Cours d’agriculture (Rozier)/ALTERNER

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Hôtel Serpente (Tome premierp. 417-424).


ALTERNER, ou faire produire successivement à une terre du fourrage & des bleds, & ainsi tour à tour. On alterne ou chaque année, ou après plusieurs années révolues. Par exemple, on alterne un champ semé en trèfle, lorsque la charrue ou la bêche le détruisent après son année de rapport ; on alterne un champ semé en luzerne, lorsqu’après plusieurs années la luzerne commence à se détériorer, & qu’on rompt la terre pour y semer du grain, ce que l’on fait aussi aux prairies épuisées ou prêtes à l’être. Cette alternative de culture assure des récoltes abondantes. Deux motifs y concourent : les plantes ont des racines ou pivotantes, c’est-à-dire, qui se prolongent assez avant dans la terre, ou des racines chevelues qui ne pénètrent qu’à quatre ou cinq pouces de profondeur : la luzerne, le trèfle, &c. sont dans le premier cas, & les bleds dans le second. Ainsi, lorsque l’on alterne sur un trèfle, sur un sainfoin, sur une luzernière, sur une ravière, &c. on est sûr que la récolte suivante sera copieuse, parce que les racines de ces plantes n’ont absorbé les sucs de la terre qu’à une profondeur plus considérable que celle où les racines des bleds auroient puisé pour se nourrir. Dès-lors, en labourant cette terre ou en la bêchant, le terrain de la partie supérieure dont les sucs n’ont point été épuisés ou diminués, est enfoui & présente une abondance de sucs nourriciers aux racines qui le pénétreront ; au contraire, les racines des bleds consomment les sucs du terrain supérieur, & laissent intact ceux de la partie inférieure : dès-lors, on voit les avantages qui doivent nécessairement résulter de la méthode d’alterner.

Le second motif intrinsèque qui détermine à alterner, est l’engrais qui s’est formé naturellement sur la superficie du terrain pendant cet espace de tems. Une luzernière qui a subsisté pendant cinq ou pendant dix ans, a formé une couche de terreau par les débris de ses feuilles & les dépouilles des insectes qu’elle a nourri. Plus le nombre des herbes quelconques est multiplié sur un champ, plus le nombre des insectes est considérable ; chaque plante a le sien propre, & souvent elle en fait subsister plusieurs dont les individus qui composent cette famille sont très-multipliés. Les cadavres de ces insectes servent merveilleusement à la nature à féconder les terres ; ce sont eux qui fournissent la partie graisseuse & huileuse qui, à l’aide des sels répandus dans la terre, forment la substance savonneuse, d’où la séve tire les principes constituans des plantes. Ce que nous disons de la multiplicité de ces insectes, & de cette admirable ressource de la nature, paroîtra outré à ceux qui ne savent pas voir & examiner ; mais que ces mêmes personnes prennent la peine de jeter un coup d’œil attentif sur une superficie de terrain de deux pieds en quarré seulement, de fouiller ces deux pieds, & ils seront étonnés de la quantité d’insectes qui vivent sur sa surface ou dans son sein. C’est assez insister sur les insectes. (Voyez le mot Engrais)

Des avantages qu’on retire de la méthode d’alterner. 1o. On a beaucoup moins de terrain à cultiver, puisqu’il se trouve à peu près une proportion égale entre l’étendue des terres à labourer & celle des terres consacrées aux fourrages. 2o. On multiplie les fourrages ; dès-lors, il en doit nécessairement résulter pour le cultivateur intelligent, l’augmentation de ses troupeaux, & des animaux destinés au labourage ou à fournir du lait, ou pour être engraissé. Que faut-il pour qu’une culture soit florissante ? des engrais. Et quoi encore ? des engrais & de forts labours. 3o. Il n’y a point de moyens plus efficaces pour détruire les mauvaises herbes ; les trèfles, les luzernes les étouffent par leur fanage, en leur empêchant de jouir des bienfaits de l’air atmosphérique, sans lesquels elles ne végètent qu’en languissant, & périssent avant de se reproduire par leurs semences. 4o. L’avantage le plus précieux, résultant de la méthode d’alterner, est de ne laisser aucun terrain en jachère ; la terre est toujours employée. Outre la luzerne, le sainfoin ou esparcette, & le trèfle, on connoît un grand nombre de plantes utiles pour alterner ; comme le lin, le chanvre dans les terres bonnes & meubles ; le lupin (voyez ce mot) dans les terres pauvres & caillouteuses, &c. Si on veut alterner sur une prairie même dégradée, on est sûr d’avoir plusieurs récoltes abondantes & consécutives.

Les peuples qui s’appliquent le plus & qui entendent le mieux l’agriculture, ne manquent jamais à alterner. Jetez un coup d’œil sur la Flandre françoise, sur l’Artois, sur le Brabant, sur l’Angleterre, & même sur les montagnes de Suisse & sur la Suède, & vous verrez dans tous ces pays, que par-tout où l’on peut semer du grain on suit cette méthode.

Ce qui vient d’être dit s’applique particuliérement à nos provinces méridionales, dans lesquelles la chaleur du climat s’oppose à la multiplication des prairies naturelles ; mais dans celles où ces prairies viennent d’elles-mêmes, on peut facilement, après trois récoltes consécutives en grains, les remettre en prairie.

Ce qui reste à dire sur la culture alternative, est tiré d’une Encyclopédie publiée chez l’étranger ; & nous sommes fâchés de ne pas connoître l’auteur de cet article digne d’un excellent cultivateur, pour lui payer le tribut de reconnoissance, suivant la loi que nous nous sommes imposée toutes les fois que nous empruntons un article de quelque auteur. Il est naturel de l’employer, si ce qu’il a dit vaut mieux que ce que nous dirions.

Règles de la culture alternative dans les pays où elle est actuellement suivie avec succès. (C’est l’auteur étranger qui parle) Dès qu’on s’apperçoit que le produit d’un pré diminue, & que l’herbe s’éclaircit, on y remédie sans délai, en labourant le terrain, ce qui se fait de six en six ans, ou tout au plus tard tous les huit ans.

Le fonds est de terre légère ou de terre forte. S’il a peu de profondeur, & qu’il soit sec & léger, on ne le sème qu’une fois ; & pour cela, on y conduit, sur la fin de Septembre, une dizaine de voitures de bon fumier par arpent de trente-six mille pieds quarrés. On laboure tout de suite, & on renverse le gazon. Comme le terrain est léger, la charrue ordinaire peut très-bien faire cet ouvrage.

À la suite de la charrue, on place six à huit armes de houes tranchantes, & des pioches pour rompre, couper, menuiser, briser les mottes, jusqu’à ce que les plus grosses n’excèdent pas la grosseur du poing.

Dès que le terrain est ainsi préparé, on y sème de l’épeautre, (voyez ce mot) qu’on recouvre avec la herse, & l’on y fait passer immédiatement le rouleau, si le terrain & le tems sont secs ; car si l’un ou l’autre étoit humide, il faudroit, pour ne pas pétrir la terre, différer même, s’il étoit nécessaire, jusqu’au printems.

Au printems suivant, avant que les plantes soient en mouvement, on sarcle le champ, ou à la place du sarclage, on le herse avec des fagots d’épine. Le sarclage, cependant, est préférable ; ces herbes qu’on arrache seroient également nuisibles au fourrage à venir & au grain présent.

Après la récolte de l’épeautre, le terrain se trouve tout gazonné de lui-même. Il ne reste plus qu’à éloigner les bestiaux, & à le herser au printems suivant, pour détruire les plantes grossières.

Si le terrain est pesant & argileux, on y sème deux années consécutives de l’épeautre, en y donnant chaque fois les mêmes cultures dont on vient de parler, avec cette seule différence que le fumier employé à la seconde semaille, doit être moins consommé que celui qu’on a employé à la première. On a observé que le fumier moins consumé porte plus de semences de prairie sur les terrains où on l’ensevelit.

Il arrive quelquefois qu’après ces deux labours, le terrain ne se gazonne pas parfaitement, & qu’il y a des places dégarnies ; on y remédie en répandant, sur les places vides, de la poussière de grange, ce qui se fait quelques semaines après la récolte, ou au printems.

Quoique ces prés soient irrigables, on ne les arrose point sur la première année, surtout si le terrain est léger & en pente ; s’il est en pente & argileux, on peut l’arroser pourvu que ce soit avec modération, & seulement au printems.

Si le terrain est sec & qu’il ne puisse point être arrosé, on y fait d’abord passer la charrue & la herse, comme dans le cas précédent, & l’on y sème de la fenasse ou fromental ; on herse ensuite & l’on roule le terrain : ceux qui ont des fumiers y en répandent pendant l’hiver, & ils doublent la récolte ; on fait ainsi le tour de ses terres, & on les ouvre à mesure qu’on s’apperçoit que la mousse les gagne.

L’alternative suivie dans les lieux où les bleds d’hiver ne peuvent réussir à cause du froid, ne diffère pas essentiellement : on ouvre le terrain, lorsque l’on voit que l’herbe y diminue en qualité ou en quantité ; on y sème de l’orge d’été, de l’avoine, quelquefois du seigle de printems, alternativement pendant deux ou trois ans, sans y mettre du fumier ; mais lorsqu’on veut les remettre en pré, on y répand une forte dose de fumier ou de marne.

En Angleterre, on met plus de tems & de façon pour mettre en culture un terrain en friche. Si la terre en est forte & pesante, on l’ouvre en automne ; on lui donne un second labour au printems : après cela, on y voiture & répand l’engrais, & tout de suite on lui donne une troisième façon. L’engrais consiste en soixante, quatre-vingts, jusqu’à cent tombereaux de sable commun, ou autant de marne sablonneuse & non glaiseuse, ou une soixantaine de charretées de fumier mêlé couche par couche, avec le double ou le triple de terre la plus légère, & gardée pendant un an. Si les mottes ne sont pas exactement brisées, on y fait parler une herse pesante. À la mi-Septembre, on donne un quatrième & dernier labour pour semer du froment.

Après la moisson, on laboure ; & au mois de Mars suivant, on donne un second labour pour semer de l’orge. Après la récolte, on renverse le chaume ; & dans la saison, on laboure à demeure pour le froment.

Si la terre est légère & sablonneuse, on se borne à trois labours ; au second, on ensevelit l’engrais ; & au troisième, on sème du froment. L’engrais consiste en une centaine de tombereaux de terre glaise par arpent, ou autant de marne glaiseuse, ou la moitié de vase d’étang, ou cinquante à soixante tombereaux de fumier mélangé de moitié, ou du triple de terre forte.

Cette quantité d’engrais dont on parle ici, ne doit pas effrayer. On suppose le terrain trop maigre pour porter du bled, ou épuisé par des récoltes mal ordonnées.

Après la moisson, on brûle les chaumes, & on y sème des turnips ou navets, dont on se sert pour nourrir les bœufs, vaches, moutons & cochons, pendant l’hiver & pendant le printems. Au printems suivant, on laboure & on sème des pois ; après la récolte, on sème des navets, comme l’année précédente ; & au printems, on laboure & on sème l’orge.

Après ces trois récoltes consécutives de grains, le terrain est mis en herbage ; à cet effet, on brûle le chaume après la récolte, & on laboure pour semer du trèfle, sur lequel on répand pendant l’hiver, & par arpent, douze à quinze tombereaux de fumier mélangé. Comme le trèfle se recueille difficilement, on le sème assez ordinairement avec le raigrass ou fromental.

L’automne de la troisième année, on laboure le trèfle ; & au printems suivant, on fait un second labour pour semer l’orge ; & ensuite deux fois du froment, après deux labours pour chaque semaille. À la fin de la troisième année, on sème du trèfle ou pur, ou mêlé comme il a été dit.

Quelques-uns, au lieu de trèfle, sèment de la luzerne, (voyez ce mot) que quelques auteurs confondent mal à propos avec le sainfoin. (Voyez ce mot) On le cultive comme le trèfle. Cette confusion est venue, sans doute, de la dénomination de sainfoin, pour désigner la luzerne, suivant l’idiôme de certains cantons. La luzerne subsiste six années dans sa force ; à la troisième on y répand quelques engrais : au bout de ce tems-là, on renverse la luzernière en automne, & au printems suivant on sème de l’orge. On y fait ensuite deux récoltes de froment. Au mot Luzerne, nous indiquerons un moyen de lui assurer une plus longue durée que celle qu’on vient d’indiquer.

Si la terre est trop maigre pour la luzerne ou pour le trèfle, on la met en esparcette, (voyez ce mot) qui est le véritable sainfoin ; elle se sème & se cultive comme la luzerne, & elle subsiste dans sa force pendant six ans.

Dès que l’esparcette commence à décheoir, on la renverse en automne, & on donne un second labour au printems pour semer de l’orge, après l’orge du froment, ensuite des navets ; enfin, des pois ou de l’orge.

Règles à suivre dans la culture alternative, suivant l’exposition & la nature du sol. On donne pour première règle, que dans le pays plat il ne faut pas s’attendre que les terres, après avoir été labourées, se couvrent promptement & d’elles-mêmes, d’herbages naturels. Cela ne sauroit avoir lieu que dans les montagnes ; ailleurs il faut avoir recours, comme en Angleterre, aux herbages artificiels. Il paroît heureusement, par toutes les expériences qui en ont été faites, que cette espèce de fourrage réussît très-bien presque par-tout.

2o. On observe que la méthode de défricher, suivie dans quelques endroits de la Suisse, est plus expéditive & plus exacte que la méthode angloise, & par conséquent elle est préférable. On peut, après la première récolte du fourrage, préparer la terre pour semer encore en automne des bleds d’hiver, même dans les terres les plus fortes : si les terres sont légères, on peut faire la seconde récolte du foin.

Il paroît que les fermiers anglois exagèrent, lorsqu’ils proscrivent absolument l’avoine, comme donnant de trop minces produits. On a constamment éprouvé, que pour remettre un champ en pré naturel, dans les pays à bled, l’avoine convenoit mieux que tout autre grain, & que le terrain se gazonnoit plus promptement. Voici la manière dont s’y prend l’auteur de cet article.

Il emploie dix boisseaux d’avoine pour un arpent ; mais auparavant il les met tremper pendant vingt-quatre heures dans la composition suivante :

Prenez un pot d’eau bouillante, dans laquelle vous jetterez une livre de potasse, ou deux livres de sel de soude, ce qui revient au même : versez peu à peu cette eau sur deux livres de chaux vive : dès que la chaux commencera à s’échauffer, délayez-y demi-livre de fleur de soufre, en brassant continuellement avec un bâton, jusqu’à ce que la chaux & la fleur de soufre soient exactement incorporés. Jetez le tout dans un vaisseau, avec la vidange d’un ventre ou deux de moutons ou avec des crottes de brebis, dissoutes dans l’eau ; vous y ajouterez une demi-livre d’huile d’olive, & dix pots d’eau chaude, où vous aurez fait fondre une livre de potasse, une livre de salpêtre, & une livre & demie de sel commun ; enfin, vous y verserez vingt-cinq pots de jus de fumier.

Lorsque la liqueur est froide, faites-y tremper les semences pendant vingt-quatre heures, si elles ont des enveloppes comme l’avoine, & quinze heures seulement si elles sont nues, de manière que l’eau surmonte les semences de deux pouces. Pendant ce tems-là, il faut les brasser cinq à six fois.

Si on veut semer au sortir du bain, on étend les semences sur le plat de la grange, & on les saupoudre de cendres de bois, en les remuant avec un râteau, jusqu’à ce que l’humidité soit absorbée, & que les grains soient séparés. Si quelque contre-tems oblige de différer cet ouvrage, on les laisse étendues sur le plat de la grange, en les remuant de tems en tems avec un râteau. On peut les conserver ainsi sans danger pendant deux ou trois jours, & même plus ; mais on évitera soigneusement de faire sécher ou essuyer ce grain au soleil.

On peut substituer au sel de soude, de la cendre de fougère ; & à la chaux vive, de la chaux éteinte & non desséchée, pourvu qu’on en mette une double dose, c’est-à-dire quatre livres. Si on n’a pas de cendre de fougère, on la suppléera par une autre cendre, en augmentant la dose, Celle de sarment sera très-bonne, & la plus mauvaise sera celle que fourniront les bois blancs, comme le saule, le peuplier, &c.

On peut faire servir cette liqueur pour un second bain & pour arroser tout terrain qu’on veut fertiliser. Cette liqueur est déjà en état savonneux, mais surchargée de principes alcalis : elle est, par conséquent, dans le cas de porter une nourriture directe & toute préparée aux plantes, & elle n’exige plus que d’être élaborée par leurs filtres & par leurs conduits.

Après avoir donné au terrain une première façon, dès que la dernière récolte a été enlevée en automne, & l’avoir labouré & hersé au premier printems, on sème cette avoine ainsi préparée, & ensuite une bonne quantité de poussière de grange, en choisissant un tems calme.

D’après cette méthode, on a vu plus d’une fois de très-abondantes récoltes. Dès l’automne, l’herbe forme le plus beau tapis qu’il ne faut ni faucher ni faire pâturer. Le succès de la récolte sera complet, si l’on peut se procurer de l’avoine de Hongrie, & l’on n’en devroit jamais semer d’autre. Elle donne plus de grains ; le grain est plus gros, plus farineux, plus pesant. Elle n’est point sujette à s’égrener sur pied ; on peut la serrer aussitôt qu’elle est coupée.

S’il y paroît de grandes & mauvaises herbes, comme des bardanes ou glouteron, des jusquiames, des chardons roland, des chardons étoilés, &c. (voyez ces mots) il faut sévèrement les arracher : dès l’année suivante on y recueillera deux coupes de foin ; & à la troisième, & non auparavant, on pourra, si l’on y est obligé, envoyer le bétail sur le regain d’automne, mais avec modération.

On comprend aisément que si le peu de produit du champ ou du pré vient de quelque vice de terrain, de quelque eau qui filtre entre deux terres, ou qui croupit en quelqu’endroit, des ravages causés par les mulots ou par les taupes, il faut y remédier, à quelqu’usage qu’on veuille destiner le fonds.

On a vu que les fermiers anglois corrigent leurs terres par le mélange des terres opposées ; la marne convenable, & le fumier mélangé par couches alternatives.

Chacun sait que l’on dessèche les terrains mouillés par des pierrées, de la chaux, du gravier, &c. s’il y a des pierres dont la grosseur empêche le cours de la charrue, il faut les enlever, ainsi que celles qui s’opposeroient à la faux.

Quant aux taupes, on les détruit en mettant dans leurs trous des moitiés de noix, qu’on a fait bouillir dans une lessive ordinaire, faite avec la cendre de bois. Cependant quelques particuliers laissent les taupes travailler à leur aise, mais ils ont l’attention de parcourir très-souvent leurs prairies, & chaque fois de faire abattre la petite éminence qu’elles ont faite, d’en répandre la terre, & de jeter par-dessus un peu de graines de foin. Dans le tems de la fenaison, ce sont les plus belles places.

Les chaumes, en Angleterre, sont si forts & si épais, & coupés si haut, qu’il peut y avoir de l’avantage à les brûler & à en répandre la cendre : il pourroit même quelquefois arriver qu’ils empêcheroient de herser. Il n’en est pas ainsi dans les pays où la paille est coupée très-près de terre. D’une autre part, les cultivateurs anglois, dans la culture ordinaire, ne brûlent pas leurs terres ; ils ont raison : cette amélioration n’est que momentanée dans la plupart des terrains, & il s’agit d’établir des terres à demeure. Tout ce qu’on pourroit & devroit faire, c’est que si, après avoir fait rompre les gazons par des manœuvres, il restoit des chevelus, il faudroit y mettre le feu pour détruire plus promptement les racines & les semences, & en répandre les cendres sur le terrain. On se procureroit ainsi un amendement qui ne causeroit aucun préjudice pour l’avenir.

Les cultivateurs intelligens de la Suisse, & les fermiers anglois, font passer le rouleau sur leurs prairies artificielles. Cette opération affermit, unit le terrain, assujettit la semence, rompt les mottes, facilite la coupe du foin. Il faut épierrer avec soin, parce que tout labour amène les pierres à la superficie.

Un cultivateur instruit ne sème pas de suite les mêmes herbages, les mêmes fourrages sur la même terre ; il les varie : mais on ne s’est pas encore assez appliqué à constater quelle espèce de plante réussit mieux ou plus mal après telle autre.

Faut-il semer les herbages ou prairies artificielles, sur les terres déjà enclavées ? ou doit-on les semer sur le terrain vide ? Il y a des raisons pour & contre.

On dit que les plantes de bled garantissent l’herbage encore jeune & tendre, des premières chaleurs de l’été. L’on comprend que cette raison ne peut être bonne que pour les pays chauds, & que même, en ce cas, l’avoine devroit être un meilleur abri que le froment, le seigle ou l’orge, qui font trop d’ombre quand ils sont grands, & qui étouffent l’herbage. L’avoine se fauche soit verte, soit après sa maturité. D’ailleurs, cette raison suppose qu’on sème l’herbage au printems ; mais on doit le semer en automne, & l’année suivante il a acquis assez de force pour résister à la chaleur. Dans quelques pays, un peu méridionaux, à la vérité, on attend les neiges de Février ; & dès qu’on s’apperçoit que la neige est prête à fondre, on répand la graine par-dessus ; en fondant, elle l’enterre : d’autres se contentent de jeter la graine sur le bled en herbe à la fin de Février, ou au commencement de Mars.

Si la saison est pluvieuse, il est à craindre que l’herbage n’avorte sous les plantes qui le couvrent. Il vaut donc mieux, dans les pays tempérés, ne mélanger aucun grain avec les semences des prairies artificielles.

L’expérience a prouvé l’utilité de la méthode angloise, par laquelle on répand le fumier & l’engrais pendant l’hiver. Les anglois sèment en automne ; & dès qu’on sème les prairies artificielles sans mélange, il faut suivre cette pratique, parce que la première année fournit une bonne récolte.

Pour juger sainement des avantages sans nombre qui résultent de la méthode d’alterner, consultez le mot Jachère.