Cours d’agriculture (Rozier)/ALOUETTE

La bibliothèque libre.
Marchant (Tome onzièmep. 124-135).


ALOUETTE, Alouette Des Champs, Alouette Commune, (Alauda arvensis Lin.) petit oiseau généralement connu dans les campagnes. Les ornithologistes rangent le genre des alouettes dans l’ordre des passereaux, quatrième section ; c’est-à-dire parmi les oiseaux dont le bec conique et aigu est simple, droit, non aminci, et sans dents ni échancrures, dont les pieds grêles sont propres au sautillement, dont le corps n’est point épais, enfin, qui se nourrisseur de graines et d’insectes.

De toutes les espèces de menu gibier, l’alouette est le plus abondant, l’un des plus délicats et des plus sains ; c’est aussi celui dont la chasse est la plus facile, la plus copieuse, et la plus fréquemment pratiquée. Mais cette chasse, ou plutôt cette guerre active et poussée à l’excès, a diminué sensiblement une espèce utile, et la menace d’une destruction totale. Quiconque a habité les champs, peut avoir observé que les alouettes y sont beaucoup moins nombreuses qu’autrefois. À mesure que le luxe a fait disparoître la simplicité des goûts et des appétits, il a commandé des jouissances anticipées et multipliées au delà de toute mesure : l’équilibre que la nature prévoyante avoit établi avec une sagesse admirable entre les ressources alimentaires, dont elle nous abandonne l’usage modéré, et les moyens de reproduction, a été rompu ; et si des ménagemens, déjà bien tardifs, ne viennent bientôt mettre un frein à une prodigalité irréfléchie, qui nous fait sacrifier au temps présent la propriété de l’avenir, nos neveux auront à nous reprocher une foule des privations plus ou moins pénibles.

Animées par le vol perpendiculaire, ou rasant le sol, et par le vif et léger piétinement des alouettes, égayées par leur joli ramage, les campagnes découvertes, soit qu’elles aient été dépouillées, soit qu’elles aient reçu de nouvelles semences, espoir du cultivateur, prennent encore un nouvel intérêt, en devenant le théâtre des amours un peu volages de ces oiseaux, ainsi que le berceau de leur grande fécondité.

Les alouettes se rassemblent en automne et en hiver ; n’étant plus distraites par les soins qu’entraînent le besoin de se reproduire et une famille naissante, ne s’occupant plus que de leur subsistance, leur chair se charge de graisse. C’est à cette époque que dans quelques cantons de la France, et sur-tout à Paris, où l’on en consomme beaucoup, elles prennent le nom de mauviettes. C’est le temps où on leur fait la chasse avec le plus de succès ; ce devroit être aussi le seul où il fût permis de leur tendre des pièges. Plus tôt, on détruit les alouettes avant qu’elles aient commencé ou terminé leurs couvées ; ce qui appauvrit l’espèce, puisqu’on la prive des moyens de réparer les pertes qu’on lui fait éprouver.

Chasse aux Alouettes. Considérée comme gibier, l’alouette présente un mets recherché, sur-tout aux environs des grandes villes, où le débit en est sûr et avantageux. Sous ce rapport, elle a excité l’industrie destructive des oiseleurs et des habitans des campagnes, d’où il est résulté différentes sortes de pièges que je vais décrire pour les cultivateurs qui voudroient consacrer leurs loisirs à cette chasse utile et amusante.

Le plus simple de ces pièges est celui des collets traînans, dits aussi, lacets. Lorsque l’on connoît un champ fréquenté par les alouettes, on tend le long d’autant de sillons qu’on le juge à propos, de fortes ficelles, longues chacune de vingt-quatre à trente pieds. À ces ficelles sont fixés, de deux pouces en deux pouces, des collets faits de deux crins de cheval : ils sont à leur extrémité terminés par des nœuds coulans et couchés horizontalement au fond des sillons, le long desquels on jette çà et là quelques grains d’orge ou de froment. L’alouette, attirée par cet appât, s’engage dans les sillons, et se prend ou par les pattes, ou par le cou : il y vient aussi d’autres oiseaux. Pour que le gibier pris ne fatigue pas les ficelles en se débattant, on les arrête de deux pieds en deux pieds par de petits crochets de bois, que l’on fiche en terre. Plusieurs hommes peuvent s’amuser à pousser doucement, vers les collets, les alouettes des champs voisins.

Des oiseleurs conseillent de s’occuper de cette chasse, au printemps, lors de la réapparition des alouettes : mais c’est, comme je l’ai remarqué au commencement de cet article, en détruire d’avance la reproduction.

Après les lacets on emploie avec avantage, pour la chasse aux alouettes, diverses sortes de filets, dont quelques uns servent à prendre d’autres oiseaux. Les filets les plus particulièrement destinés aux alouettes, sont les traîneaux, et les rets saillans ou nappes, dont on fait usage dans la chasse au miroir, et pour la ridée.

Les traîneaux sont simples ou composés. Le traîneau simple est formé d’un fil retors en trois brins, de la grosseur de celui que l’on nomme vulgairement fil de Bretagne. Les mailles de ce filet sont en losange, et ont quinze lignes de diamètre. Sa longueur commune est de vingt quatre à trente pieds, et sa hauteur de douze. On remarquera, en général, que pour que tout filet tendu et préparé conserve la longueur qu’on aura déterminée, il doit avoir, dans son état naturel, un tiers en sus de cette dimension. La raison en est que la maille devant s’ouvrir et s’étendre dans la largeur, elle ne peut le faire qu’aux dépens de la longueur. Ainsi, par exemple, on donnera réellement quarante pieds de long au filet que l’on voudra avoir tendu sur trente. Revenons au traîneau, et à la manière de l’employer.

D’abord, il faut maintenir ce filet dans ses largeur et longueur désirées, en le bordant d’un cordonnet gros comme une plume à écrire. On placera ensuite sur sa largeur ou hauteur, et à trois pieds de distance l’un de l’autre, des cordons ou fortes ficelles : ces cordons sont destinés à attacher à chaque bout du filet deux perches ou flèches qui servent à le porter. Ces perches doivent être d’un bois souple et léger, tel que l’aune ou le frêne ; elles auront quinze lignes environ de diamètre et dépasseront chacune de trois pieds, et d’un côté seulement, la largeur du filet, le long duquel elles doivent être fixées. La chasse au traîneau se fait de nuit. Lorsque l’on connoît un champ où les alouettes se rassemblent volontiers, on observe, au coucher du soleil, leurs divers mouvemens. Dès que l’on a connoissance du lieu où elles se disposent à passer la nuit, on y plante, pour le reconnoître et se guider, des baguettes surmontées de cartes ou morceaux de papier, insérés dans une fente. Cela fait, on revient vers ce lieu, avec un second, à la nuit avancée. On aura encore attention de choisir un temps obscur, pas assez néanmoins pour que l’on ne puisse distinguer les objets à trente ou quarante pas. Arrivés dans le champ qu’ils veulent parcourir, les chasseurs déploient leur traîneau, attachent à chaque bout, et dans le sens de sa largeur, leurs perches ou flèches, et les portant horizontalement, marchent en silence, séparés l’un de l’autre de toute la longueur du filet. On laisse d’ordinaire pendre à terre un pied de ce filet qui, traînant dans toute sa longueur derrière les porteurs, force le gibier à se lever. Le bruit qu’il fait alors, est le signal de laisser tomber les perches ; et par ce moyen on capture souvent, d’un seul coup, une bande considérable de dormeuses. Il est bon qu’un seul des chasseurs se charge de donner à son compagnon les différens signaux dont ils seront convenus, pour avancer, s’arrêter et exécuter les divers mouvemens que demande cette chasse, l’une des plus destructives que l’on puisse faire aux alouettes. On peut aussi la tenter pendant le jour, lorsque le ciel est sombre et couvert d’épais nuages.

Le traîneau dit composé, semblable au traîneau simple, dans sa forme et sa matière, en diffère seulement, en ce qu’il est plus ample et qu’il bourse davantage ; ce qui s’obtient en donnant à ce filet une longueur et une hauteur doubles de celles du précédent ; mais dans ce cas, le cordonnet qui sert à le border, comme on l’a vu plus haut, conserve les mêmes proportions que dans le traîneau simple ; et alors, ou conçoit que le filet, dont les dimensions sont doublées, est obligé de froncer de tous côtés. Mais pour que cette ampleur ne retombe pas en masse vers le milieu, on attache sur la hauteur, et de deux pieds en deux pieds, des cordonnets qui traversent d’un bord à l’autre, et forment dans la longueur du filet plusieurs plis ou rides parallèles. L’avantage de cet appareil est de dispenser les chasseurs de s’arrêter. En effet, on ne laisse point tomber ce traîneau, comme le précédent, lorsque le gibier se lève dessous. Les plis qu’il forme, comme je viens de le dire, et qui rasent l’extrémité du chaume, suffisent pour envelopper et embarrasser tellement les alouettes, qu’on a le temps de parcourir tout un champ, avant que les premières prises aient pu réussir à se dépêtrer. L’on ne s’arrête donc que quand l’on juge sa proie assez considérable pour la recueillir, et la mettre en sûreté. (Voyez la forme du traîneau composé, à la Planche III, figure 1re.)

Les nappes sont une autre espèce de filet, que l’on emploie pour chasser, comme il a été dit, soit au miroir, soit à la ridée. Le fil dont elles sont formées doit être à trois brins et retors, mais moitié plus fin que celui qui convient au traîneau, parce que le jeu de ce filet demande beaucoup de légèreté ; ses mailles sont en losange et de douze lignes de diamètre. Ses dimensions, selon les auteurs qui ont traité de cette chasse, doivent être de huit pieds de hauteur ou largeur, sur quarante-huit de longueur. Mais l’expérience démontre que les mouvemens des nappes qui n’ont que six pieds de largeur sur quarante-cinq pieds au plus de longueur, sont toujours plus faciles et plus sûrs. J’ai remarqué, en parlant du traîneau, que sa longueur réelle devoit excéder d’un tiers celle qu’on vouloit qu’il conservât tendu : cette observation s’applique encore aux nappes qui doivent être faites avec la même précaution. Aux deux lisières de chaque nappe, et selon leur longueur, s’attache, de six pouces en six pouces, un cordonnet de la grosseur d’une plume, ce qui forme des espèces de mailles longues, jetées hors du filet ; et c’est ce qu’on appelle enlarmer. Dans ces mailles sont passées sur chacune des quatre longueurs une corde grosse comme le doigt ; ce qui fait en tout quatre cordes. Chacune d’elles excède, aux deux bouts, la longueur du filet d’environ six pouces, et cet excédant de longueur, replié et attaché par un nœud, forme aux quatre coins autant de boucles destinées à recevoir et serrer la flèche ou guède que je vais décrire.

Les oiseleurs appellent guèdes ou guides, quatre bâtons ou perches un peu plus longues que la hauteur des nappes, ou, d’après ce qui a été expliqué plus haut, passant chacune six ou huit pieds. Elles ont environ un pouce de diamètre ; elles sont faites d’un bois flexible et léger, tel que le frêne, le noisetier, ou l’orme, et elles sont terminées en haut par une tête, pour arrêter les cordes qui doivent s’y fixer. Leur destination est d’abord de tendre le filet ; ensuite de lui servir, pour ainsi dire, d’axes ou de leviers, dans le mouvement par lequel les nappes doivent rouler comme une porte à deux battans, et se replier sur la terre. Les guèdes tendent et déploient le filet, en passant par les boucles décrites ci-dessus, et qui terminent l’enlarmure. Ces boucles sont arrêtées au haut et au bas de la guède, dans une gorge qui y est pratiquée à cet effet. Un piquet enfoncé dans la terre, s’adapte ensuite à l’extrémité inférieure de chaque guède, et par un mécanisme que je vais exposer, la rend susceptible de tourner et s’abattre de gauche à droite, ainsi que de droite à gauche. Pour que cette description devienne plus sensible, il faut concevoir, par la pensée, les deux nappes étendues exactement vis-à-vis l’une de l’autre, comme seroient deux portes couchées et égales en largeur et en longueur. Les piquets qui fixent une extrémité de chaque guède, vers la terre, sont comme les gonds de ces portes, et les guèdes elles-mêmes sont comme les pentures sur lesquelles elles doivent rouler et se rabattre, à l’effet de recouvrir tout le terrain compris entre les deux nappes, et qui doit par conséquent être égal en largeur à celle des deux filets réunis. Cet appareil est rendu sensible par la figure II, même planche.

On a imaginé divers moyens de rendre mobile l’attache de la guède à son piquet. L’un des premiers a été de percer d’un trou la tête de ce piquet, et l’extrémité de la guède qui lui doit correspondre, et d’enfiler dans ces trous un boulon terminé d’un bout par une tête, et de l’autre par une fente destinée à recevoir une clavette qui se trouvoit placée en dehors des guèdes. L’on a ensuite entaillé les guèdes en mortaise, et les piquets en tenon, l’un et l’autre traversés, comme ci-dessus, d’une broche de fer ou boulon. D’autres ont adapté à l’extrémité de leurs guèdes, des ferrures isolées et destinées à jouer de la même manière, en embrassant, entre deux branches ou pattes, l’extrémité des piquets. Ceux que l’on trouve le plus communément aujourd’hui, chez les marchands, sont de trois sortes ; j’en ferai connoître un quatrième, qui m’a été donné par M. Claveaux, à qui je dois plusieurs autres renseignemens précieux.

Le premier de ces piquets, est le piquet simple ou à cordes. C’est celui qu’à la campagne, on peut le plus aisément se procurer soi-même. (Voyez figure 3, Planche III.) C’est un morceau de bois rond, d’un pouce environ de diamètre, et long de douze, finissant en pointe par en bas et terminé en haut par une gorge et un renflement qui fait tête. Pour attacher ce piquet à la flèche ou guède, on se sert d’un cordeau gros au moins comme celui de l’enlarmure. Cette corde doit être longue de deux pieds ; l’on en rapproche et noue ensemble les deux bouts. On lui fait alors embrasser la tête du piquet, par un nœud que l’on forme, en enveloppant cette tête de la corde croisée, puis ramenant en dessus et croisant encore autour de la tête le bout du dessous de cette même corde. Après ce nœud fait, l’excédant de la corde sert à attacher, de la même manière, l’extrémité inférieure de la flèche ou guède, en observant d’embrasser, dans son nœud, la boucle dont il a été parlé plus haut, et qui attache la guède au filet, afin que cette boucle ne remonte pas, et afin aussi que la corde à laquelle elle appartient, se trouve ainsi rattachée à celle du piquet, qui doit servir au mouvement de toute la machine. Quand chaque piquet et chaque flèche sont ainsi attachés l’un à l’autre, la corde qui les unit doit avoir environ un et au plus deux pouces de jeu. On enfonce chaque piquet en terre, de manière que le bas du filet se trouve tendu le plus roide possible. Je dirai comment se tend le haut, quand j’aurai décrit les autres sortes de piquets.

La seconde espèce est celle du piquet à broche et anneau. Il est fait d’un morceau de bois de hêtre préférable à tous autres pour cet usage, long d’un pied, aplati par une de ses extrémités, de l’autre se terminant en pointe et présentant à peu près la forme d’un gousset de menuiserie, très-allongé. La partie plate du piquet est épaisse de dix à douze lignes et large de trente. Dans cette largeur est pratiquée une entaille carrée, profonde de deux pouces et de neuf lignes d’ouverture. Cette ouverture est au haut du piquet, qui présente ainsi par sa tête la forme d’une espèce d’U ou fourche carrée, mais dont la branche qui doit regarder le filet est ordinairement plus courte que l’autre d’environ un demi-pouce. (Voyez figure 4.) Les deux branches de cette fourche sont percées et traversées d’une broche de fer grosse comme une plume à écrire, qui peut être fixe ou mobile à volonté, et qui, dans l’un ou l’autre cas, est destinée à enfiler l’œil d’un pilon fixé à l’extrémité des guèdes propres à cette espèce de piquet. Si la broche est mobile, elle doit être terminée en anneau par un bout, afin d’être plus aisément saisie, poussée et retirée. Cet anneau sert aussi à la pendre après son piquet au moyen d’une ficelle ; mais il est plus avantageux que cette broche soit à demeure et rivée sur le piquet, parce que l’on a, dans ce cas, embarras de moins de l’ôter et retirer quand on se sert de ses filets. Seulement, si elle est fixe, le piton dont on a parlé plus haut doit être alors incisé et ouvert à son extrémité, afin qu’il puisse embrasser la broche sur laquelle il doit rouler. Ce piton aura six pouces de queue, quinze ou seize lignes de largeur au collet, et quatre lignes d’épaisseur. Il est enfoncé jusqu’à l’œil dans l’extrémité inférieure de chaque guède virolée, pour l’empêcher d’éclater. (Voyez figures 4 et 5.) C’est au moyen de cet œil, d’environ quatre lignes de diamètre, que la guède tourne autour de la broche. Ce mouvement de charnière, quand le filet est bien tendu d’ailleurs, est toujours facile et doux.

La troisième espèce de piquets, dits à l’italienne, est composée d’une douille de fer tournant autour d’une branche de même métal, laquelle se termine par deux anneaux qui servent à la fixer en terre au moyen de deux piquets simples qui traversent ces anneaux. (Voyez figure 6.) La douille a trois pouces de longueur, elle est en cône, la pointe en est terminée par un œil ou anneau qui traverse la branche ou verge de fer dont il vient d’être question. L’ouverture de la douille est d’environ dix lignes ; l’extrémité de la flèche ou guède qui s’enfonce dans cette douille, est taillée en pointe pour y entrer juste. La douille est, de plus, percée diamétralement d’un petit trou destiné à recevoir une pointe qui traverse et fixe le bois de la flèche ; la verge de fer qui traverse la tête de la douille forgée en anneau à cet effet, est grosse comme le petit doigt, et longue, entre les deux anneaux qui la terminent, d’environ trois pouces ; ces anneaux, dont un au moins, comme on doit le sentir, ne peut être forcé qu’après que la branche est passée dans l’œil de la douille, ont environ un pouce de diamètre ; ils reçoivent, ainsi qu’on l’a dit, un piquet à tête, qui les traverse, et qui, enfoncé avec force dans la terre, tient la machine en état, et lui fait servir de point d’appui au mouvement des guèdes.

Au reste, tous ces piquets, bien que d’un service commode et suffisant, ont l’inconvénient de n’entrer que d’une manière pour ainsi dire passive dans la rotation que décrit la flèche, et qui ne peut recevoir le mouvement que de l’adresse et de la force du chasseur. C’est ce qui a fait désirer pour ces instrumens une construction qui se prêtât au jeu de quelque ressort, propre à imprimer aux flèches ou guèdes le mouvement de rotation par lequel elles doivent ramener le filet sur le gibier. Or, voici ce que l’on a imaginé à cet effet, et que l’on pourroit appeler le piquet élastique. Sa première pièce est, comme dans le piquet à l’italienne, une douille destinée à recevoir l’extrémité des flèches ; mais cette douille est terminée par une tête ou bouton, au lieu de l’être par un anneau à branche ou verge qui, dans le piquet précédent, reçoit ce même anneau, se retrouve encore ici, mais avec une forme et une destination toutes différentes. Cette branche en effet, qui a six ligues d’équarrissage, est courbe, longue de six pouces, et se termine de chaque bout par deux anneaux d’un pouce environ de diamètre. Cet appareil tout en fer n’est que la partie supérieure d’un pivot on piquet aussi en fer qui, partant du milieu de la branche, et la séparant en deux parties égales, s’allonge en queue de six à huit pouces, pointue par le bout, large en haut de dix à douze lignes, et épaisse de quatre dans toute sa longueur. C’est ce pivot qui s’enfonce dans la terre. La double branche ou espèce de cornes qui le termine par le haut, et que j’ai décrite, s’élève dans sa courbure d’environ trois pouces au dessus de la tête du pivot. Les anneaux formés au bout de chaque corne reçoivent un cordeau posé comme celui de l’enlarmure, lequel est passé quatre fois de l’un à l’autre. Au centre de cette corde on engage la tête de la douille, et on la tourne alors de façon à ce qu’elle tord les cordes, ainsi que le fait le petit morceau de bois qu’on appelle la barre dans la monture d’une scie. Lorsque les cordes sont suffisamment torses, l’on repousse la douille de manière à ce que son bord supérieur vienne battre contre le milieu de l’embranchement d’où part le pivot. Par cet arrêt, la machine est en état de tension. (V. fig.7.) On doit sentir qu’alors, si on engage quatre flèches ou guèdes dans quatre douilles ainsi préparées, et convenablement tournées vis-à-vis l’une de l’autre, lorsqu’on aura forcé ces flèches à se replier de gauche et de droite, et à se renverser chacune en dehors, il faudra un effort bien moindre que celui qu’on emploie dans les autres piquets pour les exciter à se relever et à se rabattre les unes vers les autres, puisque, outre l’impression, qu’elles recevront du chasseur pour prendre ce mouvement, elles y seront d’ailleurs naturellement sollicitées par la corde qui les tient engagées, et qui, comme dans la monture de la scie, tend à se détordre en sens contraire. Cette mécanique me paroît ingénieuse, et d’un jeu sûr.

Quelle que soit au reste l’espèce de piquet qu’on adoptera, il restera toujours à employer, pour achever de monter son filet, quatre cordes pour le tendre par en haut et deux pour le tirer. C’est des unes et des autres que j’ai maintenant à parler.

Les nappes étant disposées sur un terrain naturellement uni et débarrassé de tout corps nuisible, tel que branches, pierres, etc., on y attache les guèdes ou flèches par les boucles qui terminent chacune des grosses cordes passées dans l’enlarmure, et, s’il est besoin, par deux cordelettes placées à des distances égales sur chacune des largeurs du filet. On enfonce fortement en terre les piquets destinés au mouvement des guèdes, et on les place de manière qu’ils rendent roide le bas du filet, en écartant, autant que possible, l’extrémité inférieure de la flèche à laquelle l’on a vu que ce filet étoit attaché. Il faut ensuite tendre de la même manière les extrémités supérieures, et c’est à quoi servent les cordes qui viennent d’être indiquées. Elles sont longues chacune de trois fois la largeur du filet, et terminées à chacun de leurs bouts par une boucle ou nœud ouvert. L’un de ces bouts ou boucles est attaché à la tête a de chaque guède ; (fig. 2) et ces quatre cordes tendues diagonalement vont rejoindre par leur autre bout un fort piquet à crochet où elles se fixent, et qui est enfoncé en terre dans l’alignement des deux autres piquets où se meuvent les guèdes ; de sorte que les quatre piquets ensemble, et la lisière ou enlarmure inférieure de chaque nappe, sont toujours dans la même direction, et présentent à l’œil une ligne exactement droite. Viennent enfin les cordes de tirage, ou qui font jouer les nappes. Il n’y en a que deux ; elles s’adaptent de côté et d’autre à l’extrémité a des deux guèdes les plus proches du chasseur. (Voyez cette disposition, figure 2.) Ce côté des nappes s’appelle la tête du filet. Ces cordes sont, ainsi que les précédentes, grosses comme celles qui passent par l’enlarmure. Elles ont en longueur quatre fois la hauteur ou la largeur des nappes, et se réunissent diagonalement par leur extrémité où un nœud c les rassemble, et d’où part une troisième corde, ou même l’une des deux précédentes prolongée, pour aboutir à la place où se tient le chasseur. Cette place, que quelques auteurs appellent forme, est éloignée d’environ trente pas de la tête du filet. Elle est ordinairement creusée, du moins assez, pour présenter aux pieds de celui qui fait jouer les nappes, un arrêt ou point d’appui, lorsqu’il se jette en arrière pour ramener vers lui la corde de tirage sur laquelle il est assis, et à laquelle est attaché par un nœud un bâton long d’un ou de deux pieds, qu’il peut saisir et empoigner de ses deux mains pour avoir plus de facilité à tirer. Il est bon encore que cette même corde qui passe sous le chasseur soit fixée, à quelque distance derrière lui, par un piquet qui la tienne juste au degré de tension que demande le repos des nappes, afin que le tirage qu’exerce le nappiste soit uniquement et immédiatement employé à faire mouvoir les nappes, et non à tendre d’abord les cordes destinées à opérer ce mouvement.

Après avoir préparé les nappes, il s’agit d’y attirer les alouettes, et c’est à quoi sert le jeu du miroir. Cet instrument est composé d’un morceau de bois long de huit à neuf pouces, large de deux au plus ou même d’un et demi en dessous, et formant en dessus le toit ou le dos d’âne. Les deux extrémités ne se terminent pas carrément, mais sont aussi taillées en biseau ou plan incliné. On recommande encore de ne pas applanir exactement les deux grands côtés, mais de les partager en plusieurs plans étroits, de manière sur-tout que le sommet ne soit point terminé en vive-arrête et présente une petite surface. Cependant, chez les marchands on ne trouve communément que des miroirs dont les côtés n’ont qu’un plan et se réunissent au sommet en vive-arête. La forme de la base ou du dessous du miroir est encore une partie sur laquelle on n’est pas d’accord : les uns veulent que cette base soit droite et plate, ce qui donne au miroir la forme d’un petit toit ; d’autres préfèrent que cette base, ainsi que l’ensemble du miroir, dessinent une courbe ou portion de cercle, et que la machine présente en quelque sorte le profil d’un C un peu allongé et renversé le dos en haut. La raison qui fait préférer cette forme est que le miroir mis en mouvement forme mieux le globe. (Voyez figure 8.) C’est par la même raison que l’on emploie aussi pour les miroirs un morceau de bois rond et un peu convexe, à peu près comme seroit une assiette creuse renversée.

Après avoir donné à son morceau de bois, qui est ordinairement un morceau de tilleul, la forme qu’on juge convenable, on y pratique des entailles dans lesquelles on incruste de petits morceaux de miroir. Pour les sceller dans le bois, on emploie un mastic composé de trois onces de poix noire que l’on fait fondre, et dans laquelle on mêle quatre onces de ciment rouge tamisé. On emploie ce mélange chaud, et l’on juge qu’il est bon quand il n’est ni trop cassant, ni trop mou. On peint ensuite le bois d’un rouge-brun, et à la colle seulement, ayant soin de ne pas ternir les petits miroirs. On a vu des machines recouvertes, au lieu de morceaux de glaces, d’une feuille d’argent bruni et qui jetoit beaucoup d’éclat. Pour monter son miroir, on y enfonce par dessous, et au milieu, une broche de fer longue de six pouces environ, et grosse comme une forte plume à écrire. Il est bon que l’extrémité qui doit entrer dans le miroir soit terminée en carrelet à la longueur d’un pouce, pour s’y fixer plus solidement. À cette même broche, et à peu près au milieu, est adaptée une bobine, haute d’environ deux pouces, autour de laquelle s’envide la ficelle qui fait tourner le miroir, et l’extrémité du fer dépassant la bobine entre dans le trou vertical d’un fort piquet enfoncé en terre, et dont la tête ou le dessus est percé à la profondeur de deux pouces. Si, pour enfoncer ce piquet, on frappoit sur cette tête, on sent qu’on l’écraseroit bientôt et que l’on boucheroit le trou. L’on a donc un autre petit morceau de bois garni d’une petite broche de la profondeur du trou du piquet, et dans lequel on la place ; on frappe alors sur le petit morceau de bois qui chasse le piquet, et que pour cela on appelle un poussoir. Les chasseurs bien équipés ont pour enfoncer tous leurs piquets un outil appelé masse à pic, qui, d’un côté, fait marteau, et de l’autre pic ou pioche. Ce dernier côté leur sert à remuer la terre au besoin. Lorsque le miroir est planté, et il doit l’être toujours au milieu de l’espace contenu entre les deux nappes ouvertes, le chasseur envide sur la bobine une corde fine connue sous le nom de fouet. Cette corde s’étend jusqu’à la forme où il se place. Elle y est attachée à une poignée de bois qui, tirée et lâchée par des mouvemens égaux du bras, fait tourner le miroir sur son pivot, par le même principe que tournent les moulinets que fabriquent les enfans, en plaçant une pomme ou quelqu’autre corps au bout d’une verge ou courte baguette qu’ils passent dans une noix ou gros noyau évidé. Le miroir dessiné figure 8 est celui qu’on trouve chez les marchands : sa partie supérieure dd, cc, est une boîte ou étui assez large et long pour recevoir la bobine. la partie dd est un couvercle mobile qui se lève comme celui d’une tabatière, et qui est percé d’un trou par lequel passe la broche avant qu’elle ne soit surmontée d’un miroir. Les trous t donnent passage à la ficelle envidée sur bobine. Cette chasse se pratique le matin jusqu’à midi. L’époque la plus favorable est celle de la fin de l’été et du commencement de l’automne, jusqu’au mois d’octobre environ. Il faut que le soleil luise ; les jours de gelées blanches sont très-favorables, parce que l’alouette commence à chercher le soleil ; et il paroît que c’est ce sentiment qui l’attire vers la lumière que jette le miroir mis en mouvement. Quelque soit au reste l’instinct qui la porte vers cet éclat trompeur, il est certain qu’il a pour elle un attrait funeste. Ou la voit venir voleter et badiner autour de la fatale machine ; et dès que le nappiste juge sa proie à bonne portée, il quitte la corde de son miroir, à moins qu’il n’ait avec lui un tourneur, saisit celle du tirage et, se jetant en arrière, ramène sur les imprudens oisillons les nappes qui les enveloppent. Il est des jours où les alouettes mirent du haut, et semblent ne vouloir pas descendre au miroir ; dans ce cas on fait jouer un autre piège qui achève d’assurer leur perte. À quelque distance du miroir, on plante un petit piquet où l’on attache par la patte une alouette vivante ; et à son défaut, on se munit de deux ailes d’alouettes fixées à une petite baguette que l’on place sur ce même piquet. Une longue et légère ficelle tendue jusqu’au chasseur, lui donne le moyen de faire voltiger son alouette ou d’agiter ces ailes. Cet appareil, qu’on appele moquette, contribue efficacement à faire descendre les alouettes qui n’échappent pas à cette nouvelle embûche. J’ai présenté le mécanisme le plus simple de la rotation du miroir. Il est quelques autres méthodes qui n’en diffèrent pas très-essentiellement. Par exemple, au lieu de placer la bobine de la broche du miroir verticalement au dessus du piquet, on entaille ce même piquet, un pouce au dessous de sa tête. Cette entaille carrée est profonde d’un pouce et demi et longue de deux. Le piquet est d’ailleurs percé, comme il a été dit ci-dessus, d’un trou vertical, et c’est dans cette entaille que s’envide, autour de la broche qui la traverse, la corde qui meut le miroir. Cette disposition est exactement celle des moulinets des enfans.

Si les mouvemens du bras de celui qui fait jouer le miroir cessent d’être bien égaux, la machine peut s’arrêter. Pour remédier à cet inconvénient, on envide par son milieu, autour de la bobine, une très-longue corde, dont les deux extrémités réunies dans les deux mains du nappiste, et tirées alternativement, impriment au miroir, comme au tour d’un tourneur, une rotation qui ne s’arrête point. On a aussi appliqué aux miroirs le rouage d’un tournebroche. Ce rouage est mû, soit par un ressort, soit avec une corde double envidée sur une noix ou bobine. Les amateurs trouveront ces machines chez les fabricans d’instrumens de chasse, et il est inutile de s’y arrêter, ainsi qu’au miroir anglais, qui est un plateau horizontal, monté sur une branche ou bras élastique et balancé de haut en bas par une corde attachée à la branche, et qui descend vers la terre, au moyen d’un piquet percé d’un trou ou garni d’un anneau par lequel passe cette corde. Ce miroir n’a pas eu de succès en France.

Le miroir sert encore à chasser l’alouette au fusil, et c’est même le seul moyen de rendre cette chasse profitable. Un bon tireur, placé convenablement, et rassemblant beaucoup de ces oiseaux autour de son miroir, peut raisonnablement espérer de se voir dédommagé de sa poudre et de son plomb.

Les nappes qui servent à la chasse an miroir, sont aussi employées, pour la ridée qui se pratiqué en hiver, lorsque les alouettes ne font que rider, c’est-à-dire, rasent la terre en volant d’un champ à l’autre. Pour cette chasse on dispose, bout à bout, les deux nappes, et l’on emploie trois guèdes pour les tendre, une à chaque extrémité, et la troisième dans le milieu ; c’est celle-là qui réunit les deux nappes. Ce filet est tendu de plus à ses deux extrémités par deux cordes et deux piquets, ainsi que je l’ai décrit pour la nappe simple. Il n’y a qu’une seule corde de tirage. Mais, pour qu’elle puisse lever et faire tourner le filet, on attache à un piquet et à la distance de quinze pieds de la tête des nappes, une poulie à chappe dans laquelle passe la corde de tirage : cette poulie doit être placée de manière qu’elle entre ou avance de deux pieds en dedans de l’alignement du terrain recouvert par les nappes. Pour attirer les alouettes, on tend le long du filet et en devant, une ficelle qui se prolonge jusqu’à la loge du chasseur ; à cette ficelle sont attachées quelques alouettes vivantes qui servent de moquettes ou appelants, et invitent celles des champs voisins à se rendre auprès d’elles : plusieurs traqueurs les y poussent en battant la campagne. Lorsque celui qui fait mouvoir les nappes, et qui doit être placé dans une loge de feuillages, à une distance convenable, voit le gibier à sa portée, il tire son filet et il enveloppe sa proie comme dans la chasse au miroir. On aura soin, en général, de ne pas tendre ses nappes contre le vent ; on tâchera autant que possible que le nappiste l’ait à dos.

Les nappes peuvent servir à une troisième chasse dite aux fourchettes', mais à leur défaut on y emploie tout autre grand filet, pourvu que les mailles n’en soient pas trop ouvertes. On chasse aux fourchettes l’hiver par les premières gelées ou lorsque la terre est couverte de neige ; et pour cela on se précautionne de trois ou quatre douzaines de petites baguettes de bois, grosses comme le petit doigt, longues d’un bon pied, pointues par un bout, terminées à l’autre par un embranchement qui fait la fourche. Munies de filets et de ces fourches ou fourchettes, plusieurs personnes se rendent aux champs, et quand on apperçoit des bandes d’alouettes, on les tourne de loin, à cent pas, par exemple, et on les force à se ramasser en circulant doucement, marchant courbé et imitant les mouvemens d’une vache qui paît. Quand les alouettes ont été rassemblées et qu’on n’en est plus éloigné qu’à une quarantaine de pas, on s’arrête pour déployer sur terre son filet, on l’étend à cent pas environ des alouettes et à travers les sillons ; on le soutient élevé sur les fourchettes plantées de distance en distance, et on le laisse pendre en terre de trois côtés. Le quatrième bord, que l’on tâche de disposer vers le côté où les alouettes prennent leur direction, reste ouvert et élevé sur un premier rang de fourchettes au moyen d’une corde qui passe par dessous et qui soutient le filet en l’air. Les fourchettes de ce premier rang doivent être plantées à deux pieds de distance l’une de l’autre ; Cette disposition peut être assez bien imaginée en se représentant un de ces grands paniers carrés et bas de bord, qui seroit renversé le fond en bas, et dont un des quatre côtés ou bords seroit cassé et relevé. Cela fait, on retourne, par un circuit, se placer au dessus des alouettes. Elles se trouvent par conséquent entre les chasseurs et l’ouverture du filet vers lequel on continue de les rabattre. Lorsqu’on les voit suffisamment approchées, on presse sa marche pour les forcer à se précipiter sous le filet ouvert devant elles, et on court promptement déplanter le premier rang des fourchettes pour le fermer entièrement. À cette chasse, comme aux précédentes, des alouettes vivantes attachées à l’entrée du filet ne pourroient que contribuer à accélérer l’approche de celles qu’on veut y précipiter. La tonnelle-murée est un piège plus particulièrement consacré aux perdrix ; cependant on y prend aussi des alouettes. On les y pousse de la même manière que sous le filet aux fourchettes. L’instant de cette chasse est le coucher du soleil. Je renvoie à l’article Perdrix la description de la tonnelle.

En terminant ici la nomenclature des filets propres à prendre l’alouette, je dirai un mot de leur couleur. En général tous doivent être teints : les teintes ordinairement employées sont le vert, la couleur feuille morte, ou de terre, ou jaune sale. La verte a l’avantage de servir en toute saison, et de se confondre avec la couleur habituelle dont se pare la nature. Lorsqu’on n’a point de teinture à sa portée pour teindre son fil ou ses filets, on prend quelques poignées de blé vert, on les hache et on les pile, et on frotte son filet dans cette espèce de bouillie, en l’y laissant tremper vingt-quatre heures. La couleur brune ou de terre convient assez aux filets d’hiver, par exemple, aux nappes. On l’obtient en les trempant dans une eau de tan. Cette préparation a l’avantage de conserver les fils ; au défaut de tan, on se sert de racines de noyer dont on prend les écorces. Sur deux boisseaux de ces écorces on jette deux seaux d’eau, on fait bouillir le tout ensemble, et l’on trempe vingt-quatre heures ses filets. L’enveloppe verte de la noix, dite aussi le brou, s’emploie de même et produit le même effet. Enfin la plante connue dans les campagnes sous le nom d’éclaire, (la grande chélidoine) fournit un suc jaunâtre dont on tire encore une teinture pour les filets, en les frottant de cette plante arrachée à pleines poignées.

J’ai décrit une dernière espèce de chasse qui se fait aux alouettes par le moyen des gluaux, et que j’ai pratiquée moi-même avec succès. Buffon l’a citée dans son Histoire Naturelle[1]. Je la ferai connoître ici, parce qu’elle est très-productive et très-propre à dédommager des frais qu’elle exige. On prépare pour cette chasse environ deux mille gluaux. Ce sont des baguettes de saule droites, longues de trois pieds dix pouces, aiguisées et un peu bridées par un bout, pour être plantées en terre. L’extrémité supérieure est enduite de glu à la hauteur d’un pied. On plante ces gluaux dans un champ convenable, par exemple, une terre en jachère, et fréquentée par les alouettes. Ils doivent être espacés de manière à permettre le passage entre les rangs ; chaque gluau est à un pied de distance de son voisin. Les gluaux du second rang doivent correspondre à l’entre-deux du premier et ainsi de suite ; ce qui forme un quinconce. Le talent du chasseur consiste à planter ces baguettes avec tant de légèreté, et dans un si exact équilibre, que le moindre mouvement d’une alouette puisse les culbuter en les touchant. Ces premières dispositions exécutées, une troupe de chasseurs se rend aux gluaux vers les quatre ou cinq heures du soir ; on s’y partage en deux bandes, dont chacune se place à l’extrémité du carré long formé par les gluaux, et qui présente un de ses grands côtés au terrain où l’on suppose les alouettes. À ces deux mêmes angles sont élevés deux drapeaux qui servent à guider la marche des chasseurs. Aux signaux d’un commandant, chacun des détachemens s’étend en silence et décrit une ligne circulaire qui embrasse une grande étendue de terrain. Les deux lignes se rejoignent à environ une demi-lieue des drapeaux ou du front de la chasse ; par cette marche on sent que l’on a dû rabattre vers le centre une grande quantité d’alouettes. C’est alors que l’extrémité de la chasse marche de front vers les drapeaux, et que le cordon, se resserrant de plus en plus, presse les alouettes vers les gluaux. Toute cette marche doit être exécutée avec intelligence pour ne pas presser mal à propos les alouettes et les forcer à s’envoler. Il faut souvent marcher courbé ou se mettre ventre à terre, imiter les animaux paissant, etc. Au moment du coucher du soleil, le milieu du cordon doit se trouver à environ deux cents pas du front des gluaux. C’est alors que le cordon continuant de se serrer avec circonspection, amène au piège les alouettes qui, à cette heure, ne font plus que voleter, s’élevant seulement de quelques pieds. Ainsi elles se jettent infailliblement dans les gluaux, et s’y prennent quelquefois au nombre de cent douzaines et plus, selon que le canton est fréquenté par ces oiseaux. (S.)


  1. Voyez le vol. I, page 280, de mon édition des Œuvres de Buffon. Paris, Dufart.