Cours d’agriculture (Rozier)/SUPPURATION

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Hôtel Serpente (Tome neuvièmep. 308-312).


SUPPURATION. Médecine rurale. C’est le changement ou la conversion de l’humeur qui forme une tumeur, en une autre appelée pus. La suppuration peut être encore regardée comme la seconde terminaison de l’inflammation.

En effet, elle a bientôt lieu, si l’inflammation est violente & le mouvement de la circulation très-fort & accéléré, le sang n’étant point d’ailleurs trop âcre, mais assez tempéré, quoique un peu plus épais qu’il ne doit l’être dans l’état naturel. Si les parties de ce même sang arrêtées dans les plus petits vaisseaux, ne peuvent s’y atténuer suffisamment pour en franchir les dernières ramifications, l’effort de celui qui presse avec force par derrière, oblige les vaisseaux déjà distendus, à se rompre. Alors les particules les plus fines se putréfient par l’action de la chaleur qui est excessive, deviennent âcres & fétides, rongent & corrompent les parties immédiatement exposées à leur action. Cette matière ainsi corrompue & incapable de reprendre sa première nature, est appelée pus ou suppuration.

On distingue ordinairement la suppuration interne de l’externe : on compte quatre espèces de suppuration interne, savoir ; celle qui forme un apostème, celle qui vient d’un ulcère, celle qui couvre un viscère qui paroit d’ailleurs sain, & l’enveloppe comme un espèce de gelée blanche ; enfin, celle qui produit l’engorgement purulent des viscères.

La suppuration succède pour l’ordinaire à l’inflammation vers le septième jour. Ce n’est pas qu’on ne l’ait souvent observée vers le troisième on le second jour d’une inflammation considérable. C’est à quoi il faut porter la plus grande attention, de peur de ne pas troubler le travail de la nature. Il arrive souvent que pendant des fièvres malignes, ou des petites véroles de mauvais caractère, on trouve des foyers de suppuration dans les différens organes intérieurs, tels que le poumon & le foie, sans qu’il y ait eu aucun signe d’inflammation ; c’est ce qui arrive très-souvent par métastase. Nous n’entrerons point dans le détail des trois autres espèces de suppuration interne, nous nous contenterons, avant d’indiquer les différens moyens propres à la faciliter, ou à la provenir & à la détourner, de faire observer que la suppuration interne en général se connoît à la cessation de la douleur punitive, & de l’ardeur de la partie. On y ressent une douleur lancinante &c gravative. On éprouve des frissons irréguliers. ; le pouls devient dur & intermittent, les défaillances & le froid des extrémités l’annoncent aussi.

On peut prévenir la congestion. & l’abord des humeurs sur la partie affectée de suppuration, en saignant ; cette saignée fait un vuide dans les vaisseaux, qui facilite la résorption des humeurs, comme l’a très-bien vu M. Petit, & c’est-là un coup de maître : il n’est qu’un instant favorable à saisir. Il est plus facile d’exciter cette résorption par l’usage des spiritueux balsamiques qui préviennent la génération du pus, & facilitent en même temps la cicatrice.

Mais lorsque la nature opère la résolution spontanée par la suppuration, il seroit dangereux de l’arrêter. Platner, Lacaze, Robert, Bordeu, ont fort bien observé que le travail de la digestion, les passions violentes & autres excès, & détournoient d’une manière dangereuse la génération du pus, & lui donnoient Un état de crudité.

On aide la rupture du foyer de la suppuration, par l’application des suppuratifs émolliens ou emplastiques, qui attirent une plus grande quantité d’humeurs séreuses, arrêtent d’ailleurs la transpiration & rendent le pus plus fluide. Les suppuratifs irritans ne sont bien placés que lorsque la suppuration est déjà établie. Leur application pourroit être très-dangereuse, lorsqu’il y a ardeur & fièvre ; ils irriteroient & fronceroient la peau.

Il est des foyers de suppuration dont on ne peut attendre une rupture naturelle, & qu’il ne faut cependant pas ouvrir. Ces cas sont très-rares, il est vrai, mais ils existent. Valfalva en rapporte quelques exemples, entre autres, celui d’un abcès énorme à une jambe qu’il n’avoit pas tenté d’ouvrir, parce qu’il prévoyoit que la cicatrice seroit difficile, qu’il étoit à craindre que l’évacuation trop abondante qu’on auroît pu procurer, ne jetât le malade dans une fonte dangereuse, & que la colliquation ne devint plus rapide qu’elle n’étoit.

Il y a encore d’autres exemples où l’ouverture ne doit point être pratiquée ; c’est quand les foyers de suppuration se vuident par une métastase sur quelque organe, sans qu’une affection primitive de cet organe ait précédé ; il faut alors tenter d’autres voies, corriger, s’il est possible, cette humeur purulente, afin qu’elle soit repompée comme on l’a observé quelquefois. On peut rapporter à ce sujet l’observation faite sur un jeune homme qui ayant un testicule foulé avec tumeur considérable, ne voulut point se laisser faire l’opération. Tous les remèdes qu’on lui donnoit, devenoient inutiles, on le voyoit dépérir de jour en jour ; enfin l’abcès s’ouvrit de lui-même ; il rendit du pus avec l’urine, & mourut. Sanctorius rapporte encore l’observation d’un homme qui avoit un foyer de suppuration sur le muscle grand fessier, qui se fit jour par le canal de l’urètre ; on le pansa mal, on l’ouvrit, & la maladie fut dangereusement augmentée.

Néanmoins, à l’exception de ces cas rares dont je viens de parler, en général il faut se hâter de donner issue aux amas de pus, 1°. lorsqu’ils sont établis sur des parties graisseuses ; 2°. lorsqu’on a à craindre que la corruption du pus ne se change en sanie ; 3° enfin, lorsqu’on veut éviter des fièvres d’un mauvais caractère, auxquelles le repompement du pus peut donner naissance.

On ne doit point attendre la maturité d’un abcès critique, qui se fait à l’extérieur & trop lentement, pour en faire l’ouverture, sur-tout si les circonstances font craindre une métastase dans l’intérieur.

Quand on ouvre un foyer de suppuration considérable, il faut l’évacuer à plusieurs reprises, pour empêcher que le malade ne tombe en foiblesse, que le changement de l’altération soudaine & singulière dans les organes, qui trouble la manière d’être du principe de vie, amènerait à coup sûr, si l’on n’avoit l’attention de placer ces évacuations successives à de longs intervalles, afin de retenir d’autant plus long-temps la matière purulente, qu’elle est elle-même le meilleur résolutif des callosités & des duretés qui se forment au bord de la playe.

L’instrument tranchant suffit pour les abcès dont le pus n’est pas d’une nature maligne, & dont les parties ne sont pas bien altérées ; mais lorsqu’elles sont menacées de gangrène, & que le pus est d’un mauvais caractère, il vaut mieux, comme le pratiquoient les anciens, les ouvrir avec un fer rouge ; par exemple, dans les abcès aux cuisses, les ustions seroient sur-tout avantageuses avant parfaite maturité ; elles pourroient même prévenir la congestion des humeurs qui doivent les former. On pourroit pratiquer dans d’autres cas des brûlures avec des mèches, &c. M. AMI.

SUPPURATION. médecine vétérinaire. La suppuration est un changement ou conversion de l’humeur qui forme une inflammation ou un apostême, en une autre appelée pus. (voyez Apostême)

Le pus est constamment le produit d’une inflammation, mais toute inflammation ne donne pas les mêmes résultats. Tel degré de chaleur effectue la résolution tel autre dans lequel tous les vaisseaux de la partie sont tellement obstrués, que le cours du sang y est interrompu, & qu’elle se trouve suffoquée par le volume de ce fluide, est le principe de la gangrène & du sphacèle. (Voyez ces mots) Il faut donc dans les mouvemens qui opèrent la suppuration, une certaine intensité, qui est, si j’ose m’exprimer ainsi, le point milieu entre la disposition qui conduit à la première de ces terminaisons, & celle à laquelle la mortification succède.

Cet état moyen peut encore varier : ou l’action des solides est trop forte, ou elle est suffisante, ou elle est trop foible.

Dans le premier cas, il est évident qu’il faut mettre un frein à la tension, appaiser le mouvement, la douleur & la chaleur. Les émolliens, les anodins, rempliront ces vues ; ils humecteront, ils relâcheront les solides, ils diminueront l’inflammation, ils en borneront les progrès, ils préviendront la suffocation ; une partie ces humeurs engorgées, auxquelles leurs molécules se seront unies, recouvrera la liberté de son cours ; l’autre subira le changement auquel l’oscillation modérée des canaux la soumettra ; ils en faciliteront même l’évacuation au-dehors, en affoiblissant les tégumens, &c.

Dans le second cas, il suffit, pour aider le succès des mouvemens spontanés, ou plutôt pour en accélérer l’effet, d’entretenir la chaleur interne de la partie, soit en la garantissant de l’accès & de l’impression de l’air, soit en y retenant l’humeur perforante, qui d’ailleurs se mêlant alors à la matière engorgée, ne peut que la rendre plus fluide & plus mobile, & c’est ce que l’on obtient souvent indifféremment de toute espèce de topique appliqué sur la tumeur, & capable de boucher les pores.

Dans le troisième cas enfin, c’est-à-dire, dans la circonstance d’une action spontanée trop languissante, de l’épaississement de la matière arrêtée, de son séjour dans un lieu peu exposé aux coups des vaisseaux, d’un engorgement dont la formation lente est l’effet de la congestion, il s’agit d’exciter une inflammation dans la partie, d’irriter, d’agacer, de réveiller les solides, de solliciter en eux des mouvemens proportionnés à ce qu’on doit en exiger ; de les mettre, en un mot, en état d’agir sur l’humeur stagnante, de manière à la décomposer, & par conséquent de recourir à des substances actives & irritantes, selon le besoin.

Les plantes émollientes & anodines, telles que les feuilles & les fleurs de mauve, de guimauve, de bouillon blanc, de violier, de mercuriale, de pariétaire, de seneçon, de poirée, de linaire, &c. les fleurs de lis blanc, les figues grasses, l’oseille, les jaunes d’œufs, les cataplasmes de raves, de pain de froment & le seigle, de semences d’orge, de lin, d’avoine cuites dans l’eau, dans la bière, dans le lait, dans des décoctions de plantes émollientes, l’onguent d’althea, rempliront la première indication.

Le miel, le beurre, les moelles, la cire, l’huile, les graines, la poix, la résine sous une forme emplastique, l’onguent basilicum, &c. satisferont à la seconde.

Le levain de froment, la bulbe d’ail, les oignons de scille & les oignons ordinaires, les fientes de bœuf, de chèvre, de porc, de pigeon ; les graisses & les huiles suranées, les gommes ammoniaques, élémi, le galbanum, le bdellium, l’opopanax, le sagapénum, l’emplâtre de diachilon gommé, celui de galbanum safrané, &c. sont les topiques à préférer pour satisfaire à la troisième ; & si telle est la langueur des solides, que ces médicament n’aient point encore assez d’énergie & d’activité pour les porter au degré d’action auquel importeroit de les contraindre, on recourra à l’euphorbe, à la semence de moutarde, aux cantharides, &c.

Ces dernières substances très-irritantes, sont quelquefois de la plus grande ressource dans la pratique de la chirurgie vétérinaire, lorsqu’il s’agit de fixer une humeur qui s’annonceroit par un engorgement au-dehors du corps de l’animal, mais dont le transport & le rejet subit au-dedans & sur des viscères est essentiles, occasionneroient en très-peu de temps la perte des animaux. C’est ce qu’on a éprouve dans un maladie épizootique des bœufs. Par une métastase heureuse de l’intérieur à l’extérieur, l’humeur morbifique & maligne se manifestoit par un dépôt sur un des boulets ; mais un reflux fatal & prompt causoit la mort des malades en moins de douze heures ; on crut pouvoir y parer par l’application des épispastiques sur la partie ; ils y excitèrent une inflammation très-vive, l’humeur y fut retenue, & un traitement méthodique ayant opéré la suppuration, tous ces animaux furent rendus aux cultivateurs.

Dans des contusions énormes qui doivent suppurer, il est bon d’employer les suppuratifs les plus capables de tirer les vaisseaux contus de leur affaissement, à moins qu’une inflammation ou une rénitence très-considérable ne soit le présage d’une suffocation prochaine, & dès-lors on ne doit s’occuper que du soin de l’appaiser & de la calmer par la saignée, soit par des applications anodines & émollientes ; fréquemment aussi doit-on, en pareille occurrence, pour éviter une suppuration trop étendue, chercher d’une part à dissiper l’inflammation des parties voisines, & de l’autre, solliciter dans celles qui sont dans le centre, une suppuration : on peut y parvenir par l’union des substances maturative & des substances émollientes.

Quant aux glandes, la formation des abcès (voyez, ce mot) y est presque aussi rare que les obstructions y sont fréquentes ; mais si l’inflammation est telle en elles qu’elles paroissent disposées à la suppuration, on doit la favoriser par l’application des maturatifs les plus pénétrans, d’autant plus que ces corps enveloppés d’une membrane fort épaisse, sont bien moins en butte à l’action des topiques. M. T.