Cours d’agriculture (Rozier)/EAUX AUX JAMBES

La bibliothèque libre.
Hôtel Serpente (Tome quatrièmep. 84-89).


EAUX AUX JAMBES, Médecine Vétérinaire. Cet article nous a été communiqué par M. Husard, Médecin vétérinaire. L’on appelle de ce nom une maladie externe, le plus souvent chronique, quelquefois inflammatoire & contagieuse, mais jamais aiguë ; elle s’annonce par un léger engorgement de la couronne, du paturon ou du boulet, une douleur plus ou moins vive qui excite l’animal à lever les jambes très-haut, même à se renverser de côté, lorsqu’on les lui touche ou que quelques corps étrangers, tels que la litière, les frappent brusquement ; un écoulement d’une humeur sanieuse, âcre, qui irrite peu à peu les parties sur lesquelles elle coule, & y fait naître les mêmes accidens. L’engorgement se propage ensuite le long de l’extrémité en remontant peu à peu jusqu’au milieu du canon, & quelquefois jusqu’au genou & au jarret ; l’écoulement devient plus abondant, l’humeur est plus épaisse, plus corrosive, sent très-mauvais, corrode les parties déclives, rend le tissu du sabot mol & spongieux, le désoude quelquefois à la couronne, détruit la fourchette, & y fait naître des sics ou crapauds ; les poils se hérissent, tombent & laissent voir la peau d’une couleur tantôt livide, tantôt blanchâtre, transparente, parsemée de vésicules renfermant l’humeur qui découle abondamment & goutte à goutte : plusieurs de ces vésicules s’ouvrent ensemble, forment des ulcères où l’on, voit naître des poireaux, des grappes, les plis du paturon s’excorient, il en résulte des crevasses quelquefois très-profondes, l’humeur devient épaisse, diversement colorée, purulente, d’une âcreté qui porte aux yeux ; la peau prête à l’affluence des liqueurs qui abondent, la jambe devient une masse très-volumineuse qui fatigue beaucoup l’animal dans sa marche & le fait boiter ; celle qui l’avoisine ne tarde pas à être affectée & quelquefois successivement toutes les quatre ; l’animal dépérit insensiblement, quoiqu’avec beaucoup d’apétit, & se trouve hors de service longtemps avant d’être usé. En général, cette maladie est hideuse, désagréable & très-dégoûtante, les extrémités postérieures en sont plus fréquemment attaquées que les antérieures.

Telle est la marche des symptômes lorsqu’on abandonne le mal à la nature. Si on la contrarie par des moyens violens, si on arrête l’écoulement par l’application subite des astringens, des répercussion, des corps gras qui bouchent les pores (méthodes qui ne sont que trop en usage, & dont les charlatans qui fourmillent dans la médecine vétérinaire comme dans la médecine humaine, savent tirer parti sans s’embarrasser des suites,) les accidens énoncés se succèdent très-rapidement, il se forme des mules traversines, des malandres, des solandres ; il survient des claudications plus ou moins fortes, des javarts tendineux très-mauvais qui entraînent quelquefois la perte de l’animal, des engorgemens aux jarrets, aux genoux, aux cuisses, de l’œdème sous le ventre, des tumeurs & des abcès aux aînés, au fourreau, aux mamelles, aux fesses, aux ars, au poitrail, à l’encolure ; des dartres, la gale, le roux-vieux ; les urines deviennent troubles, blanchâtres, abondantes ; il survient des diarrhées colliquatives, &c. ce qui est alors fort heureux, ou l’humeur se porte à l’intérieur & occasionne des ravages qui conduisent plus ou moins promptement l’animal à la mort, tels que des épanchemens dans le ventre & dans la poitrine, la fourbure, la paralysie de l’arrière-main, la purulence des urines, des tranchées violentes & inflammatoires, des obstructions & des abscès dans les glandes mésentériques, dans les reins, la rate, le foie, les poumons, des péripneumonies, des flux par les naseaux d’une matière plus ou moins épaisse, diversement colorée, mais le plus souvent jaunâtre, des angines, des toux chroniques qui donnent naissance à la pousse, des dégoûts, la fièvre lente, le marasme & très-souvent le farcin & la morve.

Les causes de cette maladie sont internes & externes ; on doit placer parmi les premières les dispositions dues à la nature des pays où les chevaux ont pris naissance, & à leurs formes primitives. Ainsi les hollandois, les flamands, les picards, les normands, les bretons, les comtois y sont plus disposés que les autres. En général, tous ceux dont les jambes sont grosses, chargées de poils, dont le tempérament est lâche & mol, de quelque pays qu’ils soient y sont très-sujets ; les autres causes internes sont très-communément encore une gourme mal-jettée, des maladies inflammatoires mal traitées, le reflux du lait dans le sang après la mort du poulain ou sa séparation d’avec sa mère ; une mauvaise, nourriture prise dans des terreins marécageux, l’excès du travail qui appauvrit le sang & fait engorger les jambes, l’usage longtemps continué des sudorifiques & des remèdes échauffans, les superpurgations, les saignées fréquentes qui produisent le même effet, l’obésité, le défaut d’exercice qui facilite l’accumulation & la stagnation des humeurs dans les parties inférieures, des boutons ou des cordes de farcin sur ces parties &c. &c.

Les causes externes sont plus multipliées & plus fréquentes ; on doit mettre au premier rang l’arrêt de la transpiration & tout ce qui peut y donner lieu, tels que la vicissitude & l’intempérie des saisons, le passage subit d’un air chaud à un air froid, le séjour, pendant la nuit sur-tout, dans la neige, l’humidité & la pluie, le lavage des jambes avec l’eau froide à la rentrée du travail, lorsque les animaux sont en sueur : nous placerons ensuite la mal-propreté, les mauvais soins, le long séjour dans des écuries humides, dont l’air est stagnant, telles que celles pratiquées dans des caves fermées trop exactement, où les animaux sont entassés les uns sur les autres, où l’on laisse séjourner l’urine & le fumier ; la marche dans des boues âcres & corrosives, le séjour de ces boues entre les poils & sur les jambes, la coupe de ces poils pendant l’hiver, ce qui non-seulement laisse la peau à nu, mais fait encore l’effet d’une brosse dans les plis du paturon lors de la flexion ; irrite la peau & l’excorie ; les enchevêtrures, les atteintes, la mauvaise application du feu, celle des vésicatoires dans le paturon, nécessaire quelquefois pour produire une révulsion heureuse dans certains cas maladifs, la longue co-habitation avec un ou plusieurs chevaux déjà infectés d’eaux, &c. &c.

Cette maladie est plus commune pendant l’hiver & le printemps, que pendant l’été & l’automne, & dans les grandes villes que dans les campagnes ; elle paroît être enzootique à Paris, qui réunit toutes les causes, les externes principalement ; elle y règne en toute saison ; les temps mols la développent sensiblement, les grandes sécheresses & les fortes gelées en retardent les progrès ; la cure en est alors beaucoup plus aisée ; elle n’est le plus souvent que passagère dans la plupart des autres endroits : il en est même, comme les pays élevés & montueux tels que la Navarre, le Limosin, l’Auvergne, &c. où elle est inconnue.

Le traitement est curatif ou palliatif ; on doit espérer beaucoup du premier si le mal est nouveau, le sujet jeune, d’une bonne constitution, & la cause externe ou connue ; on se bornera au second, lorsque le mal sera ancien, qu’il aura fait beaucoup de progrès, que le sujet sera vieux, mal organisé & que la cause sera interne ou inconnue ; on y aura aussi recours pour les chevaux dont la poitrine sera foible, qui seront poussifs, qui auront fait beaucoup de déperditions par l’excès de travail, chez lesquels il y aura complication de causes, d’accidens. &c. En général, l’indication à remplir est de tarir l’écoulement, d’empêcher les mauvais effets de son reflux dans la masse & de prévenir la rechute.

Quant au premier, si le sujet est pléthorique, qu’il y ait beaucoup de Couleur, que la claudication soit sorte, il faut débuter par la saignée la diète & quelques jours de repos : faites boire tous les matins à l’animal un seau d’eau blanche, dans lequel vous aurez fait dissoudre une once de sel de nitre ; donnez un lavement fait avec la décoction de son ou celle des plantes émollientes, & rendu laxatif par l’addition du catholique commun ou du miel mercuriel ; nettoyez exactement & à fond les parties affectées, avec l’eau tiède & le savon noir ou une légère infusion de fleurs de sureau ; appliquez des cataplasmes anodins faits avec la mie de pain & le lait ; ces accidens diminués, lavez avec l’eau de saturne sans eau-de-vie ; substituez aux cataplasmes anodins ceux faits avec cette eau & la mie de pain ; exercez l’animal modérément ; ôtez le cataplasme lorsque vous voudrez le mettre à la voiture ; nettoyez bouchonnez, brossez bien les jambes, faites-en autant lorsqu’il rentrera ; appliquez un nouveau cataplasme que vous renouvellerez d’autant plus fréquemment, que l’écoulement sera plus âcre & plus abondant ; mais qui dans tous les cas ne doit pas rester moins de douze heures & plus de vingt-quatre. Au bout de huit jours de ce traitement l’engorgement & l’écoulement seront diminués, la peau commencera à se rider ; purgez avec l’aloès & le miel dans l’eau bouillante, donnez tiède le matin à jeûn ; lavez & faites les cataplasmes avec une eau de saturne plus forte, & à laquelle vous ajouterez l’eau-de-vie, continuez pendant quelques jours ; supprimez les cataplasmes, augmentez la force de l’eau avec laquelle vous ferez des lotions fort fréquentes à mesure que l’écoulement tarira ; fixez-vous cependant à une once & demie ou à peu près trois cuillerées à café d’extrait de saturne par pinte d’eau ; purgez une seconde fois, si l’écoulement subsiste long-temps, ou aussitôt qu’il aura cessé, mais à quinze jours au moins de distance de la première médecine ; lavez alors la jambe de temps en temps avec la lie de vin tiède ou une forte décoction de plantes aromatiques ; continuez ces lotions long-temps après la guérison pour fortifier toutes ces parties contre l’abord des humeurs ; ayez sur-tout la plus scrupuleuse attention à éloigner toutes les causes qui pourroient y donner lieu.

Si le sujet a acquis un certain âge, qu’il soit gras, naturellement mol, chargé d’humeur, peu exercé, & que le mal ait déjà fait quelques progrès, supprimez une partie de sa nourriture, mêlez du son avec son avoine ; exercez le plus souvent, lavez les parties malades avec l’eau de savon, & ensuite la décoction d’herbes émollientes jusqu’à ce qu’elles soient bien nettoyées, & que l’âcreté de l’écoulement soit diminué ; passez un séton à la partie postérieure & un peu interne de chaque fesse, si c’est aux extrémités postérieures, & à la face interne de l’avant-bras si c’est aux antérieures, ou placez un séton à l’angloise sous la poitrine :[1] la suppuration établie, employez pour les jambes les lotions faites avec la décoction des plantes aromatiques & les orties : quelques jours après, ajoutez-y l’extrait de saturne ou délayez-y de l’ægyptiac, la suppuration des cautères sera en raison de la diminution de l’écoulement des jambes ; lorsqu’elle commencera à être moindre, purgez avec l’aloès & le jalap donnés en bol dans le miel ; vous pouvez employer alors l’eau jaune des maréchaux, elle réunit le double avantage de resserrer & de fortifier. Si son effet est insuffisant, ayez recours à la dissolution de sublimé corrosif, ou à celle d’arsenic, étendue dans une infusion aromatique ; vous en proportionnerez la dose à la force de l’écoulement, en commençant toujours par la plus foible ; laissez subsister les sétons quelques temps après le dessèchement des eaux ; n’en ôtez qu’un à la fois, s’il y en plusieurs ; purgez une seconde fois après la cicatrisation des ulcères qu’ils avoient occasionnés ; lotionnez les jambes avec le vin chaud, afin de fortifier les parties comme je l’ai dit ci-devant : la teinture d’aloès est excellente ; ici on peut la faire à peu de frais avec l’aloès caballin dans le vin.

Donnez pendant le cours de ce traitement, excepté dans le temps des purgations, quelques diaphorétiques, tels que la poudre des bois, ou le crocus metallorum, à la dose d’une once le matin, dans le son humecté ; si l’animal le refuse, faites-lui manger dans le miel. Reste-t-il après la guérison des croûtes dans quelques endroits, ou une poussière farineuse ; ce qui est rare quand on a tenu les parties propres, faites de légères frictions avec le cérat de saturne ou le nutritum.

Y a-t-il des crevasses larges & profondes au-dessus du boulet ou dans les plis du paturon ? pansez-les avec le digestif animé pendant quelques jours ; ensuite avec la teinture d’aloès & les étoupes lèches. Comme il faut alors envelopper l’extrémité, imbibez des compresses de la liqueur dont vous ferez usage ; elles seront maintenues par le bandage. Dans ce cas il faut ménager l’exercice, ne le faire faire qu’au pas, donner même, s’il est possible, quelques jours de repos, parce que la flexion & l’extension répétées s’opposent à la réunion des plaies faites en travers : frottez les bords, s’ils sont durs, avec la pommade de mercure, & sur la fin avec le cérat de saturne.

Existe-t-il des poireaux considérables qui souvent gênent la flexion du pied ? faites reposer l’animal quelques jours, emportez-les avec le bistouri, touchez la racine avec le beurre d’antimoine ou la dissolution mercurielle ; l’escarre tombée, pansez l’ulcère qui lui succède comme celui des crevasses, employez ce traitement, sur-tout si la base est étroite ; mais sont-ils à base large, ou faut-il que l’animal travaille, contentez-vous de les toucher avec la dissolution ci-dessus ou celle de sublimé corrosif ou d’arsenic, qui alors seront plus fortes ; répétez cette manœuvre chaque fois que l’escarre tombera, ils se détruiront peu à peu : cette dernière méthode est beaucoup plus longue que l’autre, & jamais aussi efficace.

L’humeur a-t-elle ramolli le tissu de la corne des talons & de la fourchette, au point de faire craindre le sic ou crapaud ? faites déferrer l’animal, abattez les quartiers & les talons, mettez un fer court ou à lunette, de façon que la fourchette porte à terre en marchant ; employez du reste les astringens indiqués, l’ægyptiac seul suffit souvent.

Quel que soit le traitement que vous suiviez, s’il survient inopinément une forte claudication, un engorgement plus ou moins douloureux, si vous apercevez, en un mot, que l’animal est malade, soit par le dégoût, le frisson, &c. ce qui peut être occasionné, malgré les précautions prises, par la rentrée d’une partie de l’humeur dans la masse, suspendez sur le champ les remèdes, & faites usage des adoucissans & des émolliens jusqu’à ce que les accidens soient cessés ; appliquez même les vésicatoires pour rappeler l’humeur dévoyée, si le cas paroît l’exiger ; revenez ensuite à ceux que vous aviez abandonnés ; mais faites-en usage plus prudemment, ou si vous craignez une seconde rechute, contentez-vous du traitement palliatif ; traitez du reste la maladie qui s’annonce selon la cause qui l’a occasionnée & les symptômes qu’elle présente, (Voy.. Métastase, Tumeurs critiques, &c.)

La cause interne qui donne lieu aux eaux est-elle susceptible de guérison ? n’entreprenez la cure de celles-ci, qu’après avoir préalablement détruit la première, celles produites par un reste de gourme, un lait répandu ou la présence du farcin sont très-difficiles à guérir, & le plus souvent incurables.

Rien de si simple que le traitement palliatif ; il est intimement lié avec le précédent dont il fait même partie ; éloignez les causes le plus que vous pourrez, diminuez l’action de celles existantes par la propreté la plus exacte & la plus minutieuse, faites souvent bouchonner & brosser les extrémités, réitérez le pansement de la main, afin d’entretenir une transpiration douce & abondante, employez les lotions fréquentes & appropriées, telles que la décoction d’herbes émollientes acidulée avec le vinaigre, les infusions aromatiques, l’eau de saturne sur-tout qui remplit souvent ici toutes les indications ; que l’exercice soit constant & réglé, purgez de temps en temps l’animal ; en un mot, varier les soins & les remèdes selon l’état de la maladie & celui du malade.

Il est aisé de voir par ce qui vient d’être dit, que toutes les maladies des extrémités, connues & désignées parmi les auteurs en médecine vétérinaire sous les noms bizarres & synonymes de mauvaises eaux, ordures, gales & dartres aux jambes, malandres ou malandes, solandres, solandes ou salandres, tapes, dartres articulaires, arêtes, queues de rats ou pétis, grappes ou grappin, mules traversin es ou traversières, mules nerveuses, mules aux talons, crapaudines bénignes ou malignes, crevasses, fils, fics ou porréaux ou poireaux, peignes secs ou humides, gratelles farineuses, mal d’âne, mal de l’âne, pinsanesse ou épissanesse, teigne ou pourriture de la fourchette, bouillons, cerises, champignons aux talons ou à la fourchette, gales & démangeaisons du paturon, gale & ulcère chanceux sur la couronne &c. &c. sont produites par les mêmes causes que les eaux, n’en sont la plupart que des modifications différentes ou des suites, donnent lieu aux mêmes accidens si elles sont négligées ou mal traitées, &e que par conséquent la cure doit en être la même. Une telle nomenclature, peut-être encore incomplète, est un vrai cahos qui ne peut qu’embrouiller quiconque veut se livrer à l’étude des maladies des brutes.


  1. On incise la peau longitudinalement, en suivant la direction du sternum, d’environ deux ou trois pouces ; on la détache du tissu cellulaire, tout autour de l’incision, avec les doigts ou le côté large de la spatule ; on a un morceau de cuir plat & doux, rond, d’environ trois à quatre pouces, percé dans son milieu d’un trou rond, d’à peu près un pouce ; on l’introduit sous la peau, de façon que le trou réponde à la fente. Si l’on craint qu’il ne tombe, on fait un léger point de suture dans le milieu ; bientôt l’engorgement l’empêche de s’échapper. Beaucoup de personnes préfèrent ce séton, parce qu’on ne le voit pas, & qu’il est moins exposé aux accidens qui peuvent arracher les autres.