Cours d’agriculture (Rozier)/AMENDER, AMENDEMENT
AMENDER, AMENDEMENT. C’est donner à la terre un degré de perfection de plus pour augmenter ses produits.
Tous les corps, dans la nature, servent mutuellement à s’amender les uns & les autres par leur union & par leurs mélanges, lorsqu’ils sont dans une proportion convenable. Il y a deux sortes d’amendemens, les naturels & les artificiels.
CHAPITRE PREMIER.
Des Amendemens naturels.
J’appelle amendemens naturels, les effets du soleil, de l’air, de la pluie & des gelées ; enfin, de tous les météores.
On dit vulgairement : Le soleil cuit la terre pendant les grandes chaleurs. Ce proverbe présente un sens vague, & qui ne signifie rien. Il seroit plus exact de dire : Le soleil fait fermenter les différentes substances renfermées dans le sein de la terre. La fermentation de ces substances accélère leur décomposition, & par le mélange & par l’union des parties décomposées, il en résulte de nouvelles combinaisons, des produits nouveaux qui participent de tous les principes. C’est par le mélange de ces principes, que ces produits sont rendus miscibles à la terre, & par la suite aux plantes qu’on lui confie, parce que ces produits sont mélangés dans les proportions convenables. Une comparaison va rendre plus sensible ce que je viens de dire.
Si vous jetez de l’huile sur de l’eau pure, vous aurez beau agiter ensemble ces deux substances autant de tems que vous le voudrez, elles ne se mêleront point. Après un léger repos, elles reprendront chacune leurs droits ; l’huile, comme plus légère, surnagera, & l’eau remplira le fond du vase.
Mais si vous ajoutez à ces deux substances, de caractères si opposés, une quantité proportionnée d’un sel quelconque, il se formera un mélange ; le sel servira de moyen de réunion ; alors les trois substances seront combinées, & il en résultera un composé qui ne ressemblera à aucune des trois autres substances, considérées séparément ; ce sera un vrai savon susceptible de la plus grande division & de la plus grande atténuation. Voyez à quel point de grosseur les enfans, à l’aide d’un petit chalumeau en paille, font ballonner une très-petite gouttelette d’eau savonneuse : voilà le résultat du mélange & de la combinaison. Mais si la chaleur ne laisse pas à l’eau sa fluidité naturelle, & qu’elle se change en glace, le sel se précipitera au fond du vase, l’huile & l’eau se sépareront ; enfin l’huile sera figée, l’eau glacée, & le sel, au fond du vase, y sera presque sous forme concrète. Il a donc fallu quatre choses bien distinctes pour concourir à cette combinaison & à cet amalgame.
De cette comparaison, venons à l’application. Le soleil échauffant la masse de la terre, excite dans les racines & dans les débris des plantes, une fermentation. Le même effet a lieu sur les débris innombrables des animaux qui couvrent la terre, ou qui vivent dans son sein. Cette fermentation les fait passer petit à petit à l’état de putréfaction : mais comme l’expérience a prouvé que de toutes les plantes on retire du sel, de l’huile, de l’eau & de la terre, la putréfaction fait restituer à la terre ces principes que la végétation avoit absorbés. Ces principes ne peuvent pas rester isolés dans la terre : semblable à une éponge, elle se les approprie ; ils se nichent dans chaque cavité de ses molécules ; la chaleur les y fait pénétrer & se mêler plus intimément encore avec les matières salines qu’elle contenoit déjà ; de sorte que toutes ces substances combinées sont miscibles & se mêlent à l’eau, à l’humidité que la terre renfermoit. Pourquoi les terres calcaires sont-elles plus productives que les autres, sinon parce qu’elles contiennent en plus grande abondance un sel alcali, & parce que, dans la nature, il n’existe aucun sel qui s’unifie plus facilement avec les substances graisseuses & huileuses, pour en former la matière savonneuse. Voilà donc la terre prête à recevoir la semence lorsque son sein aura été ouvert par les labours ; & le soleil, le vrai vivificateur de la nature, a, par sa chaleur, préparé cette métamorphose, cet être nouveau, d’où dépend la bonne végétation.
Si, au contraire, la terre étoit restée constamment gelée, il n’y auroit point eu de fermentation ; dès-lors point de putréfaction des animaux ni des végétaux, point de recombinaison de principes, point de mélange savonneux ; dès-lors elle auroit été privée de la vie végétative, & on lui appliqueroit le mot de la Genèse : Terra autem erat inanis & vacua. Ensevelissez un melon, une cerise, &c. un chapon une poularde dans une masse de glace ; tant qu’elle subsistera, les corps resteront dans leur entier, sans fermenter, & par conséquent sans se décomposer. Le soleil est donc le premier agent qui amende la terre, qui perfectionne ses sucs & prépare leurs substances alimenteuses.
Le premier effet du soleil, comme on vient de le voir, est d’échauffer la terre ; mais dès qu’il s’abaisse vers l’horizon, ou lorsqu’il n’éclaire plus notre atmosphère, le sol échauffé attire à son tour l’humidité de l’air que la fraîcheur a condensée en rosée, & par conséquent ce sel acide & aérien qui joue perpétuellement un si grand rôle dans la nature, quand les circonstances ne s’y opposent pas, quoique sa manière constante d’agir soit pour ainsi dire insensible aux yeux du vulgaire.
L’air tient le second rang, & on a vu au mot Air quelle quantité prodigieuse les plantes & les animaux fournissent de l’air fixe ; quelle étonnante quantité il s’en sépare par la fermentation & par la putréfaction ; enfin, que tous les corps ne pourrissent ou ne se décomposent, qu’autant que ce principe, qui leur servoit de lien d’adhésion, s’évapore. Cet air s’unit intimément avec la terre par le secours de la chaleur qui donne le mouvement à la fermentation.
Ce n’est plus sous ce point de vue qu’il faut actuellement le considérer ; c’est en qualité d’air atmosphérique, jouissant de ses propriétés, comme élasticité, pesanteur, fluidité, & tenant en suspension plusieurs corps qui lui sont étrangers. Que l’air opère ou non sur l’ascension de la séve dans les plantes, par sa pesanteur, ou par son élasticité, ou par tous les deux ensemble, c’est une question que nous laisserons à discuter aux physiciens ; il nous suffit de savoir que, sans le secours de l’air élastique, il n’y auroit aucune végétation, & les hommes & les animaux ne pourroient pas vivre.
L’air atmosphérique est le réservoir général de toutes les évaporations qui ont lieu sur la surface du globe. Les substances qu’elles renferment ont été rendues plus légères que l’air ; la chaleur les a volatilisées ; elles sont donc dans le plus grand état d’atténuation. Elles restent dans cet état jusqu’à ce qu’une trop grande accumulation, ou le froid, les forcent à se réunir : alors elles retombent sur la terre en molécules plus ou moins grosses, parce qu’elles ont acquis, par leur aglomération, une pesanteur spécifiquement plus forte que celle de l’air ; dès-lors la rosée, la pluie, la grêle, &c. Il résulte de ces évaporations, que l’air atmosphérique est un composé de parties aqueuses, inflammables, huileuses ou grasses, enfin de parties salines.
Dans ce réservoir général, les vapeurs éprouvent différentes combinaisons par leurs mélanges ; & par ces mélanges, elles constituent sur-tout les substances inflammables & grasses, les principes de l’électricité atmosphérique, la matière des éclairs, des tonnerres, ainsi que ceux de toutes les modifications de l’air.
Ce sont ces modifications qui influent plus ou moins sur l’amendement des terres, & par conséquent sur la végétation. Dans un air perpétuellement humide, ou perpétuellement sec, la végétation est languissante, & par-tout ailleurs on ne la voit jamais plus active que lorsque le tems est bas, chargé d’électricité, & prêt à devenir orageux : cependant si l’air est trop étouffé, trop chargé d’exhalaisons, les graines germent mal, & sont long-tems à développer leurs tiges.
La loi des fluides est de se mettre en équilibre. Si, par exemple, l’atmosphère est trop chargée d’électricité, la terre en soutire une grande partie qu’elle s’approprie ; si, au contraire, l’atmosphère en est dépouillée, & la terre surchargée, l’air s’en imprègne. Il en est ainsi des autres substances. C’est par cette correspondance réciproque que s’opère l’amendement ; & l’air est, comme on le voit, le second moyen employé par la nature pour donner la vie aux végétaux, & soutenir leur existence.
On auroit tort de conclure de ces généralités, que tous les lieux éprouvent les mêmes effets de l’air atmosphérique. Un pays très-chaud par ses abris ou par sa position méridionale, & un pays très-froid, ou par son élévation, ou par sa position septentrionale, ne reçoivent pas également les mêmes bienfaits. Il faut une espèce d’assimilation & d’appropriation entre les parties constituantes du terrain & les matières tenues en dissolution par l’air. Les lieux concourent à changer l’état de l’air atmosphérique ; le nuage qui passe sur les montagnes du Faucigny, ou sur les glaciers de Suisse, éprouve une combinaison différente, dans les substances qu’il renferme, de celle qu’il éprouveroit en traversant sur les déserts arides de l’Afrique.
Si de ces généralités on descend à des objets particuliers pour juger de l’influence de l’air en général, & de ses effets différens & relatifs aux substances qu’il contient dans l’état de vapeur, l’expérience prouvera que des plantes mises dans des vases de même grandeur, remplis de la même terre, semés le même jour ; enfin, toutes les circonstances étant égales, réussiront beaucoup mieux dans un lieu où le terrain du voisinage aura été labouré, que sur celui qui ne l’aura pas été. Que produit donc le labour sur un vase dont les racines des plantes ne peuvent pas profiter ? La différence sera encore bien plus sensible, si un semblable vase est placé près d’un endroit où l’air atmosphérique soit gras & onctueux ; par exemple, près d’une étable, d’un parc de moutons, &c. La plante du vase placé dans le terrain inculte ou stérile, végétera maigrement en comparaison des autres, quoiqu’on lui ait donné les mêmes soins, les mêmes arrosemens, &c. Si, au contraire, l’air est trop pur, comme au sommet des hautes montagnes, toutes les plantes, & même les arbustes, seront bas ou rampans ; & si on y semoit des sapins dont les tiges sont naturellement très-élevées, ces tiges, par-tout ailleurs si fières & si droites, s’humilieroient comme celles de l’arbuste. Est-ce la pesanteur ou la trop forte élasticité de l’air qui les empêche de s’élever ? ou bien est-ce la privation de cet air fixe qui compose dans les villes plus de la moitié de l’air atmosphérique, qui les réduit à cet état d’abaissement ? Malgré les brillantes expériences de nos physiciens modernes, la question n’est pas complétement décidée ; mais il est assez clairement prouvé que l’un & l’autre concourent à l’amendement des terres & à la végétation ; & ne pourroit-on pas dire que dans la nature, toutes les causes concourent ensemble, & qu’aucune n’agit séparément & d’une manière isolée ?
Le troisième moyen de la nature pour amender la terre, est l’eau, considérée sous toutes ses modifications.
Cet agent est si puissant, si actif, si nécessaire, que la végétation ne peut s’exécuter sans son secours, & l’eau seule suffit à bien des égards pour la végétation complette de certaines plantes. Cette vérité a fait penser à plusieurs auteurs, soit anciens, soit modernes, que les plantes devoient leur entier accroissement, & toute leur nourriture, à l’eau, & non à la terre. Nous examinerons ce sentiment à l’article Eau ; mais il est rigoureusement démontré que sans eau ou sans humidité, la fermentation ne peut avoir lieu : les corps se dessécheront plutôt & ne pourriront pas. C’est ainsi qu’après plusieurs années, on trouve desséchés les corps des malheureux voyageurs qui ont été ensevelis sous les monceaux de sable poussés avec violence, & entraînés au loin par les vents.
Il est donc clair que sans eau il ne peut y avoir aucun amendement. On ne doit pas s’attacher ici à considérer l’eau comme un élément pur, mais bien au contraire comme un être composé : telle est la pluie, ou la rosée, ou la neige.
Ces trois modifications de l’eau rendent la terre plus perméable aux rayons du soleil, parce qu’elles en divisent & en séparent les molécules ; qu’elles accélèrent, aidées par la chaleur, la fermentation, la putréfaction, la dissolution des sels, l’atténuation des substances grasses & onctueuses ; enfin, la combinaison & la recomposition de nouveaux principes, sans lesquels la végétation seroit nulle ou engourdie. Veut-on un exemple de ces combinaisons ? il suffit de supposer qu’aucune pluie d’orage n’a délavé la surface de la terre depuis quelques mois ; la première qui surviendra, pour peu qu’elle soit forte, entraînera avec elle la matière visqueuse, huileuse & saline dont on parle ; & par l’analyse chimique, on découvrira ces différentes substances, dans ces masses d’écume que l’eau fait en bouillonnant. Comment ces écumes, ou plutôt ces amas de bulles, pourroient-ils se former, si la substance grasse n’étoit pas rendue miscible à l’eau par le secours d’un sel quelconque ? Ne voit-on pas clairement que la nature agit ici comme l’enfant avec son chalumeau trempé dans une eau savonneuse, pour produire ces bulles, dont la grosseur étonne, & dont les couleurs belles & changeantes, ravissent d’admiration, & présentent toutes les nuances de l’arc-en-ciel. L’écume produite par l’eau de pluie n’est pas, il est vrai, décorée de ces dehors brillans ; sa couleur est d’un blanc jaunâtre, & sa consistance est plus solide, parce qu’elle tient plus de principes terreux en dissolution. On voit quelquefois ces écumes rester plusieurs jours avant de s’affaisser, ce qui prouve que l’air renfermé dans ces bulles n’a pas assez d’élasticité & de force pour briser les liens visqueux qui l’emprisonnent. Rassemblez une assez grande quantité de ces écumes ; jetez-les, & enfouissez-les dans le coin d’un champ ou d’un jardin, & les productions qu’on en retirera annonceront l’excellence de cet engrais.
La pluie d’orage, pendant l’été, amende mieux la terre que la pluie d’hiver, parce que l’eau de la première est plus imprégnée d’exhalaisons terrestres que la seconde ; les premières gouttes qui tombent sont larges & très-chaudes ; celles qui leur succèdent sont au contraire très-froides & petites. Celles-ci viennent d’une région très-élevée, & les autres, au contraire, d’une région beaucoup plus basse. L’analyse chimique prouve que cette première eau est plus saline & plus visqueuse, & l’expérience démontre qu’elle se corrompt beaucoup plus promptement que la seconde, & que l’eau de pluie qui tombe dans l’hiver. Voilà pourquoi cette espèce de pluie amende mieux la terre, si elle ne tombe pas avec une rapidité & une abondance capables d’entraîner le terreau & les autres limons qui recouvrent les champs. L’odeur que répand cette pluie lors qu’elle commence à tomber, annonce suffisamment combien elle est surchargée de substances hétérogènes & engendrées par les différentes exhalaisons de la terre. Dans nos provinces méridionales, où l’été est presque toujours sans pluie, la première qui tombe au commencement du mois d’Octobre, rend la vie à la terre desséchée, & il est rare, sur-tout en Corse, & dans la plupart des pays chauds, que ceux dont les vêtemens sont imbibés de cette eau, n’éprouvent peu de tems après une maladie très-sérieuse. On peut cependant demander : la maladie est-elle l’effet de la pluie ou des exhalaisons long-tems retenues dans la terre, dont elle facilite la sortie ? Malgré ce problême qui reste à résoudre, il n’en est pas moins prouvé que cette première pluie produit de grands effets sur la terre ; qu’elle la dispose à recevoir les semences, achève la putréfaction des substances, soit animales, soit végétales, enfouies dans son sein.
L’eau réduite à l’état de glace dans l’intérieur de la terre, agit mécaniquement pour l’amender. Dans cet état, l’eau placée entre chaque molécule, les distend en se condensant, occupe un plus grand espace ; & semblable à des coins multipliés, elle soulève chaque partie, & insensiblement toute la surface. Jetons les yeux sur un champ labouré avant l’hiver, & que la charrue en ait soulevé plusieurs mottes ; ces mottes, ces grumeaux seront divisés & réduits en particules très-fines, lorsque la gelée aura opéré sur elle, & lorsque le dégel sera passé. Ce que le froid exécute sur ces grumeaux, il l’opère également sur toute la surface, mais d’une manière moins visible : cependant, si le froid & le dégel n’avoient pas agi sur la surface, le pied enfonceroit moins dans la terre, lorsqu’on marche pardessus. Plus la gelée aura pénétré profondément dans la terre, plus le nombre des molécules soulevées sera considérable ; dès-lors l’air, le sel qu’il contient, la pluie, &c., les pénétreront plus intimement, & commenceront à disposer les matériaux de la grande fermentation qui doit s’exécuter au renouvellement des chaleurs. Ainsi, une gelée un peu forte équivaut presque à un labour, même pour les terres déjà ensemencées, parce qu’elle fournit aux plantes les moyens d’enfoncer leurs racines.
La neige amende la terre, & on dit improprement qu’elle l’engraisse : elle ne porte point avec elle le principe de l’engrais ; elle ne peut donc pas engraisser. Est-ce par son sel ? La neige n’est autre chose que de l’eau glacée par petites parcelles ; & l’eau même de mer, si elle est glacée, ne contient point, ou du moins très-peu de sel, ni aucune autre des substances qui rendent l’eau de mer imbuvable. La partie saline & visqueuse se précipite, & la glace d’eau de mer, réduite à son état d’eau, est buvable, très-saine, & se conserve presqu’autant que celle de la meilleure fontaine. L’eau de l’atmosphère subit la même loi. En effet, l’expérience prouve que la neige réduite en eau tient moins de sel en dissolution que l’eau de pluie. La neige n’engraisse pas la terre par ses parties visqueuses, &c. L’expérience prouve encore que l’eau en se cristallisant sous la forme de neige, devient l’eau la plus pure : elle agit sur la surface de la terre d’une manière purement mécanique, comme le froid, mais non pas par le même moyen ; elle empêche l’évaporation des principes constituans & nourrissans des plantes qui se seroient perdus dans l’immensité de l’atmosphère. À mesure qu’ils s’élèvent du sein de la terre, la neige, qui forme une croûte, les retient, les oblige de se recombiner avec le sol, avec les plantes ; peut-être la neige elle-même se les approprie, & les rend à la terre lorsque le moment de fondre est arrivé. C’est dans ce sens qu’il faut entendre ce proverbe : La neige qui tombe engraisse la terre. Tant que la neige couvre la terre, la végétation n’a pas lieu dans les feuilles, à cause du froid du corps ambiant ; mais les racines ne cessent de s’étendre dans son sein, & le collet de la plante se fortifie. Voyez au mot Amandier, Chapitre IV, page 457, l’expérience de M. Duhamel, qui prouve que la végétation est toujours relative à la chaleur environnante.
Comme les mots Eau, Neige, Pluie seront traités séparément, il est inutile d’entrer ici dans de plus grands détails.
CHAPITRE II.
Des Amendemens artificiels.
Avant d’entrer dans aucun détail, il convient de rapporter quelques expériences. Elles équivaudront à des principes dont il sera facile de tirer des conséquences. Cette manière de présenter les objets vaut mieux que le raisonnement, parce qu’on n’est pas obligé de croire sur parole, & que chacun peut se convaincre par lui-même, en répétant l’expérience. Ce que nous allons dire, d’après l’excellent mémoire de M. Tillet, de l’académie royale des sciences, imprimé dans le volume de cette académie, année 1774, sert de base à l’agriculture, & s’applique à tous les objets qui y sont relatifs.
« J’observois depuis long-tems, (c’est M. Tillet qui parle) que certaines terres qui sont un peu sablonneuses, produisent davantage, proportion gardée, dans les années pluvieuses, que d’autres terres fonciérement meilleures. Je sentois, à la vérité, que le produit plus foible de celles-ci devoit provenir, non d’une quantité moins considérable de plantes, mais de l’état où elles se trouvoient par l’abondance des pluies, parce que les blés étant versés en grande partie, ne donnoient qu’un grain maigre & retrait ; au lieu que d’autres terres moins fortes, & où les blés ne sont pas communément beaucoup fournis, ne recevoient d’une humidité extraordinaire que ce qu’il falloit, pour que les pieds de blé y tallassent davantage, & que les tiges s’y multipliassent sans être trop serrées, & exposées à se coucher les unes sur les autres par des pluies fréquentes.
» Je considérois d’un autre côté, que si les terres fortes, c’est-à-dire, celles où l’argile est assez abondante, sont assez fertiles communément, elles le sont moins cependant que celles où l’argile se trouve dans une moindre proportion.
» Il ne s’agissoit plus, d’après ces observations vagues, à la vérité, mais néanmoins sur des faits considérés en grand, & qu’on a toujours sous les yeux, que de tenter des épreuves en petit, & capables de conduire à d’autres plus considérables par les lumières qu’elles donneroient. »
M. Tillet fit faire vingt-quatre pots, dont l’ouverture étoit d’un pied de diamètre, le fond de dix pouces, & la hauteur de huit pouces seulement. Chaque pot portoit un numéro, & étoit enfoncé dans la terre jusqu’à un travers de doigt de leur bord supérieur, afin que la terre du champ ne se mêlât point avec l’espèce de terre renfermée dans le pot. Tous ces vases furent rangés sur trois lignes à huit pouces de distance les uns des autres, & un sentier de dix-huit pouces de largeur séparoit chacune de ces lignes.
Les matières différentes & destinées à remplir ces pots, avoient été réduites en poudre, afin que les mélanges qu’on se proposoit d’en faire, fussent plus exacts. Pour déterminer exactement ces mélanges, M. Tillet fit faire une mesure qui formoit la huitième partie de la capacité du pot, de sorte que huit mesures le remplissoient.
» Ire. expérience. Trois huitièmes d’argile, dont les potiers de terre se servent, deux huitièmes de sable de rivière, & trois huitièmes de retailles de pierres, que les ouvriers de Paris nomment pierre dure, dont ils font les premières assises des bâtimens, & qui abonde en coquillages. Ces substances diverses furent mises dans un pot au mois d’Octobre 1770, le blé semé aussitôt & arrosé, attendu leur état de siccité, pour que le mélange fût plus parfait : en 1771, 1772 & 1773, le succès a été complet. Les blés ont passé pendant chacune de ces années par tous les degrés de végétation, sans éprouver le moindre affoiblissement, les tiges s’y sont élevées avec vigueur, & ont donné de beaux épis, où le grain a acquis toute sa maturité. »
» IIe. & IIIe. expériences. Le mélange pour la deuxième & troisième expérience, lesquelles dans la suite seront désignées par leur numéro, comme les expériences suivantes, a été le même que le précédent, à cela près qu’il a été employé des retailles de la pierre connue sous le nom de Saint-Leu, au lieu de celles de la pierre dure, qui font partie du mélange no 1. Le succès s’est également soutenu pendant les trois années, quoiqu’il y ait eu quelque différence en moins pour la quantité des épis, & non pour la beauté. Les touffes de blé n’y étoient pas aussi fournies que dans la première ; cependant il y a eu assez d’égalité en 1772 entre ces deux numéros & le no 1. Ainsi, on peut dire en général, que ces deux sortes de mélanges sont à peu près également bons. »
» IVe. & Ve. expériences. Il n’entra dans le mélange dont il s’agit ici, que deux huitièmes d’argile, trois huitièmes de retailles de pierre, pareilles à celles des deux numéros précédens, de trois huitièmes de sable. La réussite a été entière dans ces numéros 4 & 5 pendant les trois années. Il paroît par conséquent qu’une quantité moins forte d’argile ne nuit point aux progrès de la végétation ; & cela devient avantageux, parce qu’il n’est pas facile de la bien mêler avec les autres matières qu’on emploie pour imiter les terres à labour naturelles. »
» VIe. expérience. Le succès n’a pas été le même ici, quoique dans cette sixième expérience, la différence ne consistât uniquement, à l’égard du mélange & comparaison faite avec les numéros précédens, 1, 2 & 3, qu’en ce que, pour ce même no 6, il a été employé deux huitièmes de sablon d’Étampes, au lieu d’une pareille quantité de sablon de rivière, comme dans les expériences 1, 2, 3. Le blé a végété en 1771 avec vigueur, il est vrai, dans cette sixième expérience ; mais quoiqu’il ait eu de beaux épis en 1772, la touffe de blé étoit peu fournie ; elle a jauni, & s’est desséchée plus promptement que les autres ; & en 1773, ce no 6 a totalement manqué ; les plantes y ont péri. En faisant attention que le no 6 & le no 8 présentent le même résultat, & qu’il n’y a d’autre différence dans le mélange qui les concerne, & celui qui regarde les premiers numéros, où la végétation a pleinement réussi pendant trois ans, que celle qui peut se trouver entre le sablon & le sable ; en considérant, dis-je, par ce côté seul l’expérience dont il s’agit, ne pourroit-on pas soupçonner que le mélange, trop intime du sablon avec l’argile, a occasionné une liaison & une consistance entre ces deux matières, qui a mis obstacle au développement des parties les plus déliées des racines, & qui peut-être a rendu ces matières, ainsi mêlées intimément, moins perméables à l’eau, après qu’elle les a eu d’abord réduites en une espèce de ciment ? Nous avons vu qu’en 1771 le bled de ce no 6 a été beau & vigoureux, que la végétation y avoit été moins belle en 1772 ; que dans cette même année, la touffe y avoit jauni, & s’y étoit desséchée avant la maturité parfaite du grain. Nous avons remarqué sur-tout, que les plantes y avoient totalement péri en 1773. N’y auroit-il pas lieu de croire, en se prêtant pour un moment à l’idée que je viens de présenter, que si le blé de ce no 6 a d’abord réussi, s’il n’a pas eu le même succès l’année suivante, & si enfin il a péri la troisième année, c’est que le mélange du sablon & de l’argile est devenu plus complet avec le tems par le secours des pluies, par le remuement des terres composées de chaque pot, que j’ai fait au mois d’Octobre 1771 & 1772, avant que d’y semer le grain ? Quelle que soit la cause qui a fait périr le blé dans les pots no 6 & 8, quoique le grain y eût d’abord germé en Octobre, & que les plantes s’y fussent ensuite développées, il est certain que des vingt-quatre pots principaux dont j’ai à donner le produit pendant trois ans, il n’y a eu que les deux dont je viens de parler, où les plantes soient mortes en 1773 ; & cependant, à la nature près du mélange, tout a été parfaitement égal dans la manière dont les expériences ont été faites à l’égard de ces vingt-quatre pots. »
» VIIe. expérience. Il est d’usage, dans bien des pays, d’employer la marne pour rendre les terres plus fertiles, & de renouveler cet engrais au bout d’un certain nombre d’années. J’ai eu pour objet dans cette septième expérience d’examiner d’abord si une terre naturelle avec laquelle on mêle une certaine quantité de marne, est plus favorable à la végétation, que les terres composées que je pourrois employer ; & d’observer ensuite s’il y avoit une grande différence entre le produit d’une terre naturelle à laquelle on n’ajouteroit aucun engrais, & celui de la même terre à laquelle on joindroit la marne. La quantité de marne qu’on met par arpent n’est pas absolument fixe ; le laboureur la détermine sur son opinion, & en arbitrant que la partie de ses terres qu’il juge la plus froide, est celle qui en exige le plus. J’ai mêlé pour la septième expérience dont il s’agit, sept huitièmes de terre avec un huitième de marne. La végétation a été assez belle dans cette expérience pendant trois années consécutives, mais elle l’a été moins que dans les terres composées dont j’ai déjà parlé : les touffes de blé étaient plus vigoureuses & mieux fournies dans celles-ci que dans la terre marnée ; & cette différence étoit sensible au simple coup d’œil qui se portoit en même tems chaque année sur les produits distincts de ces expériences. »
» VIIIe. expérience. J’ai déjà dit que la sixième expérience quadroit avec celle-ci : le mélange des terres étoit le même pour l’une & pour l’autre, & les produits ont été à peu près pareils chaque année ; dans la dernière sur-tout, les plantes du no 6 & du no 8 ont péri également. »
» IXe. expérience. J’ai employé dans celle-ci la terre labourable ordinaire, en y mêlant de la marne & du fumier. Les laboureurs sont persuadés que la marne seule produit à la vérité un bon effet, mais qu’il ne faut pas se borner à cet engrais pour rendre les terres fertiles, & qu’il est nécessaire d’y ajouter du fumier. J’ai donc joint à six huitièmes de terre ordinaire, un huitième de marne & un huitième de fumier. Le blé de cette expérience a bien réussi en 1771 & 1772 ; mais le succès n’a pas été le même en 1773 ; le blé étoit maigre, & quelques épis étoient foibles. Il n’en faudroit pas conclure cependant, que le mélange dont il est question n’est pas avantageux, parce que le produit de la troisième année n’a pas répondu à celui des deux autres. Quelques circonstances particulières qui m’ont échappé, peuvent avoir influé sur ce dernier résultat, & nous verrons qu’en général les produits de 1773, pour plusieurs des expériences que j’ai à rapporter, ont été moins beaux que ceux des années précédentes. »
» Xe. expérience. Il convenoit, en employant la terre labourable & dont on a parlé, d’examiner quelles productions elle donneroit seule & comme terre meuble simplement. Je l’employai donc, sans aucun engrais, pour la dixième expérience. La touffe de blé y étoit belle & fournie suffisamment en 1771. Le succès fut le même l’année suivante. Le blé y étoit beau en 1773, mais les tiges étoient moins nombreuses que dans les deux années précédentes. On auroit lieu de présumer, à la première réflexion sur cette expérience, que la marne & le fumier réunis, n’étoient pas propres à rendre la terre ordinaire plus fertile qu’elle l’a été, sans le secours de ces deux engrais, puisque le produit de la dixième expérience, dans les années 1771 & 1772, a été à peu près aussi beau que celui de la neuvième pendant les deux mêmes années ; & qu’en 1773, si la terre seule n’a pas fourni un aussi beau produit qu’elle l’avoit donné précédemment, il en a été ainsi de cette même terre, quoique la marne & le fumier que j’y avois joints pour la neuvième expérience, eussent dû, en apparence, produire un meilleur effet qu’il ne devoit résulter de la terre employée sans aucun engrais ; mais ce seroit conclure trop tôt contre l’usage général & bien fondé, sans doute, de joindre la marne au fumier pour améliorer les terres labourables. Outre que la médiocrité du produit de ces deux expériences en 1773, pouvoit être attribuée à quelque cause particulière que je n’ai point saisie, comme il est arrivé peut-être que par des circonstances, dont également je n’ai pas été frappé, l’avantage que la neuvième auroit dû avoir naturellement sur la dixième, n’a pas été sensible dans les trois années, j’aurai quelques réflexions à faire dans la suite sur l’effet propre qu’il y a lieu de croire que la marne produit dans les terres, & sur celui qui résulte de l’emploi du fumier. »
» XIe. expérience. L’argile n’a pas fait partie de la onzième expérience ; je n’y ai employé pour le mélange, que quatre huitièmes de retailles de pierre, deux huitièmes de sable, & une pareille quantité de sablon. Le blé a réussi dans cette expérience en 1771 ; il étoit beau aussi l’année suivante, & la touffe en étoit bien fournie. Le succès n’a pas été le même en 1773 : quoiqu’il y eût de beaux épis, les pieds de blé n’étoient pas nombreux, & plusieurs d’entr’eux étoient bas & maigres. On voit ici du sablon faisant partie du mélange avec d’autres matières qui, en apparence, ne contribuent pas beaucoup à la végétation ; mais on aura lieu de remarquer bientôt que le blé a parfaitement réussi dans chacune de ces matières employées séparément, & dans le sablon même le plus pur. »
» XIIe. expérience. Les décombres de bâtimens sont composés ordinairement à Paris, de pierres brisées, de vieux plâtre, de mortier détruit, de fragmens de briques, &c. J’ai employé pour la douzième expérience, cinq huitièmes de cette sorte de décombres, & trois huitièmes d’argile. Les épis que ce mélange a produits en 1771, étoient en général assez beaux, mais il y avoit des pieds de blé maigre & peu élevés ; la production fut plus avantageuse l’année suivante, & elle le fut moins en 1773. La touffe de blé que donna ce mélange étoit peu fournie, & dans le nombre des pieds foibles dont elle étoit composée, on n’en remarquoit que cinq ou six qui portassent d’assez beaux épis. »
» XIIIe. expérience. J’employai pour cette expérience-ci, deux huitièmes d’argile, quatre huitièmes de sable, & deux huitièmes de marne : le succès fut complet en 1771. Je n’obtins pas le même avantage en 1772, quoique ce mélange m’ait donné de beaux épis cette année-là ; cependant les pieds de blé n’y étoient pas abondans, & en général ils étoient foibles. Ce petit nombre de tiges, & cet état de foiblesse, fut encore plus marqué en 1773. »
» XIVe. expérience. Il n’entroit dans le mélange relatif à la douzième expérience dont j’ai rendu compte que de l’argile & des décombres dans la proportion de trois à cinq. J’ai fait usage de ces mêmes matières, mais en moindre quantité, pour la quatorzième expérience, & je les ai mêlées avec d’autres propres à rendre le composé différent. Sur six vingt-quatrièmes d’argile, j’en ai mis huit de décombre, quatre de sablon, & six de marne. Le produit de ce mélange a été assez beau en 1771. Il a pleinement réussi en 1772, mais en 1773 il n’a pas été aussi avantageux. Ce mélange a donné, à la vérité, en 1773, quelques épis assez beaux, & il y avoit un assez grand nombre de tiges, mais elles étoient basses, & n’avoient pas la vigueur de celles que j’avois obtenues l’année précédente de cette terre composée. »
» À mesure que j’entre dans le détail de mes expériences, on doit s’appercevoir que l’année 1773 ne leur a pas été aussi favorable, en général, que les deux précédentes ; & que dès-lors il y a lieu de présumer que des circonstances particulières, telle qu’une sécheresse trop long-tems soutenue pour la manière dont je faisois mes épreuves, ont pu influer autant sur leurs produits & y avoir occasionné un affoiblissement, que la nature même des mélanges qui les ont donnés. Au contraire, les blés venus en pleine campagne pendant cette année, ne s’en sont presque pas ressentis. »
» XVe. expérience. On regarde ordinairement comme un terrain maigre & peu fertile, celui qui ne contient qu’une petite quantité de terre franche, & où le sable, les cailloux, la craie & d’autres matières de cette espèce dominent. Je cherchai, pour la quinzième expérience, à faire un mélange qui eût du rapport avec un terrain de cette nature, & qu’on pût considérer, en général, comme offrant une foible ressource pour la végétation. À deux huitièmes d’une terre inculte du clos des chartreux de Paris, où je faisois mes expériences, qui, par elle-même, étoit très-bonne, comme on le verra bientôt, j’ajoutai deux huitièmes de retailles de pierre, deux huitièmes de sable, & autant de sablon. Le blé qui vint dans ce mélange fut assez beau en 1771 ; il le fut encore, & plus abondant, en 1772 ; mais les pieds de blé, quoiqu’assez nombreux, y étoient bas en 1773. Il s’y trouva néanmoins quelques épis qui répondoient aux produits plus avantageux des deux autres années. »
» XVIe. expérience. Mon dessein, dans les expériences dont je rends compte, n’avoit pas été principalement d’examiner l’effet que le fumier produit dans les terres, & de combiner sur cela des épreuves qui allassent à ce but d’une manière directe ; mais en les variant de plusieurs façons, j’ai cru devoir employer quelquefois le fumier, soit afin de me rapprocher par-là de l’usage & de prévenir les objections, soit pour observer si mes terres composées recevroient un avantage sensible de cet engrais, étant comparées à d’autres absolument pareilles qui n’auroient pas eu ce secours. Il entra dans la seizième expérience trois huitièmes d’argile, sept huitièmes, tant de sable, que de sablon & de fumier. Cette épreuve réussit assez bien en 1771 ; le blé y étoit beau aussi l’année suivante ; mais la touffe qu’il rendit n’étoit que médiocrement fournie ; elle l’étoit encore moins en 1773 ; les épis qu’elle donna étoient néanmoins assez beaux. »
» XVIIe. expérience. Le même mélange de terre dont j’ai parlé plus haut, comme propre à représenter à peu près un terrain maigre, m’a servi en grande partie pour la dix-septième expérience. À six huitièmes de ce mélange, où l’on a vu qu’il n’entroit qu’un quart de terre inculte, & où le reste étoit du sable, du sablon & des retailles de pierre par égales portions, j’ajoutai deux huitièmes d’argile. Je pouvois supposer, par l’addition de cette matière, qu’elle suppléeroit à ce qu’il y avoit de moins propre à la végétation dans les autres parties du mélange qui avoit été assimilé à un terrain maigre & peu fertile : je n’ai cependant pas trouvé une différence sensible pendant les trois années, entre les produits de la quinzième expérience & ceux de celle-ci ; ils ont été assez beaux dans l’une & dans l’autre de ces expériences en 1771 ; & si en 1772, le blé de la quinzième expérience étoit plus vigoureux que celui de la dix-septième, j’ai observé qu’en 1773 le blé de celle-ci étoit en meilleur état que celui de la quinzième. »
» XVIIIe. expérience. Deux huitièmes d’argile, une pareille quantité de marne, trois huitièmes de sable, & un huitième de fumier, composèrent le mélange de la dix-huitième expérience. La production y fut médiocre la première année ; elle y fut frappante par sa beauté en 1772 ; mais l’année suivante le blé y étoit en mauvais état ; on y remarquoit, à la vérité, quelques épis assez beaux, mais les pieds de blé y étoient foibles, & les tiges basses. »
» XIXe. expérience. Lorsqu’on fouilla les terres pour établir les fondemens de la nouvelle monnoie, on tira de quelques endroits, à dix-huit ou vingt pieds de profondeur, un sable gras & limoneux, que je me proposai de comparer avec les autres terres composées ou pures, qui faisoient la matière de mes épreuves. J’employai d’abord pour la dix-neuvième expérience, ce sable limoneux seul & sans aucun mélange. Le blé y a réussi pendant les trois années ; il y étoit beau sur-tout en 1772, & le succès n’y étoit guère moins marqué en 1773. »
» XXe. expérience. Ce même sable gras, avec lequel je mêlai du fumier sur le pied de deux huitièmes de celui-ci, & sept huitièmes du premier, me servit pour la vingtième expérience. Le blé y étoit beau & vigoureux au printems de 1771 ; on y voyoit en été un assez grand nombre d’épis, mais au mois de Juillet les tiges y éprouvèrent un desséchement trop prompt. L’épi n’y mûrit qu’imparfaitement, & ne donna qu’un grain glacé & retrait ; il fut très-beau, au contraire, en 1772, & le succès n’y fut pas moins frappant l’année suivante, tant par l’abondance des tiges, que par la qualité du grain. »
» XXIe. expérience. Je rapprochai de cette expérience sur un sable gras & limoneux, qui étoit, selon toute apparence, un dépôt très-ancien de la rivière de Seine ; j’en rapprochai, dis-je, l’expérience sur une terre inculte, depuis long-tems, mais qui me parut bonne par elle-même ; je la pris dans un endroit du clos des chartreux, qui avoit été couvert long-tems par de vieux arbres, & d’où ils avoient été arrachés depuis peu. Cette terre inculte m’a servi, en partie, pour la quinzième & la dix-septième expériences dont j’ai parlé : je l’employai seule pour la vingt-unième, & je la rendis plus comparable par-là avec la dix-neuvième, où le sable limoneux étoit sans aucun mélange, ou étoit tel au moins que je l’avois trouvé. Le blé, dans cette terre inculte, fut beau & vigoureux en 1771 ; plus remarquable encore par sa force & par sa beauté en 1772 ; & si la touffe de blé n’a pas été aussi fournie en 1773, qu’elle l’avoit été les deux années précédentes, elle a donné néanmoins un assez grand nombre de tiges, & un grain bien nourri. »
» XXIIe. expérience. Le mélange, pour celle-ci, a été de trois huitièmes d’argile, d’une quantité pareille de plâtras, & de deux huitièmes de sable. Le blé y a réussi assez bien la première année, il fut très-beau la seconde ; mais la troisième, il n’y eut qu’un petit nombre de pieds de blé & quelques épis assez beaux. »
» XXIIIe. expérience. L’avantage que l’on croit avoir reconnu quelquefois dans les cendres des plantes brûlées sur les terres labourables, & dans les sels qui résultent de cette combustion, m’engagea à les faire entrer dans quelques-unes de mes expériences, soit en les employant seules, soit en les mêlant avec d’autres matières d’une nature très-différente, auxquelles je présumois que les cendres pouvoient convenir. J’en mêlai donc deux huitièmes avec trois huitièmes d’argile & une égale quantité de sable. Le blé que j’obtins par cette expérience, réussit assez bien la première année ; j’y eus un succès complet en 1772 : il ne fut pas tel, à beaucoup près, l’année suivante ; la touffe de blé étoit peu fournie ; les épis cependant qu’elle donna, étoient assez beaux. »
» XXIVe. expérience. L’emploi des fumiers dans les terres labourables & dans d’autres terrains plus limités où l’on veut favoriser la végétation, est généralement adopté & d’une utilité bien constante. Pour connoître si, en partie, ils n’agissent pas mécaniquement, je mêlai deux huitièmes de paille fraîche & hachée avec trois huitièmes d’argile & autant de retailles de pierre. Je sentois bien que par ce mélange, & sur-tout par la trop grande ténuité à laquelle j’avois été forcé de réduire la paille pour la faire entrer dans mon expérience, je n’allois pas tout-à-fait à mon but, & je me privois de l’avantage que des pailles un peu longues, entremêlées & mises au hasard par pelotons, eussent pu me procurer pour rendre l’argile moins compacte ; mais il ne s’agissoit que d’une première tentative peu concluante à la vérité, mais propre à me guider pour la mieux faire en grand. Je n’obtins qu’un succès médiocre pendant trois années. Le blé y étoit cependant assez beau en 1772 ; mais en 1771 & 1773, la végétation y fut foible, & je n’en retirai qu’un petit nombre d’épis. »
Toutes ces expériences de M. Tillet ne roulent la plupart que sur des mélanges & des combinaisons de différentes substances, & elles embrassent en général presque tous les genres d’amendemens qu’on donne aux terres ; il s’agit actuellement de connoître, par une nouvelle suite d’expériences, tentées avec la même sagacité, quelles seront les productions de ces substances employées d’une manière isolée. L’académie royale des sciences de Paris nomma des commissaires pour en constater les résultats, ainsi que ceux des expériences suivantes. Il ne peut donc pas exister le moindre doute sur leur vérité : d’ailleurs le témoignage seul de M. Tillet, dont la probité & les talens sont si connus, suffiroit pour le dissiper.
» XXVe. expérience. C’est toujours M. Tillet qui parle. Je pris du vieux plâtre au hasard, & il paroissoit être les débris de quelque corniche d’un appartement. Le blé y a parfaitement réussi pendant trois ans, tant par l’abondance des tiges, & leur vigueur, que par la beauté des épis ; plusieurs d’entr’eux avoient six pouces de longueur, & couramment de quatre à cinq. La touffe de blé fournie par le vieux plâtre, étoit frappante par sa force ; son feuillage étoit large & d’un verd foncé ; la plupart des tiges, vigoureuses en elles-mêmes, s’élevoient à plus de cinq pieds, & les épis, tout en fleurs dans ce moment là, présentoient le coup-d’œil de la plus belle végétation en ce genre. »
» XXVIe. expérience. J’employai du sablon d’Étampes ; il étoit très-pur, très-net, & tel qu’on l’auroit mis en usage pour former du verre. Les pieds de blé ne se trouvèrent pas tout-à-fait aussi abondans dans cette expérience-ci en 1771 ; mais ce qu’il y en avoit, réussit également. La production en 1772, ne le céda en rien dans le sablon à celle que donna le vieux plâtre, cette même année, & que j’ai dit avoir été si frappante : mais en 1773, la touffe de blé que j’obtins du sablon étoit peu fournie, on n’y remarquoit que sept à huit épis assez beaux. »
» XXVIIe. expérience. Le sable de rivière, tel qu’il entre dans la composition du mortier, fut la base de cette expérience. Le succès complet dont j’ai parlé plus haut, à l’égard des produits que le vieux plâtre a donnés constamment pendant trois années, a été le même dans le blé que j’ai recueilli du sable de rivière. Les plantes y étoient vigoureuses & abondantes ; les épis longs & bien garnis. »
» XXVIIIe. expérience. Le succès fut égal, & aussi constamment marqué pendant trois ans, dans cette expérience pour laquelle j’employai des retailles de pierre de Saint-Leu, réduites en poudre, & dépouillées de tout ce qui leur étoit étranger. »
» XXIXe. expérience. Les décombres d’un bâtiment qu’on démolit à Paris, sont ordinairement composés de pierres en partie détruites, de briques ou de tuiles brisées, de mortier sans consistance, de plâtre pulvérisé, &c. Je pris dans des décombres de cette espèce, les parties les moins grossières, & réduites à l’état d’une terre ordinaire. J’y semai du grain ; il y réussit assez bien en 1771 & 1772, mais la production y fut peu abondante en 1773. J’y recueillis néanmoins quelques épis très-beaux, parmi d’autres qui n’étoient que d’une longueur médiocre. »
» XXXe. expérience. L’argile de Gentilly, dont les potiers de terre se servent à Paris, fut celle que j’employai après l’avoir réduite en poudre. Le blé y devint assez beau en 1771, quoique les pieds ne fussent pas nombreux : il y périt en 1772 ; mais en 1773, la touffe de blé y étoit raisonnablement fournie, & elle donna de très-beaux épis. »
» XXXIe. expérience. J’essayai de tirer quelques productions de la cendre seule de bois neuf, humectée simplement au point qu’il le falloit pour que la semence y germât, & laquelle conservoit par conséquent la petite quantité de sel alcali qu’elle contenoit. Le blé, après y avoir germé, périt totalement en 1771. Je fus plus heureux dans ma tentative, l’année suivante. Je n’eus pas, à la vérité, un grand nombre de tiges ; mais plusieurs d’entr’elles étoient vigoureuses, & donnèrent des épis dont quelques-uns avoient quatre à cinq pouces de longueur. Je ne tirai pas en 1773 le même avantage de cette expérience sur les cendres ; outre qu’elles ne fournirent qu’un très-petit nombre de pieds de blé, les tiges y étoient foibles, & les épis médiocres. »
» XXXIIe. expérience. Je semai du blé dans la marne seule : il réussit très-bien en 1771 ; il fut de la plus grande beauté en 1772 : on y remarquoit en effet, des épis de six pouces de longueur. Le succès fut différent l’année suivante. Quoique le blé y eût assez bien réussi, il n’avoit pas, en 1773, cette vigueur dans les tiges, & cette beauté dans les épis, qui caractérisoient celui que j’avois obtenu de la même marne l’année précédente. »
» XXXIIIe. XXXIV.e & XXXVe. expériences. Les dernières expériences que je viens de rapporter ne roulent, comme on a vu, que sur chacune des matières qui avoient fait partie des terres composées dont j’ai déjà parlé : je les ai répétées à l’égard de ces matières, pendant trois années, par des épreuves doubles, dans la vue ou d’obtenir des résultats pareils, ou d’examiner la cause des différences qui s’y rencontreroient. On peut se rappeler que le blé a très-bien réussi dans la vingt-huitième expérience sur les retailles de pierre seules, & que le succès a été complet pendant trois ans. Il ne s’est pas ainsi soutenu dans la trente-troisième, trente-quatrième & trente-cinquième, où je n’avois employé également que des retailles de pierre. Si, dans la première de ces trois épreuves correspondantes, le blé, après n’avoir donné, il est vrai, qu’un produit médiocre en 1771, étoit en bien meilleur état en 1772, & a réussi encore mieux l’année suivante ; j’ai observé que dans la trente-quatrième expérience, la végétation a été plus foible que dans l’épreuve précédente. Il est même arrivé, à l’égard de la trente-cinquième, que quoique le blé y eût réussi en 1772, il y manqua totalement en 1773. Je crois avoir reconnu la cause de ce dernier accident, & elle peut avoir influé aussi sur l’inégalité de végétation dont je viens de parler. M’étant apperçu, en effet, que le blé ne levoit point, pendant que dans les autres pots, les plantes s’étoient annoncées, je remuai à un ou deux pouces de profondeur, la surface des retailles de pierre ; je remarquai que le grain y avoit germé par-tout, mais que cette surface de deux pouces ou environ d’épaisseur, s’étant, pour ainsi dire, mastiquée par le premier & unique arrosement qui lui avoit été d’abord nécessaire, ou par des pluies subséquentes, elle avoit empêché que les plantes ne sortissent. Les unes s’étoient repliées sur elles-mêmes, & étoient restées jaunes, faute d’avoir pu gagner l’air extérieur. Je présume dès-lors que le peu de succès de la répétition de cette expérience sur les retailles de pierre, peut avoir été occasionné par la nature même de cette matière qui se durcit après avoir été mouillée, & devient assez compacte, pour que le grain, lorsqu’il se développe, ne la pénètre que difficilement. Il étoit arrivé, apparemment, par une de ces circonstances heureuses qu’on remarque quelquefois dans le cours d’un grand nombre d’expériences, qu’à l’égard de la vingt-huitième, dont on a vu le résultat, le grain que je semai dans les retailles de pierre, ou ne s’y trouva qu’à une profondeur convenable, ou que ces mêmes retailles, réduites à une moindre ténuité, donnèrent aux jeunes plantes des issues plus faciles pour percer la couche supérieure de ces retailles, puisque j’ai eu pendant trois ans consécutifs, les plus grands succès dans cette expérience. »
» XXXVI.e & XXXVIIe. expériences. Quoiqu’il y ait eu aussi beaucoup d’inégalité dans le produit des expériences que j’ai répétées sur l’argile seule, néanmoins, pendant les trois années où je les répétai, par une double épreuve, les plantes n’y ont pas tout-à-fait péri, comme on a vu que cet accident est arrivé dans les retailles de pierre en 1773 & dans l’argile en 1772, suivant la trentième expérience. J’obtins même dans la trente-sixième qui ne rouloit que sur l’argile, une touffe de blé vigoureuse, garnie suffisamment de tiges, & qui, dans le nombre de ses épis, en donna quelques-uns de six pouces de longueur. Le produit de la trente-septième expérience, où l’argile seule n’étoit pas également employée, ne fut pas aussi avantageux en 1772 & 1773, que le fut en 1772 celui de la trente-sixième dont on vient de parler ; cependant le blé, quoiqu’un peu inégal, s’y trouva assez beau dans les deux années où cette trente-septième expérience eut lieu. »
» L’observation que j’ai faite au sujet des retailles de pierre qui, en devenant trop compactes, gênent les grains dans leur germination, en font périr une partie, & s’opposent à l’accroissement des jeunes plantes qui ont pu vaincre les premiers obstacles ; cette observation tombe également sur l’argile, qui, par elle-même, se durcit encore davantage que les retailles de pierre, dans les grandes sécheresses. On ne put venir à bout, en effet, de recueillir du grain dans l’argile qui en a donné l’année précédente, qu’en la brisant de nouveau, en l’employant dans un état où en partie réduite en poudre, & en partie composée de petits morceaux d’inégale grosseur, elle est aisément pénétrée par l’eau : alors, peu resserrée encore, elle donne au grain logé dans ses interstices, la facilité de germer : la jeune plante a même le tems de percer la couche qui la couvroit, & de jeter son premier feuillage avant que l’argile ait acquis un certain point de dureté que la plante n’auroit peut-être pas pu vaincre. »
» Ceci explique, je crois, pourquoi dans la trentième expérience où l’argile seule étoit employée, il ne germa qu’une partie des grains ; pourquoi les plantes qu’ils produisirent étoient foibles au printems de 1772 ; que leurs feuilles étoient étroites, & qu’elles périrent enfin avant que les tuyaux s’y fussent formés. Ces plantes, sans doute, n’avoient pas eu l’aisance, tant à la fin de 1771, qu’au commencement de l’année suivante, de développer leurs racines dans l’argile devenue trop compacte, & de s’y établir de manière qu’elles ne souffrissent, au moins qu’en partie, l’altération que les gelées & la sécheresse pouvoient y occasionner. Le succès complet que j’obtins dans l’argile en 1772, & par la trente-sixième expérience, ne laisse aucun doute sur les ressources que le blé y trouve pour son accroissement, comme dans les autres matières que j’ai employées ; mais d’autres expériences prouvent en même tems que l’argile, par sa nature, lorsqu’on ne fait usage que d’elle seule pour en tirer des productions, a une disposition à se condenser, & une ténacité dans ses parties qui sont peu favorables à la végétation. »
» XXXVIIIe. & XXXIXe. expériences. Outre l’expérience sur les productions qu’on peut tirer du sablon pur, & qui a eu lieu pendant trois ans, je fis encore usage de cette matière en 1772, & 1773. Le blé y réussit aussi parfaitement la première de ces deux années, & dans l’une de ces épreuves, que nous avons vu qu’il a réussi dans l’expérience du même genre dont j’ai parlé plus haut : il ne fut pas aussi beau dans l’autre de ces deux épreuves en 1772, comme j’ai remarqué qu’en 1773 il fut généralement inférieur à celui de l’année précédente. Un succès frappant & au-delà de toute espérance, la même année, dans une double expérience ; moins de succès dans le même tems, & dans une épreuve correspondante ; une production, plus foible quoiqu’assez belle, l’année suivante, dans une triple expérience, me donnèrent lieu d’examiner d’où peut naître cette différence, & si la manière dont les plantes prennent leur accroissement dans le sablon, ne laisse pas entrevoir la cause d’une pleine végétation dans certaines circonstances, & de l’affoiblissement des plantes dans d’autres. »
» XLe. expérience. J’employai encore les matières mélangées qui résultent des décombres pour une deuxième épreuve. Le blé y réussit assez bien en 1772, mais il y périt totalement l’année suivante, sans que j’en aie apperçu la cause. On a vu que dans la première épreuve du même genre, dont j’ai rendu compte, cet accident n’est pas arrivé pendant trois années consécutives. Les productions que j’ai tirées des décombres, dans cette première épreuve, n’étoient pas, à la vérité, aussi belles & aussi abondantes que celles que j’ai obtenues des plâtras, du sablon & du sable ; mais la végétation s’y étoit constamment soutenue ; & en 1773 particulièrement, j’y recueillis de très-beaux épis. »
» XLIe. XLIIe. XLIIIe. & XLIVe. expériences. On peut se rappeler que dans le grand nombre d’expériences sur les matières mélangées, la vingt-troisième tendoit à examiner l’effet qui résulteroit des cendres jointes à une certaine quantité d’argile & de sable. J’ai dit que le blé avoit été assez beau dans cette terre composée en 1771 ; qu’il y avoit complétement réussi l’année suivante, mais qu’en 1773, le succès n’y avoit pas été à beaucoup près si marqué. On a vu encore que la curiosité seule m’ayant porté aussi à tenter une expérience sur les cendres de bois neuf uniquement, & à les employer sans les avoir lessivées, les plantes y moururent en 1771 ; que le blé y réussit très-bien en 1772, & qu’il y fut très-foible en 1773, mais qu’au moins il n’y périt pas. Je semai du grain en 1773, tant dans des cendres lessivées, que dans d’autres qui ne l’étoient pas : plusieurs expériences de ce genre, que je fis avec attention, & en les rapprochant les unes des autres, afin qu’elles fussent bien comparables, n’eurent aucun succès. Le grain germa, à la vérité, dans les cendres, soit chargées, soit dépouillées de leur sel alcali, mais les plantes ne s’y montrèrent point ; & à peine eus-je un pied d’orge dans un des pots qui contenoient des cendres lessivées. »
» Quoique je ne pusse pas compter exactement sur ces dernières expériences, parce que j’y éprouvai des accidens qui coupèrent le fil de mes observations, & m’obligèrent de semer de l’orge au printems, dans les mêmes cendres où j’avois mis d’abord du blé d’hiver, & ensuite du blé de Mars ; cependant j’ai remarqué, par un premier coup d’œil, que les plantes ont autant de peine à réussir dans les cendres lessivées que dans celles qui ne le sont pas ; que la germination du grain, un peu tardive, il est vrai, y a lieu comme dans les autres substances terreuses ; que les jeunes plantes qui s’élèvent des cendres, sont foibles & un peu rachitiques ; que leurs premières feuilles sont jaunes, flétries, & paroissent souffrir, lorsqu’on les considère à côté d’autres plantes qui tirent, d’une terre favorable, toute la vigueur d’une pleine végétation. Ce n’est qu’après que les plantes qui ont pu réussir dans les cendres, s’y sont bien établies & y ont multiplié leurs racines, qu’elles acquièrent un certain degré de force, qu’elles résistent à la gelée, aux grandes chaleurs, à la sécheresse même, qu’elles donnent des tiges assez fortes, & fournissent des épis de quatre à cinq pouces de longueur, comme ceux que je recueillis en 1772. »
Les conséquences que M. Tillet tire de cette nombreuse & instructive suite d’expériences, se réduisent à ceci. 1o. La première, la quatrième & la cinquième expérience prouvent qu’un quart d’argile, joint aux autres matières dont il y est question, est aussi avantageux que trois huitièmes, mêlés à ces mêmes matières, à cause de la trop grande compacité qu’elle leur donne, & qui les rend peu perméables à l’eau.
2o. Que la terre inculte du clos des chartreux, de la vingt-unième expérience, & même le sable limoneux dont il est fait mention dans la dix-neuvième & vingtième expérience, donnent quelquefois des productions aussi belles que celles des terres labourables ordinaires en culture réglée, ainsi qu’il est prouvé par la neuvième & dixième expérience.
3o. Le sablon d’Étampes, sixième & huitième expériences, uni avec l’argile, n’est pas favorable à la végétation, parce que de cette réunion il en résultoit une combinaison que l’eau pénétroit difficilement à cause de la ténuité de ce sablon qui s’amalgamoit intimément avec l’argile ; que ce sablon mêlé avec d’autres matières dont l’argile faisoit partie, ne nuisoit pas à la végétation ; mais qu’il étoit plus avantageux pour elle, lorsqu’il étoit mêlé avec d’autres matières qui approchoient de sa nature, comme dans la onzième expérience.
4o. La marne unie à une terre labourable dans la septième & dixième expérience, n’a pas eu un avantage sensible. Nous ajouterons à la remarque de M. Tillet, que l’effet de la marne, ainsi qu’on le démontrera en traitant cet article, n’est bien apparent qu’après plusieurs années, & presque jamais dans les premières, parce que le mélange de ces principes avec les molécules terreuses, ne s’exécute qu’à la longue. La marne unie au fumier dans la neuvième expérience, paroît y avoir été utile, sur-tout en 1772. La conséquence tirée par M. Tillet tend à prouver que la marne peut améliorer un terrain sablonneux, & en général tous ceux où, par le défaut d’une quantité de matières calcaires, les parties terreuses sont peu liées entr’elles, & perdent par conséquent trop tôt l’humidité qu’elles reçoivent. La marne a son effet propre & particulier, comme elle a ses principes ; le fumier aide leur manifestation, & suivant toute apparence, tous les deux s’aident mutuellement à former cette substance savonneuse qui aide si puissamment la végétation. La marne fournit le sel alcali, & le fumier la matière graisseuse & huileuse.
5o. On voit par la douzième & quatorzième expérience, que les décombres joints à l’argile seule, ou au sablon, ou à la marne, n’ont pas eu un succès soutenu, & par la vingt-unième expérience, ils n’ont pas été aussi favorables à la végétation que d’autres substances terreuses employées pures : leur bon effet est plus sensible, lorsqu’on les mêle avec d’autres matières ; cependant ils conviennent aux terres argileuses, parce qu’ils les rendent plus perméables à l’eau, & les labours rendent ce mélange plus meuble.
6o. Que les terres réputées maigres, considérées dans les vues générales de l’agriculture, seront toujours d’un foible rapport par elles-mêmes, même malgré l’amendement des fumiers, parce qu’elles ne sont pas de nature à conserver de l’humidité aux plantes. En effet, lorsque le sable y est trop abondant, l’eau s’évapore promptement, & les racines y languissent au printems & en été. M. Tillet a obvié à cet inconvénient, en plongeant ses pots quelconques dans la terre ; cette terre recéloit toujours une humidité, & le pot lui-même en empêchoit l’évaporation. Cela est si vrai, que M. Bowles rapporte dans son Voyage d’Espagne, que dans certains cantons de ce royaume, on couvre la terre avec des carreaux qui se joignent les uns aux autres, & que dans le milieu de ce carreau, percé sur la largeur de deux à trois pouces, on plante les choux & les autres légumes, & qu’ainsi ces végétaux n’ont plus besoin d’être arrosés, parce que l’humidité reste concentrée sous le carreau, & ne peut s’évaporer.
7o. Que si les fumiers sont avantageux pour rendre la végétation plus forte, leur utilité n’est cependant pas durable, à moins que des labours multipliés & profonds ne suppléent à l’avantage que les fumiers procurent ; cependant, outre leur manière d’agir comme engrais, ils sont encore favorables à la végétation, parce qu’ils rendent les terres moins compactes, plus divisées, & facilitent aux plantes l’extension de leurs racines.
8o. Plus la terre sera meuble, plus le nombre des racines augmentera si cette terre retient, dans la proportion nécessaire, l’humidité qui lui convient. C’est ce qui a été prouvé par l’expérience du sablon.
Un fait vient encore à l’appui de cette vérité, & prouve combien l’humidité seule, & sur-tout celle qui se communiquoit aux pots par la terre dont ils étoient environnés, influoit sur la végétation. M. Tillet, pour montrer à l’académie assemblée, un échantillon des épreuves les plus décisives dont il lui avoit rendu compte, fit, au mois de Juin 1774, transporter sous ses yeux un des pots qui contenoit seulement des retailles de pierre, & qui cependant portoit une des plus belles touffes de blé, obtenue de ses diverses expériences. Les épis étoient en pleine fleur, & promettoient un grain bien nourri. Ce pot ne fut hors de la terre qui l’environnoit que pendant vingt-quatre heures ; & quoique M. Tillet le remît dans le même endroit où il avoit d’abord été placé, & le terrain auparavant arrosé tout autour, cependant la touffe de blé commença à languir ; les tiges jaunirent en peu de tems, les épis se desséchèrent ; & d’une touffe de blé si vigoureuse, M. Tillet n’en tira qu’un grain maigre, retrait, & réduit en partie à la simple écorce.
D’après les expériences de M. Tillet, nous pouvons dire que les amendemens doivent avoir pour but de faire contracter à la terre la qualité de ne retenir l’eau que dans la proportion exacte qui convient à chaque espèce de grain ; que si la terre est trop compacte & retient l’eau en surabondance, elle pourrira les racines ; que si cette terre se dessèche, les racines n’ont plus la force de la pénétrer, & la plante languit en raison des obstacles qu’elle doit vaincre & qu’elle ne peut surmonter ; que si la terre est trop légère, la sécheresse détruit la plante ; & qu’au contraire, si la saison est pluvieuse jusqu’à un certain point, la plante prospère, parce que la terre ne retient que l’eau nécessaire à la végétation des plantes qui lui sont confiées.
Il paroît, au premier coup d’œil, qu’on devroit conclure des expériences de M. Tillet, que l’eau seule produit la végétation. En effet, quelle substance savonneuse peut-on trouver dans des retailles de pierre, dans du sablon ? &c. &c. mais on ne fait pas attention que cette essence spiritueuse, si je puis m’exprimer ainsi, tend toujours à se sublimer, à s’élever de la terre, & par conséquent que du sol du champ elle s’insinuoit & pénétroit jusqu’aux racines, par les trous pratiqués au fond des pots. Les matières qu’ils renfermoient, ressembloient à des éponges qui absorboient & l’humidité de la terre du champ dans laquelle il étoit enterré, & les substances savonneuses que cette humidité tenoit en dissolution. L’eau seule ne produit point la végétation, elle y contribue pour beaucoup, comme on le voit par les oignons de fleurs qui végètent dans des carafes pleines d’eau. Il vaudroit tout autant dire que l’air seul produit la végétation, puisqu’un oignon de scille ou squille, suspendu à un plancher, y pousse une tige de plusieurs pieds, y fleurit, &c. Il faut compter pour beaucoup les émanations qui se trouvent mêlées avec l’air atmosphérique, ainsi que nous l’avons fait voir dans le Chapitre premier, en considérant cet air comme un amendement naturel. Il est tems de passer aux détails des différens amendemens artificiels.
Tous les corps s’amendent les uns par les autres, lorsqu’ils sont en quantité requise, & lorsque leurs principes mécaniques ne s’y opposent pas.
Il y a deux sortes d’amendemens : les uns dépendans des travaux de l’homme, & les autres des engrais. Pour les premiers l’homme travaille, ou seul, ou aidé par les animaux ; & quant aux seconds, la nature entière est le dépôt qui les fournit.
Les amendemens ont rapport ou aux jardins potagers & fruitiers, ou aux prairies naturelles & artificielles, ou aux terres à blé & à celles destinées pour les petits grains, ou aux vignes, ou aux forêts, &c. Comme tous ces objets seront traités séparément, il est inutile ici d’entrer dans un plus grand détail sur chacun en particulier ; ce seroit se livrer à des répétitions fastidieuses.
Le mot amender ou changer en mieux, suppose que la terre perd continuellement de ses principes, & que, si l’industrie humaine ne les renouvelle pas, & n’en prépare de nouveaux, elle deviendra stérile. Lucrèce, & plusieurs auteurs anciens & modernes, disent que la terre vieillit, que de siècle en siècle elle devient plus stérile. Ils ont raison, s’ils concluent d’après une longue habitude de mauvaise culture ; mais si nos travaux, ou mal entendus, ou faits à contre-tems, ne s’opposent pas à l’état de perfection de la terre, elle ne vieillira pas. Il est constant qu’elle n’a encore acquis & qu’elle n’acquerra ni vieillesse, ni décrépitude, parce qu’elle est toujours intrinsèquement la même. Elle n’a point vieilli en Chine, où la culture est portée à son plus haut degré de perfection : elle s’est rajeunie en Angleterre, en Suisse, dans la Flandre, dans le Brabant, en Toscane, en Lombardie, en Piémont ; &c. mais elle vieillit nécessairement dans tous les pays où les labours, trop répétés, s’opposent à la formation de la terre végétale ou terreau. Depuis que les habitans de certains cantons, de certaines provinces, ont contracté l’habitude d’alterner leurs terres, (Voyez ce mot) depuis que les anglois ont ensemencé les leurs avec des turnips, des raves, des navets, &c. pendant les années que nous appelons de jachère ou de repos, ils ont rendu au sol son activité première, parce qu’en enfouissant les raves & les navets, ils ont multiplié le terreau qui est la terre par excellence pour la végétation. Pour amender nos terres, nous multiplions labours sur labours ; il se fait une évaporation immense des principes destinés à la végétation des plantes, & nous détruisons jusqu’à l’apparence de l’herbe que nous appelons mauvaise ; enfin, la terre reste réduite à elle-même. Le grain qu’on y sème ensuite, finit par absorber la substance végétative. On fait plus, dans certains cantons on pousse la manie jusqu’à arracher les chaumes, comme si on craignoit leur conversion en terreau. Je conviens que des terres qu’on croit amender par des labours multipliés sont pénétrées plus profondément par la chaleur, par l’air, l’eau ; en un mot, par tous les amendemens naturels ; mais pour que ces précieuses émanations produisent l’effet desiré, il faut qu’il y ait dans la terre un principe d’attraction, si je puis m’exprimer ainsi, un principe de correspondance, un principe d’appropriation, afin que, par leurs mélanges, il s’établisse une fermentation intérieure qui ne peut exister sans eux. En veut-on une preuve sensible ? il suffit de comparer les effets des labours multipliés sur une portion de terre égale, par sa nature, à celle d’un pré voisin. La récolte du champ sera-t-elle aussi abondante que celle du pré semé en grains, après qu’il aura été rompu & labouré ? Jetez un coup d’œil sur le blé semé après le défrichement d’un taillis ou d’une forêt, après le dessèchement d’un terrain marécageux ; l’expérience démontre que la récolte est des plus brillantes.
Ici tout a été mécanique, & son action a été soumise aux loix physiques. 1o. Tant que le pré & la forêt, &c. ont existé, il y a eu peu d’évaporation des principes végétatifs : chaque plante pressée contre la plante sa voisine, ressembloit aux pots des expériences de M. Tillet, ou aux carreaux troués que les espagnols destinent pour la culture de leurs choux, ou bien à ces plantes qui ont leur base recouverte de pierres à la surface du sol, ou enfin aux arbres plantés dans les cours, & dont le trou ensuite est pavé comme le reste de la cour. Dans certains cantons, on connoît si bien l’importance d’empêcher cette évaporation, qu’on passe un rouleau pesant sur la surface des blés. 2o. Chaque année le débris des feuilles, des bois, des animaux, ont formé du terreau, & chaque année la couche s’est augmentée, la fermentation a augmenté. Actuellement, labourez souvent ce pré défriché ; l’évaporation & les pluies enlèveront bientôt le résultat de plusieurs années de fermentation & de pourriture. Il est constant que les labours soulèvent la terre, en atténuent les molécules ; que le soleil, l’air, &c. pénètrent plus profondément ; que les racines ont plus de liberté pour s’étendre : mais une pluie un peu forte ne tape-t-elle pas la terre, n’en réunit-elle pas les molécules ? & si, dans l’espace de six semaines ou de deux mois, le sol a eu le tems, pendant l’été, d’être alternativement trempé & desséché, qu’auront produit les labours pour l’année suivante ? bien peu de chose. Mais si la terre est en pente, le défaut sera encore plus notable, parce qu’une seule pluie d’orage un peu forte suffira pour entraîner la terre végétale, pour enlever le sel du terreau, & ses autres principes que la fomentation a rendus très-miscibles à l’eau : ainsi, loin d’amender la terre, on l’amaigrit.
On ne doit pas conclure de ce que je viens de dire, que pour amender la terre il ne faut pas la labourer ; mon but a été de prouver que l’année de jachère ou de repos n’a été réduite en principe d’agriculture par quelques auteurs, qu’à cause de la difficulté du travail dans les grandes exploitations ; & que, dans le court espace de deux mois ou de six semaines, il étoit impossible d’ameublir la terre par les labours convenables : mais si on alterne les terres, le travail sera moindre & plus facile ; & au lieu de quatre ou cinq façons, deux suffiront. Enfin, si le travail est fait à la bêche, comme cela se pratique dans la république de Luques, & même dans plusieurs cantons du royaume de France, une seule suffira, et l’emportera de beaucoup sur le nombre de tous les labours quelconques.
La conclusion générale à tirer de cet article, est que dans tous les genres d’amendemens quelconques, on doit se proposer, 1o. de rendre la terre susceptible de ne conserver que la quantité d’eau convenable à la végétation & à la nourriture de telle ou telle plante, suivant sa qualité ; 2o. à créer le terreau ou humus dans la plus grande quantité possible, parce que ce terreau est la seule terre végétale, & nous le démontrerons en traitant cet article ; 3o. que la terre, considérée sans son union avec le terreau, n’a aucune propriété pour la végétation, sinon de faire l’office d’une éponge qui retient l’eau, & la laisse s’échapper en dessus lorsque la chaleur l’attire, ou laisse échapper cette eau en dessous comme les sables purs, si des portions d’argile ne la retiennent. En un mot, l’eau & le terreau sont l’âme de la végétation, & leur exacte proportion le but de tous les amendemens.