Cours d’agriculture (Rozier)/BECFIGUE

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Marchant (Tome onzièmep. 228-230).


BECFIGUE, (Sylvia ficedula Lath.) Presque tous les petits animaux au bec menu et effilé reçoivent confusément, en plusieurs pays, le nom de becfigue. Mais il n’en est qu’une à laquelle cette dénomination appartienne réellement ; son plumage la fait aisément distinguer, et les gourmets savent encore mieux la reconnoître à sa délicatesse, et au goût exquis qui en font les délices de nos tables.

Les naturalistes modernes placent le becfigue dans le genre des fauvettes, auquel ils assignent pour traits caractéristiques un bec mince, foible, presque toujours en alêne, et légèrement échancré à sa pièce supérieure ; de petites narines un peu enfoncées ; la langue fourchue à son extrémité ; quatre doigts, dont trois en devant et un en arrière ; le doigt extérieur joint vers sa base au doigt du milieu. Le plumage de l’espèce dont il est question dans cet article n’a que des teintes ternes et obscures. Un brun mêlé de gris règne sur toute la partie supérieure, et du blanchâtre sur l’inférieure ; il y a néanmoins un mélange de brun à la poitrine. Une tache blanche coupe transversalement les ailes dont la couleur est noirâtre, de même que celle de la queue.

Dans nos climats tempérés, les becfigues sont des oiseaux de passage : ils ne les parcourent qu’en voyageurs réunis en petites troupes de cinq à six, et les quittent avant les premiers froids de l’automne. Jusqu’à ce que les fruits, qui font leur nourriture de choix, soient parvenus à leur maturité, ces oiseaux se dispersent par couples dans les bois, et y vivent d’insectes. C’est dans ces retraites silencieuses qu’ils s’occupent de leur reproduction ; mais le soin qu’ils prennent de se percher et de nicher sur les arbres les plus élevés, le peu de grosseur de leur corps, de même que leur défiance, les ont rendus très-difficiles à suivre dans leurs amours, la construction de leurs nids, l’incubation, le nombre des petits, détails qui font l’intérêt et le charme de l’histoire des oiseaux. On s’est plus occupé à chercher les moyens de détruire ceux-ci, qu’à les observer.

Quand les fruits à pulpe molle, succulente et parfumée, sont murs, les becfigues abandonnent des retraites consacrées aux plus doux mystères, et où régnoient le bonheur et la paix. L’instinct, l’appétit dominant, entraînent ces oiseaux imprudens hors des bois, et les amènent dans les campagnes que l’industrie de l’homme a ravies à la nature. Ils abandonnent des habitudes sauvages qui faisoient leur sûreté : le gazouillement léger et foible qui est leur chant d’amour, est remplacé par un petit cri qui les décèle ; au lieu de l’asile impénétrable que leur offroient les plus hautes futaies, ils ne recherchent pas même l’abri d’un buisson protecteur ; ils se tiennent à découvert, courant à terre, ne s’élevant point au dessus des broussailles, des haies, des vignes ou des arbres dont les fruits sont pour eux des appâts si funestes. Ce champ d’abondance devient bientôt le champ de la mort. C’est là que leur chair se charge de la graisse fine et savoureuse dont nous faisons tant de cas ; c’est là qu’ils deviennent la proie de l’avidité des oiseleurs, soutenue et stimulée par l’avidité des gourmands.

Les figues, les mûres elles raisins, sont les fruits sur lesquels les becfigues se jettent de préférence. Dans nos contrées septentrionales, où les figues ne mûrissent point en pleine campagne, ils becquètent les raisins, d’où ils ont reçu en plusieurs lieux le nom de vinette. La même nourriture doit leur être offerte, si on les renferme dans une volière ; et lorsqu’on ne leur épargne pas les fruits qu’ils aiment, ils y prennent en peu de temps une graisse si abondante, qu’elle leur donne quelquefois la mort. Il n’est pas inutile de remarquer que les vieux becfigues, soit qu’ils jouissent de la liberté, soit qu’on les tienne dans l’esclavage, s’engraissent mieux que les jeunes ; ils ne deviennent que médiocrement gras vers l’automne, s’ils sont nés dans l’année, tandis que leur embonpoint est excessif, si leur âge est plus avancé. Cette observation s’applique également à toutes les espèces d’oiseaux auxquelles la surabondance d’alimens fait acquérir beaucoup d’embonpoint, à la fin ne l’été.

Quoique les becfigues fréquentent, en Europe, les pays du Nord jusqu’à la Suède, le Midi est leur véritable patrie ; ils y sont en plus grande abondance, et ils y deviennent un petit objet de consommation et d’exportation. Ils sont, par exemple, tellement multipliés, aussi bien que les ortolans, dans l’île de Chypre, et on les y prend en si grande quantité, que les Grecs des campagnes ne les vendent que quatre sous la douzaine. Outre ceux que les habitans mangent frais, ils en préparent beaucoup plus, pour les conserver, en les mettant dans du vinaigre avec des épices, après leur avoir donne un premier bouillon et leur avoir retranche la tête et les pattes. Plus de quatre cents barils de deux cents et de quatre cents de ces oiseaux ainsi conservés sortent annuellement de l’île, et se transportent en différentes parties de l’Europe. Mais il s’en faut bien que les becfigues confits aient la même délicatesse et la même saveur que ceux qui se mangent un instant après leur mort ; ils ne laissent pas cependant d’être encore un bon mets, accommodés suivant la méthode des Cypriotes ; c’est à-dire, coupés par le milieu, et étendus sur le gril avec un peu de persil et une tranche de pain.

Plusieurs îles de l’Archipel grec, où abondent les becfigues, fournissent aussi au commerce des barils de ces oiseaux confits dans le vinaigre. On les prépare de la même manière en Provence, ainsi que dans les contrées voisines. Ce n’est même que sur ces points méridionaux de la France, que la chasse des becfigues présente quelque avantage ; la chaleur et la beauté du climat, les excellens fruits qui y parfument l’atmosphère, invitent ces oiseaux à s’y rassembler en grand nombre.

Chasse du becfigue. Des amateurs prétendent que, tué au fusil, cet oiseau a plus de délicatesse que pris de d’une autre manière. On le tue fréquemment ainsi en Provence, principalement aux environs de Marseille, où l’on prépare pour cela l’espèce de piège connu sous le nom d’arbret. Cet arbret est un petit arbre de quinze à vingt pieds de haut, que l’on plante au milieu des vignes, et au sommet d’un monticule naturel, ou artificiel, si le terrain n’en présente pas par lui-même. On choisit de préférence l’amandier pour servir d’arbret, parce que ses feuilles sont petites et couvrent moins les oiseaux. Au défaut d’un arbre vert et naturel, on pourroit planter, pour le moment de la chasse, un jeune arbre que l’on couperoit exprès ; mais, comme il est, en un instant, dépouillé de sa verdure, il invite moins les oiseaux à s’y percher. Le pourtour du petit tertre qui domine l’arbret est planté de jeunes pins et de quelques arbrisseaux, ce qui forme comme un petit bocage, et donne la facilité de cacher sous les branches des oiseaux vivans enfermés dans des cages, et dont le cri sert à appeler leurs pareils autour de l’arbret. À quelque distance, on pratique en terre un enfoncement de trois pieds environ, et recouvert tout autour d’un dôme de verdure. Des plantes vivantes et grimpantes, plantées au tour du trou et dirigées de manière à former une hutte ou cabane, valent mieux que des rameaux coupés, qui perdent leur verdure en une matinée. Le chasseur caché dans cette cabane s’y ménage des jours au moyen desquels il peut passer le bout de son fusil, et tirer les oiseaux perchés sur l’arbret. À cette même chasse, on tue aussi beaucoup de grives et d’ortolans.

Pour chasser les becfigues au miroir, on emploie le même attirail que pour les Alouettes. (Voyez ce mot.) Les mailles des nappes doivent cependant être plus petites, et le fil par conséquent plus fin. Le lieu favorable pour tendre ces nappes est le voisinage des vignes, et sur-tout l’entre-deux de coteaux qui en seroient couverts. On doit, si on le peut, multiplier les moquettes ou appelants, parce que le becfigue est attiré par la vue des autres oiseaux, et principalement par ceux de son espèce. Au défaut d’oiseaux, on se sert des appeaux d’alouettes. Les plus simples et les plus imitatifs de ces appeaux sont, ou un noyau de pêche aplati par le frottement sur ses deux côtés convexes, percé d’outre en outre, au même endroit, d’un trou rond, et vidé ensuite de son amande ; ou bien, un petit instrument de quelque métal, comme cuivre, argent ou fer-blanc, de la forme d’un bouton, plat d’un côté, convexe de l’autre, et aussi percé à son milieu. Ces appeaux se placent entre les lèvres et les dents, et le sifflement qu’ils rendent est produit par l’air extérieur que l’on retire à soi et que la langue module. Après les premiers coups de filets heureux que l’on a donnés, on fait servir de moquettes les premiers becfigues dont on s’est emparé.

L’on prend aussi ces oiseaux aux collets, que l’on fait pour cette chasse de deux crins de cheval seulement ; on arme de ce piège les vignes, les haies qui les environnent, et les clairières qui les séparent. On les place encore aux environs des figuiers et des mûriers.

On peut suspendre plusieurs collets à un même volant. Les oiseleurs donnent ce nom à une baguette de bois vert, dont on force les deux extrémités à se relever en coude, au moyen de deux légères entailles pratiquées à cet effet sur la baguette, à une distance convenable. Pour que les deux bouts se tiennent ainsi relevés, on les attache avec une ficelle : par-là, le volant présente la forme d’une espèce de cadre ou châssis. À cette ficelle sont attachés les collets qui doivent pendre à un demi-pouce au moins de la baguette. On suspend une grande quantité de ces volans le long des haies ou à des branches d’arbres, et on les amorce avec des fruits, en les plaçant de manière que, pour saisir cette amorce, l’oiseau soit obligé de se poser sur la partie de la baguette ou volant qui se trouve dans une situation horizontale, et de passer son cou à travers le cercle que lui présente le collet ouvert, derrière lequel est attaché le fruit dont il est avide.

Il y a aussi beaucoup d’avantage à tendre aux becfigues le filet appelé araignée, qui est au reste plus particulièrement consacré à la chasse des Grives. (Voyez ce mot.) Enfin, on les prend, comme les autres oisillons, au moyen de la chouette. (Voyez l’article Pipée.)

On leur fait encore, en Provence, une chasse particulière, à laquelle on donne le nom de Tesse. Voyez ce mot. (S.)