Cours d’agriculture (Rozier)/ABCÈS
ABCÈS, Médecine rurale, collection de matière purulente ou ichoreuse, qui se fait par le changement de la substance d’une partie, en pus de bonne ou de mauvaise qualité. Quoique ce changement de la substance d’une partie en pus ne nous soit pas plus connu que le changement des alimens en chyle, & du chyle en sang, l’expérience nous apprend que ce changement tient à un mouvement particulier, plus accéléré en général dans la partie malade que dans les parties qui sont dans la plus parfaite santé. Nous disons plus accéléré que dans l’état de santé, car il existe des abcès dans lesquels le mouvement & la chaleur sont au même degré que dans la santé, quoique le pus s’y forme & y séjourne. Notre but n’étant pas d’entrer dans des discussions scientifiques, ce qui nous éloigneroit de la simplicité de notre plan, nous nous contenterons de ne parler, sur cette matière, que des choses qui sont absolument utiles.
On divise les abcès en deux classes, les abcès extérieurs & les abcès intérieurs.
Les abcès extérieurs sont tous ceux qui siègent dans les glandes, dans les chairs, & surtout dans le tissu cellulaire : ils paroissent quelquefois à la suite des maladies aiguës, (voyez ce mot) & sont d’un augure favorable. Quand les forces du malade ne sont pas trop épuisées, ils sont alors le produit du travail de la nature, qui, après avoir lutté longtemps contre l’ennemi qui l’oppressoit, sort enfin victorieuse du combat, & dépose sur les extrémités du corps la cause matérielle de tous les désordres qui jetoient le trouble dans ses fonctions.
Il existe des abcès d’un autre genre, lesquels varient en raison de la cause qui les produit : tels sont ceux que font naître les vices scorbutiques, vénériens, écrouelleux, dartreux, & autres : ils reçoivent différens noms, suivant la différence des causes qui les font naître ; c’est pourquoi les bubons, les anthrax, les clouds, les furoncles, ne sont, à vrai dire, que des abcès.
Les causes des abcès sont faciles à connoître d’après ce que nous venons d’exposer ; & l’on voit aisément qu’elles sont très-multipliées.
Pour récapituler, nous mettrons au nombre des causes éloignées des abcès, soit intérieurs, soit extérieurs, les différens vices, tels que les vices scorbutiques, vénériens, écrouelleux & dartreux, les différentes maladies de la peau, répercutées par une cause quelconque, les évacuations naturelles, arrêtées, les fièvres, les inflammations mal traitées, les crises imparfaites, les chûtes & les coups, qui, en désorganisant les parties, favorisent la suspension de la circulation dans ces mêmes parties, suspension qui, faisant séjourner le sang & les autres fluides dans une partie privée du mouvement vital ordinaire, en accélère la dépravation & fait naître l’inflammation : or, toute inflammation se termine ou par la résolution, & il ne se forme pas d’abcès, ou par la suppuration, & l’abcès se forme. Dès l’instant que l’abcès est ouvert, il prend le nom d’ulcère. (Voyez ce mot)
Les abcès extérieurs sont bien plus aisés à connoître, & bien moins dangereux que les abcès intérieurs. Les premiers ne siègent, comme nous l’avons dit, que dans les glandes & dans les chairs, tandis que les seconds ont leur racine dans le corps des viscères les plus nécessaires à la vie.
Les abcès intérieurs, à la suite des grandes inflammations, s’annoncent par des frissons vagues, par l’augmentation de la fièvre, de la douleur & de la chaleur : ils se forment ordinairement le vingtième jour d’une fièvre, à la suite de laquelle il n’a point paru d’évacuation sensible. Dans le cours d’une maladie & d’une convalescence, si quelques parties deviennent douloureuses, souvent on peut soupçonner qu’il s’y formera un abcès.
Les abcès intérieurs sont toujours très-dangereux : il faut que le pus trouve une issue, sans quoi le malade meurt ou suffoqué, ou des suites de la putréfaction : souvent on l’a vu se frayer une route loin des parties dans lesquelles il avoit porté ses ravages ; on a vu le pus de la matrice sortir par la poitrine, & quelquefois le pus de la poitrine se frayer une route par les urines, quoique les reins & la vessie n’aient point ressenti les premiers effets de sa présence.
C’est toujours d’après la connoissance des causes qui ont déterminé les abcès tant intérieurs qu’extérieurs, qu’il faut diriger le traitement.
Pour les abcès extérieurs, quand l’inflammation est très-forte, on fait une saignée pour diminuer l’inflammation ; on la réitère, si elle continue : on emploie les topiques émolliens ; (voyez ce mot) & quand l’abcès est mûr, il perce de lui-même : on favorise le dégorgement par les mêmes émolliens ; il faut entièrement rejetter tous les corps gras, tous les emplâtres, tous les onguens, qui, en bouchant les pores de la peau, bien loin de favoriser le travail de la nature, qui tend à pousser le pus au dehors, le font refluer dans la masse, & produisent, de la cause la plus simple, les effets les plus dangereux. Si nous pouvons déraciner le préjugé meurtrier qui domine sur cette partie de l’art de guérir, nous nous serons acquittés de cette dette importante que toute ame sensible doit payer à l’humanité. L’application de l’eau tiède est cent fois plus utile que tous ces onguens composés à grands frais, vantés & célébrés par l’ignorance & par la cupidité.
Il existe des abcès extérieurs qu’il faut ouvrir avant leur maturité, surtout ces abcès qui viennent aux doigts, & qu’on désigne sous le nom de panaris, de peur que le pus contenu dans des parties très-serrées, ne fuse le long des bras, & n’aille sévir sous l’aisselle & dans la poitrine même, comme l’expérience, malheureusement trop journalière, nous l’a démontré à la suite de l’application des corps gras : mais comme ceci regarde les gens de l’art, nous conseillons d’avoir recours à eux dans des cas semblables. Notre tâche est remplie, si nous pouvons empêcher l’emploi des corps gras, prévenir les funestes effets qui suivent leur usage, & laisser encore à l’art des ressources efficaces.
Les abcès intérieurs une fois formés, si l’on est assez heureux pour que le pus se procure une issue facile, il faut bien se donner de garde de troubler cette crise favorable de la nature par des remèdes incendiaires ; les analeptiques, (voyez ce mot) les fruits rouges, si la saison permet l’usage de ces derniers, sont les seuls moyens qui puissent favoriser la nature dans son travail, & empêcher les suites dangereuses.
Pour ce qui regarde les abcès intérieurs de chaque partie, voyez les articles Poumon, Foie, Estomac & autres. M. B.
Abcès, Médecine vétérinaire.
I. Il vient d’être dit que l’abcès n’est jamais sans inflammation quelconque ; & si l’abcès est considérable, l’inflammation l’est également, & la fièvre survient. Dans ce cas, l’eau blanche ou l’eau acidulée par le vinaigre ou l’eau nitrée, calmeront l’irritation. Cette dernière est plus active que la première, & la première l’est moins que les deux autres. Alors l’abcès acquerra peu d’étendue, & le pus sera louable. Ce cas exige la saignée, si la fièvre & l’inflammation sont trop fortes. Voilà pour le traitement intérieur.
II. Des cataplasmes faits avec la farine ou la mie de pain bien divisée, à laquelle on peut ajouter le safran, la pulpe de l’oignon de lys blanc, la verveine, la pariétaire, toutes les espèces de mauves, les épinards, l’arroche, le seneçon, ou telles autres herbes émollientes, seront appliquées sur l’animal, & soutenues par des bandages & ligatures analogues à la partie sur laquelle l’abcès se manifeste. (Voyez le mot Bandage)
III. Si au contraire vous employez les médicamens huileux ou les onguens qui ont pour base l’huile ou le beurre, ou les graisses ou la cire, vous ne tarderez pas à voir paroître une suppuration trop abondante, un pus de mauvaise qualité, la plaie résultante de l’abcès avoir la plus grande peine à se cicatriser, & quelquefois la gangrène succéder à l’inflammation. Tel est l’effet mécanique & nécessaire de l’application des corps gras & huileux, & la cause de l’opiniâtreté des plaies les plus simples à se cicatriser. Cette assertion paroîtra pour le moment un paradoxe à la multitude, puisqu’elle est diamétralement opposée à la pratique ordinaire de ceux qui se livrent à l’art de guérir ; cependant nous osons promettre de la porter jusqu’à la démonstration en traitant le mot Onguent. (Voyez ce mot)
IV. Si la suppuration est lente à se former, si l’inflammation, moyen dont la nature se sert pour établir la suppuration, traîne, languit, on doit alors rendre les cataplasmes plus actifs, plus pourrissans, afin que l’abcès aboutisse. Le levain de la pâte, & sur-tout de la pâte de seigle, la graine de moutarde réduite en poudre & incorporée avec la fiente de pigeon ou de vache, produiront de bons effets.
On peut encore employer utilement des substances gommo-résineuses, telles que la gomme ammoniac, le bdellium, le sagapenum, mises en solution par le vin, & unies aux oignons cuits sous la cendre, aux savons, &c.
À ces remèdes extérieurs, il convient d’unir les remèdes intérieurs pour ranimer les forces de l’animal. La thériaque seule, ou délayée par l’eau dans laquelle on aura fait bouillir des plantes, telles que les racines de scorsonère, de bardanne & des feuilles de chardon-bénit, de scabieuse, &c. seront appliquées convenablement.
V. Il se présente une troisième circonstance dans les différens abcès sur laquelle il est important de s’arrêter. Lorsque l’abcès se forme aux endroits chargés de graisse, ou sous de gros muscles, ou sous de fortes membranes, les maturatifs ou pourrissans dont on vient de parler, seront insuffisans pour attirer la suppuration au-dehors. Si on n’emploie pas des moyens plus prompts, plus efficaces, le pus fait des fusées, s’ouvre des routes dans le tissu cellulaire, y établit des clapiers, & les progrès du mal augmentent visiblement chaque jour. L’art fournit des ressources puissantes, & la prudence exige leur application aussi-tôt qu’on connoît le véritable siége du mal. Elles se réduisent à trois ; savoir, les caustiques, le cautère actuel & l’instrument tranchant. Le précipité rouge avec le sublimé corrosif, la pierre à cautère, la pierre infernale, le beurre d’antimoine sont les caustiques les plus renommés. Le cautère actuel est celui qui s’exécute par le moyen des boutons de feu. L’action des premiers est lente & douloureuse, & celle de la seconde est simplement douloureuse. Le cautère actuel est surtout préférable aux caustiques, lorsqu’il faut découvrir un abcès dans un endroit où l’instrument tranchant arrive avec peine, ou lorsque la plaie se referme presqu’aussi-tôt qu’on l’a retiré. Le grand avantage du cautère actuel est de former une escarre considérable qui maintient l’ouverture de la plaie, & donne un libre écoulement au pus. L’instrument tranchant est d’une grande utilité ; la douleur qu’il occasionne est moins vive que celle des deux moyens cités, & son action est plus directe & plus prompte. Lorsqu’on plonge le fer dans le foyer de l’abcès, lorsque l’abcès est ouvert dans toute sa largeur, alors on introduit le doigt dans sa cavité ; & si des brides forment des cellules, des cloisons, & pour ainsi dire autant de sacs d’abcès séparés, il convient de les couper avec les ciseaux ou avec le bistouri. Un praticien attentif accompagnera & conduira la pointe du fer avec l’extrémité du doigt, dans la crainte d’attaquer ou de couper quelque partie qui ne seroit pas une bride. C’est une délicatesse ou une retenue déplacée de s’astreindre à faire de petites ouvertures. La coupure est seulement une plaie simple que la nature guérit sans le secours de l’art, & l’ouverture trop étroite ne laisse pas au pus un passage suffisant, & oblige souvent d’en faire de nouvelles.
VI. Il arrive des cas où les contre-ouvertures sont d’une nécessité absolue. Quelquefois la position de l’abcès ne permet pas de donner l’issue que l’on desireroit ; d’autres fois, à cause des poches ou sacs dans lesquels le pus séjourne, s’accumule & produit des ravages affreux. Dans ce cas, la contre-ouverture sera pratiquée sur l’endroit où la pente entraîne naturellement le pus, & même on en pratiquera plusieurs, si le besoin l’exige. Cette opération est à tous égards préférable aux bandages expulsifs, aux injections, &c. qui, le plus souvent, ne servent qu’à faire traîner le mal en longueur.
VII. Lorsque l’abcès est ouvert, le premier point est de faire écouler le pus en pressant légérement sur les deux côtés des lèvres de la plaie. 2o. D’essuyer l’ulcère avec de la filasse de chanvre bien cardée, bien douce & très-propre ; de changer les bourdonnets faits avec cette filasse, jusqu’à ce que l’ulcère soit convenablement desséché. 3o. De garnir la cavité de l’ulcère avec des bourdonnets ou plumasseaux de la même filasse douce, fine & mollette ; ces plumasseaux absorberont le pus à mesure qu’il se forme dans l’ulcère, & l’empêcheront de ronger les chairs. 4o. Lorsque les cavités en sont garnies, il faut appliquer par-dessus des plumasseaux épais, trempés dans une décoction de plantes vulnéraires, (voyez ce mot) légérement éguisée par un peu de sel marin. 5o. Retenir ces plumasseaux par des compresses à plusieurs doubles & fortement imbibées de cette décoction vulnéraire. 6o. Les tenir assujetties par un bandage convenable. 7o. Avoir soin de les humecter plusieurs fois par jour sans déranger l’appareil. 8o. Panser l’animal seulement une fois par jour, & laisser, le moins qu’il sera possible, la plaie exposée à l’action de l’air, enlever les bourdonnets, les plumasseaux, dessécher l’ulcère, & le bien nettoyer avec la décoction vulnéraire. 9o. À mesure que le fond de l’ulcère se rétrécit, diminuer le volume des bourdonnets, &, dans aucun cas, ne forcer pour le faire entrer, ni en employer de trop gros, parce qu’ils souleveroient & tirailleroient trop les chairs. 10o. S’il survient des chairs baveuses sur les bords de la plaie, il suffit de les toucher avec le vitriol ou avec la pierre infernale, & d’augmenter la dose de sel de cuisine dans la décoction ; on peut même y ajouter un peu d’eau-de-vie. Si au contraire les bords de la plaie sont trop enflammés, durs, calleux, les décoctions des plantes émollientes seront très-utiles.
Les Maréchaux emploient communément les onguens digestifs pour le pansement des ulcères. Je crois qu’il est très-possible de s’en passer & de simplifier la méthode curative, puisqu’en me servant de celle que je viens d’indiquer, j’ai obtenu le même succès qu’eux.