Cours d’agriculture (Rozier)/FIBRE

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Hôtel Serpente (Tome quatrièmep. 589-593).


FIBRE des Plantes, Botanique. On désigne sous le nom de fibres, des filets ou filamens qui composent la charpente de la plante. Ces filets sont situés dans différens sens ; les uns vont de bas en haut, parallèlement entr’eux, tandis que les autres, disposés horizontalement, les croisent, en allant du centre à la circonférence. Comme ces fibres forment des canaux dans lesquels circulent divers fluides, c’est ce qui leur a fait donner le nom de vaisseaux ; & comme on retrouve également ces fibres dans l’écorce & dans la partie ligneuse, on les a distinguées entre fibres corticales & fibres ligneuses, quoiqu’elles soient essentiellement la même chose.

Il en est de la fibre végétale, comme de la fibre animale ; sa connoissance répand le plus grand jour sur l’économie végétale. Il est donc très-intéressant d’avoir sur cet objet des notions claires & distinctes. Tous les mouvemens de la plante, la circulation des fluides, le développement de ses parties, en un mot, sa vie entière dépend du jeu & du mécanisme des fibres ; l’accroissement total est le résultat de leur développement partiel, & la mort de la plante est produite par leur décomposition, ou du moins par leur altération.

Prenez un morceau d’écorce, dont vous aurez enlevé l’épiderme, le réseau cortical ; faites-le macérer dans l’eau, pour détruire le parenchyme, il ne vous restera plus qu’une lame de fibres entrelacées les unes dans les autres, & qui s’anastomoseront dans toutes sortes de sens. Détachez, avec un peu d’adresse, un de ces filets ; considérez-le attentivement ; si vos yeux ne suffisent pas, aidez-vous d’une loupe, d’un microscope, & bientôt vous serez étonné que ce filet, que vous croyiez simple & unique, n’est qu’un faisceau de filamens qui peuvent encore se séparer les uns des autres. Poussez plus loin l’expérience, &, s’il est possible, détachez un seul de ces filamens ; faites-le tremper long-temps dans l’eau ; reportez-le ensuite au foyer de votre microscope ; une lentille plus forte que celle dont vous vous serez déjà servi, vous offrira encore ce filet composé au moins de quatre ou cinq autres plus fins. Il ne faut pas cependant s’imaginer que cette division pourroit se porter à l’infini ; non ; on arriveroit à la fin à la fibre unique ; mais quel est l’instrument assez parfait pour nous offrir un si petit objet ? On peut répéter la même expérience sur la fibre ligneuse, sur les fibres des pétales, des fruits, &c. &c., & l’on aura toujours les mêmes résultats, par-tout la même division, par-tout une fibre composée de fibres simples.

Mais de quoi la fibre simple est-elle composée ? C’est ici où notre esprit se perd ; des raisonnemens sans bornes, des mots, des hypothèses ; voilà, jusqu’à présent, ce que l’on a donné pour expliquer l’origine de la fibre simple pour l’économie animale, & l’on ne seroit pas plus heureux, sans doute, & peut-être moins encore, pour l’économie végétale. La nature se réserve quelquefois son secret, & quoi que nous la tourmentions sans cesse pour, le lui arracher, loin de nos sens, & au-dessus de notre esprit, elle cache toujours, sous le voile le plus épais, ses premières opérations. Si quelque chose peut nous consoler de ce mystère, c’est que rarement elle nous tait ce qui nous intéresse essentiellement, & que souvent elle semble ne se renfermer dans une nuit profonde, que pour piquer notre curiosité, animer notre désir de tout savoir, & nous forcer de l’étudier.

La fibre simple peut être supposée formée de tous les élémens qui concourent à la composition des corps ; elle ne nous occupera pas, parce que nous n’aurions que des conjectures à donner, & que ce sont des faits qui doivent sans cesse nous occuper.

Toute fibre, c’est-à-dire, celle que nous pouvons obtenir par une division quelconque, qui ne nous offre qu’un faisceau de fibres simples, dont le nombre, aussi petit qu’il est possible, mais de volume cependant à tomber sous nos sens ; toute fibre, dis-je, composée, est douée de certaines propriétés qui influent, ou plutôt, qui sont le principe & les agens de la vie végétale. Ces propriétés sont la transparence, la flexibilité, l’élasticité, &, par conséquent, la faculté de pouvoir être alongée, & de tendre continuellement à reprendre son premier état, & l’irritabilité.

1°. La transparence dans la fibre végétale, n’existe pas moins dans la fibre animale, & consiste à transmettre en tout sens les rayons de la lumière. Regardez au microscope un réseau végétal ; de quelque nature qu’il soit, vous vous appercevrez facilement de la transparence de toutes les fibres. Non-seulement cette propriété existe dans la fibre végétale vivante, mais encore après la mort de la plante & des feuilles. Des tissus desséchés, que j’ai examinés au microscope, long-temps après que je les avois détachés de la plante, m’ont offert le même phénomène. J’ai même observé, dans plusieurs circonstances, qu’elle pouvoit, dans bien des cas, décomposer les rayons du soleil, à la manière des prismes ; ce que j’ai jugé par les iris & les couleurs variées dont étoit accompagnée chaque fibre. Toute fibre ne paroît pas toujours transparente, sur-tout lorsque formant un vaisseau, elle est pleine d’un suc coloré, ou visqueux, ou gommeux ; alors les rayons sont réfléchis, & ne pénètrent pas au travers, ou se perdent ; il faut la comparer à un tube de verre qui seroit rempli d’une liqueur épaisse & opaque. Mais où la transparence paroît le mieux, c’est dans les endroits ou plusieurs fibres s’anastomosent entr’elles dans les plexus ; l’espace vide ou imbibé d’une liqueur transparente, laisse passer un très-grand nombre de rayons lumineux.

2°. Toute fibre végétale est flexible ; c’est une vérité dont il est très-facile de s’assurer. La flexibilité générale d’une plante, d’une tige, d’une partie ligneuse, ne résulte que de la flexibilité partielle de chaque fibre en particulier. Toutes les parties molles, les feuilles, les supports, les pétales, les pistils, les filets, les poils, les fruits, &c., offrent cette propriété ; ajoutons encore qu’on la retrouve la même dans les portions les plus dures & les plus solides. Il ne faut, pour la faire paroître, que diminuer leur épaisseur, les réduire en petits faisceaux où en petites lames ; elles seront susceptibles d’être pliées, courbées, sans se rompre. Que l’on jette les yeux sur ces arbres dont les troncs majestueux annoncent, par leur diamètre, qu’ils sont aussi anciens que la terre qui les nourrit ; aucune force humaine ne peut les ébranler : qu’un vent impétueux s’élève sur l’horizon, qu’il vienne déchaîner sa furie sur cet arbre, & bientôt vous le verrez s’incliner, se plier & se redresser, suivant la direction du vent. Une expérience plus simple & plus amusante démontre cette vérité : frappez rudement avec un marteau sur le tronc de cet arbre, & vous verrez à chaque coup frémir toutes ses feuilles ; le mouvement s’est donc communiqué jusqu’à l’extrémité, & cette communication est due à la flexibilité de chaque fibre. Si ces fibres, quoique flexibles naturellement, se touchoient exactement dans tous leurs points, & qu’elles ne pussent pas couler les unes finies autres jusqu’à un certain point, alors il n’y aurait plus de flexibilité, au contraire, une rigidité succéderait. La vie végétale, comme la vie animale, conduit à cet état, & la partie ligneuse d’un arbre ne durcit, que parce qu’il se dépose entre les fibres des sucs qui solidifient les parties voisines, que parce qu’elles sont comprimées de plus en plus par les couches extérieures, qu’en un mot, elles s’ossifient, pour ainsi dire. (Voyez le mot Accroissement)

3°. Si la fibre végétale n’étoit que flexible, elle pourroit à la vérité être pliée dans tous les sens ; mais elle resteroit dans la situation où elle auroit été mise, & il faudroit qu’une nouvelle force la rétablît dans son premier état ; mais nous voyons constamment un effet contraire. Une fibre végétale pliée se rétablit & revient dans sa première situation ; elle est donc douée plus ou moins force élastique. Mille preuves concourent à démontrer cette vérité : courbez légèrement une plante, une tige ; dès l’instant qu’elle sera libre, elle se redressera ; arrachez un filet de l’écorce ou des couches ligneuses, tentez le même essai, vous aurez le même résultat. Il est un genre d’élasticité que l’on trouve dans la fibre animale, la rétraction, par laquelle les deux portions d’une partie coupée par un instrument tranchant, se retirent sur elles-mêmes & se raccourcissent. En quelque sens que l’on coupe des chairs, des membranes, &c. cette rétraction a toujours lieu ; c’est à elle qu’il faut attribuer l’ouverture des plaies où il n’y a que simple solution de continuité. Ce genre d’élasticité se retrouve dans la fibre végétale, à la vérité moins énergiquement. Faites une incision à une plante vivante, sur l’écorce d’un arbre, par exemple ; à peine l’instrument aura-t-il pénétré & coupé quelque fibre, que vous verrez sur le champ les deux portions coupées se resserrer ou plutôt se retirer sur elles-mêmes, & il se formera une plaie entr’ouverte, beaucoup plus large que de tranchant de l’instrument qui a servi à la faire. L’élasticité ne suit pas toujours la raison de la flexibilité, & les parties les plus flexibles ne sont pas toujours les plus élastiques ; on pourrait même croire le contraire, car les feuilles, les corolles, les pétioles, les filets qui sont très-flexibles, sont moins élastiques que les tiges, les branches, les racines qui sont peu flexibles en comparaison.

La flexibilité & l’élasticité supposent une autre faculté qui en dépend, cependant ; c’est la disposition à l’alongement, nommé dans la physiologie animale, distractilité. Cette faculté permet à la fibre de s’alonger jusqu’à un certain point, mais en faisant néanmoins continuellement effort pour retenir toutes ses parties, & empêcher leur séparation ; car alors il y aurait solution de continuité, fraction, rupture. Cette propriété est très-sensible dans certaines parties végétales, sur-tout dans les fibres corticales. Que l’on prenne un fil de lin ou de chanvre ou d’ortie, mais simple & non composé de plusieurs, en le tirant par les deux bouts, il s’alongera sensiblement : courbez un morceau de bois, une planche, la ligne courbe qu’il décrira sera aussi sensiblement plus longue ; mais, si l’effort que l’on fait pour tendre le premier & courber le second, l’emporte sur la force naturelle de cohésion, le fil se cassera, & le morceau de bois se brisera. C’est à cette faculté de pouvoir être alongée, pliée, écartée, c’est à cet effort continuel pour se remettre à son premier état & reprendre sa première direction, qu’il faut attribuer le principal mécanisme de la vie végétale, & des mouvemens que l’on remarque dans la plante. Nous renvoyons pour le développement de cette vérité aux articles de l’accroissement, de la nutrition, du mouvement de la sève, &c. Ici nous n’établissons que les principes généraux dont l’application se trouvera naturellement disséminée dans tous les objets qui y ont rapport.

4°. La quatrième & dernière propriété essentielle de la fibre végétale, est l’irritabilité. C’est un principe reçu dans l’économie animale, que la fibre, ou du moins presque toute, est irritable, & que c’est à cette propriété que sont dus certains mouvemens ; mais en est-il de même dans le règne végétal, & l’irritabilité exerce-t-elle son pouvoir sur toutes ses parties ? La solution de ce problême demande des détails, que l’on trouvera au mot Irritabilité, où nous développerons les sentimens pour ou contre ce système, & sur-tout où nous tâcherons de chercher la vérité à la lueur des faits & de l’expérience.

Les fibres dont nous venons de considérer les principales propriétés, sont employées par la nature à la charpente de la plante ; il n’est absolument aucune partie où on ne la retrouve, & par-tout elle a une forme particulière, c’est-à-dire, qu’elle s’organise de façon à représenter tantôt un épiderme, tantôt un réseau, tantôt des vaisseaux séveux, des trachées &c. ; elle est chargée de deux fonctions essentielles à l’économie, la première, de soutenir par sa rigidité toute la machine ; la deuxième, de la nourrir & de l’entretenir, en formant des conduits ou des canaux dans lesquels circulent les différens fluides nécessaires. Avant que de l’examiner comme conduit, il est naturel de demander auparavant, la fibre est-elle creuse ? est-elle elle-même un cylindre ? S’il s’agit ici de la fibre élémentaire, la plus simple, j’avoue de bonne foi que l’on n’en sait rien ; tout ce que l’on a avancé pour le prouver, ou pour le détruire, ne mérite aucune confiance, & je crois que cela est absolument égal. La transparence même de la fibre est une raison insuffisante, puisqu’un morceau de verre solide est transparent. Il importe seulement que les fibres, par leur réunion, puissent former des canaux propres à contenir les fluides, usage le plus commun & le plus général de la fibre. Or, il est de fait que tous les vaisseaux des plantes ne sont composés que de fibres. Après les réseaux & les plexus, les principales parties ou vaisseaux formés par les fibres, sont les vaisseaux lymphatiques, les vaisseaux propres, & les trachées. (Voy. ces mots) M. M.