Cours d’agriculture (Rozier)/EFFRITER
EFFRITER une terre. C’est l’épuiser, la rendre stérile ; ces mots sont synonymes. Lorsque les salpêtriers, par les lixiviations répétées, ont tiré de la terre tous les sels qu’elle contient, & que l’eau mère est chargée de toutes les parties graisseuses, huileuses & animales, alors la terre est parfaitement effritée, & le lien d’adhésion qui réunissoit les molécules les unes aux autres, est rompu ; enfin, cette terre n’a plus de consistance : on sèmeroit en vain par-dessus des graines quelconques : si elles germent, elles lèveront mal, à moins que cette terre ne s’approprie les principes répandus dans l’atmosphère dont nous avons parlé au mot Amendement, & au dernier chapitre du mot Culture. Les plantes chevelues sur-tout, & les trop fréquens labours opèrent, chacun dans leur genre, & effritent la terre.
Prenons pour exemple la plante du tournesol nommée vulgairement soleil. Sa tige s’élève souvent à la hauteur de six à sept pieds, se partage dans le haut en plusieurs rameaux, & chaque rameau porte une ou plusieurs fleurs de cinq à six pouces de diamètre. Fouillons actuellement la terre, découvrons ses racines, & nous trouverons un nombre prodigieux de chevelus de neuf à douze pouces de longueur, sur une épaisseur de cinq à six pouces. Supposons encore que ce tournesol ait végété dans une terre compacte, on trouvera cependant que la terre mêlée entre ces chevelus sera presque réduite en poussière, parce qu’ils en auront épuisé tous les sucs & les sels, & ils auront, pour ainsi dire, à la manière des salpétriers, détruit tout lien d’adhésion ; la terre qui aura avoisiné ces chevelus sera également effritée. On doit conclure de cet exemple, que plus une plante, un arbre, &c. ont garnis de chevelus, plus ils irritent la terre. Toute racine chevelue effrite la terre à peu de profondeur ; toute racine pivotante n’épuise pas la partie supérieure, mais l’inférieure : voilà pourquoi après le blé on ne doit pas semer du blé, ni de la luzerne après la luzerne ; mais le blé réussira très-bien après la luzerne, & ainsi tour à tour. La forme des racines, comme je l’ai déjà dit plusieurs sois, est la base de la culture. C’est encore pour cette raison que la luzerne, prise pour exemple, fait périr tous les arbres aux pieds desquels elle est semée ; sa racine pivote profondément & enlève la substance qui leur étoit destinée. D’après ces observations, le jardinier prudent ne plante pas dans le même sol, par exemple, des scorsonères après des carottes ; il alterne ses plantations, & le lin ne sauroit croître sur le même sol, que plusieurs années après celle du premier semis.
Les labours trop multipliés, & sur-tout coup sur coup, n’effritent pas la terre tout-à-fait, dans le même sens que les chevelus du tournesol ; mais 1°. ils ouvrent ses pores & facilitent l’évaporation des parties les plus volatiles produites par la fermentation & la combinaison dès principes de la sève. Voyez le dernier chapitre du mot Culture. 2°. Ils détruisent le lien d’adhésion des molécules terreuses, & rendent la terre trop friable. Les partisans de la fréquence des labours, diront que la fertilité de la terre des jardins vient de sa division & de son atténuation ; ce qui est vrai jusqu’à un certain point ; mais son gluten subsiste toujours, & il est sans cesse augmenté par l’addition des engrais animaux. Le sable sec, charrié par les fleuves rapides, est bien divisé : il devroit donc produire d’excellentes récoltes, puisqu’il possède au suprême degré la divisibilité que l’on veut faire acquérir aux terres par la fréquence des labours ; & l’expérience prouve que cette extrême division des molécules est préjudiciable, à moins qu’un gluten quelconque ne leur donne du corps, & ne fournisse Les matériaux de la sève.
Le seul moyen de réparer une terre effritée, consiste dans la multiplication des engrais ; l’alterner (voyez ce mot) vaudra infiniment mieux que de la laisser en jachère.