Cours d’agriculture (Rozier)/BÉCASSINE

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Marchant (Tome onzièmep. 226-228).


BÉCASSINE, (Scolopax gallinago L.) Si l’on diminue toutes les proportions de la bécasse, et si l’on fait dominer le gris et le noir sur son plumage, l’on aura la bécassine. Il n’est point de marque extérieure qui puisse faire distinguer les sexes dans l’espèce de la bécasse ; mais l’on a observé, dans celle de la bécassine, que la tête du mâle est rayée de quatre traits bruns, au lieu que celle de la femelle n’en a que trois.

C’est en automne que ces oiseaux nous arrivent ; ils nous quittent, pour l’ordinaire, pendant les grands froids, et reparoissent au printemps, pour disparoître encore en été. Cet itinéraire annuel des bécassines ne doit pas être entendu dans un sens absolu. En effet, plusieurs de ces oiseaux restent l’hiver dans nos marais ; et il est des contrées, telles que l’Auvergne, où d’autres passent l’été pour y nicher. Leur nid, construit avec des plantes sèches et des plumes, est placé au pied de quelque arbre, dont la tige s’élève au dessus d’un fond marécageux ; la ponte est de quatre ou cinq œufs blanchâtres et tachetés de roux. Les petits, comme ceux de la bécasse, quittent le nid aussitôt après leur naissance. Si la mère est troublée pendant son incubation, on la voit s’élever perpendiculairement dans les airs, à une grande hauteur, en jetant un cri particulier, puis descendre avec la rapidité d’un trait. Cette manœuvre, effet de la sollicitude maternelle, est une indication certaine pour découvrir les nids de ces oiseaux.

On apprête les bécassines, comme les bécasses, sans les vider ; leur chair a un goût exquis : elles sont ordinairement fort grasses, et leur graisse est en même temps délicate et savoureuse. C’est après les premières gelées qu’elles deviennent un mets plus fin. Nos aïeux avoient remarqué que ce gibier fait trouver le vin bon. « Elle, (la bécassine) dit Belon, » dans son vieux et naïf langage, est fournie de haulte graisse, qui réveille l’appétit endormi, provoque à bien discerner le goût des francs vins ; quoi sachant, ceux qui sont bien rentés la mangent pour leur faire bonne bouche. » (Nature des Oiseaux.)

De même que dans l’espèce de la bécasse, il y a dans celle de la bécassine deux races distinctes : l’une, qui est près de moitié plus grosse que l’autre ; celle-là est plus rare, et se distingue, non seulement par sa taille et quelques nuances dans le plumage, mais encore par quelques habitudes. Son vol, son cri, ne sont pas les mêmes ; elle se décide difficilement à prendre son essor, et elle se fait suivre par les chiens, comme le râle. Les chasseurs l’appellent double bécassine.

Quoique les bécassines se montrent encore en assez grand nombre dans nos pays, elles y sont moins multipliées qu’autrefois. Cette observation a été faite aussi au sujet des bécasses, des alouettes, et de tous les oiseaux sauvages dont le luxe charge ses tables avec une prodigalité subversive des lois de la nature, et destructive des droits de la postérité. (Voyez l’article Alouette.)

Chasse de la bécassine. La bécassine donne lieu à peu près aux mêmes chasses que la bécasse, excepté pourtant qu’il ne faut point la quêter, ni sur les montagnes, ni dans les bois, où elle ne se cantonne point, mais bien dans les marais, à l’entour des queues d’étang, et, en général, dans les terrains humides et fangeux, couverts de longs herbages, et le long des rivières bordées d’osiers. Elle se tient soigneusement cachée dans les roseaux et les autres plantes des lieux fangeux, où les chasseurs ne peuvent aller qu’en garnissant la plante de leurs pieds d’espèces de longues raquettes faites de planches légères, pour ne point enfoncer dans le marais.

Quand on chasse au fusil, il est bon que le chasseur connoisse le cri de cet oiseau, qui a quelque ressemblance avec le meé meé des chèvres, et qui lui a fait donner le nom de chèvre volante, afin de l’imiter à propos, et de pouvoir attirer son gibier sous ses coups. Quand la bécassine prend sa volée, elle fait entendre un autre petit cri, court, et sifflé.

Il est encore avantageux de la quêter avec le vent au dos, parce que, de même que la bécasse, elle part et vole contre le vent : par-là, venant au chasseur, celui-ci a plus de facilité pour la tuer. Enfin, comme en partant, elle fait deux ou trois crochets, on ne doit point se presser de choisir cet instant pour la tirer ; il faut, au contraire, la laisser bien prendre son vol : elle file alors deux ou trois cents pas, et n’est pas plus difficile à tirer, dans ce moment, que tout autre oiseau. On peut d’ailleurs la tirer de loin ; car il suffit, pour qu’elle tombe, qu’un seul grain de plomb la touche.

On lui tend, autour des marais, les mêmes collets et lacets que j’ai décrits pour la bécasse. On se sert, de plus, du traîneau, comme pour les alouettes ; seulement on laisse traîner par derrière plusieurs bouchons de paille qui battent es herbages, et excitent la bécassine à s’élever.

Cette même chasse se fait encore avec un autre filet, dit traîneau portatif, parce qu’un homme seul peut le porter. La construction en est simple. Dans un morceau de bois long de trois pieds, et de trois pouces environ d’équarrissage, sont emmanchés, d’un côté, et à chaque bout, deux perches ou bâtons assez légers, longs de dix pieds environ, et dont l’emmanchement est assez divergent pour qu’à leur extrémité ils aient environ neuf pieds d’écartement. Au côté opposé du morceau d’équarrissage, et à son milieu, est enfoncé un autre bâton long de quatre pieds, d’une grosseur telle, qu’on puisse commodément l’empoigner : ce bâton est le manche de la machine ; il sert à la porter. Sur les deux perches opposées est arrêté un filet à mailles en losange, et de dix-huit lignes au plus de large. Le chasseur, armé de cet instrument, se rend, la nuit, ou même le jour par un temps nébuleux, aux lieux où il sait que se trouvent des bécassines ; et, battant les herbages de son filet, il les force à s’élever ; ce qu’elles font, portant le bec en l’air. Elles s’engagent ainsi dans les mailles, et le chasseur les y arrête tout à fait eu laissant tomber le filet. (S.)

BÉCASSINE, (petite) surnommée La Sourde, (Scolopax gallinula L.) Cette espèce, bien distincte de la bécassine ordinaire, porte, en différens lieux de la France, les noms de becquerolle, ou boucriolle, de hanipon, de bécot, de jacquet, et de deux pour un. Plus petite de moitié que la bécassine, elle n’excède pas l’alouette en grosseur. À l’exception de quelques reflets, et de quelques nuances, son plumage est le même que celui de la bécassine ; mais son bec est, en proportion, moins allongé.

On la trouve dans les mêmes lieux ; elle se cache avec plus de soin ; et, pour la faire lever, il faut presque marcher dessus, d’où lui est venu le surnom de sourde. On ne peut guères la tirer qu’à l’aide d’un bon chien d’arrêt ; et l’on ne réussit pas toujours à la faire sortir de dessous les couches de joncs, de glayeuls, et d’autres herbes tombées au bord des marais. Aussi celle chasse n’est pas fructueuse ; et, tandis qu’il n’est pas rare de tuer deux ou trois douzaines de bécassines, en un jour, dans un endroit où elles abondent, l’on peut à peine se procurer cinq à six sourdes, dans le même espace de temps. Mais l’excellente qualité de ce gibier, plus délicat encore que la bécassine, dédommage de la peine que l’on prend pour se le procurer. (S.)