Cours d’agriculture (Rozier)/PERDRIX

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PERDRIX, genre d’oiseaux de l’ordre des gallinacées. (Voyez au mot Caille.)

Caractères génériques : Le bec court, fort et convexe ; les narines à demi-recouvertes par un opercule ; les yeux presque toujours entourés de petites excroissances mamelonnées ; la queue courte ; quatre doigts, trois en avant et un en arrière, tous séparés jusqu’à leur naissance.

Deux espèces de ce genre sont principalement répandues dans notre Europe, la perdrix grise et la perdrix rouge. La première (perdix cinerea Lath. — Tetrao perdix Lin.) a le devant et les côtés de la tête, ainsi que la gorge, d’un roux clair ; des traits jaunâtres sur le fond brun, teinté de roux du dessus de la tête, d’autres cendrés, noirs et roux sur le corps, dont le dessous est bleuâtre, à l’exception du bas ventre, qui est d’un blanc mêlé de jaune ; les ailes brunes, avec des bandes transversales de blanc roussâtre ; le bec et les pieds d’un cendré bleuâtre ; une peau nue couverte de papilles couleur de sang entoure les yeux, et une tache de couleur marron, en forme de croissant, couvre la poitrine des mâles et des vieilles femelles, que l’on distingue néanmoins en ce qu’elles portent ce croissant moins grand que celui des mâles : ceux-ci ont d’ailleurs aux pieds un ergot obtus, qui manque aux femelles.

C’est à cette dernière marque que l’on distingue également le mâle de la seconde espèce, la perdrix rouge (perdix rufa Lath. — Tetrao rufus Lin.) Il n’y a rien de rouge sur cet oiseau, hors le bec, les yeux et les pattes ; du reste, sa gorge est blanche et entourée d’une espèce de collier noir ; une bande blanche ceint la tête ; les plumes du cou portent des taches noires ; un gris brun assez foncé orne le dessus du corps, et une jolie nuance cendrée recouvre la poitrine.

Les perdrix grises, bien plus sociables que les rouges, se trouvent dans toute la France, et y offrent quelques variétés en général accidentelles.

Les premières aiment les pays à blé, les plaines, et ne se réfugient dans les bois ou les vignes que quand elles sont rebattues et forcées, ou qu’elles fuient l’oiseau de proie. Ces oiseaux s’apparient à la fin de l’hiver, plus tôt ou plus tard, selon les températures. Les coqs se disputent les femelles avec acharnement, et leur trop grand nombre dans un pays est même nuisible à la ponte, soit qu’ils cassent les œufs, soit qu’ils ne laissent pas le temps à la femelle de nicher et de couver. Les nids sont posés sans trop de soin au bord des blés et des prairies, ce qui contribue aussi à diminuer l’espèce, tant parce qu’ils sont aisément découverts des chiens, des bêtes, des oiseaux de rapine et des bergers, que parce que les pluies détruisent souvent les œufs, ou les petits. Quand une poule perdrix est privée de ses œufs, il est ordinaire qu’elle s’occupe d’une seconde ponte, qu’on appelle, en terme de chasse, recoquage. Les petits qui en proviennent atteignent leur accroissement plus tard que ceux des premières couvées.

On élève avec succès les perdrix grises en domesticité, en donnant les œufs à des poules bonnes couveuses. Les petits qui en naissent sont nourris, s’il est possible, comme dans l’état de nature, avec des œufs de fourmi, et, à leur défaut, avec de la mie de pain, des œufs cuits durs et hachés, et du millet. Si on vouloit retenir les perdreaux en domesticité, il ne faudroit pas chercher des œufs dans le voisinage de l’endroit où on voudroit les conserver ; car on assure que, bien que couvés par une poule, ces perdreaux reconnoîtroient bientôt l’accent de leur véritable mère, et s’envoleroient. Pour prévenir d’ailleurs cet inconvénient, on leur arrache deux des plus fortes plumes des ailes, et on coupe l’extrémité des autres. On les fait aussi se mêler petit à petit, et sous la garde de leur mère couveuse, avec les poules de la basse-cour. En leur donnant pour demeure un enclos ou verger distribué avec soin, garni de broussailles et de bosquets, et leur distribuant la nourriture à des heures réglées, ces oiseaux deviennes tellement domestiques, qu’on peut les laisser voler aux champs, et ils reviennent, sans faute, à leur habitation retrouver leur nourriture aux heures accoutumées, et même ils s’y livrent à l’amour comme s’ils étoient en liberté.

On peut engraisser les perdrix, et donner à leur chair des goûts particuliers par un bon choix de nourriture, en les enfermant dans un petit endroit clos, éclairé par une seule ouverture garnie d’un grand filet. Un mois de séjour dans cette mue suffit pour leur donner l’embonpoint convenable.

La chair de la perdrix est plus estimée quand elle a acquis un certain degré de mortification. On la garde longtemps, si, après qu’elle est tuée, on lui enlève les intestins, et qu’on la serre dans une cave non humide ou dans un tas de blé, après que toute la chaleur vitale s’est dissipée.

Il est des signes essentiels à connoître pour distinguer les perdreaux des perdrix, et les mâles des femelles. Les perdreaux commencent à voler à la fin de juin ; de là le proverbe : À la Saint-Jean, perdreau volant ; mais en bonne règle, ils ne sont bons à tirer qu’à la mi-août, lorsque leur seconde queue pousse : c’est ce qu’on appelle le revenu ; le perdreau chez qui le revenu se montre, est dit bréché ; et, après cette pousse de plumes accomplie, revenu de queue. De cette époque à la mi-septembre, il prend ses plumes du corps, mouchetées de gris, et le perdreau est maillé. Viennent ensuite les plumes rousses de la tête, et le rouge des tempes et d’entre l’œil et l’oreille ; cela s’appelle pousser le rouge. Enfin, lorsque la trace en fer à cheval, formée de plumes rousses et noirâtres, et très-sensible, sur-tout dans les mâles, se fait aussi remarquer sur l’estomac des adultes, leur croissance est complète. Ils atteignent ce point vers le commencement d’octobre, et cette dernière époque est encore annoncée par le proverbe : À la Saint-Remi, tous perdreaux sont perdrix. Dès lors, pour distinguer les jeunes perdrix des vieilles, il faut regarder les pieds, qui sont jaunâtres dans les premières, et bruns-gris dans les dernières, après avoir passé par les dégradations du jaune au blanchâtre, et au gris. La perdrix jeune a aussi, jusqu’au temps de sa première mue seulement, c’est-à-dire pendant sa première année, la première plume du fouet de l’aile terminée en pointe comme une lancette. Après cette mue, cette plume est terminée en rond comme les autres. Les différences des mâles avec les femelles consistent en ce que ceux-ci sont un peu plus gros ; que leur chant est plus fort, que le fer à cheval sur la poitrine, dont j’ai parlé tout à l’heure, se dessine fortement ; qu’enfin ils ont, ainsi que je l’ai déjà remarqué, un ergot obtus derrière le pied, que les femelles n’ont pas.

Chasse Aux Perdrix. La recherche que l’on fait de ce gibier, la facilité de s’armer contre lui de son instinct et de ses habitudes pour le trouver et le saisir, ont multiplié à l’infini les moyens de destruction. Le braconnage n’a point de proie plus assurée ; et comme toutes les ruses qu’il emploie sont connues, il n’y a point d’inconvénient à publier ses secrets ; au contraire, les grands propriétaires de terres qui tiennent à la conservation de leur gibier, ont intérêt à les étudier, pour être plus à même de les surveiller.

On chasse les perdrix, de jour et de nuit, avec le fusil, le chien d’arrêt, le tramail, la tonnelle, la tirasse ou traîneau ; ces chasses sont ostensibles et loyales. La nuit, on emploie des méthodes silencieuses, et qui conviennent au braconnage, et une foule de pièges cachés, et pour ainsi dire dormans : on tend sur leur passage les collets, les lacets, les trébuchets ; on les enveloppe de filets, en les frappant de stupeur, à l’aide du feu endant la nuit, ou du leurre pendant le jour.

La chasse au fusil a un grand attrait pour les chasseurs de profession, et ils attachent quelque gloire et quelque mérite à son succès. Il est de principe, en fait de chasse, de ne tirer aux perdreaux que quand ils sont maillés ; cette époque commence pour eux à la mi-août. En général, pour chasser au fusil, il faut être accompagné d’un bon chien d’arrêt. Les heures convenables sont, dans l’automne, depuis dix heures jusqu’à midi, et depuis deux jusqu’à quatre. Dans tout autre moment, il n’est ni facile, ni commode, de courir après les perdrix, qui sont dispersées pour chercher leur nourriture. Un chien bien dressé enveloppe et rassemble les perdrix, en les circonvenant, et décrivant autour de la bande une spirale qui, se resserrant toujours, réunit et cerne le gibier en un seul tas. C’est alors que le chasseur avance à une distance convenable et tire les perdrix, soit arrêtées à l’endroit qu’indique le chien de ses yeux et de son museau, soit lorsqu’elles prennent leur vol. Il entre dans les bonnes qualités du chien, de ne pas poursuivre les perdrix envolées, pour ne pas les forcer à trop s’écarter. (Voyez l’article Chasse.)

À défaut de chien, on peut attirer les perdrix avec l’appeau, ou les attendre dans la hutte ambulante, lorsqu’elles quittent les vignes et les bois où elles ne couchent jamais, pour gagner quelque pelouse ou friche qu’on sait être leur cantonnement. Si on habite un pays peu abondant en perdrix, il faut chercher à s’assurer des lieux où elles remisent, avant de s’exposer à les quêter à l’aventure. Pour cela, on se rend un soir à la chute du jour dans les plaines ; et, appuyé contre un arbre, une haie ou un buisson, on écoute avec attention de quel côté vient le chant que ces oiseaux, en se rassemblant, ne manquent jamais de faire entendre. Ce chant est toujours suivi d’un vol, comme si quelque instinct les avertissoit de quitter le lieu où elles viennent de se faire remarquer. Cette habitude, ou, si l’on veut, cette précaution, est constante et uniforme, et on peut être certain que sans quelque accident, les perdrix passeront la nuit là où elles se seront posées. Si le chasseur est bien servi par ses oreilles et par ses yeux, il est donc sûr de retrouver son gibier. Il remarque avec soin les lieux, et le lendemain, avant le jour, il s’y rend avec un chien attaché, s’il n’est pas très-sage. À la première lueur de l’aube, il entendra ses perdrix recommencer leur chant, après lequel elles feront un vol plus ou moins long ; quelquefois elles répètent encore ce manège du chant et du vol, ce qui conduit jusqu’au moment du lever du soleil ; dès lors le chasseur peut mettre son chien et quête, et il ne tardera pas d’avoir occasion d’exercer son adresse.

La neige est funeste aux perdrix de bien des manières ; elle les rend surtout bien faciles à tirer par le tranchant de leur couleur, qui se détache sur le voile blanc dont la plaine est couverte ; aussi les nuits de neige et de lune sont-elles l’espoir du braconnier. Il se revêt d’une chemise blanche par-dessus ses habits, se coiffe d’un bonnet blanc ; et, parcourant les champs, approche les perdrix, blotties et immobiles, d’aussi près qu’il le veut. Un seul coup de fusil est très-meurtrier dans cette circonstance, et abat presque toute une compagnie.

Comme il naît et vit plus de perdreaux mâles que de femelles, et que la multiplication des mâles nuit à celle de l’espèce par leur acharnement à poursuivre les couveuses au temps de la pariade, c’est un soin conservateur que celui de détruire dans ce temps les mâles trop nombreux et trop amoureux. On doit donc alors tirer de préférence sur les coqs, et, pour cela, il faut savoir qu’au commencement de la pariade, lorsqu’on fait lever des perdrix, c’est toujours ce coq qui part le dernier ; mais, sur la fin d’avril, c’est tout le contraire, la dernière à partir est alors la poule. Si on apperçoit un couple à terre, on reconnoîtra encore le coq à sa tête, qu’il porte haute et relevée ; mais le meilleur moyen pour diminuer le nombre des mâles, est de se servir contr’eux de la chanterelle.

J’ai déjà dit que l’on entendoit par ce mot une femelle en cage, dont le chant appelle les mâles de son espèce. Si l’on a une poule de perdrix privée ou même une vieille mère démontée d’un coup de fusil, on la porte aux champs ou dans tout autre endroit propice, et sa voix attire bientôt sous les coups les mâles non appariés. C’est dans ce cas qu’on se sert aussi avec beaucoup de succès du hallier ou tramail. J’ai décrit ce filet, et la manière de le tendre, à l’article Caille, que le lecteur peut consulter.

Je n’ai qu’à ajouter ici, que pour les perdrix, le tramail doit être plus haut de trois ou quatre pouces, et les mailles aussi plus grandes d’autant de ligues, et de fil un peu plus fort. On place la chanterelle dans une cage faite d’un chapeau rond cloué par ses bords sur une planche, dans laquelle est pratiquée une porte. Il est bon aussi que cette même planche soit montée sur un piquet vertical qu’on enfonce en terre.

Il y a plusieurs autres espèces de cages. Une des plus simples, est de monter aux deux bouts d’une planche longue deux autres ais demi-circulaires, comme seroient les deux moitiés du fond d’un baril ou moyen tonneau. Sur l’un de ces côtés, on pratique une porte pour introduire la perdrix, et sur l’autre deux ouvertures par où elle puisse passer sa tête pour boire et manger. On cloue sur ces planches une toile cirée verte, dans laquelle un ou deux trous ronds permettent à l’oiseau de passer sa tête ; le tout ainsi construit a la forme d’une petite malle. Il est d’autres cages en filet, montées sur des châssis de bois qui soutiennent des arçons demi-circulaires en fil de fer. Ces filets s’ouvrent par un bout, et se ferment comme une bourse ; le tout s’attache tendu, au dessus du sol, entre deux forts piquets. On est obligé quelquefois, lorsqu’on a une chanterelle sauvage, de la porter coucher sur la plaine, parce qu’en ne l’y portant que le matin, l’agitation qu’elle se donne la fatigue et l’empêche de chanter quand on la pose à terre. Dans ce cas, comme il y a à craindre pour elle les bêtes et leurs attaques, on recouvre la cage dont on se sert, d’une seconde cage de fil de fer ou de laiton. Lorsqu’on a tendu ses halliers, et que la chanterelle fait bien son devoir, il est immanquable de voir les mâles accourir les uns après les autres, et même plusieurs à la fois, pour se disputer la femelle. Il ne faut pas sortir de la retraite d’où l’on observe ce qui se passe, pour le premier qui se trouve pris, car d’autres ne tardent pas à le suivre : les pièces de blé vert ou les chaumes, sont les théâtres de cette chasse. Le voisinage d’une haie, d’un buisson ou bouquet de bois, est très-favorable pour fournir au chasseur le moyen de se cacher. Avant de tendre ses halliers, il est aussi prudent d’écouter si le mâle chante dans la plaine, ou de l’y exciter par quelques coups d’Appeau (Voyez ce mot) pour placer sa chanterelle le plus près possible du coq, afin que celui-ci l’entende plus vite. Cette chasse est, en général, très-fructueuse. On la commence, selon les températures, dès la fin de janvier ; elle se prolonge jusque dans l’été : les heures sont celles du matin et du soir. Lorsqu’on occupe une habitation qui donne sur les champs, une perdrix privée, placée aux fenêtres ou dans le jardin, attire souvent les mâles autour d’elle.

Cependant, il en est de vieux et rusés qui ne se fient point à ces chanteuses en cage ; c’est pour ceux-là sur-tout, et aussi pour les autres, que le possesseur d’une chanterelle, extrêmement douce et privée, peut employer un moyen qui surmonte toutes les méfiances. Ce moyen consiste à enchaîner par le corps sa chanterelle avec un petit harnois de rubans cousus, qui passent sous les ailes et en devant de la poitrine, et viennent s’attacher sur le dos ; là, ils se réunissent à un petit anneau de fer ou de cuivre, dans lequel on passe une petite corde. Au bout de cette ficelle est un second anneau, engagé dans une seconde corde un peu longue, tendue entre deux piquets. On conçoit que la perdrix va, vient, et se promène le long de cette corde, et paroît en liberté ; il n’est point de mâle qui alors ne l’approche, et ne vienne même la cocher si on le laisse faire. Vers les deux extrémités de la corde tendue, et sur laquelle glisse l’anneau qui sert de guide à la marche de la perdrix, on pratique, à une distance convenable, quelques obstacles, tels que deux gros nœuds qui empêchent l’anneau de glisser jusque contre les piquets, autour desquels la perdrix ne manqueroit pas de s’embarrasser en tournant. Si l’on n’a point de chanterelle, on peut encore tendre les halliers avec fruit, lorsque plusieurs personnes se réunissent pour rabattre le gibier et le pousser vers les filets, en le cernant de loin, et marchant sur lui avec précaution. Un bon chien est utile, dans cette circonstance, pour découvrir et rabattre les perdrix.

La tonnelle est une autre espèce de filet, employé spécialement pour ce gibier, et qui consiste principalement en une longue poche ou verte, dans laquelle on le force à se jeter. Cette poche ou sac a quinze pieds de long ou de queue ; sa gueule ou ouverture a environ dix-huit pouces de diamètre ; le fil qu’on y emploie est retors en trois brins, grosseur de fil de Bretagne, teint en vert ou en brun ; la largeur des mailles est de dix-huit à vingt-quatre lignes. Il y a environ trente mailles à la levure : la levure faite, on maille comme pour faire un filet rond et fermé. (Voyez l’article Filets.) On rapetisse d’environ six rangs en six rangs ; à la pointe du sac, le filet ne doit plus avoir que cinq à six pouces de diamètre. Pour le tenir ouvert circulairement, on passe à sa gueule, et de distance en distance, de petites baguettes de bois souple et pliant, que l’on courbe en cercle et assujettit, en les nouant à leurs extrémités, et sur les mailles du filet, dans lesquelles on les fait glisser. À cette même ouverture, on attache deux piquets, qui, enfoncés dans terre, tiennent l’entrée du sac tendue, droite ou verticalement. Cette tonnelle se pose dans les pièces de grains, entre deux sillons : pour tenir sa queue allongée, on y attache un troisième piquet, qui la fait tendre. Aux deux côtes de l’ouverture, on attache deux halliers simples, d’un pied au moins de haut, qui, se prolongeant obliquement comme deux cornes, à travers les sillons, présentent une sorte de haie au gibier qui suit ces mêmes sillons, et qui, forcé de biaiser le long de ces filets pour continuer sa marche, arrive enfin à l’embouchure de la tonnelle, où on le force à se jeter. Plus ces halliers sont longs, mieux ils servent, arrêtant ainsi sur un plus grand espace tout ce qui vient à eux : la forme de leurs mailles est indifférente. À défaut de toiles, on les prolonge avec de simples ficelles, garnies de branchages, ou même de bouquets de plumes, et tendues sur des piquets. Pour se servir de cet équipage, on se rend, le matin, aux champs, après avoir pris la précaution, la veille au soir, de chercher, comme pour la chasse au fusil, à s’assurer de la remise des perdrix. La vache artificielle est du plus grand secours pour cette chasse. Avec ce déguisement, on tournoie jusqu’à ce qu’on aperçoive les perdrix ; et, tâchant d’observer de quel côté elles sont disposées à partir, on dirige vers ce point l’entrée de la tonnelle. Le filet étant monté, on revient, en n’épargnant pas le temps et les détours, se couvrir de la vache artificielle, et l’on approche petit à petit, feignant de brouter, et quelquefois de se rouler, jusqu’à ce que les perdrix se soient mises en marche. Le signe de leur inquiétude est lorsqu’elles dressent la tête. À ce signe, il faut s’arrêter, s’éloigner même, tourner le dos ou se coucher : enfin, lorsqu’elles sont au bord de la tonnelle, les plus jeunes s’y précipitent, et entraînent les autres ; on court alors fermer l’entrée, et on se saisit de sa proie. À défaut de vache artificielle, plusieurs hommes de compagnie peuvent rabattre les perdrix avec force précautions, marchant lentement, faisant de loin un peu de bruit, en parlant ou en frappant des cailloux, de manière à n’exciter les perdrix qu’à marcher, et non à fuir.

Les traîneaux et tirasses, décrites aux articles Alouette et Caille, s’emploient avec le même succès contre les perdrix pendant la nuit ; et, par tout ce que je viens de dire, on doit être au courant de toutes les précautions usitées pour les découvrir et les approcher. Pendant la nuit on se sert, avec beaucoup de succès, du feu, dont la lumière les frappe, les étonne ou les éblouit, au point qu’elles se laissent approcher, blotties et immobiles, et couvrir d’un filet, ou tirer à coups de fusil. En Italie et en Sardaigne, on les quête avec un flambeau fait d’une branche de pin bien résineuse ; en France, on place un lampion dans le fond d’un boisseau ou d’un seau, qu’on porte la gueule en avant ; d’autres ont perfectionné cette machine, en faisant faire une espèce de réverbère de fer-blanc, dont l’éclat et le poli répercute la lumière. Dans cette même chasse, les Italiens couvrent les perdrix d’un filet, soutenu au bout d’une perche par un cerceau : on a donné l’équivalent de cette machine dans le traîneau portatif pour les bécassines. La routine a aussi conservé, pour les perdrix, la méthode de monter le traîneau que porte un seul homme, sur deux perches légères de saule ou d’autre bois, plus rapprochées par un bout que par l’autre, et qui embrassent par le bout où elles se rapprochent, les hanches du porteur, qui s’engage entre ces deux extrémités, empoigne les bâtons aussi loin qu’il peut étendre les bras, et appuyant la corde qui roidit le bas du filet contre son ventre, chemine, portant cet appareil devant lui, pour le laisser tomber sur le gibier lorsque l’occasion s’en présente. Si, en se servant de quelque espèce de traîneau que ce soit, on faisoit partir les perdrix sans avoir pu les couvrir, il faudroit suivre, aussi exactement que possible, la direction de leur vol forcé ; les laisser ensuite une heure ou deux pour les laisser se rendormir, et se diriger de nouveau vers leur remise.

Les collets piqués ou traînans, les rejets même, servent encore à semer les dangers sur les pas des perdrix. J’ai déjà décrit aux articles Alouette, Bécasse, Grive, et au mot Collet, l’usage, le placement et le mécanisme de ces pièges. Pour éviter les redites, j’ajouterai ici qu’on les dispose absolument de la même manière pour les perdrix, en observant de se conformer à la marche qu’indiquent leurs habitudes. Ainsi on jette sur leur chemin de petites haies factices, dont on garnit les passées de collets ; on en distribue le long des raies des champs. Dans tous les cas, il est bon de semer les routes qui conduisent à ces pièges, de quelques poignées de blé, d’avoine ou d’orge, etc. Les collets sont sur-tout meurtriers en hiver, par un temps de neige ; si alors on nettoie de neige un certain espace d’un champ, que l’on y jette du grain et qu’on le couvre ou de collets traînans, ou bien que l’on dresse à travers les sillons des collets piqués, défendus par des garnitures, les perdrix, pressées par le défaut de vivres, et cheminant le long des raies pour ramasser le grain, s’arrêteront infailliblement par le cou ou par les pattes. Ces collets s’emploient aussi avec succès vers la fin de janvier, lorsque les coqs commencent à courir après les femelles. Ils se livrent sur-tout à ces jeux, lorsqu’une petite gelée du matin a affermi la terre et facilite leurs courses le long des sillons. Alors on les traverse d’une haie de branchages, laissant au fond une passée garnie d’un collet piqué, mais dont le haut doit s’incliner un peu sur le chemin, parce que, s’il étoit vertical, la perdrix courant la tête haute, le pousseroit avec son estomac, au lieu que, s’inclinant, il présente un petit obstacle qu’elle veut franchir en baissant la tête, ce qui la fait s’engager elle-même et se serrer le cou.

Le trébuchet appâté est aussi, en hiver, et même en d’autres temps, un piège d’un effet sûr. Lorsque dans un endroit fréquenté par les perdrix on peut avoir quelque haie, ou buisson, ou souche, comme au voisinage des vignes, bosquets et bruyères, on commence par semer çà et là du grain, principalement du blé, de l’orge et de l’avoine, et on fait des traînées qui, de divers points, conduisent à l’endroit convenable, où on laisse cinq ou six poignées de ces mêmes grains. Lorsque les perdrix y sont venues un jour, elles y reviennent encore le lendemain ; et, familiarisées par le succès, elles se précipitent sous le Trébuchet, (Voyez ce mot) que l’on y tend au bout de deux ou trois jours, et sous lequel toute une compagnie se trouve prisonnière. Avec cet instrument, on a la facilité de choisir les mâles et de les manger ; on peut, et si l’on est curieux de chasse, nourrir les femelles pour les lâcher au temps de la pariade, et multiplier la race en débarrassant ces femelles des poursuites des mâles, si nuisibles, comme je l’ai dit plus haut, à la ponte et à la couvaison. Plusieurs auteurs indiquent, pour parvenir au même but, un filet dont le jeu ne me paroît ni aussi sûr, ni aussi commode que celui du trébuchet. On commence, dans cette méthode, par planter quatre piquets en carré, au milieu desquels on place le grain. Si les perdrix y viennent, on joint à ces piquets quelques branchages. Quand ce nouvel appareil ne les rebute pas, on ajoute des cordes ou des morceaux de filet, qu’enfin on tend tout de bon. Pour cela, on plante solidement en terre quatre nouveaux piquets, si les premiers ne sont pas assez forts, éloignés les uns des autres de quatre pieds environ. On établit sur la tête de ces piquets, au moyen de cordes qui vont de l’un à l’autre, un filet tendu horizontalement. Les bords de ce filet doivent traîner jusqu’à terre, mais on les relève et retrousse sur les quatre côtés. Au bas de chaque piquet, rez terre, est attachée une bouclette ou anneau ; par ces anneaux on passe une cordelette qui remonte, au sortir de chaque anneau, dans la lisière du filet qu’elle borde tout autour en passant à travers les dernières mailles. Après avoir ainsi embrassé le filet, les deux bouts de cette corde se réunissent à une troisième fort longue, qui aboutit à une cachette éloignée d’une trentaine de pas, plus ou moins, dans laquelle se tient le chasseur. Lorsque celui-ci voit les perdrix rassemblées pour manger le grain laissé entre les quatre piquets, il tire sa corde et serre les lisières du filet contre terre, au moyen du cordon qui glisse dans les boucles, et fait descendre vers ces boucles les bords de ce filet : par là, les perdrix se trouvent renfermées comme dans une cage renversée. Le plus grand inconvénient de cette pratique est qu’il faut quêter son gibier et l’enfermer soi-même, au lieu que dans le trébuchet la présence du chasseur est inutile, et qu’il n’a besoin d’approcher qu’à l’heure qu’il sait que les perdrix s’occupent de chercher leur nourriture.

Les Grecs font aux perdrix une chasse fort singulière ; ils vont quêter dans les plaines, armés d’un fusil et d’une espèce de bannière ou étendard, composé de plusieurs morceaux de draps de toutes sortes de couleurs, et sur-tout de couleurs tranchantes, comme seroit un habit d’arlequin. Lorsqu’on a découvert une compagnie de perdrix, on déroule à leurs yeux cette bannière, et l’homme qui la porte et qui s’en couvre, les approche doucement. Cet objet produit sans doute sur ces oiseaux une stupeur pareille à l’impression qu’ils reçoivent de la vue de l’oiseau de proie ; car ils se blottissent et se laissent tuer tous les uns après les autres sans songer à fuir. Il faut probablement expliquer de la même manière l’effet de la chasse dite au leurre, dans laquelle un homme couvert de feuillages, et portant sur une espèce de petite claie de baguettes entrelacées un morceau de drap rouge, approche les perdrix, les chasse doucement devant lui, jusque sous des traîneaux ou dans des halliers ou filets quelconques, tendus à quelque distance.

Les perdrix rouges, communément plus estimées que les grises, et dans quelques cantons bien inférieures, d’après le goût que contracte leur chair selon la qualité des nourritures, se chassent, en beaucoup de circonstances, par les mêmes méthodes que les grises. Cependant la connoissance de leurs habitudes, différentes de celles des premières, doit servir à guider le chasseur et à lui faire modifier ses procédés. Les perdrix rouges, plus communes au midi qu’au nord de la France, préfèrent aux plaines, le séjour des coteaux, des lieux élevés, secs et pierreux ; elles fréquentent les jeunes taillis, les bruyères, les landes couvertes de genêts et de broussailles. C’est dans ces lieux et dans les sentiers qu’ils présentent qu’on doit leur tendre tous les collets, avec les précautions d’ailleurs recommandées pour les grises. Les rouges volent plus pesamment que celles-ci, mais courent mieux. Elles se rassemblent moins, partent plus difficilement : pour une qui se lève, il ne faut pas abandonner la place ; en la battant, on peut espérer d’en trouver encore d’autres éparses et plus paresseuses à partir. Cette habitude en rend plus agréable et plus sûre la chasse faite avec un bon chien d’arrêt ; mais cependant elles fatiguent quelquefois davantage le chasseur, quand elles se font quêter de coteaux en coteaux. On prend très-bien les perdrix rouges la nuit à l’aide du feu et sous les traîneaux. Lorsqu’on parcourt les champs sans lumière, il est indispensable, d’après la ténacité de ces oiseaux, de laisser traîner par terre l’extrémité postérieure de son filet, et même de l’armer de quelques branchages, dont le bruit ou l’attouchement les force à se lever. L’appeau des perdrix rouges (décrit à l’article Appeau) est un instrument singulièrement imitatif de la voix de la femelle ; on s’en sert avec le plus grand succès pour attirer les mâles, soit au filet, soit au fusil. Lorsque les femelles couvent, ceux-ci ont cela de différent de l’autre espèce, qu’ils les laissent tranquilles ; et, à cette époque, lorsqu’on les voit accourir, ce qu’ils font en bandes très-nombreuses, on peut tirer dessus sans crainte pour les femelles ; s’il s’en trouvoit quelqu’une, ce seroit une vieille et qui ne pondroit plus.

Le filet dans lequel on attire les coqs de perdrix rouges, s’appelle bourse ou (pochette. C’est une petite nappe carrée, longue, faite d’un fil en trois, grosseur de fil de Bretagne, teinte en vert ou en brun (le vert est d’un usage plus général.) Pour fabriquer cette nappe, dont la maille est en losange, on se sert d’un moule de douze lignes de diamètre ; on fait trente mailles à la levure, et on donne au filet quatre pieds de long. On le ramasse alors à chaque bout, selon la largeur ; on renoue chaque extrémité que l’on termine par une boucle du diamètre du petit doigt, et on la fortifie en faisant faire plusieurs révolutions à une ficelle autour des branches de cette boucle. On pourroit, pour plus de simplicité, attacher en cet endroit un anneau moyen, de ceux qui servent à suspendre les rideaux. On conçoit que le filet ainsi plissé et noué à ses deux bouts, présente la forme d’une espèce de sacoche longue et ouverte de bout en bout. Pour achever de monter ce filet, on passe deux cordonnets de quatre pieds chacun, de bout en bout, dans les mailles de chaque lisière, observant d’en fixer un, par exemple, au bout à droite, et de faire sortir son extrémité après en avoir enfilé les mailles de la première lisière, par l’anneau du bout opposé, et au contraire d’attacher l’autre cordonnet à ce même dernier bout, et, enfilant de même les mailles de l’autre lisière, de le faire sortir par l’anneau placé à gauche, à l’autre extrémité. Par là, si l’on tire ces deux cordonnets par le bout qui sort de chaque anneau, on fronce et ferme sur eux le filet, et on produit le même effet que celui qui résulte du serrement des cordons d’une bourse, d’où ce filet a pris ce nom. Son usage est aussi simple que sûr. Les mâles rouges qui sont, comme je l’ai dit, de bons piétons, se jettent dans les sentiers plutôt que dans les champs, pour poursuivre leurs femelles. D’après cela, on se rend à l’heure des deux crépuscules, et quelquefois aussi à midi, selon que l’on entend chanter le mâle, sur le terrain propre à cette espèce de chasse. On se munit d’une petite baguette souple, qu’on puisse piquer en arçon ou demi cercle, par le travers d’un sentier. Cette baguette doit avoir assez de longueur pour que la porte qu’elle forme ait un pied environ d’élévation verticale au sommet de la courbure. On noue au pied du bâton, et rez terre, les deux extrémités du cordonnet qui sortent des deux boucles décrites ci-dessus. On étend une lisière du filet à plate terre, dans l’entre-deux de l’arçon, et on pose légèrement l’autre lisière sur sa courbure : par là, le filet se trouve étendu comme une haie par le travers du chemin. Il faut que les bords de ce chemin soient hérissés de quelques buissons ou souches propres à cacher le chasseur. Il se tapit derrière, et, avançant sa tête dans le sentier, il donne quelques petits coups d’appeau. Dès que le mâle l’entend, il accourt avec la plus vive ardeur. Si l’on se trouvoit entre lui et le filet, il faudroit passer doucement et subtilement de l’autre côté, afin que le filet fût toujours entre la perdrix et l’appeau. Arrivé près du chasseur, le coq chante et cherche la femelle ; on lui répond d’un seul coup, et ce seul cri suffit d’ordinaire pour le faire continuer son chemin. Arrivé au filet, il s’arrête quelquefois, mais bientôt il s’y précipite, et, courant, il en emporte le milieu, tandis que les extrémités se serrent derrière lui au moyen des cordons. On peut continuer cette chasse dans le même lieu. La saison dure depuis le mois d’avril jusque fort avant dans l’été.

La perdrix rouge est infiniment plus difficile à apprivoiser que la grise. Les perdreaux que l’on fait éclore sous la poule, demandent des soins infinis et languissent presque toujours. Il faut tenir celles que l’on prend adultes, dans des volières garnies de toile pour les empêcher de se tuer. Elles ne se plaisent pas dans tous les sites, et on les transporteroit vainement dans un autre canton, où elles ne trouveroient pas des objets analogues à leurs goûts. On distingue les jeunes de l’année à la pointe qui termine, comme dans les grises, la première penne de l’aile : les vieilles ont de plus les pieds semés d’écailles blanchâtres. On trouve dans cette espèce des familles de grosseurs différentes ; celles qui habitent les lieux élevés et les bois, sont les plus grosses de toutes. Il y en a une très-grosse race dans les montagnes du Dauphiné, qui est connue sous le nom de rochaffière. C’est de ce même pays que nous viennent les bartavelles, que des ressemblances de formes et d’habitudes ont fait considérer par les gens peu instruits, pour des espèces de grosses perdrix rouges. Mais aujourd’hui les ornithologistes ont établi la ligue de division qui les sépare. Ces oiseaux sont très-difficiles à chasser, à cause des sites âpres et impraticables où ils se plaisent. Le froid les fait descendre plus près des habitations : c’est alors qu’on peut en tuer quelques unes au fusil dans les petits bois, les bruyères et les broussailles. Mais en général, celles qui parent nos tables, sont venues périr dans les pièges que leur tendent les paysans des contrées où elles sont communes. (S.)