Cours d’agriculture (Rozier)/EAU, pharmacie

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Hôtel Serpente (Tome quatrièmep. 89-91).


Eau, Pharmacie. Chaque seigneur de terres, chaque curé doivent avoir chez eux des eaux préparées & destinées au soulagement des habitans. Le choix est nécessaire, & la quantité des espèces est très-inutile.

Toutes les eaux des plantes inodores n’ont guères plus d’efficacité que celle de rivière, & à bien prendre, c’est la même chose, quoiqu’on en conserve un grand nombre d’espèces dans les pharmacies des villes.

Si on désire conserver les vraies propriétés des plantes odorantes, on doit les distiller au bain-marie, & si c’est à feu nu, ménager le feu. Quant aux eaux très-composées, il vaut mieux les prendre chez un apothicaire que de les faire chez soi. Voici la recette de quelques-unes dont la réputation s’est soutenue.

Eau d’Alibourg ou de Farelle. Sur quatre livres d’eau, poids de marc, ou deux pintes environ, jettez demi-once de vitriol de Chypre, deux onces de couperose blanche, l’un & l’autre pulvérisés, & deux scrupules de bon safran ; les poudres étant dissoutes, filtrez l’eau ; ajoutez-y environ un demi-setier d’eau-de-vie, dans laquelle vous aurez fait dissoudre un gros de camphre ; remuez bien les deux liqueurs pour en faire un mélange exact, & tenez la bouteille toujours bien bouchée. C’est un bon vulnéraire qui guérit promptement les blessures, les contusions, empêche l’enflure, l’inflammation, prévient les dépôts. On la prescrit dans les épanchemens de sang, à la dose d’une demi-cuillerée dans un bouillon ou dans une infusion vulnéraire.

Eau vulnéraire d’arquebusade. Si le nombre des plantes aromatiques qui entrent dans la composition de cette eau, augmentoit ses propriétés, elle seroit supérieure à toutes les autres, & il est aisé de fabriquer de nouvelles eaux en ce genre, & de leur donner de grands noms. Jettez dans la cucurbite du bain-marie, feuilles récentes de sauge, d’angélique, d’absinte, de sariette, de fenouil, de menthe, d’hysope, de mélisse, de basilic, de rue, de thym, de marjolaine, de romarin, d’origan, de calament, de serpolet, fleurs de lavande, avec son calice, de chacune quatre onces ; esprit de vin, huit livres ; armez la cucurbite de sonchapiteau, & le chapiteau de son récipient ; lutez, laissez macérer à froid pendant vingt-quatre heures, distillez au bain-marie jusqu’à ce qu’il ne sorte plus de liqueurs. Vous aurez l’eau d’arquebusade, que vous conserverez dans un vaisseau exactement fermé. Si vous n’avez que le quart ou la moitié des plantes citées, l’eau n’en sera pas moins bonne. On la prescrit Comme la précédente, & antérieurement depuis six grains jusqu’à deux drachmes, édulcorée avec du sucre.

Eau céleste. Mettez dans une bassine de cuivre trois livres d’eau de chaux, (voyez ce mot) faites-y dissoudre deux onces de sel ammoniac, & laissez digérer à froid le mélange pendant douze heures. Cette eau déterge les ulcères sanieux, est utile dans l’ophtalmie humide & ancienne, contre l’ulcération des paupières & leur inflammation. Cette eau est d’une belle couleur bleue, par le cuivre qu’elle tient en dissolution. Avant d’en mettre sur le globe de l’œil, il est prudent d’ajouter six fois son poids d’eau de rivière bien pure ; prise intérieurement, elle très-dangereuse.

Eau divine. Très-utile dans les maladies de foiblesse. Mettez dans la cucurbite du bain-marie, huile essentielle de citron, demi-once ; eau distillée de fleur d’orange, huit onces ; esprit de vin huit livres ; distillez jusqu’à ce que vous ayez retiré huit livres de liqueur ; faites dissoudre à froid, dans huit livres d’eau de rivière, quatre livres de sucre : mêlez les deux liqueurs, & conservez le tout dans des bouteilles bien bouchées.

Eau de Luce. Sa composition est trop compliquée. Il vaut mieux l’acheter chez l’apothicaire. Il est essentiel de s’en procurer, puisque c’est le remède le plus efficace contre la morsure de la vipère, & des autres animaux venimeux. Sa dose est depuis quatre grains jusqu’à une drachme, incorporée avec suffisante quantité de sucre, ou unie avec deux onces de véhicule aqueux. Quoique son odeur ne soit pas agréable, on la respire par le nez, lorsqu’on se sent la tête pesante, ou dans les syncopes.

Quant aux eaux tirées des plantes, quelles sont leurs propriétés, sous la dénomination de chaque plante.

Eau de Saturne. Achetez chez un apothicaire, blanc de plomb préparé par le vinaigre, jettez dans un matras deux livres de cette substance réduite en poudre subtile, & ajoutez douze livres de vinaigre distillé : placez le matras bien bouché sur un bain de sable, à une douce chaleur, pendant quarante-huit heures ; vous aurez le vinaigre de saturne. Faites évaporer ce vinaigre dans une terrine de grés, à une chaleur douce, jusqu’à ce qu’il soit réduit à moitié ; laissez refroidir lentement ; décantez la liqueur, faites sécher le sel sur du papier gris ; continuez les évaporations, les crystallisations & dessication, jusqu’à ce que le vinaigre de saturne refuse de donner du sel ; vous aurez le sel de saturne. Si vous faites dissoudre ce sel dans une certaine quantité d’eau, vous aurez ce qu’on appelle l’eau végéto-minérale. Si l’eau est en si petite quantité, que par addition du sel elle ait une consistance approchante de celle d’un mucilage, c’est l’extrait de saturne. Si vous faites dissoudre le sel de saturne dans une eau séléniteuse, vous aurez le lait virginal.

Il est dangereux de se servir de ces préparations pour l’intérieur. J’ai vu des charlatans en conseiller l’usage ; il est très-rare qu’il ne produise le plus mauvais effet.

Il n’en est pas ainsi pour l’extérieur ; tout parle en sa faveur, si on l’emploie à propos & dans les proportions convenables. Le sel de saturne, étendu en dissolution dans l’eau de rivière, arrête l’érysipèle occasionné par le soleil, par le feu, la piqûre des abeilles, (le miel vaut encore mieux pour ce dernier) la démangeaison de la peau par âcreté, la transpiration insensible, la dartre sèche avec vive démangeaison, la dartre humide que l’on ne craint pas de dessécher, la brûlure récente avant que l’érysipèle existe, l’inflammation essentielle des parties, ou par virus vénérien, ou par l’âcreté des humeurs qui les lubréfient ; l’inflammation érysipélateuse des ulcères, de l’œil, de l’anus, ou des hémorroïdes avec vive démangeaison. Dans tous ces cas, l’eau doit être très-légèrement colorée ; si elle l’étoit beaucoup, ce remède seroit trop répercussif.

L’extrait de saturne est semblable en vertus au sel de saturne ; il faut l’étendre dans beaucoup d’eau. L’eau végéto-minérale pure colorée, est le résultat de l’union de l’extrait avec l’eau, & agit comme les précédens. Quant au lait virginal, il est moins utile que le sel de saturne, en solution dans l’eau pure.

Dans le cas de grandes brûlures, employez le plus promptement que vous le pourrez l’eau végéto-minérale, tenez sans cesse sur la plaie des linges imbibés de cette eau, & renouvelez souvent leur mouillure.