Cours d’agriculture (Rozier)/COLOMBINE (supplément)

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COLOMBINE. Après avoir donné la définition de ce mot, Rozier propose un moyen d’accroître les ressources de la fiente de pigeon, sans néanmoins indiquer ses usages, ni la forme qu’il convient de lui donner pour en obtenir le plus grand effet possible, excepté cependant, qu’en parlant des engrais produits par les oiseaux de basse-cour, il dit qu’il est plus prudent de s’en servir dans un état sec et pulvérulent La réputation de la colombine, tant recommandée comme engrais par les anciens écrivains, ne nous permet pas de laisser passer l’article qui la concerne, sans y ajouter quelques observations.

La colombine est, en effet, un de nos meilleurs engrais ; il n’en faut pas beaucoup pour fertiliser en peu de temps les terres fortes et humides, et augmenter considérablement la récolte des plantes légumineuses, et sur-tout celles du chanvre et du lin, pourvu qu’on sache l’employer à propos. Facile à manier et à transporter, elle est sur-tout précieuse dans les pays de montagnes, où les terres morcelées et éloignées des habitations rendent difficile l’accès des voitures.

Cet engrais, amoncelé pendant huit à dix mois, pour perdre, comme on dit, son feu à fermenter, n’éprouve aucune sorte de fermentation ; une partie de son humidité et de l’ammoniaque qu’il contient à nu s’évapore, les matières extractives et salines dont il est rempli, forment des combinaisons nouvelles avec les fluides qu’elles soutirent de l’atmosphère, d’où résulte un tout qui produit un effet moins énergique que si la colombine étoit employée fraîche et immédiatement, mais en la mélangeant avec du terreau, ou même avec une terre inculte et légère ; on peut, sans aucun inconvénient et dans une proportion convenable, la répandre à claire-voie sur les terres fortes, chaque fois qu’on sème quelque grain, ou même conjointement avec la semence ; voici de quelle manière Olivier de Serres s’exprime sur les propriétés de la colombine.

« Le premier et meilleur de tous les fumiers, desquels on puisse faire estat, est celui du colombier, pour sa chaleur, qu’il a plus grande que nul autre, dont est rendu propre à tout usage d’agriculture, de telle sorte que peu profite beaucoup ; mais c’est à condition que l’eau intervienne tost après pour corriger sa force, autrement il nuiroit plutôt qu’il ne profiteroit, attendu que seul, sans être tempéré d’humidité, brusle ce qu’il touche ; C’est pourquoi autre saison n’y a-t-il pour son application, que l’automne et l’hiver, le printemps étant suspect pour la proximité de l’été.

» Avec discrétion, sera distribuée la fiente du colombier, de peur que, par trop grande quantité, la semence n’en fût bruslée ; pourquoi on la sème par la terre à la façon du blé, et presqu’aussi rarement. »

Cette manière d’exprimer l’énergie d’un engrais, en disant qu’il brûle, qu’il corrode les plantes, demande à être expliquée. Si la colombine, comme la fiente des autres volailles, et, en général, les sécrétions animales, appliquées immédiatement aux plantes, étoient capables d’agir sur leur texture au point de les corroder et de les brûler, comment les grains, qui ont échappé à la nutrition, jouiroient-ils, après avoir séjourné dans les déjections, de leurs facultés reproductives ? Telle est l’avoine, qu’on voit germer, et gréner du milieu des crotins de cheval. N’est-il pas plus conforme à l’expérience et à l’observation de présumer que ces matières, douées encore de la chaleur animale et du mouvement organique, répandent autour des plantes en végétation un principe délétère, un gaz qui les tue, puisque bientôt après la fane jaunit, se flétrit, se dessèche, et la plante meurt, à moins qu’il ne survienne, aussitôt, une pluie qui ranime la racine ?

L’action de les étendre, au moyen de l’eau et de la terre, suffit pour leur faire perdre un principe destructeur de la vie végétale, et un commencement de fermentation augmente la puissance de l’engrais, de manière qu’on peut les employer aussitôt, sans aucune déperdition de principes, sans avoir jamais rien à redouter de leurs effets.

L’opération, à la faveur de laquelle ou parvient à dessécher les matières fécales, et à les réduire à l’état pulvérulent, ne peut s’exécuter qu’aux dépens d’une grande partie de principes capables d’une prompte évaporation, et qui constituent leur fluidité. Or, ces principes, étendus dans l’eau et enchaînés par leur mélange avec la terre, pourroient tourner au profit d’une récolte, tandis que le résidu acquerroit insensiblement, par celle qui leur succède, le caractère et la forme qu’on a intention de lui procurer, lorsqu’on le dessèche insensiblement à l’air libre. C’est ainsi que les Flamands usent de cet engrais pour la végétation du colza, qui est pour leur canton une branche d’industrie agricole et commerciale très importante. Jamais ils n’ont remarqué que la sève ait charrié les principes de sa mauvaise odeur, et que l’usage des fourrages, soit verts, soit secs, provenant des terres fumées de la sorte, parût déplaire à leurs bestiaux. Les excrémens de tous les animaux, préjudicieront aux plantes, s’ils leur sont appliqués avant d’avoir jeté leur feu, et rien ne seroit plus imprudent que d’en mettre une certaine quantité dans le bassin où l’on puise l’eau, pour hâter les semis et les plantations : malheur au jardinier, s’il n’est très-économe de cet engrais ! il paiera bien cher sa prodigalité, parce qu’en tout l’excès du bien devient un mal.

On ne sauroit donc se refuser à croire que les matières fécales ne soient, pour les terres fortes et argileuses, et pour la plupart des productions, un engrais avantageux. Plusieurs siècles d’une expérience heureuse, l’exemple d’une certaine étendue de pays où l’agriculture prospère, l’intelligence bien connue des fermiers flamands ; voilà des considérations qui doivent triompher des préjugés élevés contre l’usage de cet engrais. En supposant que les mauvais effets qu’on lui a attribués, dans l’état où il se trouve lorsqu’il sort des latrines, ne soient pas l’ouvrage d’une imagination préoccupée, nous pensons qu’il aura été employé sans précaution, outre mesure, avant la saison, dans un temps peu convenable, sur une nature de sol et pour des cultures qui ne lui sont nullement analogues. Quoique l’expérience ait fait connoître aux Flamands que les matières fécales, dans leur état naturel, ont plus d’activité que sous forme sèche, cette circonstance n’empêche point que le moyen de les réduire a l’état de poudrette, ne réunisse de très-grands avantages, pour la facilité qu’il offre de transporter au loin une matière qui ne blesse plus les organes, qu’il est possible d’employer à son gré, dans les champs, ainsi que dans les jardins, et dont les effets, comme puissant engrais, ne sont nullement équivoques dans une foule de circonstances. La Société d’Agriculture de Paris, consultée sur rétablissement de ce genre, que M. Bridet a formé à Paris, ne sauroit assez s’applaudir de l’avoir encouragé, parce qu’en le faisant bien connoître elle pourra en déterminer de pareils dans les villes très-peuplées, où les habitans, loin de tirer parti de cet engrais actif, paient souvent fort cher pour s’en débarrasser, tandis qu’ailleurs on y attache un très-haut prix. On seroit étonné, si l’on savoit combien les latrines des casernes de la ville de Lille produisoient autrefois de revenu à celui à qui appartenoit le droit de vendre cet engrais ; mais je suis bien éloigné de croire, en même temps, que les cultivateurs doivent toujours avoir recours à la concentration dont il s’agit, pour l’emploi de ces matières recueillies dans leur canton, Qu’ils imitent les Flamands, en les faisant servir, la première année, à la culture des plantes à huile, à chanvre, à fin ; et la seconde année, à rapporter de beaux grains, d’où résulteroient deux récoltes au lieu d’une seule, sans fatiguer davantage le sol, et en épargnant des frais.

Toutes ces observations sont naturellement applicables à la fiente des oiseaux de basse-ceur, à la colombine, sur-tout, un des plus actifs engrais de cet ordre, qui, réduite également à l’état de poudrette, perd beaucoup de son énergie et n’a pas un effet aussi prolongé que quand, avant de s’en servir, on la mêle avec une terre qui partage ses propriétés, ou qu’on l’étend, pendant l’hiver, sur le sol destiné à être ensemencé de chanvre et de lin.

Quelques cultivateurs répandent la colombine sur les pièces de blé, après les gelées ; mais cette méthode ne réussit qu’autant que le printemps est humide et que les terres sont fortes ; car s’il est sec et que le terrain soit léger, cet engrais a des inconvéniens. Il vaut donc mieux l’employer en automne, avant le dernier labour : les pluies modèrent son action.

On a remarqué que cet engrais, qui détruit la mousse, le jonc, et autres plantes nuisibles, avoit cependant un inconvénient pour les prés, à cause des plumes qu’il contient, lesquelles, se mêlant avec le foin, peuvent donner du dégoût aux chevaux, et leur occasionner des toux importunes. Mais il seroit peut-être possible de diminuer cet inconvénient, en répandant, à la main, la fiente de pigeons desséchée, un jour où il feroit du vent, qui emporteroit une partie des plumes au delà de la prairie.

Quelques jardiniers, suivant l’observation judicieuse de mon collègue Thouin, font usage de la colombine dans la composition des terres qui doivent servir à la culture des plantes exotiques, que l’on élève dans des vases ; mais il faut avoir l’attention de ne la faire entrer que dans la proportion d’un sixième, et lorsqu’elle est réduite en terreau, parce que, en l’employant fraîche et dans une quantité plus forte, il seroit à craindre qu’elle ne desséchât les racines des plantes. Suivant l’observation précitée, on se sert encore, dans le jardinage, de la colombine pour diminuer la crudité des eaux de puits, particulièrement pour neutraliser la sélénite qu’elles contiennent quelquefois, et les rendre plus grasses, plus visqueuses et moins susceptibles de s’évaporer. Pour cet effet on jette, au fond des tonneaux qui reçoivent ces eaux, une trentaine de livres de cet engrais, et chaque fois qu’on est sur le point d’arroser, on remue le mélange, afin que l’eau se charge en même temps de cette substance, et la transporte au pied des plantes qui ont besoin d’eau ; ce fluide, ainsi chargé de colombine, est employé dans les potagers, pour arroser les arbres fruitiers qui sont jaunes ou malades ; il produit souvent un très-bon effet.

Il est fâcheux, sans doute, qu’on ne puisse pas se procurer une grande quantité de colombine, et que dans les cantons précisément où son emploi seroit utile, à cause de la nature du sol et des plantes qu’on y cultive, cet engrais soit hors de prix ; ceux qui ont l’occasion d’en avoir ne doivent pas négliger les moyens d’en tirer le parti le plus avantageux. D’abord, il faut prendre garde de le laisser trop séjourner dans le colombier ou dans la volière, parce que ses émanations peuvent avoir une influence malfaisante sur la santé des pigeons, et qu’ensuite cette matière, mise d’avance, pendant l’automne, sur les terres qu’elle est destinée à amender celles-ci s’enrichiroient d’autant des principes que la colombine, exposée à l’air, perd sans profit ; ses mauvais effets trop actifs ne seroient plus alors à redouter.

Or, s’il est quelquefois nécessaire de réduire la colombine et la fiente des autres oiseaux de basse-cour à l’état pulvérulent, pour les rendre plus transportables, plus propres à être disséminées sur les terres, et à se dépouiller des plumes qu’elles pourroient contenir, il faut avouer que, pendant le cours de cette dessiccation lente et spontanée à l’air libre, il est à craindre que l’engrais ne perde beaucoup de sa puissance ; or, en le mélangeant, au sortir du colombier ou du poulailler, avec la terre qu’il doit fumer, ses principes enchaînés pourroient tourner au profit d’une récolte, tandis que le résidu acquerroit, pour celle qui lui succède, le caractère et la forme qu’on a intention de lui donner, en le réduisant à l’état de poudrette. La propriété fertilisante se prolonge alors, et elle n’est pas épuisée par une seule récolte.

S’il y a des peuples qui paroissent négliger la source des engrais, il y en a d’autres dont les efforts ne tendent qu’à profiter de tout ce qui est à leur disposition pour amender leurs terres : les Arabes, par exemple, pratiquent de grandes fosses, peu profondes, qu’ils remplissent de tous les animaux qui viennent à mourir ; ils les recouvrent ensuite de terres calcaires et de terres argileuses. Au bout de quelque temps, ces terres, stériles par elles-mêmes, aérées, gazéifiées, animalisées, pour ainsi dire, acquièrent non seulement la faculté de produire, mais encore celle du plus puissant engrais.

Enfin, il est possible d’aérer la terre comme les fluides, en enchaînant, par leur mélange avec certains corps eu décomposition, les principes qui les constituoient ; d’où il résulte une matière surchargée de gaz qui ajoute à ses propriétés, et en forme, par leur réunion, un engrais plus actif que chacun des objets qui le composent. (Parmentier.)