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Cours d’agriculture (Rozier)/CRESSON DE FONTAINE

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CRESSON DE FONTAINE, (Sisymbrium nasturtium Lin.) Ses tiges sont rameuses, creuses, cannelées, vertes, ou quelquefois un peu rougeâtres ; ses feuilles sont ailées avec une impaire, et sont composées de folioles obrondes ou ovales, ou elliptiques, mais toutes d’un vert foncé ; lisses et un peu succulentes : la foliole terminale est plus grande que les autres. Les fleurs sont petites, de couleur blanche, et disposées en une espèce de grappe courte, ou de corymbe qui ne s’élève presque pas au dessus des feuilles ; les siliques sont courtes et un peu courbées.

On connoît en Allemagne deux variétés de cresson : l’une, qui croît communément sur les bords des fontaines, et qui a les feuilles plus rougeâtres, et les tiges plus fortes que l’autre variété. Celle-ci porte des feuilles moins épaisses et elle est douée d’une saveur moins piquante et moins amère. Elle est recherchée pour l’usage des tables ; et c’est par cette raison qu’on la cultive préférablement à l’autre.

Le cresson est un aliment sain, et que l’on aime généralement, quoiqu’il ait une saveur un peu piquante. Si sa consommation n’est pas plus étendue, c’est qu’on est réduit à la récolte de celui qui croît naturellement au bord des fontaines et des ruisseaux d’eau vive. Il y a très-peu d’endroits où la culture de cette plante utile soit connue. Les environs de Rouen sont, à notre connoissance, le seul canton de France où elle soit établie ; elle est plus commune en Allemagne. Le cresson de fontaine est cultivé en grand dans plusieurs endroits de ce pays, surtout aux environs d’Erfurd, de Francfort, etc. Nous allons exposer ici la méthode suivie en Allemagne, d’après ce que nous avons vu sur les lieux, et d’après les renseignemens que nous puisons dans les ouvrages allemands.

Le cresson est une plante aquatique qui ne parvient à une belle croissance que lorsqu’elle est suffisamment baignée par une eau vive et limpide. Il est donc nécessaire, pour établir une cressonnière, d’avoir un terrain avec des sources, ou de pouvoir y conduire facilement celles qui en sont éloignées. Ces conditions sont indispensables, lorsqu’il s’agit de cultiver le cresson en grand.

L’eau la plus favorable est celle où le cresson croît naturellement, et qui conserve en hiver assez de chaleur pour n’être pas sujette à geler à une certaine distance de sa source. Plus les eaux seront chaudes et abondantes, moins on aura à craindre l’effet des gelées. Les eaux dont le cours est lent et tranquille y sont plus exposées que celles qui coulent avec célérité. Les cressonnières doivent être établies dans le lieu le plus voisin de la source ; et, dans le cas où cette disposition ne seroit pas praticable, il sera avantageux de conduire l’eau par des canaux couverts, afin de conserver plus long-temps la chaleur qu’elle a en sortant de terre : car le cresson se maintient et végète durant l’hiver, à raison du degré de chaleur dont est chargée l’eau qui le baigne. Il est nécessaire que les fontaines servant à l’irrigation des cressonnières ne tarissent pas dans tout le courant de l’année ; le cresson viendroit mal, et donneroit de foibles récoltes, ou périroit s’il restoit à sec pendant quelque temps.

Les terrains marécageux où l’eau suinte de toute part, peuvent être employés à cette culture avec d’autant plus d’avantage, qu’ils sont impropres à toutes les autres, et que les plantes qu’ils produisent sont d’une trop mauvaise qualité pour servir d’aliment aux animaux. On doit aussi choisir de préférence des sols humides, sur-tout lorsqu’on n’aura pas une grande quantité d’eau à sa disposition. Les terres les plus médiocres seront bonnes pour cette culture ; on doit réserver les plus fécondes pour les autres produits de l’agriculture. Il ne faut cependant pas que le terrain soit uniquement composé de sable. Il sera nécessaire, dans ce cas, de répandre au fond des plates bandes ou canaux, dont nous parlerons plus bas, une couche de terre épaisse de six pouces. Cette superficie de bonne terre est nécessaire, afin que le cresson puisse implanter ses racines, et s’emparer des sucs propres à sa végétation.

Le terrain sur lequel on se propose de former une cressonnière ne doit pas avoir une trop grande inclinaison ; il seroit dans ce cas impossible ou trop dispendieux de lui donner le nivellement nécessaire au maintien des eaux. Il doit cependant avoir une pente légère, afin que ses eaux aient un certain écoulement, et qu’elles ne restent jamais en stagnation.

L’emplacement qu’on choisira sera à l’abri des inondations, de manière que les eaux de pluie provenant des champs voisins ne puissent s’y répandre et y apporter du limon, des sables, ou des graviers ; ce qui encombreroit les canaux, et feroit périr le cresson ; d’ailleurs, l’eau sale et fangeuse est nuisible à sa végétation. Si l’emplacement se trouve exposé aux inondations, on pratiquera, où il sera nécessaire, des canaux ou des digues pour arrêter les eaux, et les éconduire vers un autre point.

Il est bon de faire remarquer que l’établissement d’une cressonnière ne peut offrir de grands avantages qu’auprès des villes populeuses. Le cresson n’est pas d’une consommation assez générale pour que, dans toute autre circonstance, on puisse en trouver un débit suffisant, et retirer de cette culture les bénéfices lucratifs qu’on a lieu de se promettre. Au surplus, l’on pourra se borner à l’établissement d’une petite cressonnière, lorsqu’on n’aura en vue que sa propre consommation, ou celle d’un marché peu considérable.

Lorsqu’on aura choisi un terrain d’après les indications que nous venons de donner, on le divisera alternativement en plates-bandes, et en canaux destinés à la culture du cresson. Les plates-bandes seront réservées pour la culture des légumes : celles-ci auront de trois à six mètres de large (dix ou vingt pieds.) On donnera aux canaux deux mètres (sept à huit pieds) de large ; ces proportions peuvent varier sans inconvénient. Lorsqu’on aura à sa disposition un terrain d’une certaine étendue, il vaudra mieux alors former des plates-bandes plus larges. Le terrain qu’elles occuperont sera très-propre à la culture des légumes et même des arbres. Il sera tenu dans un bon état de fraîcheur par l’eau qui coule dans les canaux ; et il sera facile de le fumer avec la vase, ou les débris des végétaux qu’on retire de la cressonnière. On ne sauroit déterminer la longueur que doivent avoir les canaux ; cela dépend de l’abondance des eaux, de l’inclinaison et de la conformation du terrain, etc. La chose est d’ailleurs indifférente, et chacun doit suivre en cela son goût et ses convenances. Si la pente est trop considérable pour qu’on puisse former sur le même plant la quantité nécessaire à la culture qu’on se propose d’entreprendre, on en établira de nouveaux à la suite du premier terrain, de manière qu’ils soient voisins, et que l’eau passe des uns aux autres. Il importe au succès d’une cressonnière que l’eau soit assez abondante, non seulement pour remplir les canaux à la hauteur que nous indiquerons, mais il faut en outre qu’elle soit toujours sans mouvement : c’est pour cette raison que l’étendue d’une cressonnière doit être proportionnée à la quantité d’eau disponible.

Lorsqu’on aura disposé le terrain, et qu’on l’aura divisé de la manière indiquée, on procédera au creusement des canaux. On enlèvera la terre à la profondeur de cinq à six décimètres, (un pied et demi à deux pieds) de manière que lorsque les canaux seront formés, et qu’on les aura remplis, l’eau ait, à peu de chose près, cette même profondeur. Les terres qu’on retirera de l’excavation des fossés seront jetées sur les plates-bandes, si elles sont d’une bonne qualité, ou bien transportées ailleurs, si on leur trouve une destination plus avantageuse. On ménagera une pente insensible aux canaux, afin que l’eau puisse trouver un écoulement ; si elle restoit stagnante, ou qu’elle s’écoulât trop lentement, elle seroit sujette à geler, ce qui non seulement arrêteroit la croissance du cresson, mais encore occasionneroit sa perte.

On doit creuser un canal de conduite qui passera à angle droit le long de la partie supérieure des canaux ; il servira a conduire les eaux, et à faciliter leur distribution.

Si le terrain dans lequel on a creusé les canaux est entièrement composé de sable, ou de petits cailloux, il sera avantageux de répandre sur le fond des canaux une couche de bonne terre, épaisse de seize centimètres (un demi-pied.) Alors on augmentera la profondeur des canaux dans la même proportion.

On suit, en Normandie, une méthode diamétralement opposée. On répand sur le sol quelques pouces de gravier ; et chaque fois qu’on renouvelle la plantation, on balaie ce gravier pour en enlever la vase. La méthode allemande doit être préférée comme étant plus favorable à la végétation, ainsi qu’il sera expliqué plus bas.

Après avoir ainsi préparé le terrain, on introduit l’eau ; et au bout de quelques heures, lorsque la terre a été suffisamment humectée, on applanit les inégalités qui peuvent se trouver au fond du canal. Pour exécuter cette opération, on se sert d’un râteau fait avec une forte planche taillée en biseau à ses deux extrémités, longue de vingt-cinq centimètres (deux pieds) et large de treize centimètres (cinq pouces ;) le manche doit être long, et fixé obliquement sur la planche, afin que le râteau ait une grande solidité. Un ouvrier, armé de cet instrument, entre dans le canal, et égalise les proéminences qu’il apperçoit sur le sol. Il doit commencer son travail par la partie supérieure du canal, là où l’eau est introduite, et le continuer en reculant, de manière que le courant d’eau claire se porte en face de lui, et entraîne l’eau qui se trouble par le mouvement du râteau. L’ouvrier peut ainsi voir à travers l’eau le fond du canal, et exécuter l’ouvrage avec plus de facilité et d’exactitude. Lorsqu’il est parvenu à l’extrémité inférieure du canal, il recommence la même opération, s’il juge qu’elle n’ait pas été bien exécutée dès la première fois. On laissera sans culture sur les bords des canaux, le long des plates-bandes, un espace de terrain large de six décimètres, (deux pieds) plus ou moins. Ce terrain formera un gazon, et servira d’allée, et d’emplacement pour le dépôt du cresson qu’on retirera des canaux ; il affermira les bords de l’eau et en empêchera la dégradation.

On peut propager le cresson de deux manières ; ou de semence, ou de plantation. Dans le premier cas, on forme des pépinières où l’on sème le cresson, et on le transplante lorsqu’il est près d’atteindre toute sa croissance. On répand la semence dans la vase, et après l’espace d’un ou deux jours, on introduit l’eau dans la pépinière, ayant soin de la faire couler lentement, afin que les semences ne soient pas entraînées par le courant. On récolte les semences dans le mois de mai, lorsque les capsules commencent à jaunir. On les fait sécher au soleil, on les bat, et on les nettoie. Cette méthode de propagation est peu usitée, par la raison qu’elle fait perdre du temps, et que l’on obtient alors une récolte plus tardive et moins abondante. Elle ne doit être pratiquée que dans le cas où l’on pourroit se procurer du plant, soit dans des cressonnières déjà établies, soit dans les endroits qui le produisent naturellement.

La seconde méthode, qui est la seule usitée en Allemagne, consiste à propager le cresson par la plantation. L’époque que l’on choisit pour ce travail est le mois de mars ou d’août. On emploie les pieds de cresson avec leurs racines, ou bien les tiges qu’on a coupées à la longueur de trois décimètres et demi (un pied.) Cette plante pousse, aux aisselles des feuilles, de petits filamens blancs qui prennent racines dans la vase, et lui procurent une prompte croissance ; on peut même employer le cresson tel qu’on le vend sur les marchés, pourvu qu’il soit nouvellement coupé, et qu’il ait les filamens dont nous venons de parler.

Lorsqu’on a arraché le cresson, il faut avoir soin d’en séparer les plantes qui croissent conjointement avec lui, et qui s’entrelacent avec ses tiges et ses racines. Si l’on négligeoit de faire ce triage, les plantes parasites prendroient racine, et nuiroient considérablement à sa végétation.

Pour faire la plantation, on prend de petites poignées de cresson ; on enveloppe la base des tiges ou des racines avec de la terre humectée, et on les plonge dans la vase de la cressonnière, à la distance de quinze centimètres (dix pouces.)

Après que cette opération est terminée, on conduit l’eau dans les canaux, et on la tient à la hauteur où elle doit se trouver habituellement.

Le cresson prend racine au bout de trois ou quatre jours ; il s’élève au dessus de l’eau ; il pousse des tiges et des feuilles ; et, peu de temps après, la cressonnière se couvre d’un tapis de verdure,

Lorsqu’on ne pourra pas se procurer une assez grande quantité de cresson pour faire une plantation, ainsi que nous venons de le dire, il faudra alors laisser un plus grand espace entre chaque pied, et ne point couper de cresson la première année, afin que ses semences puissent parvenir à maturité. Elles teintent dans l’eau, et elles produisent de nouveaux plants qui garnissent les espaces vides.

Lorsque la gelée a détruit une cressonnière, on arrache avec un râteau les plants qui ont péri, et on les renouvelle en totalité, en préparant le terrain, et eu replantant ainsi que nous venons de le dire. On prend, dans ce cas, le cresson qui croît à la source des fontaines. L’eau conserve, au sortir de terre, assez de chaleur pour empêcher que le cresson ne gèle.

Quelques cultivateurs garnissent les places vides qui se trouvent dans les cressonnières, ou même les renouvellent en totalité, en jetant sur l’eau les fleurs de cresson, lorsqu’elles sont sur le point de parvenir à leur parfaite maturité ; elles gagnent le fond, et reproduisent de nouveaux pieds ; mais cette pratique ne peut avoir lieu qu’au mois de juillet, époque à laquelle les semences de cresson mûrissent.

Une cressonnière dure long-temps, et donne d’abondans produits, non dans la première année de sa plantation, mais dans les suivantes. On doit la renouveler lorsqu’on s’aperçoit qu’elle dépérit : alors, on arrache toutes les racines, qu’on entraîne à l’extrémité inférieure avec un râteau à dents ; on nivelle le fond, et l’on égalise les bords des canaux. Les débris des végétaux enlevés de la cressonnière sont entassés, avec la vase, dans un coin des plates-bandes ; et ils donnent un excellent engrais, lorsqu’ils ont fermenté ainsi pendant une année.

Lorsqu’on a planté une cressonnière, il est nécessaire d’y répandre du fumier ; l’on obtient alors des récoltes plus abondantes : cet engrais doit être renouvelé chaque année. On se sert de fumier de vaches, ou de moutons, bien consommé : on répand aussi, à défaut de fumier, de la bonne terre passée à la claie. Quelques jardiniers furent après chaque coupe : cette méthode doit être suivie ; car on a reconnu que, lorsque le cresson n’étoit pas fumé, il croissoit plus rapidement ; il produisoit moins de tiges et de feuilles ; que sa floraison étoit plus hâtive, et qu’alors il devenoit inutile comme aliment. Si on le fume, il est plus tendre, et a plus de saveur. D’ailleurs, l’arrosement épuise la terre ; il est donc nécessaire de renouveler les principes qui lui donnent la fécondité.

Lorsqu’une cressonnière est en pleine végétation, il faut arracher les herbes parasites qui s’empareroient du terrain, et parviendroient insensiblement à détruire les plants de cresson. Ces herbes sont principalement le cresson des prés ; (cardamine amara L.) la berle nodiflore ; (sium nodiflorum L.) la denticule rameuse ; (lemna trisulca L.) la véronique cresson née ; (veronica beccabunga L.) et autres plantes semblables. On doit chercher à la main leurs racines, et les enlever hors de la vase. La lenticule, ainsi que ses feuilles, et autres ordures qui surnagent après la coupe du cresson, sont conduites sur les bords des canaux, par le moyen d’un léger râteau à planche étroite ; on les prend ensuite à la main, et on les rejette au dehors. Si l’on arrache, par hasard, quelques pieds de cresson, on aura soin de fixer leurs racines, en les comprimant dans la vase avec l’extrémité du râteau.

Le cresson seroit sujet à geler pendant les fortes gelées de l’hiver, si l’on n’avoit soin de le rabattre, et de l’enfoncer sous l’eau. On se sert, pour cette opération, d’une planche percée de trous, et armée d’un manche long de trois mètres (dix pieds.) Elle doit être d’un bois qui se fende difficilement, tel que le hêtre, le chêne, etc. Sa longueur est de cinq décimètres ; (vingt pouces) sa largeur, de trois décimètres huit centimètres ; (quatorze pouces) son épaisseur, de deux centimètres (dix lignes.) Les trous doivent avoir trois centimètres (un pouce) de diamètre, et être distans les uns des autres de deux centimètres (dix lignes.) Le manche est posé à angle de quarante-cinq degrés, et fixé solidement sur la planche. Celle-ci est percée de trous, afin que l’eau puisse passer à travers, et offrir moins de résistance lorsqu’on presse le cresson.

Pour conserver le cresson dans toute sa fraîcheur, et empêcher qu’il ne soit endommagé par la gelée, il est nécessaire, aussi long-temps que le froid dure, de ne point laisser passer un jour sans le comprimer avec la planche, et le faire entrer sous l’eau. En général, le cresson prospère mieux lorsqu’on le tient, pendant l’hiver, au niveau des eaux, et qu’on ne lui permet pas de s’élever au dessus de leur surface.

Lorsque l’herbe des gazons placés entre les canaux et les plates-bandes est parvenue à une certaine longueur, on doit la couper, pour empêcher qu’elle ne retombe sur le cresson ; ce qui nuiroit à sa naissance, et faciliteroit un passage aux limaçons, et autres animaux destructeurs.

La récolte d’une cressonnière pourra s’effectuer un mois ou un mois et demi après qu’on aura terminé sa plantation. Sa végétation sera plus ou moins hâtive, à raison que l’eau employée aura un degré de chaleur plus ou moins fort, ou à raison de la température de l’atmosphère. Des coupes successives auront également lieu pendant tout le courant de l’année ; et elles pourront se renouveler d’autant plus fréquemment, que l’on répandra une plus grande quantité d’engrais. Le cresson demande à être coupé fréquemment. Si on le laisse parvenir à une trop grande élévation, il fleurit promptement, devient coriace, et ne peut être d’aucun usage dans les cuisines.

La coupe, ainsi que différens travaux d’une cressonnière, s’exécute par le moyen d’une planche que l’on pose transversalement d’un bord du canal à l’autre. Un ou deux ouvriers s’agenouillent sur la planche, coupent le cresson, et transportent la planche successivement d’un lieu à l’autre ; ils se servent, pour cette opération, de couteaux, de ciseaux, ou, ce qui vaut mieux, de faucilles ; ils posent le cresson sur la planche à mesure qu’ils le coupent, et le transportent ensuite sur le gazon, au bord du canal. C’est là où ils le disposent en bottes, et l’arrangent dans des paniers.

Lorsque la coupe se fait dans l’hiver, et que la gelée est forte, on met le cresson dans des baquets remplis d’eau, afin d’empêcher qu’il ne gèle ; on le presse, et on le recouvre avec un linge, ou avec de la paille. On le porte ainsi aux habitations ; on le retire de l’eau, et on le dépose dans un lieu où le froid ne puisse avoir accès. Si l’on ne prévoit ces précautions, le cresson gèleroit, se flétriroit, et perdroit de ses qualités.

La coupe ne doit pas se faire de la même manière en été qu’en hiver. Dans cette dernière saison, on se contente de couper les pieds de distance en distance, de manière à n’enlever d’une pièce que la moitié du cresson qui s’y trouve. On opère ainsi, afin que la surface de l’eau puisse rester couverte, en partie, par les feuilles du cresson ; ce qui conserve la chaleur de l’eau, et favorise l’accroissement de la plante. Il seroit préjudiciable de suivre la même méthode durant la belle saison ; alors la végétation est plus active ; la chaleur de l’eau et celle de l’atmosphère sont portées à un plus haut degré ; le cresson s’élève à une plus grande hauteur : c’est pour ces raisons qu’il est nécessaire de ne laisser aucun pied de cresson sur place, et de les couper, en suivant successivement les différentes parties de la cressonnière.

Lorsque la saison est très-chaude, on ne doit pas faire la coupe dans le courant de la journée ; le hâle flétriroit le cresson. Pour éviter cet inconvénient, on le coupe au coucher du soleil, ou le matin, jusque vers les neuf heures. Dans tous les cas, il sera bon de l’humecter, et de le placer dans un lieu frais, jusqu’au moment où il est envoyé sur les marchés.

On doit couper le cresson au niveau de l’eau, de manière que, lorsque la coupe est achevée, et qu’on a nettoyé la surface des canaux, les tiges soient entièrement baignées, et que rien ne paroisse au dessus de l’eau.

Lorsque le cresson dépérit, ou que ses tiges commencent à durcir, on l’arrache, et on le plante de nouveau, ainsi qu’il a été dit.

Quoique le cresson ne réussisse pas aussi bien dans les eaux stagnantes que dans les eaux vives et mouvantes, sa culture peut néanmoins avoir lieu dans les mares, et autres endroits semblables ; mais il est nécessaire que ces eaux conservent toujours le même niveau. Si elles viennent à diminuer, le cresson se trouve à sec ; si elles augmentent, il est inondé ; et, dans l’un et l’autre cas, la plante dépérit, et meurt.

On ne peut donc entreprendre la culture du cresson dans ces sortes d’endroits, à moins que les eaux ne conservent naturellement un niveau constant, ou bien qu’on ne puisse les maintenir par le moyen de l’art, en y conduisant l’eau d’une source, d’un ruisseau, etc. : l’on obtiendra ainsi une récolte de cresson, pourvu que les eaux ne soient pas d’une qualité trop contraire à celles qu’exige cette plante.

Quelques personnes élèvent le cresson dans des vases de terre, ou des auges de pierre ; elles recouvrent le fond avec de terre ; elles y plantent, ou elles y sèment le cresson, et y entretiennent l’eau à la hauteur de deux ou trois pouces. L’eau de source, ou de rivière, est la meilleure : on emploie aussi celle de puits. Il faut, dans tous les cas, avoir soin de la changer avant qu’elle commence à se corrompre : on pratique à cet effet, au fond du vase, un trou que l’on ouvre pour laisser échapper l’eau. Il est nécessaire que l’eau ne soit pas trop froide. Avant de l’employer, on l’expose dans un lieu où l’air soit tempéré. Cette sorte de culture demande des soins et de la dépense ; elle ne peut être pratiquée qu’en petit, et comme un objet de fantaisie, ou de curiosité.

Un cultivateur d’Allemagne dit avoir cultivé le cresson dans un terrain humide, et où le soleil ne donnoit qu’une partie du jour, sans l’arroser par le pied ; il se contentoit d’y répandre de l’eau avec un arrosoir, ainsi qu’on le pratique pour les légumes ordinaires. La terre étoit d’une bonne qualité. M. Dambournay a fait le même essai, en arrosant chaque jour ; il a trouvé que le cresson réussissoit, mais qu’il avoit un goût plus âcre que celui des fontaines ; qu’il étoit moins tendre, et qu’il ne peu voit pas servir aux usages de la table.

Le cresson est recommandable à cause de ses qualités salubres, et parce qu’il peut être d’une grande ressource dans hiver, époque à laquelle les jardins cessent de donner des plantes fraîches à l’usage de nos tables. Ou le mange avec des viandes rôties, avec le poisson ; on l’apprête en guise de choux, on le met dans le pot. La manière la plus ordinaire d’en faire usage, c’est de le manger en salade, seul, ou mélangé avec d’autres plantes, ou bien de l’étendre sur des tartines de beurre. (Lasteyrie.)