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Cours d’agriculture (Rozier)/BOUTEILLE

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Hôtel Serpente (Tome secondp. 427-430).
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BOUTEILLE. Vaisseau à large ventre, à col étroit, fait de verre ou de grès, ou de bois, ou de cuir, propre à contenir de l’eau, du vin, des liqueurs, &c. Nous ne parlerons ici que de la bouteille destinée pour le vin.

Sa forme varie suivant les pays. En Angleterre, le col est court, écrasé, le corps presque aussi large dans toutes ses parties. En France, la forme est arbitraire, & la contenance varie, ce qui favorise la friponnerie. Il y en a dont le col est fort alongé, le corps petit & le cul très-enfoncé. Toutes ces bouteilles se rapprochent plus ou moins de la forme d’une poire. Il seroit à desirer que le réglement fait pour la province de Champagne fût exécuté par tout le royaume ; on seroit par-là assuré de la quantité du vin qu’on achète. Lorsqu’on demande, par exemple, cent bouteilles de vin, l’acheteur ne voit souvent que la forme du verre, & il est trompé sur le contenu. Par exemple, la bouteille ordinaire à col long, à corps court & à cul enfoncé, ne tient pas trois quarts de la pinte, & cependant, suivant la loi de l’équité, elle devroit contenir la pinte. Ainsi l’acheteur est toujours trompé du plus au moins ; il ne peut l’être en Champagne. Voici ce que la déclaration du roi, du 8 Mars 1735, exige.

1o. La matière vitrifiée servant à la fabrication des bouteilles & carafons destinés à renfermer les vins & autres liqueurs, sera bien raffinée & également fondue ; en sorte que chaque bouteille ou carafon soit d’une égale épaisseur dans sa circonférence.

2o. Chaque bouteille ou carafon contiendra à l’avenir pinte, mesure de Paris, & ne pourra être au-dessous du poids de vingt-cinq onces ; les demies & quarts à proportion. Quant aux bouteilles & carafons doubles & au-dessus, ils seront aussi proportionnés à leur grandeur.

Cette déclaration a lieu en Champagne ; & toutes les voitures chargées de bouteilles, par exemple, à Reims, sont à leur arrivée conduites au bureau de la douane, pour y être mesurées & pesées. Je conviens que voilà une entrave pour le fabricant & même pour l’acheteur ; mais si le premier n’avoit pas aidé à la friponnerie du marchand de vin, il est constant qu’on n’auroit jamais songé à établir cette visite & ce contrôle.

À Paris, la bouteille contient un neuvième de moins que celle fixée par la déclaration ; c’est, sur la vente de neuf bouteilles, une bouteille de gagnée pour le marchand de vin, & perdue pour l’acheteur. On dit que c’est pour dédommager le vendeur du prix du bouchon. La bouteille de vin le plus médiocre qu’on vende à Paris, coûte dix sols, & souvent plus. À ce prix le bouchon reviendroit prodigieusement cher.

À Bordeaux, on se sert de bouchons d’une longueur disproportionnée, & qui excède souvent celle de deux pouces. On dit que la bouteille est mieux bouchée, que le vin se conserve mieux. Le prétexte est idéal ; le véritable motif est que le bouchon est moins cher que le vin, & que ce long bouchon occupe la place du vin.

J’aime beaucoup mieux la méthode suivie dans toute la Hollande. Il est défendu aux marchands de vin de se servir de bouteilles qui ne soient pas étalonnées. Une bande de plomb empreinte d’une marque, indique sur le col de chaque bouteille l’endroit jusqu’où le vin doit monter. Par ce moyen, l’acquéreur ne peut être trompé sur la quantité ; quant à la qualité, c’est à lui d’y prendre garde.

La couleur n’influe en rien sur la bouteille, si la vitrification est parfaite. L’embouchure de ce vase doit être ouverte à l’extrémité, de deux lignes plus qu’au-dessous de l’anneau où le bouchon doit pénétrer. Son ouverture, bien ménagée, est ronde & sans saillie, & son col a quatre pouces de plus de longueur.

Que les bouteilles soient neuves ou non, il ne faut jamais s’en servir sans les rincer. Les premières exigent une opération de plus que les secondes, du moins celles qui viennent des verreries, où l’on emploie le charbon fossile & non le bois, soit pour la fusion du verre, soit pour sa recuite après que la bouteille a été soufflée. Dans le fourneau de recuite, lorsqu’on y porte la bouteille qui vient d’être soufflée, & par conséquent qui a perdu la plus grande partie de sa chaleur, puisqu’elle forme déjà un corps presque solide, cette bouteille qui n’est pas au même degré de chaleur que le fourneau de recuite, attire sur son extérieur la fumée & les principes du charbon fossile que l’ignition fait enlever. Il se forme alors à l’extérieur du vase une poudre d’un gris noir qui le recouvre & le tapisse. J’ai la preuve par une expérience répétée maintes fois, que si cette poudre qui se détache en mettant la bouteille dans l’eau, entre dans son intérieur, & si les lavages ne l’en font pas sortir, le vin, dont on remplira ensuite cette bouteille, contractera un mauvais goût. Ce défaut n’a pas lieu, ainsi que je l’ai dit pour le verre fondu au feu de bois.

Il résulte de cet inconvénient, que le premier soin à avoir avant de rincer l’intérieur de la bouteille, est de boucher son ouverture avec le doigt index de la main gauche, avec une éponge de frotter toutes les parties extérieures de la bouteille, en la mettant tremper dans un baquet plein d’eau.

La manière ordinaire de rincer les bouteilles, est d’avoir plusieurs vaisseaux pleins d’eau, dans lesquels on les passe successivement après les avoir rincées avec du plomb ou avec une petite chaîne de fer. Cette opération est bonne pour un certain nombre de bouteilles ; mais peu à peu cette eau se charge des ordures qu’elles contenoient. Si l’on continue, l’opération devient insuffisante & manque le but, à moins qu’on ne renouvelle souvent l’eau de ces baquets. J’ai vu pratiquer en Champagne une méthode bien plus simple & plus expéditive, sur-tout lorsqu’on a un grand nombre de bouteilles à rincer.

Placez sur un trépied, d’un pied & demi ou deux de hauteur, une barrique défoncée par un côté, ou un grand cuvier, suivant le besoin. Adaptez une ou plusieurs canelles au bas de ce cuvier, & assez éloignées les unes des autres, pour qu’un homme puisse commodément manœuvrer ; les canelles doivent être garnies de leur piston. L’homme s’assied sur un petit tabouret, étend ses jambes sous le trépied ; alors d’une main il ouvre le robinet ou piston, l’eau coule sur les parois du verre, & lave avec une éponge l’extérieur de la bouteille ; ensuite, armant cette bouteille d’un entonnoir, il y laisse couler la quantité suffisante d’eau pour la rincer, ferme le robinet, y jette la chaîne ou le plomb, l’agite en tout sens, écoule cette eau dans un baquet, retient la chaîne, présente de nouveau la bouteille sous le robinet, y laisse couler de l’eau, l’agite, l’écoule, & enfin, il en passe de nouvelle jusqu’à ce que le verre soit parfaitement net. Comme cet homme ne sauroit se déplacer, un aide lui approche les bouteilles, & remporte celles qui sont rincées. Il résulte de cette opération bien simple, qu’il faut beaucoup moins d’eau, & que l’eau dont on se sert, est toujours propre & nette.

Si les bouteilles ont contenu des essences spiritueuses, des odeurs, il est très-difficile de les en dépouiller. On n’y réussit qu’à la longue, & par des lavages répétés. Si elles ont renfermé des substances huileuses, les lessives alcalines (voyez Alcali) les plus fortes, peuvent seules les en dépouiller. L’alcali, uni à l’huile, en fait un savon, & cette huile, dans son état de combinaison, devient soluble dans l’eau & cède aux lavages réitérés. Ainsi une forte lessive faite avec des cendres, aiguisée par la chaux, est un moyen expéditif. On peut encore se servir de la cendre gravelée, ou clavelée, (voyez ce mot) ou de l’alcali fixe du tartre. Ces deux dernières substances ont la même action sur l’huile.

Il est de la dernière importance qu’une bouteille soit bien rincée, sans quoi le vin contracte un mauvais goût. On emploie communément à cet usage le plomb réduit en grenaille, ou une chaîne de fer, dont les bouts de chaque chaînon sont armés de pointes, comme ce qu’on appelle communément molettes d’éperon. Par l’agitation & les secousses réitérées dans tous les sens, ces corps durs détachent du verre les parties étrangères interposées sur sa surface intérieure.

Quelques auteurs ont fait beaucoup de bruit, sur-tout dans les papiers publics, sur la préférence que l’on doit donner à la chaîne de fer, parce que, ont-ils dit, il arrive souvent qu’un ou plusieurs grains de plomb restent dans la bouteille, & qu’alors l’acide du vin attaque la substance du plomb, la dissout peu à peu, enfin, la réduit en chaux de plomb, ou sel de saturne, & tout le monde sait combien cette chaux est dangereuse, mêlée & dissoute dans le vin. Si ce raisonnement étoit vrai & fondé sur la réalité, on auroit raison de proscrire l’usage du plomb. Je n’en suis pas plus partisan qu’un autre, mais je n’aime pas qu’on jette mal à propos de l’inquiétude dans les esprits en les alarmant. L’expérience m’a prouvé que dans des bouteilles remplies depuis près de neuf ans, & dans lesquelles il étoit resté deux grains de plomb, ces deux grains n’y avoient souffert aucune altération. Il faut le contact immédiat de l’air pour que l’acide du vin agisse sur le plomb. Je puis attester que le vin de cette bouteille n’avoit pas le plus léger goût douceâtre, goût qui se manifeste lorsque le vin est uni à une infiniment petite dose de sel de saturne. Malgré ce que je viens de dire, il est plus prudent de se servir d’une chaîne.

On est souvent étonné de trouver à un vin un goût différent de celui qu’on attendoit, de voir un sédiment étranger au fond de la bouteille. Cela provient souvent de la nature des substances qui sont entrées dans la composition du verre en surabondance, & quelquefois de l’union de certaines substances qui lui sont étrangères. Voici un moyen de le reconnoître. Prenez un verre d’eau, jetez-y un peu d’acide nitreux, ou d’acide vitriolique, & videz le tout dans la bouteille. Placez-la au bain marie, & faites bouillir. Si la vitrification est bien faite, l’eau de la bouteille ne perdra pas de sa transparence, & se dissipera sans laisser de sédiment. S’il reste encore d’alcali ou de la terre non vitrifiée dans la bouteille, l’acide les dissoudra, & formera une certaine quantité d’un sel plus ou moins blanc, & un sel neutre, (Voyez le mot Sel) qui prouvera la mauvaise qualité de la bouteille.