Cours d’agriculture (Rozier)/COUCHE

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Hôtel Serpente (Tome troisièmep. 505-509).


COUCHE. C’est un amas de substances susceptibles d’acquérir & de conserver, pendant un certain temps, une chaleur capable d’opérer l’accroissement des plantes, malgré que la chaleur de l’atmosphère ne soit pas au point qui leur convient ; telles sont les couches faites avec du fumier, du tan, des feuilles de certains arbres, ou avec le marc des raisins.

On distingue trois espèces de couches ; la chaude, la tiède & la sourde. (voyez Planche 5, page 144 de ce volume.)

La chaude A, est celle qui vient d’être construite, & qui conserve toute sa chaleur, dont on laisse évaporer une partie pendant huit jours avant d’y semer. On appelle encore couches chaudes, celles qui sont renfermées dans les serres chaudes, (voyez ce mot) & dont la chaleur est entretenue par les tuyaux de chaleur qui les environnent, ou qui passent par-dessous. Souvent ces couches sont composées de sable, & renfermées par un encaissement dans lequel on range les vases : on devrait plutôt les appeler couches sourdes que chaudes.

Couche tiède, est celle qui a conservé sa chaleur nécessaire, & qui est garnie de cloches B. Cette expression exige encore une exception : on appelé couche tiède celle qui a perdu trop de chaleur, & qu’il faut ranimer par des réchauds. Cette seconde couche tiède, qui seroit trop foible pour des ananas, seroit encore trop chaude, par exemple, pour des laitues ; cette distinction est nécessaire.

Couche sourde C, est celle qui est enterrée à fleur de terre, c’est-à-dire, c’est une fosse quelconque remplie de fumier, ou de telle autre matière fermentescible.

Les paysans n’ont aucune idée des couches artificielles, excepté ceux qui habitent dans le voisinage des villes ; ils ont vu que des graines ensevelies dans la couche de terre, dont on recouvre les monceaux de fumier, afin de les faire plutôt pourrir, germoient de bonne heure, & y acquéroient une belle végétation. De-là l’idée leur est venue d’y semer les poivres d’Inde ou de Guinée, les aubergines, les melons, &c. pour les replanter ensuite, & ils n’ont pas été plus loin : c’est en partant de cette idée simple, que les jardiniers & les amateurs ont porté, depuis un siècle environ, les couches à leur plus grande perfection. Les gens riches trouvent un grand plaisir d’avoir forcé la nature à couvrir leurs tables de différens fruits ou légumes, dans le temps qu’elle est par-tout ailleurs engourdie, d’avoir devancé les saisons, &c. Eh bien, jouissez à votre manière, considérez ces fruits avec admiration ! Moins pressés de jouir que vous, l’homme du peuple & le cultivateur raisonnable, seront amplement dédommagés de leur attente ; ils mangeront plus tard que vous ces fruits, ces légumes ; mais pleins de goût, tout parfumés, suivant leurs qualités différentes, & il ne vous envieront pas un légume, dont la saveur est l’eau & le fumier.

Je ne crains pas de dire, dussé-je être contredit par tous les maraîchers des environs de Paris, que l’usage des couches est superflu, & qu’il est seulement utile pour la culture des ananas, par exemple, ou de telles autres plantes exotiques, incapables de résister aux rigueurs de nos climats : ces salades si vantées, ces légumes que l’on mange à Paris, & qui doivent leur existence au fumier des couches, sont détestables ; cependant on les trouve bons parce qu’on n’en connoît pas de meilleurs, & qu’on n’est pas à même de juger par comparaison. Laissons les couches livrées à l’usage des gens riches, & soyons assez sages pour mieux employer nos fumiers, & nous contenter des fruits & des légumes que la nature nous prodigue dans chaque saison : je passerois volontiers sous silence ce qui regarde les couches, si cet Ouvrage n’étoit pas consacré également à traiter de toutes les parties du jardinage & de l’agriculture.

I. Des matériaux. Le cheval, l’âne & le mulet fournissent le fumier dont on se sert pour les couches ; le dernier est préférable. Il ne faut pas que la paille ait resté plus d’une nuit ou deux sous les bêtes, il suffit qu’elle soit pénétrée de leur urine. Lorsqu’on l’enlève, en met de côté le crottin, & on en laisse le moins que l’on peut : cette litière peut être employée tout de suite ou mise en réserve dans un lieu sec & à l’abri de la pluie pour s’en servir au besoin.

Le fumier de vache, de mouton, mérite de trouver place dans les couches, comme il sera dit ensuite, ainsi que la vanne du blé, (gluma) & sur-tout de l’orge. Un des matériaux les plus précieux, est le tan qui est l’écorce de chêne ou de bouleau, réduite en poudre grossière, telle que les ouvriers l’emploient pour préparer les cuirs.

II. Du choix du lieu de la couche. Ce choix est important : s’il est humide, il absorbe la chaleur de la couche ; s’il est froid, exposé à un grand courant d’air, il la dissipe. Il est donc à propos d’enclorre de murs le terrein des couches, afin de leur former de bons abris ; &, comme je l’ai dit, en parlant des châssis, de ne pas les appuyer contre les murs, ils absorberoient en pure perte sa chaleur, & priveroient de la facilité de donner des réchauds. Je conseille de couvrir le sol avec des planches percées de beaucoup de petits trous, & posées sur un lit de sable fin de deux à trois pouces ; elles retiendront sa chaleur, & empêcheront les courtilières d’y pénétrer : il faudrait encore les environner par le bas avec des planches de six pouces de hauteur, ce qui formeroit une espèce d’encaissement. (voyez le mot Châssis)

III. De la manière d’élever les couches simples. Leur grandeur est relative aux besoins & à l’emplacement ; il n’en est pas ainsi pour leur largeur ; plus elles sont larges, moins il est facile de maintenir leur chaleur par les réchaux. On commence par porter sur le terrein, d’après les dimensions données, une rangée de fumier pailleux, ou frais ou sec, dont on a parlé ; on l’étend avec la fourche, & on en forme un premier lit. Le jardinier a soin de retrousser, sur l’alignement, toutes les pailles qui l’excèdent ; ensuite il bat ce lit, soit avec des morceaux de bois fixés à un manche, soit avec des masses ; il le piétine d’un bout l’autre, & observe scrupuleusement qu’il ne reste point de cavité : il continue ainsi de lit en lit, jusqu’à ce que la couche ait acquis sa hauteur. Les bords doivent être beaucoup plus battus que le milieu ; plus la paille est battue & serrée, mieux la chaleur se conserve, & plus elle est forte. Si la litière est sèche, il faut légèrement la mouiller avec l’arrosoir à grille : trop d’eau exciteroit une trop prompte fermentation, & la chaleur dureroit peu. Lorsque tout est bien rangé, bien disposé, on couvre la couche, soit avec le terreau formé par une vieille couche, soit avec de la bonne terre franche bien amendée, passée à la claie, & préparée par avance depuis plusieurs mois. Le terreau laisse plus facilement évaporer la chaleur de la couche, que la terre franche. Plusieurs jardiniers disent que cette terre sera brûlée par la première chaleur de la couche, c’est-à-dire, que cette chaleur fera dissiper les principes utiles à la végétation qu’elle contient. Cette observation mérite qu’on y fasse attention. Un peu avant de semer, on peut la changer & lui en substituer une autre, tenue auparavant dans un lieu chaud, & approchant du même degré de chaleur que celui de la couche, afin de ne la point refroidir lors du changement. On laisse ensuite cette couche livrée à elle-même ; peu à peu la fermentation s’établit, la chaleur devient sensible & successivement très-forte, & trop forte pour presque toutes les plantes. On connoît la diminution de sa chaleur par l’affaissement de la couche, & sur-tout en enfonçant la main dans le terreau. Dès qu’elle est au point, on régale le terrein, c’est-à-dire, on l’unit, on l’aplatit. Cette opération n’est pas suffisante ; il faut tenir avec le genou, contre les parois de la couche, une planche, & serrer le terreau ou la terre contre cette planche, & par-dessus, & ainsi tout autour de la couche, afin que cette bordure n’éboule pas dans la suite, & qu’elle soit assez pressée pour servir de rempart à la terre qui l’avoisine. La nature des plantes qu’on veut semer ou repiquer sur couche, décide de l’épaisseur du lit de la terre. Le melon, le concombre, les petites raves demandent plus de terreau que les laitues, &c. C’est donc sur la manière d’être des racines, qu’il faut se régler pour l’épaisseur de la terre.

Une semblable couche, depuis l’instant qu’elle a jeté son feu, se soutient dans un état de chaleur convenable, pendant douze, jusqu’à quinze jours, & quelquefois moins, suivant la manière dont elle a été piétinée & battue, &, sur-tout, suivant l’espèce de paille qui a servi à la litière. La paille d’orge s’échauffe plus promptement, & sa chaleur dure moins : celle d’avoine conserve mieux sa chaleur que celle de seigle, & moins que celle de froment. Je ne crois pas que personne ait encore fait ces observations : je préfère celle de froment ; je m’en suis convaincu, non pas pour des couches, mais en faisant des expériences sur la chaleur de la fermentation de dnifférens engrais. Je prie ceux qui sont dans le cas de faire des couches, de me communiquer leurs observations sur l’effet des différentes pailles.

On peut faire des couches avec le tan seul ; elles durent très-long-temps.

IV. Des couches composées. Toutes les substances susceptibles de fermentation, agissent d’une manière plus prompte ou plus lente. On est parti de ce principe, pour prolonger la durée de la chaleur des couches. On sait que le tan est long à fermenter ; que sa chaleur dure plus que celle des autres fumiers ; que le fumier de vache, de bœuf fermente moins vîte que celui de cheval ; enfin, que les balles du blé, de l’orge, de l’avoine, &c. (voy. le mot Balle) lorsqu’elles sont un peu humectées, & en masse, acquièrent une forte chaleur.

On garnit le fond de la couche avec un pied de fumier de cheval, par-dessus six pouces de fumier de vache, six pouces de fumier de mouton, mêlé avec la balle des graminées. Le tout sera exactement affaissé, battu & piétiné, comme il a été dit. On recommence ainsi, jusqu’à ce que la couche soit parvenue à une hauteur convenable ; mais il faut toujours finir par un lit de fumier de cheval. Après qu’elle est faite, on l’arrose, afin d’établir la fermentation : huit jours après, on la piétinera, on l’affaissera de nouveau, & on la couvrira de terreau.

V. Du diamètre des couches. Tous les fluides tendent à se mettre en équilibre ; c’est pourquoi, lorsque la chaleur de l’atmosphère est nulle, c’est-à-dire, que le froid est de plusieurs degrés au-dessous du terme de la glace du thermomètre de M. de Réaumur, l’air froid attire, en raison de son intensité, la chaleur de la couche. Si, au contraire, l’air étoit aussi chaud que celui qu’on respire au Sénégal, il communiqueroit à la couche son intensité de chaleur, si elle en avoit moins que lui. D’après ce principe, il faut donc proportionner le diamètre des couches à la saison ; ainsi les couches que l’on fera pendant les mois rigoureux de l’hiver, seront plus hautes que larges. Trois pieds formeront leur hauteur, & deux pieds à deux pieds & demi, leur largeur : lorsque la saison s’adoucit, la hauteur diminue d’un pied, & la largeur s’étend jusqu’à quatre ; enfin, en avril, (climat de Paris) une couche d’un pied suffit.

VI. Des réchauds, c’est-à-dire, des substances qui réchauffent une seconde, une troisième fois, &c. Ce sont les mêmes que celles employées dans la couche, N°. 3. On élève ces fumiers nouveaux tout autour des couches, on les arrange comme les premiers, dès qu’on s’apperçoit que la chaleur de la couche commence à trop diminuer : alors ce réchaud, presqu’aussi large que la couche, fermente & communique sa chaleur à la couche ; enfin, on les renouvelle au besoin, & on parvient, par leur moyen, à conserver les plantes malgré les rigueurs de l’hiver.

Il seroit impossible que les plantes pussent subsister pendant les froids, si elles étoient exposées au contact de l’air, tandis que leurs racines seroient environnées de chaleur ; ce contraste les tueroit infailliblement. Pour prévenir cet inconvénient, chaque plante est recouverte de sa cloche, (voyez ce mot) ainsi qu’on le voit, Planche 5, Fig. 5… La cloche est abaissée pendant les gelées, & recouverte par-dessus avec de la litière longue & des paillassons, au besoin. Si le froid rigoureux dure pendant long-temps, & que son âpreté ne permette pas de soulever les cloches pour laisser diminuer l’humidité, les plantes courent grand risque de pourrir : il faut donc, aussitôt qu’on le peut, donner de l’air au moins pendant quelques instans, & le donner avec grande précaution.

VII. Des couches sourdes. Celles-ci conservent mieux leur chaleur que les couches élevées, parce que leur surface seule est en prise à l’action de l’air. Si cette couche est faite sur un sol naturellement humide, cette humidité, excellent conducteur de la chaleur, en dépouillera bientôt la couche. On doit donc choisir un terrein sec, pierreux, sablonneux, & pour les raisons énoncées ci-dessus, faire un encaissement en bois. La longueur & la largeur sont indifférentes, puisqu’on ne peut leur donner des réchauds. Quant à la profondeur, une fouille d’un pied suffit ; & la terre, jetée sur les bords de droite & de gauche, l’exhaussera encore, si l’on veut, & empêchera l’eau des pluies d’y pénétrer.

La conduite des couches exige un jardinier exercé à ce genre de culture ; autrement il brûlera beaucoup de plantes, & en fera geler un grand nombre.