Cours d’agriculture (Rozier)/AMÉNAGER

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Hôtel Serpente (Tome premierp. 475-478).


AMÉNAGER. Terme d’exploitation & de commerce de bois, qui signifie le débiter en bois de chauffage, de charpente, ou de quelqu’autre manière que ce soit. Les ordonnances de nos rois ont fixé à 60, 90, 100, 150 & 200 ans l’âge où les bois du domaine du roi mis en futaie, doivent être abattus : ces ordonnances ont prescrit de laisser dix baliveaux par arpent, & les gens de main-morte sont obligés d’avoir un quart de leurs bois en réserve ; enfin, tous les propriétaires quelconques doivent laisser seize baliveaux par arpent dans les taillis, & il leur est défendu de les couper avant quarante ans, & le taillis au dessous de dix ans.

Il n’est pas possible de fixer le nombre des années qu’un arbre de quelque espèce qu’il soit, doit rester sur pied avant d’être abattu. Son existence est relative à sa végétation, & sa végétation à la qualité du sol dans lequel il croît, & au climat sous lequel il croît. Si on veut une règle générale, il faut la prendre dans la nature même, & en voici une qui me paroît invariable, & décider le moment où l’arbre est dans le cas d’être abattu avant qu’il soit en décours. Il est surprenant que ceux qui vivent, pour ainsi dire, au milieu des forêts, n’aient pas saisi cette indication de la nature.

Ce que j’ai à dire ne peut s’appliquer qu’aux arbres venus naturellement, & dont le pivot, les racines, &c. n’ont point été mutilés par la main des hommes. On peut cependant, & à la rigueur, l’appliquer aux autres arbres.

Supposez un demi-cercle divisé par degrés ; le point de la partie supérieure est un : pour aller jusqu’à la ligne horizontale ou à la base du cercle, tracez de chaque côté quatre-vingt-dix degrés qui sont les divisions ordinaires du demi-cercle & du quart de cercle. Il s’agit d’appliquer ces degrés aux positions des mères branches de l’arbre.

Sa tige sera le degré 1, ou autrement la perpendiculaire sur la base. Les branches d’un arbre très-jeune décrivent un angle de dix ou vingt degrés avec le tronc : je ne parle pas des branches inférieures qui périront par la suite ; elles sont longues, fluettes, branchues, surchargées de feuilles relativement à leur grosseur ; d’ailleurs, elles sont pour ainsi dire écrasées par les branches supérieures. L’arbre acquiert des années ; presque toute la totalité de ses branches s’abaisse, & forme un angle de vingt à trente & à quarante degrés : c’est son moment de vigueur. Lorsque la masse des branches parvient à l’angle de cinquante à soixante degrés, l’arbre, loin d’acquérir en force, décline : à soixante-dix, il a déjà beaucoup perdu ; & à l’angle de quatre-vingts à quatre-vingt-dix, il ne doit plus servir pour les constructions essentielles, pour la marine, & c’est un arbre passé. Je dis plus, son bois sera même très-médiocre pour être converti en charbon, parce que ce charbon se consumera au feu sans donner de la chaleur, sans faire une brasse vive & ardente ; enfin, il sera cendreux. Cette règle est plus sûre que celles des années fixées par l’ordonnance.

On dit qu’un arbre se couronne, lorsque les branches du sommet ont leurs canaux oblitérés, qu’elles ne reçoivent que peu ou plus de séve ; enfin, qu’elles sèchent sur pied. Il seroit plus exact d’appeler arbre couronné, celui dont les branches forment, avec le tronc, des angles de soixante-dix à quatre-vingt-dix degrés, parce qu’en effet la totalité ressemble alors à une couronne fermée.

Il seroit donc plus avantageux d’abattre les arbres au moment qu’ils se couronnent, & même de prévenir ce moment, si l’arbre en vaut la peine, plutôt que d’attendre la coupe générale de la forêt, ou de la partie de sa division, car alors ce sera un arbre perdu.

Les taillis en bois blanc peuvent rester sur pied huit, dix à douze ans ; cela dépend de la qualité du sol, & par conséquent de la beauté & de la force des pieds, & la coupe des bois durs sera bien réglée à quinze ans, si le terrain est bon.

L’aménagement d’une forêt considérable exige qu’elle soit divisée en plusieurs parties ; & suivant les lieux & les circonstances, il est avantageux d’avoir des coupes à faire chaque année.

L’ordonnance porte de laisser des baliveaux dans les forêts & dans les taillis, & elle en fixe le nombre. Ne seroit-il pas plus profitable aux propriétaires de laisser les baliveaux sur les lisières de la coupe, qu’épars çà & là ? L’ordonnance défend de couper les baliveaux des taillis avant quarante ans, & il est rare qu’à cet âge les branches des baliveaux ne forment des angles de soixante-dix à quatre-vingts degrés. Si, au contraire, on les avoit laissé sur les lisières, par exemple, dans un double rang, ils se seroient soutenus les uns & les autres, les troncs seroient montés plus haut, & les arbres seroient devenus plus branchus, plus feuillés, plus vigoureux. Au contraire, les baliveaux épars ne montent presque plus, & nuisent aux taillis par leur ombre dont ils n’ont pas besoin. Il est très-rare qu’ils fassent, dans la suite, de beaux arbres.

Si, par un accident quelconque, il se fait une clairière dans une forêt, par exemple, de pins, de sapins, &c. les arbres qui avoisinent cette clairière ne s’élèvent plus à la même hauteur que ceux qui en sont éloignés de quelques toises. Ces arbres avoient perdu leurs branches inférieures en grandissant ; ils en poussent de nouvelles aux dépens de la tige, & ils seront les premiers à se couronner. Ce fait s’observe particuliérement dans les forêts de sapin ; & jusqu’à ce que ces branches posthumes se soient multipliées & abaissées à dix ou à vingt pieds près de terre, les arbres de la circonférence souffrent, languissent, & l’élévation de leur tige ne suit pas la même progression que celles des arbres de l’intérieur.

Toutes les plantes quelconques cherchent la lumière, & s’alongent jusqu’à ce que leur sommet y soit parvenu. Placez des pommes de terre dans une cave, par exemple, de cinquante pieds de longueur, & placez-les dans l’endroit le plus éloigné du soupirail, ou de la fenêtre d’où vient le jour ; elles y végéteront, prendront leur direction vers cette fenêtre ; leur tige sera une espèce de filasse blanche, molle, longue de cinquante pieds ; & dès qu’elle pourra recevoir les impressions de la lumière, elle prendra une légère couleur rouge, ensuite d’un rouge plus foncé ; enfin, elle acquerra la couleur verte qui est sa couleur naturelle, & la consistance de sa tige suivra l’intensité de sa couleur. Il en est ainsi des arbres forestiers : s’ils sont trop éloignés les uns des autres, ils se garniront de grosses & longues branches, & alors les troncs seront courts ; s’ils sont plus rapprochés, les tiges s’alongeront, les branches inférieures périront d’elles-mêmes, parce que les supérieures leur absorbent l’air & la lumière. Voilà la véritable raison pour laquelle les forêts dont le sol leur convient, donnent des chênes, des sapins de cinquante à quatre-vingts pieds de quille. En général, leur tronc sera moins gros que celui des arbres isolés ; mais ne gagne-t-on pas par leur longueur, & bien au delà, ce qu’on perd sur la grosseur ? D’ailleurs, il y a une proportion pour tout : une forêt plantée trop serrée, demande à être éclaircie, & il est impossible de fixer au juste le nombre d’arbres forestiers qui doivent exister sur un arpent. La règle tient à la nature du sol, à son exposition, au climat ; & souvent dans le même pays, à une lieue près, une forêt souffre des gelées ou des effets des météores, tandis qu’une autre n’en souffre pas : cela tient aux abris, aux directions des montagnes, aux coups de vents, &c. Le sol doit dicter la loi. Ces objets seront traités plus au long à l’article Forêt.