton. Au Ban-de-la-Roche, où les h fortement aspirées se font retentir avec la même vigueur, il y a de plus une articulation qu’on ne trouve pas dans le reste de la Lorraine. Ce sont les dj, dg, dch, tch, qui s’emploient partout où la langue française met un j ou un g doux, et souvent aussi à la place du ch. Ce caractère est des plus remarquables, perdu qu’il est au lieu de cantons auxquels il est inconnu. On le trouve cependant au sud-est du département, un peu modifié, au Thillot, et par là il se rattache à quelques dialectes suisses ou jurassiens qui l’emploient. On en verra des exemples plus loin. Au sud, sur le versant de la Saône, le patois prend des teintes du franc-comtois. À l’ouest, où les origines sont plus franchement latines, le langage n’a pas la rudesse de celui de la montagne. Au nord, dans les vallées de la Moselle, il prend des nuances du patois messin ; il devient plus doux, plus clair, il a plus de babil et de gaieté.

Disons encore qu’outre ses affinités avec les patois du nord de la France, comme il se trouve sur la limite de la Bourgogne et des pays que domine le Jura (Franche-Comté et Suisse), il n’est pas sans rapport nombreux avec les patois de ces derniers pays. Nous avons retrouvé à Neufchâtel, à Gruyère, à Vévay, des expressions et des formes qui pourraient faire étendre jusque là la limite géographique des patois que nous avons tracée.

En général, les patois vosgien ont quelque chose de traînant, d’un peu lourd qui les font reconnaître en tout lieu ; dans la montagne il est particulièrement un grand nombre de syllabes longues, de finales, pour la prononciation desquelles il faut largement écarter les mâchoires sans beaucoup desserrer les lèvres, et qui rappelle le mauvais accent gras de l’Alsace.

Le langage de nos campagnes est peu agréable à l’oreille ; il éveille l’idée de rusticité plus que partout ailleurs, mais en même temps l’idée de franchise et de loyauté. Il est peu propre aux idées douces et poétiques. Le Vosgien n’est pas rêveur de sa nature ; il a plutôt l’esprit inventif. Simple, bon et rude, confiant, sans manquer de finesse, il borne ses goûts et son étude aux choses pratiques. Une chanson suffit pour charmer plusieurs générations, comme la robe de l’aïeule ou l’habit du grand-père réchauffe les membres des petits-enfants. Il tient aux vieilles coutumes, au vieux langage. L’enfant parle français à l’école et patois à la maison. Aussi la langue rustique des Vosges n’est pas très riche et connaît peu les nuances et les délicatesses du sentiment. Sa littérature n’est pas non plus fort étendue. Des noëls, des chansons de quelque Désaugiers campagnard, des contes de veillées, des anecdotes grivoises ou moqueuses, en voilà à peu près tout le bagage connu jusqu’à présent.

Depuis le commencement de ce siècle, des modifications se sont opérées dans le dictionnaire du patois. Celui-ci a admis nombre de mots français qu’il a habillés suivant sa mode et son goût, et en a oublié ou rejeté de fort anciens que les vieillards seuls savent aujourd’hui. Ce n’est pas une richesse, c’est une décadence, c’est le commencement de la fin.

Pour mieux faire saisir les caractères particuliers de notre patois, on nous pardonnera les détails un peu arides dans lesquels nous allons entrer ; mais nous espérons cependant qu’ils pourront intéresser nos lecteurs. Nous n’avons suivi, dans cette étude, ni Oberlin, ni Fallot, ni Schnackenbourg, ni tous ceux qui dans un travail général ont parlé du patois lorrain. Notre travail, nouveau dans quelques parties, pénètre plus au fond de la langue rustique ; nous ne nous contentons pas de quelques remarques isolées et sans lien sur les différences du français et du patois ; nous généralisons et nous tâchons de découvrir un principe.