Cours d’agriculture (Rozier)/BROUILLARD

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Hôtel Serpente (Tome secondp. 470-473).


BROUILLARD. C’est un amas de vapeurs & d’exhalaisons, plus ou moins épaisses, qui s’élèvent dans l’air, & tantôt se dissipent dans les hautes régions de l’atmosphère, & tantôt retombent sur la terre en forme de bruine ou de pluie fine. Deux causes principales concourent immédiatement à la formation des brouillards, la chaleur naturelle de la terre, & le froid des couches inférieures de l’atmosphère. Le soleil d’une journée entière, & la masse de chaleur qu’il a produit dans l’atmosphère, celle qu’il a imprimée à la surface de la terre, occasionnent une évaporation considérable ; les molécules aqueuses, raréfiées & chassées par la chaleur qui s’échappe du globe, s’élèvent & se dispersent dans l’air jusqu’à ce que rencontrant une zone froide, elles se condensent & deviennent visibles en se rapprochant & s’épaississant. Leur réunion forme un corps fluide, pénétrable & continu, & susceptible de tous les mouvemens que les vents peuvent lui imprimer. Les vents eux-mêmes contribuent beaucoup à la réunion des vapeurs & à la formation des brouillards. L’air est toujours rempli d’une certaine quantité de vapeurs. (Voyez Air) Si elles sont invisibles, c’est que trop raréfiées, leurs molécules sont éloignées les unes des autres. Mais si les vents viennent à souffler du haut en bas, alors ils abaissent ces vapeurs les plus élevées sur les plus basses, & les condensent. Leur condensation sera encore plus prompte, si les vents soufflent de divers points opposés : ils compriment alors de toutes parts les vapeurs qu’ils trouvent dans l’air. La même chose a lieu, si elles sont poussées par les vents horizontalement contre une montagne : ne pouvant aller plus loin, les dernières se joignent aux premières, & à celles qui sont adossées contre la montagne ; elles s’accumulent les unes contre les autres, elles s’épaississent enfin, & y acquièrent un tel degré de densité, qu’elles deviennent visibles & retombent sous la forme de brouillards.

Il n’est point de saison ni de climat où l’on ne voie des brouillards ; l’hiver & les pays humides paroissent cependant favoriser le plus la formation de ces météores. Dans l’hiver, le soleil agissant avec moins d’activité, & le ciel étant presque toujours couvert de nuages, l’air froid occasionne nécessairement une condensation dans les vapeurs, & les exhalaisons qui s’élèvent de la terre & des eaux, sur-tout dans les endroits où l’évaporation est plus abondante, comme les sols marécageux & aquatiques, les bas fonds & les bords des rivières. Comme le soleil a peu de force dans cette saison, il dissipe difficilement ces brouillards qui se résolvent ordinairement en pluie s’il fait doux, (voyez Bruine) & en givre, s’il fait froid. (Voyez Givre) Il n’est donc pas étonnant de voir alors les brouillards obscurcir l’air pendant plusieurs jours de suite ; & la résolution de ces brouillards dépend de la température actuelle de l’atmosphère & de l’effet des vents. Dans l’été, les vapeurs élevées dans la journée retombent vers le soir après le coucher du soleil & durant la nuit. Si elles sont assez raréfiées pour être invisibles, elles forment alors la rosée & le serein. (Voyez ces mots) Si un froid assez vif, un vent frais les rassemblent & les accumulent, on apperçoit alors un brouillard, plus ou moins épais, que les premiers rayons du soleil du lendemain dissipent ordinairement. Dans le printems & l’automne, les brouillards sont plus fréquens, à cause de la différence marquée de température entre le jour & la nuit. Les pluies, assez fréquentes dans ces deux saisons, imprègnent l’air d’une humidité continuelle, que le moindre froid condense en brouillard.

C’est ordinairement le soir & le matin que les brouillards sont plus sensibles. En voici la raison. Le soir, après que la terre a été échauffée par les rayons du soleil, l’air venant à se refroidir tout à coup au coucher de cet astre, les vapeurs qui avoient été échauffées, s’élèvent dans l’air ainsi refroidi, parce que dans leur état de raréfaction, elles sont plus légères que l’air condensé. Le matin, lorsque le soleil se lève, l’air se trouve échauffé par les rayons beaucoup plutôt que les vapeurs qui y sont suspendues ; & comme ces vapeurs sont alors d’une plus grande pesanteur spécifique que l’air, elles retombent vers la terre sous la forme de brouillard.

D’après tout ce que nous venons de dire, on peut donc assurer que les brouillards ne sont autre chose que des molécules aqueuses, disséminées dans l’air, & rendues visibles par leur abondance & par le froid ; ce sont, en un mot, de vrais nuages qui flottent dans les régions les plus basses de l’atmosphère, & qui interceptent une partie de la lumière qui nous vient du soleil & des astres. Cette obscurité est produite par le très-grand nombre de ces molécules aqueuses, qui, perdant peu à peu le mouvement en vertu duquel elles se sont élevées, s’arrêtent à une hauteur déterminée, s’approchent & se joignent les unes aux autres. Ainsi disposées, elles doivent nécessairement empêcher que l’effet des rayons lumineux ne parviennent en entier jusqu’à nous, parce que ces gouttes, quelques petites qu’elles soient, se trouvant rassemblées sans ordre, réfléchissent la lumière, & la dissipent par la multitude de leurs surfaces qui s’opposent successivement à son passage. Cet obscurcissement devient quelquefois si considérable, que la lumière est presque totalement interceptée, & que l’on ne distingue les objets qu’à une très-petite distance. Quelquefois aussi ces brouillards épais ne reposent pas immédiatement sur la terre ; ils s’élèvent & se fixent dans la région moyenne de l’atmosphère, où ils forment une espèce de zone moins opaque, à la vérité, que les brouillards ordinaires, mais qui ne laisse pas d’y répandre une obscurité sensible. S’ils n’interceptent pas totalement les rayons du soleil, ils en affoiblissent tellement l’éclat, que l’on peut alors regarder fixement son disque. Telle est la cause naturelle de ce phénomène singulier, qui, aux yeux de l’ignorance timide & superstitieuse, passe pour un prodige effrayant, & qui annonce les plus grands malheurs. Si ce phénomène a lieu plusieurs jours de suite, les brouillards qui l’ont produit auront séjourné ce même espace de tems dans l’atmosphère, & l’auront vicié. Il n’est donc pas étonnant, après cela, qu’il se répande des maladies épidémiques, qu’il ne faut attribuer qu’à la présence des brouillards, & non à l’obscurcissement du soleil.

Les brouillards ont deux mouvemens généraux ; celui par lequel ils se condensent & retombent en bruine ou en pluie, & celui par lequel ils se raréfient, s’élèvent de plus en plus, & deviennent de vrais nuages. Ces vapeurs suspendues au-dessus de la terre, à une hauteur médiocre, quoique souvent tranquilles à leur partie inférieure, sont susceptibles d’un mouvement d’ondulation, semblable à celui de la mer, à leur partie supérieure. Quand on est sur une montagne assez haute, que l’on domine une plaine couverte de brouillards, on croit voir sous ses pieds une mer agitée, dont les flots roulent les uns sur les autres. Insensiblement on les voit se dissiper ; soit lorsque ces molécules aqueuses, acquérant une pesanteur plus considérable que celle de l’air dans lequel elles nagent, forment des gouttes plus grosses, & retombent sur la terre par leur propre poids ; soit que le principe de la chaleur qui les a élevées & divisées, augmentant encore par l’ardeur du soleil, elles reçoivent un mouvement plus fort qui les porte vers la région supérieure de l’air, où elles se condensent & prennent la forme de nuages ; à moins qu’elles ne soient entièrement dissipées par une raréfaction extrême & prompte.

Si les brouillards n’étoient exactement que de l’eau raréfiée, nous ne nous appercevrions de leur présence, que par l’humidité qu’ils entretiennent, & par l’obscurité qu’ils répandent ; mais très-souvent ils sont accompagnés d’une odeur infecte, d’une âcreté qu’on ressent à la gorge & aux yeux. Cette odeur & cette âcreté sont dues aux exhalaisons terrestres que ces vapeurs entraînent avec elles ; cette espèce de brouillard est en général très-mal saine.

Comme la production des brouillards ne dépend absolument que de l’abondance des vapeurs & du froid de l’atmosphère, ils obscurciront l’air, soit que le baromètre se trouve haut ou bas. Quand la colonne de mercure est basse & annonce la pluie, il n’est pas étonnant que l’on voie des brouillards qui sont une espèce de pluie ; mais lorsqu’elle se tient haute, on pourra avoir des brouillards, 1o. si le tems a été long-tems calme & chaud, & qu’il se soit élevé beaucoup de vapeurs qui aient rempli l’air ; le moindre froid, le plus petit vent frais, rafraîchira l’atmosphère, & les vapeurs se condenseront. 2o. Si l’air, se trouvant tranquille, laisse retomber les vapeurs & les exhalaisons qui passent alors librement à travers.

Le brouillard n’est pas comme la rosée, il tombe & mouille indifféremment toute sorte de corps, & pénètre souvent dans l’intérieur des maisons lorsqu’il est humide. Il s’attache alors aux murs & s’écoule par le bas, en laissant sur les parois de longues traces qu’il a formées.

Dans l’été, lorsque l’air se trouve chargé de légers brouillards le matin, communément il fait beau dans la journée, parce qu’à l’arrivée du soleil, le brouillard mince & délié est repoussé vers la terre ; de sorte que ces parties devenues fort menues, & étant séparées les unes des autres, vont flotter çà & là dans la partie inférieure de l’atmosphère, & ne se relèvent plus pour retomber en pluie.

La cause de la nature des brouillards étant bien connue, ce seroit ici le lieu d’examiner leur influence sur l’économie animale & sur la végétale. Comme ils agissent en partie par l’humidité, c’est à ce mot que nous renvoyons, pour n’être pas obligés de nous répéter. (Voyez Humidité) Nous nous contenterons d’observer en général qu’ils fertilisent les terres, ou que du moins nul tems n’est plus favorable aux labours & aux semailles que ces matinées où règne un brouillard épais & stillant, qui baigne & échauffe doucement les sillons. Si les brouillards d’automne hâtent quelquefois la maturité des raisins, ils les font pourrir s’ils sont de trop longue durée. La rouille (Voyez ce mot) est causée par les brouillards qui s’attachent aux blés & aux fruits, lorsque le vent ne les dissipe pas, ou quand ils y sont surpris par un vent brûlant, & par l’ardeur du soleil.

Mais il est une qualité essentielle que l’on a découverte dans les brouillards, & qui doit entrer pour beaucoup dans leur action sur les animaux & les plantes ; c’est leur électricité. M. Ronayne d’abord, & M. Henley ensuite, ont fait tous deux une belle suite d’expériences, qui leur a démontré que les brouillards sont électriques toujours & par eux-mêmes, que leur électricité est en rapport avec leur épaisseur, & qu’elle n’est jamais si forte que lorsqu’un tems sec & glacial les accompagne. (voyez Électricité) M. M.