Cours d’agriculture (Rozier)/GALE DES MOUTONS

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GALE DES MOUTONS. De tous les animaux domestiques qui font l’objet de nos soins, celui qui est le plus sujet à la gale est sans contredit le mouton ; plus sa toison est tassée, plus il est exposé à cette maladie.

Symptômes. Rien n’est plus facile à saisir que les signes qui l’annoncent : l’animal gratte avec un de ses pieds postérieurs les parties du cou et de l’épaule qui en sont affectées ; il frotte contre le râtelier ou contre d’autres corps, le garrot, le dos, la croupe. La laine, dans les endroits grattés, est plus nette et plus claire que dans les autres parties. Il en sort des mèches que les bergers appellent laine pendante. Cette maladie est souvent accompagnée de toux foible et quinteuse, qui est due à la présence de petits vers dans les poumons. (Voyez Vers.)

Si on ouvre la toison dans l’endroit répondant aux surfaces grattées, ou dans ceux d’où la laine s’est détachée, on trouve la peau dure, tuméfiée et couverte de petites pustules, dont la pression faite avec les doigts, produit dans l’animal une vive sensation qu’il témoigne en agitant fortement une des extrémités postérieures.

Cette maladie ne se borne pas, ainsi qu’on le croit communément, à diminuer la quantité de laine que l’animal pourroit fournir lors de la tonte ; la laine devient encore sèche, cassante, dénuée de qualité, comme celle des moutons morts de langueur ; elle est sans ressort, disposée à être la proie des vers. Pour les manufacturiers elle n a pas plus de valeur que celle qu’on appelle pelade.

La gale obligeant l’animal à se gratter sans cesse, le tourmente, le fait dépérir, et souvent le marasme le mène à la mort.

Altérations observées dans les cadavres. La graisse a disparu, le tissu cellulaire est racorni, desséché et de couleur jaune foncé. Ce qu’il y a de constant dans cette maladie, c’est le mode de lésion du tégument ; la peau dans la face intérieure des endroits affectés de gale est constamment d’un rouge noir ; elle est encore plus épaisse et plus dure que par-tout ailleurs. Toutes ces altérations s’observent non seulement lorsque la peau est fraîche, mais même après qu’elle a été desséchée et même tannée. Les personnes habituées au maniement des peaux de moutons, ne se laissent pas tromper à cet égard.

Les viscères, tant de la poitrine que du bas ventre, sont flétris, déprimés ; on trouve un peu d’eau répandue dans la poitrine, le péricarde et le bas-ventre ; les lésions qu’offrent toutes ces parties varient en raison des causes qui ont produit la gale, et en raison des maladies dont les animaux ont éprouvé les effets. Si elle est due au défaut de nourriture, on trouve encore dans la caillette des égagropiles, à la présence desquels on ne manque pas d’attribuer la cause de la mort ; on trouvé de plus des petits vers fins, blancs, de six à huit lignes de longueur, nommés crinons ; ils sont en petits paquets, dans la partie la plus reculée des bronches. (Voyez Vers.)

Si la gale est la suite d’un excès de grains, tels que de vesces, de pois, d’avoine, on trouve aux poumons des points desséchés, plus ou moins étendus, de couleur rouge, brune, et le mouton est ce que les bergers appellent brûlé.

Si elle est le produit d’alimens aqueux, elle est suivie de tous les désordres qu’opère la pourriture ou cachexie aqueuse (Voy. Pourriture)

Causes de la gale des moutons, et moyens de la prévenir. Les poux, les tiques ou tiquets, occasionnent aux moutons des démangeaisons assez vives, et leur présence peut être comptée pour quelque chose dans les causes de la gale.

Les tiques se manifestent dès les premiers jours de vendémiaire (septembre) ; ils disparaissent à l’époque des premières gelées. Ils occupent le cou, les épaules et le garrot ; le dessous du ventre n’en est pas exempt, mais ils y sont en moindre quantité. Il se forme, dans les lieux qu’ils occupent, des pustules assez grosses qui renferment une matière suppurée bleuâtre, très-épaisse, et souvent mêlée avec un peu se sang.

Les poux du mouton sont les plus gros qui existent. Leur étendue en surface, en épaisseur, excède celle d’une lentille ; ils s’étendent sur toute la surface du corps, et principalement sur le garrot et le cou ; ils sont rarement isolés ; ils se réunissent plusieurs sur le même point où l’on voit la place de leurs morsures : toutes ces surfaces sont piquées et irritées tant de la part des poux que de celle des tiques. Ils tourmentent les moutons jour et nuit, les empêchent de manger et de reposer, et il en résulte une fonte assez prompte de la graisse. Au surplus, les agneaux, même les antenois, sont plus exposés à être la proie de ces insectes, que les moutons adultes.

Il est très-difficile, pour ne pas dire impossible, de soigner un troupeau de moutons à laine superfine, assez bien pour le garantir entièrement de toute éruption de gale ; mais, dans un troupeau bien entretenu, les pustules qui sortent d’un moment à l’autre sur quelques moutons peuvent être arrêtées et guéries pour ainsi dire à l’instant de leur apparition. L’objet essentiel est que le berger le recconoisse aussitôt c’est à quoi il parvient facilement, s’il n’abandonne jamais les moutons, et s’il a constamment les yeux dessus. Cette éruption de pustules galeuses n’est pas de sa faute ; il n’est coupable, à cet égard, qu’autant qu’elles sont multipliées, que la maladie a fait des progrès ou qu’elle est répandue sur beaucoup de bêtes. En ce cas, plus le nombre des animaux affectés est considérable, plus on a de reproches à lui faire, parce qu’alors c’est une preuve ou de son ignorance, ou de son insouciance et de sa paresse. Il préviendra encore l’éruption de cette maladie, en entretenant, dans la bergerie, une température douce qui ne soit ni froide ni chaude, et en évitant que ce local n’exhale une odeur forte de mouton ; il en est ainsi, lorsque la bergerie est nettoyée souvent et que l’air la traverse sans obstacles.

Pour s’opposer à l’éruption de cette maladie, le berger doit éviter avec le plus grand soin d’échauffer les moutons, en les faisant ou en les laissant marcher trop vite. Ils doivent être conduits de manière que leurs mouvemens ne soient jamais plus pressés dans un temps que dans l’autre, soit qu’il les conduise au pâturage, soit qu’il les ramène à la bergerie.

Une autre attention non moins importante, sur-tout en hiver, c’est d’éviter, autant qu’on le pourra, que les toisons ne soient mouillées à fond ; plus la toison est tassée et serrée, plus elle a de peine à sécher. Si l’humidité qu’éprouve alors la peau de ces animaux se proroge pendant cinq, six, ou même vingt jours, elle est presque toujours suivie de l’éruption de la gale.

En ce qui concerne la nourriture, elle doit être réglée de manière que le troupeau soit toujours en bon état, jamais maigre, et jamais gras. Cette attention à éviter les extrêmes est de la plus grande importance pour la conservation de la santé, sur-tout des troupeaux que l’on destine à former des élèves et à produite des laines fines.

Tout animal de cette espèce, qui a dépéri, est sujet à avoir la gale, lorsque son embonpoint lui est revenu par une nourriture abondante ; de même que le mouton chargé d’une certaine graisse éprouvé rarement une diminution un peu prompte et considérable dans son embonpoint, sans être atteint de la gale ; et l’un et l’autre état sont souvent suivis de la maladie que l’on nomme pourriture ou cachexie aqueuse.

Ces changemens fâcheux ont souvent lieu, lorsque les moutons passent de la nourriture sèche, qui les a fait maigrir, à la nourriture verte qui les engraisse ; époque où la nouvelle laine pousse avec force, et où quelquefois l’ancienne tombe.

Traitement de la gale. Lorsque le berger s’aperçoit qu’un de ses moutons est affecté de la gale, il doit le saisir sur-le-champ, le fixer de manière à pouvoir fouiller la toison, et reconnaître la partie de la peau qui porte les bourgeons. Il doit ouvrir la toison dans l’endroit répondant aux pustules, et arracher la laine qui les recouvre ; il en déchirera et enlèvera avec l’ongle les sommités ; il fera un pli à la peau, prendra ce pli à deux mains entre chaque pouce et chaque index, le pressera, le frottera pour faire sortir l’humeur jaune et séreuse que contenoit la pustule ; alors il versera sur le lieu affecté quelques gouttes d’huile empyreumatique préparée (ainsi qu’il va être expliqué ci-après), puis il approchera la toison et il l’égalisera, en sorte que rien n’indique que l’animal ait été pansé. Il fait le même pansement sur les autres pustules, s’il y en a ; et cette seule opération suffit, lorsqu’elle est bien faite, pour arrêter la maladie.

Mais, si les pustules sont multipliées, soit sur le corps de l’animal, soit sur une grande quantité de bêtes, il faut séparer le plus tôt possible les animaux affectés de ceux qui ne le sont pas, afin d’éviter la communication du mal d’une bête malade à une bête saine.

Cette opération exige une revue générale du troupeau. Il faut nécessairement que tous les animaux qui le composent soient examinés à fond ; on prend chaque mouton en particulier, on l’abat sur la croupe ; on lui attache, par le moyen d’un cordon, les quatre extrémités sous le ventre ; on examine toutes les surfaces de la peau, en ouvrant la toison avec méthode et ordre : on commence par le cou près de la tête, on suit cet examen jusqu’à la croupe ; on ouvre la toison à quelque distance du lieu qu’on vient d’examiner, et l’on continue ainsi sur toutes les parties de l’animal, de manière qu’il ne reste pas un point qui n’ait été scrupuleusement examiné. On ne doit pas borner l’examen à une simple inspection ; il faut toucher la peau avec le doigt pour reconnoître si elle ne présente pas de l’épaississement, ou de la dureté.

Tous les moutons dans lesquels on reconnoit des signes de gale seront totalement séparés des moutons sains ; on les tiendra ainsi à part, jusqu’à ce qu’ils n’offrent aucunes traces de cette maladie.

La gale présentant des degrés différens d’intensité, elle ne doit pas être traitée toujours de la même manière.

Tous ceux qui auront peu de gale sur la surface du corps seront traités comme nous l’avons indiqué ; mais attendu que les moutons qui auront de grandes surfaces couvertes de gale ne pourroient supporter l’impression de l’huile empyreumatique grasse qu’il faudroit employer à forte dose sur une aussi grande étendue ; dans ce cas, on sera obligé de traiter cette surface par portion ; ainsi on commencera par n’humecter de cette huile que quatre à cinq pouces carrés ; le lendemain ou agira sur une autre surface, et ainsi de suite, jusqu’à ce que toutes les parties attaquées aient éprouvé ce traitement. On doit avoir attention que l’huile dont on se servira, pour cette opération, s’étende toujours un peu au delà des parties malades.

Lorsque la peau affectée de gale présente beaucoup de dureté et de sécheresse, elle doit être préparée pour recevoir l’action de l’huile dont il s’agit, qui autrement seroit sans effet. Cette préparation consiste à ôter, à l’endroit où est la gale, toute la laine qui le recouvre, à l’assouplir par des onctions de saindoux, et à la frotter fortement pour faire pénétrer cette graisse ; on la pince avec les doigts, on la gratte avec l’onglée de fer, et on racle bien toutes les parties. (Cette onglée sera décrite ci-après.) On ramollit ensuite la peau avec le saindoux, et on laisse cette graisse jusqu’au lendemain, époque où la peau est ordinairement assez souple pour y verser de l’huile.

Lorsque les moutons ont une gale étendue, elle ne seroit point entièrement guérie par une seule application d’huile empyreumatique.

Il arrive souvent même qu’elle reparoit dans de nouveaux endroits, ou qu’elle augmente sur les parties qui n’ont éprouvé que foiblement l’impression du remède. Alors on y revient, et on les attaque une seconde fois ; pour peu que l’on suive avec exactitude les effets de la maladie, et du moyen prescrit, la gale est bientôt guérie.

Manière de préparer l’huile empyreumatique pour la gale des moutons. On prend deux parties d’huile empyreumatique grasse, épurée des sels alcalins qu’elle contient ; on y ajoute une partie d’huile, à brûler et une partie d’essence de térébenthine ; on mêle bien le tout et on le conserve dans une bouteille bien bouchée. Plus ce remède est ancien, plus il est efficace.

Cette huile ainsi préparée doit être conservée dans une bouteille, qui en contienne une provision suffisante. La partie qu’on doit employer journellement, et que le berger doit porter ou qui peut être placée dans la bergerie, sera dans une petite bouteille de la contenance de quatre à cinq onces de liqueur.

Cette bouteille sera bouchée de manière à ce que la liqueur ne sorte que goutte à goutte. Pour cet effet, le bouchon sera échancré sur les deux côtés, et chaque échancrure portera un tuyau de plume ; ces tuyaux seront fermés par un petit bouchon de liège ; on ôtera ce petit bouchon, lorsqu’on se servira de la liqueur : elle coulera par un des tuyaux ; l’autre donnera passage à l’air extérieur dont la pression fera sortir l’huile par le tuyau opposé.

Le goulot portera une corde qui aura une anse pour suspendre la bouteille, soit dans la panetière du berger, soit à un des piliers de la bergerie.

description de l’onglée de fer. Elle consiste en une tige de six ou sept pouces de longueur, de la largeur d’un travers de doigt, et de l’épaisseur d’une ou deux lignes.

Une des extrémités aplatie de cette tige est recourbée à angle droit et dentelée, comme une scie. C’est de cette extrémité ainsi dentelée qu’on se sert pour gratter la peau du mouton affecté de gale. (Ch. et Fr.)